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Full text of "Les Arts; revue mensuelle des musées, collections, expositions"

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LES  ARTS 


Revue  Mensuelle  des  Musées,  Collections 

Expositions 


QUATRIÈME    ANNÉE    -    1905 


i*^®^lji 


PARIS 

GOUPIL    &    C 


EDITEURS-IMPRIMEURS 


MANZI,  JOYANT  &  C%  Editeurs-Imprimeurs,  Successeurs 

34,    BOULKVARD    DES    CAPUCINES.    34 


LES  ARTS 


N"  37 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Janvier  1905 


Cliché  Uiaun.  Clément  j"  Ci#. 


REMBRANDT  VAN   RYN.  —  portrait  uk  ci.aks  berchem 
(Collection  du  duc  Je  Wcstmiiisieri 


Cliché  lîraiin.  Clémcnl  y  de. 


CLAUDE  GELLÉE,  dit  CLAUDE  LORRAIN.  —  i.'aboration  nu  veau  doh 

(Collection  du  duc  de  Westminster} 


LA  COLLECTION  DU  DUC  DE  WESTMINSTER 


A  GROSVENOR    HOUSE 


NK  ancienne  collection  de  tableaux,  comme 
une  ville  ancienne,  présente  sa  physionomie 
—  une  physionomie  complexe.  De  même 
qu'un  visage  humain  est  un  document  sur 
lequel  est  tracée  l'histoire  des  vicissitudes 
qu'ont    traversées   des   générations    d'an- 
cêtres inconnus,  une  importante  collection 
est  une  anthologie   des  sentiments  esthé- 
tiques ou  prétendus  tels,  des  préférences  et  des  goûts  de  ses 
propriétaires  successifs.  Comme  un  être  humain  aussi,  une 
pareille  collection  a  ses  qualités  dominantes,  ses  vertus  et  ses 
défauts.  En  outre,  si  certaines  collections  sont,  si  l'on  peut  ainsi 
parler,  des  Pic  de  la  Mirandole  et  excellent  en  tout,  d'autres 
ont,  en  même  temps  que  des  faiblesses,  des  mérites  très  pro- 
noncés. C'est  à  cette  seconde  catégorie  qu'appartient  la  collec- 
tion du  duc  de  Westminster.  De  grandes  écoles  et  de  grandes 
périodes  d'art  n'y  sont  pas  représentées  par  un  seul  chef- 
d'œuvre.  On  ne  trouve,  à    Grosvenor  House,   aucune  toile 
importante  des  écoles  italiennes  des  xv^  et  xvi"  siècles,  aucun 
exemple  des  paysagistes  français  du  xix*^  siècle,  aucun  de 
l'école  de  Norwich  ni  des  périodes  comprenant  la  grande 
époque  de  l'art  continental  des  préraphaélites  anglais.  Deux 
époques  de  l'art  y  sont  seules  représentées  par  des  œuvres  de 
premier  ordre.  Mais,  heureusement,  ces  deux  périodes  sont 
l'une,  la  plus  grande  de  l'art  continental,  l'autre  comme  la 
plus  grande  de  l'art  anglais.  La  première  va  de  1600  à  1660; 
c'est  celle  de  Rembrandt  et  de  Velasquez,  celle  de  Rubens  et 
de  Van  Dyck,  celle  des  Poussin  et  de  Claude.   La  seconde 
s'étend  de  1770  à  1790;  c'est  celle  de  Reynolds,  de  Gains- 
borough,  de  Romney. 


On  trouve,  à  Grosvenor  House,  des  (tuvres  de  toutes  les 
époques  principales  de  Rubens.  Dans  Patisias  et  Glyccrc, 
nous  avons  un  tableau  de  sa  première  manière,  une  œuvre  à 
laquelle  a  probablement  collaboré  Breughel.  Elle  représente 
le  peintre  lui-même  en  amoureux,  et  elle  a  un  air  de  famille 
avec  le  portrait  de  Rubens  et  d'Isabelle  Brant,  qui  esta 
Munich  fn»  io5o).  Les  fleurs  jaillissent  devant  l'artiste  et  sa 
fiancée.  Glycère  tient  une  guirlande  de  Heurs  à  la  main.  C'est 
un  tableau  printanier,  peint  au  printemps  de  la  vie  du 
maitre. 

A  la  première  partie  de  la  période  moyenne  de  Rubens 
appartient  Agar  renvoyée  par  Abraham  et  Sarah,  tableau 
qui  ressemble  beaucoup  à  une  toile  représentant  le  même 
sujet,  qui  se  trouve  au  musée  de  l'Ermitage,  à  Saint-Péters- 
bourg. Dans  ce  tableau,  comme  dans  d'autres  de  la  même 
catégorie,  Rubens  nous  apparaît  comme  un  des  chefs  d'une 
nouvelle  renaissance,  d'un  mouvement  qui  atteignit;!  sa  plus 
parfaite  expression  dans  les  œnivres  religieuses  de  Rembrandt. 
De  même  que  Giotto,  trois  siècles  auparavant,  avait  osé 
rompre  avec  les  conventions  artistiques  et  peindre  une  mère 
et  un  enfant  au  lieu  d'un  simple  symbole,  de  même  aussi  les 
grands  maîtres  du  xvu=  siècle  ont  osé  donner  à  des  scènes 
de  l'histoire  religieuse  un  caractère  humain  et  émouvant. 
Rubens,  comme  il  l'a  dit  lui-même,  a  voulu  choisir  «  un 
sujet  qui  ne  fût  ni  sacré  ni  profane  »,  et  il  a  exprimé  des  sen- 
timents humains,  parce  que  c'est  à  des  sentiments  humains 
qu'il  faisait  appel.  «  Je  l'ai  peint  sur  bois,  ajouta-t-il,  parce 
'  que  les  petits  tableaux  réussissent  mieux  sur  un  panneau  que 
sur  la  toile  (1).  » 

(0  M/ïX  RooSES.  —  Rubens,  Paris  st  Amsterdam,  igoS,  p.  276-277. 


LA    COLLECTION   DU   DUC    DE    WESTMINSTER 


Enfin,  on  trouve,  dans  cette  collection,  trois  des  tableaux 
peints  d'après  les  dessins  f)riginaux  faits  pour  une  série  de 
tapisseries  commande'cs,  en  1625,  par  l'archiduchesse 
Isabelle,  pour  un  couvent  de  Madrid.  Ce  sont  :  Abraham 
offrant  le  pain  et  le  vin  à  Melchissédec,  les  Israélites  recueil- 
lant la  manne  dans  le  désert  et  les  Quatre  Évangélistes.  Un 
quatrième  tableau,  appartenant  à  cette  même  série,  les  Pères 
de  l'Église,  est  à  Eaton  Hall,  le  château  du  duc  de 
Westminster,  près  de  Chester.    Ces  tableaux,   exécutés  par 


les  élèves  de  Rubcns,  ont  été  retouchés  par  le  maître.  Dans 
ces  œuvres,  la  puissante  virilité  de  Rubens  tourne  à  l'expres- 
sion animale.  Les  Israélites  recueillant  la  manne  est  une 
toile  qui  nous  présente  un  débordement  de  chairs  rou- 
geâtres  pareil  à  celui  qu'offre  l'étal  d'un  boucher  de  Smiih- 
ficld  aux  approches  de  Noël.  Et  ce  n'est  que  de  la  chair,  de 
la  chair  sans  os.  Les  héros  de  Rubens,  d'ailleurs,  n'ont  ni 
âme  ni  charpente.  En  revanche,  ils  ont  plus  que  leur  part 
de  chair.  Ces  immenses  compositions  sont  grossières,  vul- 


■nu  y  t. 


CLAUDE  GKLLEE,  i>it  CLAUDE  LOlt 
(CoUectinn  du 

gaires,  bruyantes  et  magnifiques.  Elles  sont  l'œuvre  d'un 
barbare  de  génie,  passé  maître  dans  la  technique  de  la  pein- 
ture à  l'huile,  qui  sut  comnuiniquer  à  ses  élèves,  aussi  long- 
temps que  ceux-ci  restaient  avec  lui,  quelque  chose  de  sa 
merveilleuse  maîtrise  dans  l'emploi  des  matériaux  du  peintre. 
Comme  contraste  étrange  avec  ces  œuvres,  on  voit,  dans 
la  galerie  voisine,  le  Portrait  de  don  Baltasar  Carlos.  Au 
lieu  de  barbares  peints  par  des  barbares,  voici  le  portrait 
d'un  gentilhomme  peint  par  un  gentilhomme.  Un  critique 
aussi   autorisé  que    M.    de    Beruete   attribue   ce  portrait    à 


HAIN.   —    l'.VVS.VliK   AVKO.  1.E    KKI-OS  KS  KdYPTB 

dm-  de  Westminster) 


Mazo,  tout  en  reconnaissant  ses  belles  qualités.  Je  n'en 
reste  pas  moins  convaincu  que  les  principaux  personnages 
de  ce  tableau  sont  de  Velasquez  lui-même.  Non  seulement 
ils  ont  toutes  les  particularités  de  style  du  maître,  —  parti- 
cularités qui.  je  l'accorde,  peuvent,  dans  une  certaine  me- 
sure, être  imitées.  —  mais  ils  ont  aussi  ce  qui  est  inimitable: 
la  qualité  du  grand  maître.  Le  fond  et  certains  des  person- 
nages secondaires  sont  évidemment  l'œuvre  d'un  élève  ei 
peuvent  être  de  Mazo. 

Un  autre  des  géants  de  l'art  du  svi'  siècle.  Rembrandt. 


est  mieux  repre'senté  que  Velasqucz.  On  ne  compte  pas 
moins,  sur  les  muis  de  Grosvenor  House,  de  six  toiles 
pouvant  lui  être  attribuées,  mais  trois  seulement  sont  incon- 
testablement de  sa  main.  De  ces  dernières,  la  plus  belle  est 
la  Salutation,  peinte  en  1640,  l'année  où  naquit  la  seconde 
Cornélia  de  Rembrandt,  l'année  qui  précéda  celle  où 
Titus  vit  le  jour.  L'artiste  v  a  déployé  sa  merveilleuse 
faculté  de  concevoir  et  d'exprimer  d'une  façon  nouvelle  et 
originale  un  sujet  biblique.  Ouelle  sincérité  de  sentiment! 


Comme  l'artiste  sait  nous  faire  partager  les  craintes  de  la 
mère,  les  inquiétudes  du  père,  qui,  avec  une  lente,  pénible 
et  sénile  hâte,  descend  les  marches,  la  main  appuyée  sur 
l'épaule  d'un  enfant!  Avec  quelle  habileté  Rembrandt  a  su 
rendre  la  douceur,  le  calme,  la  modeste  confiance  de  Marie! 
Kt  que  cette  saine  jeune  femme  diffère  de  la  mélancolique, 
lymphatique  et  sentimentale  madone  de  ce  décadent  typi- 
que, Sandro  Boiticelli  ! 

Non  moins  caractéristiques   sont  les  portraits    présumés 


Clittie  lii-autt.  tli^ment  ^  Lie. 


A.    VAN    UVCK.   —   I-OUTH.VIT    DE 

(ColUctiim  du  duc 


de  Claes  Berchem  et  de  sa  femme.  Dans  ces  tableaux  la 
technique  est  en  harmonie  avec  la  nature  du  sujet.  Le  por- 
trait de  la  temme  nous  montre  une  honnête  et  simple 
ménagère  bourgeoise.  Il  est  exécuté  avec  le  soin  et  le  fini  les 
plus  extrêmes  dont  Rembrandt  soit  capable.  Le  portrait  de 
reTr/""i  P'"^'■,f 'demen.,  est  d'un  faire  moins  serré. 

^/h.n.  "P  '^■'"'"''  P°''"'^''^  '^'  Rembrandt.  Knire 
le  chapeau  no.r  a  larges  ailes  et  le  col  blanc,  il  v  a  une  phy- 
s.onom.e  sur   laquelle  de  fortes  et  profondes  émotions  ont 


V.VN    UÏCK,    DIT   AU    TOUHXESOL 

de  Westminster) 

laissé  des  traces.  Comme  tous  les  tableaux  de  Rembrandt, 
il  respire  la  vie.  Dans  le  nombre  infini  des  traits  et  des  tons, 
Rembrandt  choisissait  ceux-là  seuls  qui  pouvaient  lui  servir 
à  traduire  une  impression,  non  pas  seulement  de  l'homme 
extérieur,  mais  de  l'âme,  de  l'intelligence,  de  la  personna- 
lité tout  entière  du  modèle. 

La  peinture  française  de  cette  époque  est  bien  repré- 
sentée à  Grosvenor  House,  où  se  trouvent  des  œuvres  attri- 
buées à  Claude  Lorrain  et  quelques  tableaux  qui  portent  les 


Clichi  Brou»,  Clémenl  jf  Cit. 


D.  VELASQUE^.  —  portrait  de  baltasar  carlos 
(Collection  du  duc  de  Wesiminster) 


LES  ARTS 


noms  de  Gaspard  et  de  Nicolas  Poussin.  Parmi  les  Claude 
sont  r Adoration  du  Veau  d'or  (iv  i3),  Grandeur  de  l'Em- 
pire romain  (n"  i5).  Décadence  de  l'Empire  romain  (n"  63), 
Danse  villageoise  (n"  lôj,  et  deux  beaux  paysages  de  rannée 
i65i,  qui  avaient  fait  partie  de  la  collection  Blondcl  de 
Gagny.  Ce  sont  bien  des  œuvres  du  maître  par  excellence  du 
paysage  classique,  de  l'artisic  qui,  le  premier,  a  su  repré- 
senter un  coucher  de  soleil.  En  matière  d'art,  il  n'y  a  pas  de 
géne'ration  spontanée,  et  Claude  lui-même  devait  beaucoup 
à  ses  prédécesseurs  immédiats  dans  l'an  du  paysage  :  Anni- 
bal  Carrache  et  le  Dominiquin.  On  trouve,  dans  cette  col- 
lection, la  preuve  directe  de  ce  que  Claude  devait  à  ce 
dernier,  car  un  beau  paysage  de  Zampieri  orne  le  salon 
d'attente  de  Grosvenor  House.  Claude  est  néanmoins  un 
des  artistes  qui  ont  le  plus  créé.  Il  n'a  pas  seulement  fait 
vivre  quelques  types;  comme  Simon  Martini  et  Michel- 
Ange,  il  a  inventé  tout  un  monde  à  lui,  un  monde  oij  il  n'y 
a  ni  douleur  ni  besoin,  ni  labeur  ni  orage.  Le  soleil  y  luit 
dans  un  ciel  serein.  Une  atmosphère  douce  inonde  le 
paysage.  Sur  les  bords  de  larges  et  calmes  cours  d'eau  s'élè- 
vent des  temples  de  marbre.  D'heureux  bergers,  sous  les 
ramures,  y  chantent 
, leurs  amours,  et  des 
paysans  dansent  sur 
le  gazon  vert.  Ce 
monde  idéal,  l'art  ma- 
gique de  Claude  sait 
lui  donner  la  réalité. 
Nous  sommes  trans- 
portés loin  du  ciel 
gris  de  Londres, cette 
ville  de  brouillard  et 
de  boue;  nous  ou- 
blions la  splendeur  et 
le  confort  d'un  palais 
ducal  anglais  ;  nous 
sommes,  aux  côtés 
d'Amaryllis, à  l'ombre 
des  rameaux  d'un  des 
arbres  du  paradis  lu- 
mineux de  Claude. 

Tous  les  tableaux 
du  maitre  qui  sont  à 
Grosvenor  House 
appartiennent  à  la  tin 
de  sa  seconde  période 
et  ont  été  peints  entre 
i65o  et  1660.  L'Ado- 
ration du  Veau  d'or 
est  le  plus  connu  de 
tous,  mais  il  ne  nous 
plaît  pas  autant  que 
les  deux  paysages 
peints  en  i65i. 

Il  y  a,  dans  la  col- 
lection de  Grosvenor 
House, au  moinsdeux 
autres  tableaux  im- 
portants de  cette 
époque  :  un  Paysage 
avec  bestiaux  (Ferme 
à  la  Haye),  de  Paul 
Potter,  et  l'Enfant 
Jésus  endormi,  de 
Murillo.  Le  pavsage 
de  Potter  fut  'peint 
pour  le  protecteur  de 


Cliché  «roun,  C'.émnil  ^  Cie. 


REMBRANDT  VAN  RYN. 
ICoUection  du  duc 


cet  artiste,  M.  Van  Slingelandt,  de  Dort,  en  1647,  et  est  un 
de  ses  meilleurs  ouvrages.  L'Enfant  Jésus  endormi,  de 
Murillo,  a  été  l'objet  d'une  longue  controverse,  depuis  que 
le  professeur  Veniuri  l'a  attribué  au  Corrège.  Il  n'est  pas 
possible  de  discuter  ici  les  arguments  pour  et  contre  cette 
attribution.  Rien  de  ce  qu'a  assuré  le  savant  professeur  n'a 
pu  ébranler  notre  conviction  que  l'attribution  tradition- 
nelle de  ce  tableau  à  Murillo  est  exacte.  Les  «  particularités 
de  style  »  de  cette  ituvre,  relevées  par  le  professeur  Venturi, 
se  retrouvent  dans  d'autres  peintures  de  Murillo  tout  autant 
que  dans  certaines  œuvres  du  Corrège;  quant  aux  gros  poi- 
gnets et  aux  chevilles  épaisses  de  l'enfant  et  au  raccourci 
manqué  du  bras  droit,  ils  sont  très  caractéristiques  du  peintre 
espagnol.  Mais  il  est  inutile  de  recourir  à  des  détails  anato- 
miques  en  discutant  cette  question  :  l'ensemble  du  tableau 
dénote,  au  premier  coup  d'œil,  une  origine  espagnole.  A  sa 
tonalité,  à  sa  technique  un  peu  lâchée,  de  même  qu'à  certains 
détails,  tels  que  la  draperie  rouge  à  gauche  de  la  composition, 
on  reconnaît  une  a*uvre  de  Murillo  ou  de  son  école. 

Grosvenor  House  renferme  trois  chefs-d'œuvre  des  grands 

maîtres  anglais  du 
xviii<=  siècle.  Ce 
sont  :  la  Porte  de  la 
chaumière  1772;  et 
l'Infant  bleu,  de 
Gainsborough,  et 
Mrs.  Siddons,  de  Sir 
.loshua  Reynolds.  La 
Porte  de  la  chaumière 
est  un  des  meilleurs 
paysages  d'un  grand 
artiste,  qui  se  con- 
sidérait lui-même 
comme  étant  essen- 
tiellement un  paysa- 
giste. Le  public,  sur 
ce  point,  n'était  pas 
d'accord  avec  Gains- 
borough ;  mais  sa 
conviction  n'en  resta 
pas  moins  ferme. 
<i  On  ne  veut  pas  les 
acheter,  vous  savez, 
disait-il  à  lord  Lans- 
downe,  peu  de  temps 
avant  sa  mort,  en 
montrant  quelques- 
uns  de  ses  paysages. 
Je  suis  un  paysagiste 
et  on  me  demande  des 
portraits. Regardez  ce 
satané  bras;  j'y  ai  tra- 
vaillé toute  la  matinée 
et  je  ne  puis  parvenir 
à  le  redresser.  »  Le 
paysage  de  Gainsbo- 
rough est  essentielle- 
ment anglais.  Il  est 
peint  dans  une  gamme 
sombre  et  calme,  et 
plein  de  grâce  dans 
l'ensemble.  Le  feuil- 
lage est  traité  large- 
ment, les  masses  sont 
bien  agencées;  et  par- 
dessus tout,  là  com  me 

—  l'onxiiAiT  DU  l'ahtiste 
de  Westminster) 


LA    COLLECTION   DU   DUC    DE    WESTMINSTER 


ClicM  Bran»,  CUmtnl  y  Cir, 


REMBRANDT  VAN  RYN.  -  i.a  salutation 
(Collection  du  duc  de  Westminster) 


REMBRANDT  VAN  RYN.  _  lhommk  au  kaucon 
(Collection  du  duc  de  Westminster) 


LA    COLLECTION  DU  DUC   DE    WESTMINSTER 


r.lich,-  lîntiw.    CU'.tmit  y  Ci: 


REMBRANDT  VAN  RYN.  —  la  femmk  a  l'kventail 

(Collection  du  duc  de  Westminster) 


LES  ARTS 


dans  toutes  les  œuvres  de  Gainsborough,  les  qualités  tech- 
niques sont  incomparables.  Comme  paysagiste,  Gainsborough 
a  subi  l'influence  de  Rubens,  bien  qu'il  doive  quelque  chose  a 
Salvator  Rosa  et  à  Claude.  C'est  grâce  à  Rubens  qu'il  s'est 
émancipé  de  la  technique  guindée  des  paysagistes  hollandais. 
Dans  ses  dernières  années,  sa  manière,  comme  paysagiste, 
tend  à  devenir  lâchée  et  sans  précision.  Il  sacrifie  de  plus  en 
plus  les  détails  afin  de  transcrire  ses  impressions  alors  qu'elles 
sont  encore  vives  et  nettes.  Cependant,  la  Porte  de  la  chau- 
mière appartient  à  sa    meilleure   époque,  à    l'époque  où  il 


s'était  affranchi  de  l'influence  hollandaise  et  où  il  n'avait  pas 
encore  acquis  la  manière  hâtive  et  superficielle  de  sa  dernière 

période. 

Un  plus  fameux  spécimen  encore  de  Gainsborough,  qui 
figure  dans  cctie  collection,  est  l'Enfant  bleu,  le  portrait  du 
jeune  Jonathan  Buttall,  fils  d'un  riche  marchand  de  fer  de 
Soho.  D'après  une  vieille  tradition,  ce  portrait  aurait  été 
peint  en  1779,  dans  le  but  de  réfuter  une  opinion  exprimée 
par  le  grand  rival  de  Gainsborough,  Reynolds,  dans  son 
huitième  Discours,  lu  en  décembre  1778  aux  élèves  de  l'Aca- 


CUehi;  RroK».  Cléwe.it  ^  Cie.  PAtJL   POTTER     — 

(CoLUclioii  du  duc 

demie  royale.  «  Il  faut,  à  mon  avis,  disait  Sir  Joshua,  avoir 
présente  à  l'esprit  cette  règle  invariable  que  les  masses  de 
lumière  d'un  tableau  doivent  toujours  êirc  d'un  ton  chaud  et 
fondu,  jaune,  rouge  ou  blanc  jaunâtre,  et  que  le  bleu,  le 
gris  et  le  vert  doivent  être  exclus  presque  entièrement  de  ces 
masses  et  ne  servir  qu'à  soutenir  et  à  faire  ressortir  les  tons 
chauds;  pour  cet  objet,  une  très  petite  quantité  de  teintes 
froides  suffit.  Renversez  cet  ordre  de  choses...  et  il  sera 
irnpossible  à  l'art,  même  par  les  mains  de  Rubens  ou  du 
Titien,  de  faire  un  tableau  grandiose  et  harmonieux.   . 

Cependant  SirWalterArmstrong  et  d'autres  critiques  mo- 
dernes, qui  ont  étudié  Gainsborough,  estiment  que  ce  tableau 


■    l'EHMl!  A   LA  HAYE 

de  Westminster} 

a  été  peint,  non  en  1779,  mais  en  1770,  et  que  l'Enfant  bleu  a. 
motivé  l'opinion  de  Sir  .loshua  Reynolds,  au  lieu  d'avoir  été 
peint  pour  la  réfuter.  Ce  tableau  est  loin  d'être  le  seul 
dans  lequel  Gainsborough  a  montré  une  préférence  pour 
le  bleu.  Le  même  ton  domine  dans  son  Master  Edward 
Gardiner,  exécuté  vers  1767,  dans  son  Honorable  Edivard 
Bouverie,  dans  son  Lord  Archibald  Hamilton,  dans  son 
Honorable  Anne  Duncombe  et  dans  sa  Lady  Sheffield. 
E Enfant  bleu  est  un  triomphe  de  maîtrise  et  de  dextérité; 
mais  cela  n'en  constitue  pas  le  charme  principal;  il  est  encore 
une  étude  de  caractère  presque  aussi  pénétrante  et  profonde 
qu'un  portrait  de  Rembrandt  ou  de  Durer.  Cet  enfant  intelli- 


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(.'JiWa-  /îrduii.  Clément  jf  Cic. 


TH.  GAINSBOROUGH.  —  the  blcf.  boy 
(  Colleclion  du  duc  de  Westminster) 


gcnt  et  gracieux  a  une  physionomie  pleine  d'Imniour  et  de 
curiosité  —  d'un  humour  qui  n'exclut  pas  le  sérieux,  et  d'une 
curiosité  qui,  n'étant  ni  vulgaire,  ni  timide,  est  une  des  qua- 
lités essentielles  d'un  esprit  jeune  et  sain. 

La  troisième  des  grandes  œuvres  de  l'école  anglaise  que 
renferme  Grosvenor  House  est  le  portrait  de  Mrs.  Siddons 
eiimuse  tragique,  par  Sir  Joshua  Reynolds,  peint  en  1784,  à 
l'époque  où  l'actrice  était  dans  sa  vingt-huitième  année.  Elle 
est  représentée  assise  sur  une  espèce  de  trône,  au  milieu 
d'une  nuée.  Le  Remords  et  la  Pitié  se  tiennent  derrière  elle. 
Ce  tableau  est  conçu  dans  une  gamme  de  couleurs  fort 
simple,  011  dominent  le  brun  et  le  jaune.  Le  dessin  et  la  com- 
position dénotent  incontestablement  l'influence  de  Michel- 
Ange.  Au  point  de  vue  artistique,  la  Mrs.  Siddons  de  Sir 
Joshua  procède  directement  des  prophètes  et  des  sibylles  de 


la  chapelle  Sixiine.  En  outre,  comme  le  dit  Sir  Waltcr 
Armstrong,  ce  tableau  «  est  la  seule  œuvre  importante  et 
entièrement  réussie  de  Sir  .loshua  Reynolds  où  il  ait  appli- 
qué littéralement  ses  théories  sur  le  grand  style  ».  Dans 
son  quatrième  Discours,  il  avait  dit  à  ses  élèves  comment  ils 
pourraient  donner  à  leurs  œuvres  «  un  air  de  grandeur  ». 
«  Il  faut  éviter  tout  effet  de  lumière  insignifiant  ou  artiticiel 
et  tout  excès  de  variété  de  tons;  le  calme  et  la  simplicité 
doivent  régner  dans  l'œuvre  tout  entière,  et  Ton  y  arrive  en 
grande  partie  par  un  coloris  large,  uniforme  et  simple.  »  Cet 
enseignement,  Reynolds,  d'ordinaire,  ne  le  mettait  pas  en 
pratique.  Mais,  dans  sa  Mrs.  Sidduns,  le  maître  unit,  au 
moins  une  fois,  le  précepte  à  l'exemple,  et  le  résultat 
démontre  qu'une  peinture  de  grand  style  peut  être  exé- 
cutée d'après  sa   formule  par   un  artiste   de   génie. 


Des  paysages 
de  Claude,  des 
portraits  de  Rem- 
brandt et  de  Vc- 
lasquez,  de  Gains- 
borough  et  de 
Reynolds,  voilà 
les  œuvres  qui 
donnent  à  la  col- 
lection de  Gros- 
venor House  son 
caractère  particu- 
lier. De  toutes  ces 
œ'uvres,  il  n'en  est 
pas  qui  aient  pour 
nousplusd'attrait 
que  les  tableaux  de 
Claude.  Comme 
dans  les  œuvres 
des  peintres  de  l'é- 
cole d'Ombrie.  le 
ciely  estinfini;  en 
les  contemplant, 
il  semble  qu'on 
échappe  à  la  vul- 
garité, à  la  cohue, 
à  la  laideur  de  la 
vie  urbaine  mo- 
derne. A  ceux  qui 
prétendent  que  ce 
ciel  est  irréel  et 
éphémère,  nous 
répondrons  qu'il 
est  aussi  réel  et 
durable  que  n'im- 
porte laquelle  des 
Arcadies  con- 
nues. Et  ceux  là 
seuls  qui  n'ont 
pas  conscience  de 
l'horreur  de  la 
Réalitépourraient 
avoir  lacruauté  de 
priver  la  pauvre 
humanité  de  ses 
rêves,  de  ses  con- 
solations et  de  ses 
illusions. 

LANIITOS-DUCIIIAS. 


Clémetil  y  Cie. 


P.-P.    RUIiENS.    —    LES    QUATUE    lîVANfil'jLISTIiS 

(Collection  du  duc  de  Westminster) 


Clkhi  Ihmm,  Clcmeiil  H  Cit. 


JOSHUA  REYNOLDS.  -  portrait  de  mrs.  siddons 
(Collection  du  duc  de  Wesimiiister/ 


TRIBUNE   DES   ARTS 

Sur  les  Primitifs  français 

Dans  le  débat  qui  s'ouvre  dans  cette  Revue  sur  les  Primitifs  traiivais,  la  Direction  entend  conserver  une  entière  impartialité,  et 
n'intervenir  que  pour  le  modérer  et  le  contenir  dans  des  formes  courtoises:  Si  elle  l'a  ajourné,  ce  fut  pour  éviter  qu'il  perdit  son  caractère 
impersonnel  et  scientifique.  On  peut  croire  qu'à  présent  la  violence  des  contradictions  s'est  atténuée,  et  comme  les  communications  qui  nous 
arrivent  de  tous  cotés  nous  prouvent  à  quel  point  nos  abonnés  s'intéressent  à  ces  problèmes,  nous  ne  croyons  pas  devoir  retarder  plus 
longtemps  une  polémique  qu'a  rendue  plus  nécessaire  encore  l'article  de  M.  Jean  Guiffrcy  .sur  le  Retable  du  Parlement  de  Paris,  paru 
dans  le  numéro  35  des  Arts.  Nous  insérons  donc,  en  laissant  à  l'auteur  la  responsabilité  entière  de  ses  assertions  historiques  et  artis- 
tiques, la  lettre  suivante  qui  a  au  moins  l'intérêt  de  porter  de  nouveau  l'attention  sur  rattribution  à  Van  Eyck  de  la  Vierge  au  Donateur  du 
Musée  du  Louvre.  Nous  n'ignorons  pas  que  cette  question  fut  déjà  débattue,  mais  par  des  arguments  différents.  Nous  sommes  obliges 
d'ajourner  au  prochain  numéro  d'autres  communications  non  moins  intéressantes  et  plus  générales.  Mais  on  ne  perdra  rien  pour  attendre. 

Nous  tenons  à  le  répéter  :  chacun  est  ici  pour  son  compte.  Toutes  les  communications  que  nous  accueillons,  qu'elles  soient  signées  ou  que 
leurs  auteurs  aient  gardé  l'anonymat  devant  le  public,  émanent  de  personnalités  qui,  par  leurs  études,  ont  acquis  ou  cru  acquérir  une  compé- 
tence en  ces  matières  fort  nouvelles  et  sur  qui  bien  des  rêveries  demeurent  possibles. 

N.  D.  L.  R. 


L'Auteur  et  les  Personnages 

DU  TABLEAU  DÉNOMMÉ 

Le   Retable  du  Parlement 

Lors  de  la  dernière  exposition,  à  Paris,  des 
Primitifs  français,  pendant  les  mois  d'été  de 
l'année  1904,  on  a  beaucoup  remarqué  un 
retable,  qui,  depuis  lors,  a  été  revendiqué  par 
le  Musée  du  Louvre  et  est  entré  récemment 
dans  ce  Musée. 

Les  Arts  ont  publié ,  dans  leur  numéro  35, 
une  reproduction  de  ce  retable  qui  a  été 
baptisé  :  Retable  du  Parlement  de   Paris. 

A  propos  de  cette  œuvre,  on  a  beaucoup 
discuté  :  d'abord  sur  l'auteur  du  retable,  en 
qui  les  uns  ont  voulu  voir  un  peintre  français, 
tandis  que  d'autres  tenaient  l'auteur  pour  un 
étranger.  Je  crois  l'auteur  du  retable  Français. 
On  n'a  pas  moins  discuté  sur  les  person- 
nages représentés  dans  cette  œuvre  d'une 
importance  capitale  pour  l'histoire  française. 
La  pancarte  mise  au  bas  du  retable  du  Parle- 
ment indique  que  les  personnages  représentés 
là  sont  :  d'une  part,  saint  Louis  et  saint  Jean- 
Baptiste,  d'autre  part  :  Charlemagne  et  saint 
Denis. 

Ces  attributions  ne  me  paraissent  pas 
exactes,  et  je  vais  essayer  d'expliquer  pourquoi. 
L'auteur  du  retable  est  un  peintre  français. 
Il  me  paraît  être  l'auteur  d'un  autre  tableau 
(attribué  à  tort,  selon  moi,  à  Jean  Van  Eyck)  la 
'Vierge  au  Donateur,  exposé  pendant  long- 
temps dans  le  Salon  carré  du  Louvre,  mainte- 
nant placé  dans  la  salle  Van  Eyck  et  attribué 
à  Van  Eyck. 

Si  l'on  regarde  attentivement  cette  'Vierge 
au  Donateur,  les  personnages  qui  sont  au 
second  plan,  regardant  vers  le  paysage,  on  y 
retrouvera  l'un  des  personnages  du  fond  du 
retable  du  Parlement  de  Paris,  celui  qui,  vêtu 
d'un  habit  rouge  court  à  manches  bouffantes, 


tourne  le  dos  au  spectateur  et  regarde  couler 
la  rivière. 

Les  personnages  représentés  dans  le  retable 
du  Parlement  ne  sont  pas  non  plus  ce  qu'on 
a  dit  :  ni  le  personnage  placé  à  la  droite  du 
Père  n'est  saint  Louis  (il  n'a,  ni  dans  le 
visage  ni  dans  l'altitude  rien  de  saint  Louis, 
ni  le  personnage  fleurdelisé  aussi,  placé,  un 
glaive  en  main,  à  la  gauche  du  Père,  n'est 
Charlemagne.  Ces  personnages  sont  bien  deux 
rois  de  France,  mais  ils  ne  se  nomment  ni 
Louis,  ni  Charlemagne.  11  n'est  pas  très  dif- 
ficile de  le  prouver. 

Et  d'abord,  parlons  des  questions  de  vrai- 
semblance. Comment  un  roi  de  P'rance,  en 
1471  —  c'est  la  date  approximative  où  l'on 
dit  que  le  retable  fut  peint  —  eût-il  autorisé 
un  peintre,  assurément  l'un  des  plus  grands 
du  royaume,  un  peintre  travaillant  pour  le 
Parlement  de  Paris,  à  représenter  Charle- 
magne à  la  gauche  du  Père  Eternel?  Dans  quel 
but,  ce  roi  de  France  aurait-il  autorisé  une 
semblable  représentation  qui  aurait  tendu  à 
déconsidérer,  aux  yeux  de  tous,  l'un  des  véné- 
rables ancêtres  de  la  monarchie  française, 

L'Empereur  à  la  barbe  Horie. 

Cela  ne  peut  pas  se  soutenir  avec  vraisem- 
blance un  seul  instant.  Jamais  un  historien 
français  ne  considérera  cette  attribution 
comme  vraisemblable  pendant  une  seule 
minute.  Ce  n'est  pas  sur  des  fantaisies  et  des 
imaginations  que  travaillait  un  peintre  d'État, 
comme  l'auteur  du  retable,  ni  en  1430,  ni  en 
143-,  ni  à  aucune  autre  de  ces  époques  éloi- 
gnées. 

Stendhal,  dont  on  néglige  trop  le  rare  bon 
sens  et  les  vastes  connaissances  d'histoire,  a 
pourtant  émis,  sur  ces  choses  du  passé,  des 
indications  définitives  dont  il  fait  bon  de  se 
souvenir  quelquefois.  Stendhal  a  dit  que,  dans 
ces  temps  anciens,  les  artistes  ne  mentaient 
pas,  et  qu'ils  n'ont  jamais  songé  à  altérer  la 


vérité,  ni  à  peindre  leurs  imaginations  ou  fan- 
taisies. 

Ces  peintres  étaient  d'admirables,  de  fidèles 
copistes  des  modèles  qu'ils  avaient  sous  les 
yeux,  d'une  rc'alitc  plus  ou  moins  poétique, 
plus  ou  moins  belle,  mais  toujours  rendue  très 
sincèrement.  Que  se  proposait  donc  l'auteur 
du  retable  du  Parlement  de  Paris?  De  repré- 
senter pour  ce  Parlement  les  plus  grands  per- 
sonnages de  l'Etat,  les  deux  rois  de  France 
d  alors,  l'un  à  la  gauche  du  Père;  le  roi  franco- 
anglais  Henri  V,  l'autre  là  la  droite  du  Père) 
le  jeune  roi  de  France  d'alors  :  Charles  VII 
sacré  à  Reims,  sous  les  yeux  de  Jeanne  d'Arc, 
le  17  juillet  1429. 

Le  roi  Charles  VII,  régent  depuis  1418, 
ayant  été  sacré  à  Reims,  le  17  juillet  1429,  il 
était  tout  naturel  qu'il  se  fit  peindre  en  son 
habit  du  sacre  de  1429,  et  qu  il  choisit,  pour  le 
peindre,  celui  qu'il  considérait  comme  le  plus 
exact  et  en  même  temps  le  plus  religieux  pein- 
tre de  son  époque,  le  peintre  du  roi  de  F'rance, 
le  Tourangeau  Jean  Fouquet. 

C'est  ce  que  fit  le  roi  de  France,  et  c'est 
ainsi  qu'a  fait  le  roi  Charles  X  quand  il  a 
commandé  son  portrait,  en  habit  de  sacre,  à 
Ingres. 

Le  roi  représenté  à  la  droite  du  Père  Éter- 
nel, en  1429  ou  en  1430,  est  donc  tout  sim- 
plement le  roi  de  France  d'alors,  le  jeune 
Charles  Vil,  celui  qui  vient  de  respirer  à 
Reims,  pendant  son  sacre,  la  fumée  de  l'encens 
qu'a  respirée  aussi  Jeanne  d'Arc. 

Il  n'est  même  pas  très  difficile  de  discerner 
les  traits  du  roi  bien  rcconnaissables,  aujour- 
d'hui que  bien  des  fac-similés  existent  du 
Charles  VII  à  genoux,  entouré  de  sa  garde 
écossaise,  aujourd'hui  que  le  Musée  du  Louvre 
a  réuni  dans  la  même  salle  des  Primitifs  fran- 
çais et  qu'il  a  mis  face  à  face  le  Charles  VII 
de  1429  ou  1437  (retable  du  Parlement  de 
Paris,  peint  par  Jean  Fouquet  et  leCharles  VII 
du  même  Fouquet,  le  Charles  VII  de  l'an  1430 


Les  Orijçines  de  la  Peinture  française 


ON  se  propose  de  donner  dans  ce  qui  suit,  un  éiat  succinct 
et  mis  en  ordre  des  origines  de  la  peinture  française. 
Ces  origines  n'ont  encore  donné  lieu  qu'à  des 
articles  spéciaux  et  isolés,  ou  à  quelques  compilations  trop 
confuses  dans  leurabondance,  pourctre  compriseset  retenues. 
Au  terme  de  tant  de  recherches  et  de  travaux,  dont  tous  n'ont 
pas  été  sans  féconds  résultats,  on  manque  encore  d'un  corps 
d'histoire  où  se  trouve  rédigé  pour  l'usage  du  public,  ce 
qu'ils  contiennent  de  plus  important.  Le  moment  paraît  venu 
de  le  former,  et  de  tirer  de  cette  matière  une  instruction 
capable  de  se  faire  accueillir  de  tous  les  amis  de  l'art. 
Ce  n'est  pas  que  beaucoup  de  points  ne  demeurent  encore 


obscurs  à  ceux  qui  veulent  s'en  informer.  Mais  cette  obscu- 
rité, si  épaisse  par  endroits,  et  qui  n'achève  qu'à  peine  de  se 
lever  sur  les  faits  les  plus  importants,  n'empêche  pas  d'arrêter 
assez  de  traits  essentiels.  Les  faits  certains  ne  sont  pas  si 
rares  qu'on  croit.  A  l'observateur  impartial  ils  offrent  de  quoi 
asseoir  un  jugement  quant  au  principal  de  cette  histoire. 

On  ne  doit  pas  oublier  que  tout  ce  qu'elle  offre,  a  un  abou- 
tissement dans  l'école  de  peinture  française  du  xvii«  siècle. 
Cette  école  est  justement  célèbre.  Quelques-uns  des  plus 
beaux  génies  de  l'histoire  des  arts  y  sont  contenus.  Son  pres- 
tige par  eux  alla  si  loin,  qu'elle  avait  enrin  conquis  l'Europe. 
Ce  fut  l'avantage  du   xviii«  siècle,  héritier  des   magnifiques 
efforts  dont  s'illustra  le  règne  de  Louis  XIV.  Ces  efforts 
commencent  avec  Vouet.  On  les  trouve  ensuite  si  bien 
suivis,  que  ce  qui  précède  n'a  pu  manquer  de  faire  l'effet 
d'un  préambule,  d'une   introduction,  où  le  siècle  de  la 
Renaissance  a  tenu  longtemps  toute  la  place. 

Il  faut  joindre  maintenant  les  siècles  antérieurs,  et 
grossir  ces  préliminaires  de  tout  ce  que  la  science  moderne 
a  découvert  du  Moyen  .\ge.  Par  elle  le  champ  du  passé 
s'éclaire,  par  elle  se  corrige  et  se  définit  mainte  idée 
vague  ou  inexacte,  longtemps  accueillie  faute  de  mieux. 
Il  s'agit,  en  peu  de  mots,  de  consigner  ces  idées,  et  de 
refaire  avec  le  secours  qu'elles  dopnent,  la  nécessaire  his- 
toire de  ces  commencements. 

I'^'^    PARTir:.    —    DES   ORIGINES   A    LA    MORT   DU   DUC   DE   BERBI 

Les  origines  de  la  peinture  française  ne  doivent  pas 
être  recherchées  au  delà  du  règne  de  Philippe  le  Bel. 

Ce  qui  précède  n'est  fait  que  des  antiques  pratiques  où 
s'immobilisa  d'abord  le  Moyen  Age  :  effet  d'un  enseigne- 
ment purement  traditionnel,  sans  nul  retour  sur  la  nature 
et  sur  les  modèles  du  passé.  Du  moins  ce  qu'on  peut  trou- 
ver de  tel  dans  un  album  comme  celui  de  Villard  de  Hon- 
nccourt,  est-il  parfaitement  incapable  de  régénérer  la 
peinture.  Cet  ouvrage  célèbre  ne  présente  pas  un  trait  où 
l'imitation  ne  se  montre  serve  de  la  plus  froide  abstraction 
et  de  la  plus  triviale  routine.  Inappréciable  pour  l'histoire 
de  l'art,  ce  livre  est  daté  d'avant  i25o,  approximativement 
d'après  i23o.  Il  est  contemporain  de  saint  Louis.  L'au- 
teur, issu  du  Vermandois,  était  sujet  du  roi  de  France.  Ce 
qu'on  y  découvre  est  à  l'unisson  de  tous  les  autres  ouvrages 
du  temps  :  psautier  de  la  reine  Ingeburge  à  Chantilly,  et 
de  saint  Louis  au  Cabinet  des  Kstampes,  vitraux,  peintures 
murales  comme  celles  de  l'église  de  Montmorillon.  Tous 
ces  objets  n'ont  de  prix  que  celui  de  la  matière,  parfois 
chère;  ce  que  l'art  y  joint  n'est  que  les  derniers  effets  des 
traditions  lointaines  yct  momifiées  de  Rome,  que  nous 
nommons  style  byzantin. 

L'Italie  place  au  temps  de  Cimabue  la  fin  de  ce  style 
chez  elle.  C'est  la  seconde  moitié  du  xiii'  siècle,  et,  pour 
fixer  par  convention  une  date,  l'année  1267, que  la  Madone 
de  ce  peintre  fut  portée  en  procession  par  le  peuple,  de  son 
atelier  à  Sainte- Marie- Nouvelle,  à  laquelle  elle  était 
destinée. 

Ce  qui  empêche  de  marquer  en  France  précisément  le 
temps  d'un  pareil  changement,  point  d'origine  de  notre 
école,  c'est  moins  l'incertitude  du  fait  que  l'extrême  rareté 
des  pièces  qui  permettent  de  le  constater.  Sous  le  règne  de 


l'iiii  lu:  lit:  iMiMl'in.  1 1: 
Tapissoi-io  du  l'Apocalx  pse  lissée  par  Jean  Bataille  sur  les  dessins  de  Jcin  de  Drilgos 

jxiv«  siècle) 
Cathédrale  d'Angers 


CHehé  Ilratoi,  Clément  ^  Cte 


RICHARD   II    ROI   D'ANGLETERRE    ET    PLUSIEURS    SAINTS 

Volet  gauche  de  diptyque  (xive  siècle) 
^____ Collection  de  Lord  Pembroke 


Cliché  Dratiii,  Clémeiil  j'  Cir. 


LA  VIERGE  ET  l.'ENFANT  JESUS  AVEC  LES  ANGES 

Volet  droit  de  diptyque  (xiv  siècle) 

Collection  Je  Lord  Pembroke 


20 


LES   ARTS 


Cliché  P.  Saui'anaud. 


LE  BAISER  D1-:  JUDAS.  —  LA  FI.Ar.EI.I.ATION.  —  LE  PORTEMENT  DE  CROIX 

Fragment  du  Parement  de  Narboiine,  grisaille  sursoie  (xiv»  siècle) 
Musée  du.  Louvre 


Philippe  le  Bel,  les  noms  d'Etienne  d'Auxerre  et  d'Evrard 
d'Orléans  n'offrent  jusqu'ici  nulle  prise  à  l'investigation.  Le 
premier  ne  porte  même  pas  le  nom' de  peintre  du  roi,  et  l'on 
manque  des  preuves  positives  que  le  second  ait  été  quelque 
chose  de  plus  que  peintre  en  bâtiment.  Que  si  l'on  recourt 
aux  ouvrages  anonymes,  aux  fresques  de  la  cathédrale  de 
Clermont,  par  exemple,  à  certaine  Vierge  au  Donateur  que 
des  concordances  datent  d'environ  i3t2,  on  n'y  constate  nui 
amendement  de  la  barbarie  tradition- 
nelle. Dans  le  domaine  de  la  miniature, 
même  ressemblance  avec  l'âge  précé- 
dent. L'atelier  d'Honoré  et  de  Richard 
de  Verdun,  d'où  l'on  croit  que  sortit, 
eni296,  le  Bréviaire  de  Philippe  le  Bel, 
ne  produit  rien  que  de  conforme  aux 
vieux  psautiers  de  saint  Louis.  Mêmes 
visages  grimaçants  et  disproportionnés, 
même  dessin  mécanique,  même  trait 
écrasé,  même  rehaut  mince  et  cru, 
même  coloris  froid  et  brutal. 

Le    premier   ouvrage   où  l'on  voie^ 


poindre,  tout  noyé  de  pratiques  anciennes,  le  commence- 
ment d'un  art  nouveau,  est  le  livre  des  Miracles  de  saint 
Denis,  quelquefois  nommé  Bible  de  Philippe  le  Long,  parce 
qu'il  fut  écrit  pour  ce  prince,  probablement  en  iBij.  On  ne 
sait  qui  peignit  ce  manuscrit,  mais  la  ressemblance  qu'il  pré- 
sente avec  une  Bible  heureusement  signée,  et  datée  de  dix  ans 
plus  tard,  permet  de  le  rapporter  à  une  école  certaine,  .lean 
Pucelle,  et  deux  compagnons,  Anciau  de  Sens  et  Jacques 
Macy,  ont  inscrit  leurs  noms  sur  celle- 
ci;  noms  naguère  inconnus,  auxquels  il 
s'agit  désormais,  faute  de  mieux,  de 
faire  commencer  l'école  française.  Les 
comptes  mentionnent  Macy  depuis  i  3i  3, 
sous  le  nom  de  Maciot  enlumineur. 
Quanta  Pucelle,  son  nom  jetait  alors  un 
éclat,  attesté  cinquante  ans  plus  tard  par 
le  souvenir  qu'en  gardent  les  inventaires. 
On  le  voit,  dès  i  324, dessiner  le  sceau  de 
l'hôpital  Saint-J  acques-aux-Pèlerins. 
Avant  I  328,  sous  Charles  le  Bel,  il  peint 
un  livre  d'oraisons  pour  la  Reine. 


LE   PROI'IIICTE    JOI'iL 

Miniature  de  la  Uiblc  do  1327,  par  Pucelle,  Anciau  et  Mac 
BtbUolhtque  nationale  (Paris) 


LES    ORIGINES    DE    LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


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M.  Dclislca  fourni  la 
preuve  que  ces  artistis 
furent  également  auteurs, 
avec  un  quatrième  du 
nom  de  Chevrier,  du 
Bréviaire  de  Belleville. 
pièce  excellente  dans  son 
genre  el  le  premier  en 
date  des  beaux  ouvrages 
français.  La  différence 
avec  la  Bible  est  telle,  et 
le  progrès  du  style  entre 
deux  est  si  grand  que, 
quelles  que  soient  les 
apparences  d'après  les- 
quelles M .  Delisle  assigne 
la  date  extrême  de  i343, 
on  se  résout  à  peine  à 
reculer  si  loin  l'exécution 
de  ce  bréviaire. 

La  cause  de cechange- 
ment  de  style  et  de  ce 
progrès  chez  nos  minia- 
turistes, est  attestée  par 
ce  style  même.  Il  est  in- 
contestable que  rien, dans 
les  ouvrages  nationaux 
plus  anciens,  n'y  a  la 
moindre  ressemblance 
quant  à  la  pratique  de 
l'art.  Plusieurs  traits  au 
contraire  obligent  de  le 
rapprocher  de  celui  que 
Giotto  et  ses  élèves  prati- 
quaient depuis 
trente  ans  en  Ita- 
lie, fruit  de  l'étude 
renouveléedel'an- 
lique  et  de  la  na- 
ture. Un  goût  de 
draperie  large  et 
tombante,  des  che- 
velures ondulées 
sur  les  tempes,  de 
longues  barbes 
soigneusement 
bouclées,  une  sy- 
métrie et  une  pro- 
portion des  visa- 
ges d'où  vient  à 
ces  petites  pein- 
tures un  air  de 
dignité  inconnu 
jusqu'alors,  l'exé- 
cution fondue  et  le 
coloris  léger, attes- 
tent la  parenté  de 
Florence  avec 
notre  école  com- 
mençante. Il  est 
vrai    que  celle  de 


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^:iniutul'c  du  Br<!viairc  de  Kvllcville.  par  Puecllc.  Anriaa,  Mary  et  Cbcrricr  Isiv* 
Bihliothique  nationale  (Paris) 


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Miniature  du  Bri>viairc  de  BellcTtlle.  parPucelle,  Aariaa.  Uary  et ChcTrier  (Xiv*Mcrlc) 
Bibliothtijue  nationale  f  Paris) 


i  .Jt>  Cnicdunntus  iumiiio.  ùbj]- 


QuniUDtrtnutPtft 


fcqutr  g  nrtatm  uttyitf 
cmfdr.lôin«nmnâ6. 
oinutciauidniaiu- 
aieinaomrouum. 

AUcUivd  aurtiifaHl^woi 

çcf  tiTtoraiu  cOîiMiiaînni  uftii 
4»  uifatitf.  fct}  amnejaUnn  ci* 
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Lettre  iiiitiaU-  de  \.\  Hiblo  «le  13:i7.  par  PuccUo, 

Aiiciau  cl  Macy 

Bibliothèque  nationale  (Parisf 


I.V    «hSl  HHKi  TIOX 


îlînîaliirv  du  Bréviaire  de  Bclli.>vitK'.  par  Pucclk*,  ADciau,  Uac^  et  Cbcvricr  (Xiv*  siêrle) 

BikUotJkifme  matiommU  fPmrisf 


Photo  Alexandre  [Bruxeltaj. 


JEAN  DUC  DE  BERRI  ACCOMPAGNE  DE  SES  SAINTS  PATRONS 
Miniature  des  Belles  Heures  du  duc  de  Berri,  par  Jacquemart  de  Hesdin  (xiv<:  siècle) 

Bibliothèque  royale  (Bruxelles) 


''*'"'"""""'"•' ^"■"""•""^  LA  VIERGE   ET   L'ENFANT  JÉSUS 

Miniature  des  Belles  Heures  du  duc  de  Berri,  par  Jacquemart  de  Hesdio  (xiv«  siècle) 

Bibliothèque  royale  (Bruxelles) 


24 


LES    ARTS 


Fir.THK  nn  pnnpni:TE 

Miniature  du  Psautier  du  duc  de  Itcn-i.  par  ncnuncvcu  (xiv  sîcric) 

Blbliothcque  nationale  I Paris} 

Sienne  s'y  reconnaît  encore  mieux,  dans  le  pli  diversifié  des 
tuniques  ondulantes  et  dans  le  contraste  des  attitudes.  Comme 
on  ne  saurait,  de  deux  écoles  pareilles,  douter  que  l'une 
enseigna  l'autre,  et  qu'il  n'y  a  pas  moyen  de  rapporter  cet 
honneur  à  la  plus  nouvelle- 
ment née  des  deux,  il  faut 
bien  convenir  qu'en  ceci  les 
Français  tinrent  le  rang  de 
disciples  de  l'Italie. 

De   savoir    comment    cet 
enseignement  se  fit, sur  quelles 
relations  il  s'établit,  c'est  une 
question  que  poseront  ceux- 
là  seuls  qui  ne  soupçonnent 
pas  la  fréquence  et  la  conti- 
nuité des  voyages  d'alors.  Elle 
était   telle  qu'on    a    peine   à 
comprendre   que   notre  pays 
ait  même   mis   si   longtemps 
à  se  pénétrer  du  nouveau  style. 
Aussi  bien,  en  la  circonstance, 
les  faits  précis  ne  manquent 
pas.  Je  ne  sais  s'il  faut  comp- 
ter pour  beaucoup  le  séjour 
des  peintres  siennois  en  Avi- 
gnon, où  les  papes  établis  dans 
cette   ville   (depuis  iSog)   les 
appelèrent.    En   ce  temps  de 
communications   lentes,  la 
région  de  Paris,  où  se  tenait 
la  cour,  ne  se  trouva  guère 


FioTTniî  nv  pnopii::TR 

Miniature  du  Pfaulier  du  duc  do  Herri,  par  Reaunevoil  (Xiv  sii-rlc) 

Bihlintbi-que  natiniiale  (Paris) 

plus  près  d'Avignon  que  de  l'Italie  même,  et  ce  qu'on  eût 
tiré  d'une  part  se  laissait  aussi  bien  tirer  de  l'autre.  Mais  un 
fait  qu'il  ne  faut  pas  omettre,  est  l'engagement  de  trois 
peintres    romains  comme    peintres  du  roi,  sous  Philippe  le 

Bel.  Les  premiers  à  porter  ce 
titre,  on  les  voit  depuis  i3o4 
travailler  de  leur  art  au  châ- 
teau de  Poitiers.  Peut-être  un 
jour  ce  fait,  mieux  expliqué, 
fournira  le  commencement  de 
l'histoire  de  la  peinture  dans 
noire  pavs.  Ils  se  nommaient 
Philippe  Rizuii,  Jean  son  fils, 
et  Nicolas  Desmars  ou  Mars. 
Pendant  vingt  ans  et  sous 
quatre  règnes,  ils  conservèrent 
la  faveur  royale,  et  ce  long 
temps  permet  de  leur  suppo- 
ser un  rôle  dans  la  ditfusion 
de  l'italianisme. 

Sur  la  sollicitude  des  sou- 
verains se  règle,  dans  l'his- 
toire des  vieilles  monarchies, 
à  peu  près  constamment  la 
prospérité  de  l'art. Sans  autre 
secours  que  ce  qui  précède,  il 
est  diflicile  de  marquer  quelle 
fut  d'abord  celle  des  rois  de 
France.  On  n'en  voit  presque 
aucune  à  Philippe  de  Valois, 
et  nous  n'avons  d'avis  positif 


jiîw  Ttvc.  DE  nKnni  fl),  piin.ippr  le  mardi  nue  de  noi'RoonxE  f'tl 

KT    QUATRE    AUTHlCà    SEU'.NEURS    REÇUS    AU     PARADIS     PAR    SAINT    PIERRE 

Miniature  des  Grandes  Heures  du  duc  de  Berri,  par  .lacqucmart  do  Hosdin  (xiv»  siècle) 
Bihlinthèijue  nationale  (Paris) 


LES    ORIGINES   DE   LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


25 


de  presque  pas  un  seul  ouvrage  que  ce  prince  ait  commandé. 

Jean  le  Bon,  n'étant  encore  que  duc  de  Normandie,  s't-tait 
attaché  des  peintres  de  miniature.  A  son  nom  se  lie  princi- 
palement le  nom  de  Girard  d'Orléans.  Or  on  ne  demanderait 
qu'à  suivre,  quant  à  ce  dernier,  l'opinion  qui  le  tient  pour 
grand  peintre,  s'il  s'y  trouvait  quelque  fondement  palpable. 
Par  malheur,  depuis  1344  qu'il  émerge  à  la  lumière  des 
textes,  jusqu'en  i36i  qu'il  disparait,  on  ne  le  voit  presque 
payé  que  de  litières,  pièces  d'échiquier,  mannequins  d'es- 
sayage, fauteuils  du  roi,  chaises  de  nécessité  et  autres  basses 
besognes.  L'abondance  de  pareilles  mentions  nous  instruit 
du  genre  de  services  qu'un  prince  comme  Jean  le  Bon  atten- 
dait d'un  peintre  en  titre,  et  de  l'idée  qu'il  se  faisait  de  celte 
fonction.  Il  faut  y  joindre  la  peinture  en  grisaille  de  quel- 
ques-uns de  ces  ajustements  de  messe  nommés  chapelles 
quotidiennes  ou  de  Carême,  dont  le  parement  de  Narbonne, 
au  Louvre,  offre  un  curieux  échantillon.  > 

En  i35o,  dès  le  début  de  son  règne,  le  même  roi  Jean  fil 
peindre  son  château  de  Vaudreuil,  près  Pont-de-l'Arche. 
Jean  Costa  y  exécuta  des  scènes  héroïques  dans  la  galerie,  et 
de  dévotion  dans  la  chapelle.  De  quel  siyle  elles  étaient,  c'est 
ce  qu'on  ne  peut  dire.  Les  peintures  murales  subsistantes  de 
ce  temps-là  sont  extrêmement  rares  dans  nos  contrées,  et  les 


Miniature 


l.V   l'RlisHNTATIOX  1)K   LA  VIKHOE 

des  Grandes  Heures  du  duc  do  Berri,  par  Jacquemart  de  Hcsdin  (xiv«  siècle) 
Bibliothèque  nationale  (Paris j 


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1.KS  .XOCKS  DE  f.ANA 

Miniature  des  Grandes  ttcurcs  du  duc  de  ncrri,  par  Jacquemart  de  Uesdio  (uv«  sic'cie) 
Bibliothèque  nationale  {Paris) 

débris  qu'on  en  propose  sont  sansdate,  et  presque  unique- 
ment d'ornement.  Dans  cet  embarras,  on  ne  peut  que  se 
rejeter  aux  approximations  que  fournit  le  célèbre  portrait  du 
roi  Jean,  sur  fond  d'or,  du  Cabinet  des  Manuscrits  de  Paris. 

Il  en  est  peu  de  moins  favorables.  Quelque  intérêt  que 
l'on  prenne  à  cette  peinture  à  cause  de  son  antiquité,  com- 
ment y  joindre  la  moindre  estime  d'un  art  à  vrai  dire 
tout  barbare  ?  L'italianisme  y  perce,  mais  sans  profit.  Le 
contour  n'y  figure  qu'une  charge  fade  et  grossière,  tout 
modelé  en  est  absent,  ce  qu'on  voit  du  vêtement  n'a  pas 
de  forme.  Ainsi  tout  ce  qu'on  peut  saisir  de  l'état  des 
arts  en  France  à  cette  époque,  ne  permet  pas  encore  de 
parler  d'une  école,  je  dis  autre  que  de  miniature. 

C'est  de  celle-ci  qu'il  sagit  de  ne  point  quitter  le  fil. 

Le  goût  que  marqua  Charles  V  pour  les  livres  fournit 
la  matière  d'y  revenir.  On  sait  que  la  librairie  i^comme 
on  disait  alors)  du  Louvre  eut  tous  les  soins  de  ce 
monarque.  Ils  commencent  avant  son  avènement,  qui  fut 
en  1364.  Sa  Bible  historiale,  son  Bréviaire,  ses  Grandes 
Chroniques  de  France,  les  Voyages  de  Jean  de  Mandeville, 
tous  manuscrits  que  conserve  la  Bibliothèque  de  Paris, 


26 


LES    ARTS 


sont  là  pour  en  marquer  l'effet.  Il  est  vrai  que  ces  ouvrages 
témoignent,  chez  le  Roi,  de  plus  de  sollicitude  que  de  vrai 
discernement.  Le  luxe  qu'on  voit  à  plusieurs  y  contraste 
avec  une  certaine  infériorité  de  l'art.  Rcmiet,  dont  le  nom 
s'est  retrouvé  aux  marges  des  Pèlerinages  de  Guillaume  de 
Deguillcvilie,  fourniten  i3()4un  exemple  de  ces  enlumineurs. 
Chose  à  retenir,  les  artistes  parisiens  ne  semblent  pas  avoir 


V. 


tatnmodtm: 
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'  iu«i:  tioaun  fiîf  imdH  io?nj 
jmuuiauiiJBBHBasr 

[nuutioumôtcamnnr 

oiititrqute  cO-:  tirCoainquti» 
nmdji. 


soutenu,  dans  cette  seconde  partie  du  siècle,  l'honneur  des 
exemples  laissés  par  Pucclle  et  ses  compagnons.  Et  s'il  est 
vrai  que  l'école  de  miniature  en  France  n'en  maintint  pas 
moins  son  renom,  s'acheminant  même  à  une  apogée  dont  il 
n'y  a  pas  d'exemple  ailleurs,  cela  tient  aux  peintres  issus  de 
Flandre  qui  parurent  alors  à  Paris,  bientôt  fameux  par  les 
ouvrages  que  le  duc  de  Berri  commandait. 

Depuis  un  demi-siècle  déjà, 
les  Pays-Bas  avaient  com- 
mencé de  jouer  leur  rôle  dans 
le  renouveau  qui  transformait 
les  États  du  nord.  Sous  la 
comtesse  Mahaud  (morte  en 
i339),  la  province  d'Artois 
s'illustre  par  de  grands  tra- 
vaux d'art.  Mandé  par  elle, 
Pierre  de  Bruxelles  décore  le 
château  de  Conflans-lès-Paris 
des  sujets  de  l'histoire  du 
comte  Robert,  son  père. 
Comme  pour  attester  de  ce 
côté  pareillement  l'influence 
et  le  goijt  de  l'Italie,  nous 
voyons  cette  princesse  acheter 
d'un  marchand  de  Gand,  plu- 
sieurs tableaux  des  maîtres 
de  ce  pays.  Ce  goût  et  cette 
influence  sont  encore  mieux 
prouvés  par  le  style  des  suc- 
cesseurs flamands  de  Pucelle. 
On  n'en  compte  pas  moins 
de  trois  générations.  La  pre- 
mière est  représentée  par  Jean 
Bondolf  de  Bruges,  peintre 
en  titre  du  roi  Charles  V  au 
moins  depuis  i368.  Une  mi- 
niature du  musée  Meermann- 
Westreenen  de  la  Haye,  où 
le  Roi  se  montre  recevant  la 
présentation  d'un  ouvrage, 
révèle  son  style  et  ses  talents. 
L'un  et  l'autre  sont  de  sorte 
qu'on  a  pu  supposer  que  l'é- 
cole d'enluminure  entretenue 
depuis  par  le  duc  de  Berri, 
avait  subsisté  de  sesexemplcs. 
Pour  ce  dernier,  depuis 
I  384,  travaille  Jacquemart  de 
Hesdin,  attiré  pareillement 
des  Pavs-Bas,  dans  Bourges, 
où  se  tenait  d'ordinaire  la 
cour  de  ce  prince.  Il  n'en 
fut  pas  en  P'rance,  jusqu'à  la 
Renaissance,  de  plus  magni- 
fique ni  de  plus  favorable  aux 
arts.  L'effet  de  cette  faveur 
s'étendait  à  toute  chose.  Grand 
bâtisseur  autant  qu'amateur 
délicat,  on  ne  comptait  pas 
au  duc  de  Berri  moins  de  dix- 
sept  châteaux  ou  hôtels.   Le 


ous  mcce:  crûtboonaa  nvfA 
tmmnutfiumtâtttctr- 
pmmaiumaeiiâ 
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^uimtmi  rrtton  opout  œ. 
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IIAVIP)  DICVAM-  SALI. 

Miniature  du  Bréviaire  de  Bellcville,  par  Pucclle,  Anciau,  Macy  et  Chevrier  (xiv  siècle) 
Bibliothèque  nationale  (Paris)  * 


LES    ORIGINES    DE   LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


27 


Cliché  Giraudon. 


L'HISTOIRE    D'ADAM    ET    D'EVE 
Miniature  des  Très  Riches  Heures  du  duc  de  Berri,  par  Paul,  Jean  et  Armand  de  Limbourg 

Musée  Condé  (Chantilly) 


28 


LES   ARTS 


récit  des  travaux  de  tout  genre  qu'il  ordonna,  les  inventaires 
de  ce  qu'il  possédait,  attestent  chez  ce  frère  de  Charles  V  les 
aptitudes  d'un  vrai  Mécène,  égal  à  ceux  que  l'Italie  produisit 
depuis  en  si  grand  nombre,  le  seul  digne  de  ce  nom  qu'ait  vu 
notre  Moyen  Age.  Mais,  de  tous  les  arts  qu'aima  ce  prince, 
nul  ne  ressentit  sa  protection  plus  que  celui  des  manuscrits 
à  peintures.  Là  l'ut  le  premier  objet  de  ses  soins,  le  trait  qu'en 
faisant  son  histoire,  la  postérité  ne  se  lasse  pas  d'admirer. 
Jacquemart  peignit  pour  lui  ce  qu'on  nomme  ses  Grandes 
Heures,  de  la  Bibliothèque  de  Paris,  et  les  Belles  Heures 
conservées  à  Bruxelles.  Enfin  Beauneveu  de  Valenciennes, 
avant  tout  connu  comme  sculpteur,  et  que  Charles  V  d'abord 


LE  COURO.NMÎMKNT   OK  L.\  VIEKGE 

Miniature  des  Tr6s  Itichcs  Heures  du  duc  de  Berri,  par  Paul,  Jean  et  Armand  do  Limbourg 
Musée  fondé  (Chantilly) 


employa  à  ce  titre,  passé  depuis  i  386  au  service  du  duc  de 
Berri,  est  l'auteur  du  Psautier  de  ce  prince,  au  Cabinet  des 
Manuscrits. 

Tels  sont  les  artistes  que  d'abord  il  importe  de  rassembler 
dans  un  tableau  de  l'art  de  miniature  en  France  sur  la  fin  du 
xiv=  siècle. 

A  cette  école,  qu'il  faut  bien  que  nous  nommions  fla- 
mande, M.  Courajod  rapporte  les  commencements  de  ce 
qu'il  assure  avoir  été  le  propre  génie  de  la  Renaissance, 
lequel  ne  fleurit  en  Italie  qu'ensuite  et  par  imitation.  Mais  il 
faut  remarquer  que  les  faits  dont  il  appuie  un  si  remarquable 
renversement  de  l'histoire,  n'auraient  jamais  suflî  à  prouver 

son  système, sansl'appointde 
théories  générales,  et  d'une 
métaphysique  de  l'art  aussi 
frivole  qu'éclatante.  Tous  les 
esprits  rassis  tiennent  pour 
entreprise  folle  de  rayer  les 
noms  de  Giotto  et  d'Orcagna 
de  l'histoire  de  la  peinture 
moderne.  Aussi  bien,  com- 
mentdissimuler  que  Florence 
et  Sienne  avaient  fatj-onnénos 
Flamands  ?  Cela  est  tout  à  fait 
incontestable.  Les  types  giot- 
tesques  emplissent  leurs  com- 
positions, et  maint  endroit 
chez  eux  a  plus  de  ressem- 
blance aux  Lorcnzelti  qu'à 
Pucelle.  Il  est  vrai  qu'ils  y 
ont  joint  plusieurs  insuffi- 
sances, et  de  sensibles  diffor- 
mités, qu'on  aurait  tort 
d'appeler  des  traits  de  natu- 
ralisme. Plus  ambitieux, 
comme  il  parait,  qu'on  ne  fut 
avant  eux  dans  l'école, destylc 
noble  et  de  grands  arrange- 
ments, il  ne  faut  pas  s'éton- 
ner que  des  fautes  souvent 
grossières  soient  devenues 
chez  eux  le  prix  de  cette  diffi- 
cile entreprise. 

Au  moins  a-t-elle  cet  effet, 
que  leur  style  neconvient  pas 
moins  à  de  grands  ouvrages 
qu'à  la  décoration  des  livres, 
et  l'on  n'est  pas  surpris  d'ap- 
prendre que  Jean  de  Bruges 
avait  dessiné  des  tapisseries. 
Celles  de  la  cathédrale  d'An- 
gers, tissées  en  iBjS  pour 
Louis  d'Anjou,  autre  frère 
du  roi,  le  furent  en  effet  sur 
ses  cartons.  Sans  doute  Jean 
de  Saint -Omer,  aussi  des 
Pays-Bas,  qui  décora  vers  le 
même  temps,  de  tableaux  le 
tombeau  de  la  reine  Jeanne 
d'Fivreux,  les  avait  peints  de 
ce   même   style.   Il  s'imposa 


LES    ORIGINES    DE    LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


29 


depuis  iSjo  à  tout  ce  qui  s'exécute  chez  nous  de  grande 
dimension.  Des  tableaux  comme  ceux  de  MM.  Weber  et 
Cardon, exposésaux  Primitifs 
français,  de  grandes  pièces 
comme  le  parement  de  Nar- 
bonne,  des  dessins  de  vastes 
compositions  comme  le  sup- 
posé Beauneveu  du  Louvre, 
le  diptyque  de  Richard  il,  à 
Wilton-House,  en  reprodui- 
sent exactement  la  draperie 
abondante  et  tioiianie,  les 
crânes  élevés  en  dôme  bordés 
de  mèches  ondoyantes,  les 
doigts  osseux,  les  attaches 
maigres,  la  recherche  déjà 
récompensée,  de  dignité  et 
d'élégance. 

Faut-il  chercher  dans 
quelques-uns  de  ces  ouvrages, 
l'œuvre  de  Jean  d'Orléans, 
peintre  comme  Jean  de 
Bruges,  quoique  à  de  moin- 
dres gages,  de  Charles  V,  fils 
du  vieux  Girard,  dont  on  le 
voitsurtout,dans  les  comptes, 
recommencer  les  vulgaires 
besognes?  Quelques  tableaux, 
mentionnés  de  sa  main,  n'en 
ouvrent  pas  moins  pour  lui 
un  champ  à  l'hypothèse. 
Faut-il  y  chercher  l'œuvre  de 
Jean  Oranger  et  de  Michel 
Salmon,  peintres  du  duc  de 
Berri,  dont  nous  ne  tenons 
guère  que  les  noms?  A  qui, 
d'autre  part,  attribuer  l'excel- 
lent portrait  à  l'aquarelle  du 
duc  Louis  II  d'Anjou,  de 
notre  Cabinet  des  Estampes, 
éclos  quelques  années  plus 
tard,  sous  l'influence  des  mi- 
niatures ? 

Jean  d'Orléans  prolongea 
sa  carrière  fort  avant  sous  le 
règne  de  Charles  VI  (com- 
mencé en  I  38o).  Son  fils  Fran- 
çois servit  ce  dernier  roi, 
dont  les  comptes  rapportent 
qu'il  moula  le  visage  pour  la 
cérémonie  des  funérailles.  Il 
avait  fait  aussi,  en  1400,  des 
cartons  de  tapisseries  pour 
Isabeau  de  Bavière.  Pour  la 
même  princesse  encore  tra- 
vaille Colart  de  Laon,  tantôt 
à  des  tableaux,  tantôt  à  déco- 
rer des  meubles. 

Vers  ce  temps-là  com- 
mence de  briller,  sous  le  pa- 
tronage  d'un  quatrième   fils 


du  roi  Jean,  la  fameuse  école  de  Bourgogne.  Deux  raisons 
font  qu'elle  n'a  point  de  place  ici.  C'est  premièrement  que, 


ClHh*  Ginivdoil.  JKSl  s  CilMll  IT  CHKZ  l'AllMlK 

Minialuro  des  Ti-ès  Riches  Heures  du  duc  de  Berri,  par  Taul,  Jean  et  Armand  de  Limbour); 

Musit  Comdé{CkantUl!/) 


toute  émanée  des  Pays-Bas,  elle  est  même  antérieure  aux 
premiers  princes  français  qui  de  Dijon  régnèrent  sur  ces 
contrées.  Jean  de  Hasselt,  le  plus  ancien  de  leurs  peintres, 
fut  hérité  par  Philippe  le  Hardi  du  comte  de  Flandre  Louis 
de  Maie,  son  beau-père.  Ceux  qui  succédèrent  dans  cette 


Cliché  Girauât 


LE  DUC  DE    BEHH.  A  TABLE  E.VTBETENANT  Sl«   FAMILIEHS    (JANVIKH, 

Mm.ature  de,  ïrés  niches  Heu-e,  d,.  duc  de  Berri,  par  Paul,  Jean  et  Armand  de  Limbourfi 
Musée  Condé  (Chantilly) 


charge,  tous  pareillement  issus  des  Pays-Ras,  Hainaui, 
Artois,  Gueldre,  Brabant  ou  Flandres,  étrangers  travaillant 
dans  une  cour  étrangère,  n'ont  aucun  titre  à  figurer  dans 
une  histoire  de  l'école  française.  Le  plus  célèbre  est  Jean 
Van  Eyck,  que  personne  ne  songea  jamais  à  mêler  à  cette 

histoire.  Il  n'y  a  pas  plus  de 
raison  d'y  mettre  ceux  qui 
précèdent.  On  ne  trouvera 
donc  ici  que  le  nom  et  pour 
mémoire,d'un  JeandeBeau- 
meIz,d'un  Brouderlam,d'un 
Malouel,  d'un   Bellechose, 
d'un   Maisoncelle,  dont  la 
personne  et   les   ouvrages, 
vrais  préliminaires  à  l'his- 
toire que  nous  a  laissée  Van 
Mander,  ne  ressortit  à  per- 
sonne autre    qu'aux    histo- 
riens de  l'art  des  Flandres. 
Cependant  le  règne   de 
Charles  VI,  ouvert  comme 
florissait  l'école  de  minia- 
ture   dont    il    vient    d'être 
parlé,    ne   devait    pas   finir 
sans  avoir  vu  le  plus  ma- 
gnifique  triomphe    de    cet 
art.  Unerecrudescence  d'in- 
fluence  italienne,    que    re- 
cueillait une  troisième  géné- 
ration flamande,  la  prépara. 
Cet.tegénération  sccompose 
de  Jacques  Cône  et  des  trois 
frères  Paul,  Jean  et  Armand 
de  Limbourg. 

Le  premier,  dont  on  ne 
peut    certifier    d'ouvrages, 
s'impose   à   l'attention  par 
le  séjour  qu'il  fit  en  Italie, 
appelé  à  Milan  pour  le  soin 
de  la  cathédrale,    dont   on 
requérait  de  lui  les  dessins. 
En  1398  cet  artiste  se  trou- 
vait à  Paris.  Il  y  revint  au 
plus  tard,  en  1404.  qu'on  le 
trouve    employé    avec    des 
compagnons,  à  peindre  une 
Bible  pour  le  duc  de  Bour- 
gogne. On  a  pu  sans  invrai- 
semblance reconnaître  dans 
cet  ouvrage  la    Bible    déjà 
commencée  par  Paul  et  Jean 
de  Limbourg  pour  Philippe 
le  Hardi,  dès  1402.  Le  nom 
de  famille  de  ces  derniers 
était   Manuel    ou    Maluel. 
Toutefois  l'âge  que  suppose 
le  fait  d'une  telle  commande, 
empêche  de  les  tenir  pour 
les  neveux  de  Malouel,  men- 
tionnés cette  année  même 
comme  de  jeunes  enfants. 


LES    ORIGINES    DE    LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


3i 


On  les  trouve  en  141  i  au  service  du  duc  de  Berri,  avec  leur 
troisième  frère  Armand,  et  dans  des  termes  qui  marquent 
une  extrême  faveur,  en  même  temps  que  leur  fortune  faite. 
11   parait  qu'ils  étaient  à  Paris 
en  ce  temps-là.  Depuis,  Paul 
s'établit  à    Bourges,    où    tout 
pone  à  croire  qu'il  mourut. 

Or  nous  tenons,  dans  les 
ouvrages  de  Paul,  de  Jean 
et  d'Armand  de  Limbourg, 
l'explication  palpable  de  cette 
brillante  fortune.  Un  ne  leur 
est,  il  est  vrai,  qu'attribué  mais 
sur  des  ressemblances  cvi- 
den  les  de  SI  vie  :  c'est  une  Bible 
de  la  Bibliothèque  de  Paris, 
que  peut-être  il  conviendra  de 
reconnaître  pour  celle  que 
commanda  aux  deiix  premiers 
le  duc  de  Bourgogne. -Le  degré 
de  mérite  qu'on  y  trouve  cadre 
avec  le  temps  de  celle-ci,  où 
l'on  peut  supposer  que  les  trois 
frères  n'avaient  pas  encore 
atteint  leur  plus  grande  habi- 
leté. Celte  habileté  se  révèle  au 
contraire  tout  entière  dans  les 
Très  Riches  Heures  de  Chan- 
tilly, peintes  vers  1416  pour  le 
duc  de  Berri,  chef-d'œuvre  re- 
connu de    l'art  d'enluminure. 

Nous  touchons  à  la  fin  de 
la  carrière  de  ce  prince.  En  ces 
dernières  années,  ne  se  con- 
tentant plus  de  ce  que  les  ou- 
vrages des  Flamands  véhicu- 
laient d'italianisme,  on  voit 
qu'il  avait  remis  la  direction, 
tant  de  sa  bibliothèquj  que  de 
ses  enluminures,  à  l' Italien 
Pierre  de  Vérone,  enlumineur 
kii-méme.  sans  doute  ramené 
de  Milan  par  .lacques  Cône, 
qui  l'avait  connu  dans  cette 
ville.  M.  de  Champeaux  a 
remarqué  ce  que  ce  contact 
direct  d'ouvriers  de  nation 
différente,  adonnés  des  deux 
parts  à  la  miniature,  eut  de 
résultats  heureux.  Les  Italiens 
apprirent  à  peindre  à  gouache, 
comme  il  est  attesté  par  des 
textes  formels,  tandis  que  les 
ouvriers  qui  travaillaient  en 
France  reçurent  d'eux  en 
échange,  l'art  des  composi- 
tions grandes  et  bien  ordon- 
nées, que  leur  métier  n'avait 
point  connu. 

C'est  alors  qu'on  voit  pa- 
raître  aux    inventaires,    pour 


désigner  certains  manuscrits  à  peintures,  la  fameuse  mention 
d'  «  ouvrage  de  Lombardie  ».  Elle  était  l'expression  de  ces 
ressources  nouvelles,  étalées  dans  les  Très  Riches  Heures. 


ai,M  Ciiaudm.  i,\   CIIASSB   Ali    l-Ar<:ON   |Jt  ll,I.KT| 

Miniature  des  Très  Hirlios  Heures  du  duc  de  Berri,  par  Paul,  Jean  et  Arniaud  de  Limbourg 

Musée  Condi  (Chantilly) 


33 


LES    ARTS 


Si  les  Limhourg  avaient  vu  l'Italie,  c'est  ce  qu'aucune 
preuve  positive  n'e'tablit.  Suffit  qu'ils  furent  instruits  pour 
cet  ouvrage,  par  un  homme  qui  en  posse'dait  les  enseigne- 
ments et  les  modèles.  Ainsi  se  trouvèrent  introduits  dans 
un  art,  qui  jusque-là  ne  de'passa  que  peu  le  niveau  de  Giotto 
et  de  Simon  Martini,  tous  les  progrès  accomplis  en  un  siècle 
par  les  grands  peintres  de  Florence.  Une  fresque  de  Thaddée 
Gaddi,  rigoureusement  copiée,  se  reconnaît  parmi  ces  minia- 
tures. En  vingt  endroits  le  souvenir  d'Orcagna  se  décèle. 
Des  figures  imitées  de  l'antique  prennent  place.  Les  édifices 


Cliché  GiraudoH 

Miniature  des  Très  Riches  H 


I.A  fRKSE.NTATIOX  DE  JKSLS  Al:  THMIM.B 

lires  du  duc  de  Berri;par  Paul,  Jeau  et  Armand  de  Limbourg,  d'après  Thaddée  Gaddi 
Musée  Condc  (ChanHUy) 


de  Pise,  de  Florence  et  de  Rome  enrichissent  plusieurs  de 
ces  tableaux.  Dans  un,  des  moines  abyssins,  que  l'artiste  en 
ce  lemps-là  n'eiJt  pu  voir  qu'à  Venise,  ajoutent  leur  présence 
imprévue. 

Près  d'une  érudition  et  d'une  culture  si  belle,  l'art  qu'elle 
engendre  se  montre  en  perfection.  A  cinq  cents  ans  de  distance, 
l'admiration  qui  fit  nommer  Très  Riches  ces  Heures  dès  leur 
naissance,  se  renouvelle  chez  nous.  Jamais  peut-éire,  dans  la 
gaucherie  qui  demeure  à  tout  ce  qui  précéda  l'époque  de  la 
Renaissance,  on  ne  vit  plus  de  souplesse  et  de  grâce  unies  à 

plus  de  majesté.  Les  pages  d'un 
calendrierque  vingt  reproductions 
ont   rendu  populaire,  y  font  l'in- 
troduction décent  tableaux  exquis, 
dont  se  compose  la  vie  de  la  Vierge 
et  d'autres  figurations  bibliques. 
Une  sveltesse  de  proportion,  une 
mignardise  du  geste,  rajeunissent 
dans  ces  compositionsles  antiques 
figures  de  .lacquemart  de  Hesdin, 
d'une  manière  tout  à  fait  piquante. 
Dans  quelques-unes,  l'ajustement 
des  cours,  marié  à  des  beautés  de 
port  et  de  visage,  rivalise  avec  tout 
ce  que  l'Italie  avait  produit  de  plus 
séduisant  en  ce  genre.  Ailleurs  la 
vigueur  du  dessin,  la   perfection 
des  architectures,   le  beau  fondu 
de    l'exécution,    coinposent     un 
charme  inégalé.   Un  échantillon- 
nage  brillant    de    vermillon,   de 
vert-gai,  d'azur  fin,  rehausse  tous 
CCS  mérites  d'un  éclat  sans  pareil. 
C'est    l'Angelico    en    petit,    mais 
d'un  dessin  plus  délicat,  avec  une 
représentation   plus    achevée    de 
la  nature.  Et  là-dessus,    prestige 
presque    inconnu    jusque-là,   des 
fonds    de    paysage    ajoutent    la 
beauté   de    leur  lumière    et  l'en- 
chantement  de   leur   perspective 
fuyante. 

Le  duc  de  Berri  mourut  en 
1416,  que  ce  livre  n'était  pas 
encore  tout  à  fait  achevé.  Paul 
ne  devait  lui  survivre  que  de  peu. 
Déjà  les  Van  Eyck  vivent  et 
pratiquent  leur  art.  Encore  seize 
ans,  et  le  retable  de  l'Agneau 
ouvrira,  pour  les  écoles  du  nord 
de  l'Europe,  une  carrière  entière- 
ment nouvelle.  La  mort  du  prince 
et  de  son  enlumineur  mérite  de 
figurer  la  fin  de  l'art  ancien,  tel 
que  la  France  le  vit  fleurir  sous 
les  impulsions  d'outremonts.  Il 
n'y  avait  pas  moins  d'un  demi- 
siècleque  les  Flamands  en  étaient 
les  maîtres. 
\A  suivre.  I 

L.   DIMIER. 


TRIBUNE   DES  ARTS 


(le  très  victorieux  roi  de  France  Charles  sep- 
tième) qui  lui  fait  face  (i). 

Toutes  les  données  propres  à  éclaircir  le 
problème  seraient  sous  nos  yeux,  à  la  portée 


de  tous,  si  l'on  plai,ait  dans  la  même  salle  la 
Vierge  au  Donateur  attribuée  à  tort  à  Jean 
Van  Eyckj. 

Il  suffit  pour  retrouver  l'image  du  roi  de 


France  de  143-  de  regarder  dans  son  cadre,  en 
robe  courte  de  couleur  rouge,  le  Charles  VII 
de  Fouquet,  puis  le  Charles  Vil  de  Jean  Fou- 
quet  dans  le  retable  du  Parlement  de  Paris  . 


Ils  sont  identiques,  et  sous  renipàtcment 
qu'ont  produit  la  fatigue,  les  années,  les  sou- 
cis, la  guerre  pour  la  défense  du  royaume,  on 
retrouve    aisément     l'homme    encore    jeune. 


JEAN  VAN  EY'CK.  —  la  vikrok  al-  do.natkir 
(Musée  du  Coiivrel 

alerte,  et  si  noble  en  son  attitude  paisible,  en 
son  costume  fleurdelisé  de  roi  de  France,  qu'a 
peint  Jean  Fouquet,  en  1430  ou  1432. 

Tout  ce  qui  entoure  le  roi  pacifique,  en 


son  habit  bleu  brode  de  fleurs  de  lis  d'or  :  la 
Seine  que  l'on  voit  couler  au  pied  de  l'ancien 
Louvre,  fidèlement  portraituré;  derrière  le  roi 
actuel,  en  iq^o  ou  1432.  la  demeure  du  Par- 


(i)  Pour  la  reproduclion  de  ce  tableau,  voir  tes  Arts:  Exposition  des  Primitifs  français,  n*  2X,  p.  lo. 


-f  »- 


*1 


ib 


lement  telle  qu'elle  était  à  cette  date,  person- 
nages arrêtés  sur  le  quai,  du  côté  de  Thôtel  de 
Nesle,  représentation  exacte  à  cette  époque  de 
la  ville  de  Paris,  collines  qui  forment,  au  tond, 
l'enceinte  de  la  ville,  tout  est  tidcle,  tout  est 
un  portrait  véridique.  Ce  n'est  pas  un  menteur 
que  le  Tourangeau  Jean  Fouquet.  Pourquoi 
l'œuvre,  certainement  peinte  en  France,  tut- 
elle commandée  à  Jean  Fouquet,  et  non  à  un 
autre?  Il  est  assez  facile  de  l'expliquer. 

Jean  Fouquet  avait,  en  1429,  la  fonction 
qu'avait,  en  i825,  le  maître  Ingres.  Jean  Fou- 
quet était  le  peintre  du  roi  de  France. 

C'est  comme  tel  qu'il  fut  élu  pour  peindre 
ce  retablp  du  Parlement. 

C'est  plus  qu'une  œuvre  de  peinture  ordi- 
naire, c'est  une  peinture  d'Étal,  une  peinture 
significative  et  démonstrative.  Car,  le  Parle- 
ment rentra  à  Paris  en  1437. 

Le  personnage  placé  en  face  du  roi  fleur- 
delisé Charles  VII  est  saint  Jean.  Ce  saint 
Jean  montre  un  passage  de  la  Bible  ou  de 
l'Évangile  sur  lequel  est  l'Agneau.  Le  geste  de 
saint  Jean,  qui  désigne  le  livre,  est  autoritaire 
et  presque  menaçant.  Il  a  l'air  de  donner  une 
leçon  au  roi,  ou  tout  au  moins  un  conseil 
impérieux.  Et  le  roi  de  F"rance,  Charles  VII, 
a  l'air  de  dire  :  «  Ce  n'est  pas  ma  faute  si  je 
fais  la  guerre.  »  Il  a,  comme  on  peut  le  remar- 
quer, un  geste  d'excuse  ou  d'acquiescement. 

Autour  de  lui,  la  Seine  coule  au  pied  du 
Louvre  paisible;  tout  rit,  tout  a  l'air  heureux. 
Les  plantes  de  la  paix,  les  plantes  utiles  et 
salutaires  croissent  de  toute  part,  celles  que 
Rabelais  célèbre  au  chapitre  iv  du  livre  III  : 
«  Cércs  chargée  de  blés,  Bacchus  de  vins,  P'Iora 
de  fleurs,  Pomone  de  fruits  ".  C'est  le 

Plaisant  pays  de  France 

qu'a  chanté  plus  tard   Marie  Stuart. 

Au  contraire,  de  l'autre  coté,  à  la  gauche 
du  Père  Éternel,  sont  les  maudits.  On  ne  voit 
sur  le  côté  gauche  du  Père  (à  la  droite  du 
spectateur)  que  prisons,  gibets,  bourreau 
d'État  en  costume  de  sa  fonction,  juges  en  train 
d'assister,  sur  une  colline,  à  des  supplices. 

Du  côté  gauche  du  Père  est  celui  qui  «  an- 
garie  »  les  peuples,  comme  disait  un  mot  de  la 
vieille  France,  celui  qui  les  torture,  qui  les  tait 
pendre,  tenailler.  C'est  le  mauvais  roi  qui  a 
toujours  l'épée  à  la  main.  C'est  le  roi  inique, 
le  Demoboron  ou  le  «  mangeur  de  peuple  ». 

Nul  doute  encore  que  son  portrait  ne  soit 
le  portrait  très  exact  et  très  ressemblant  de 
l'ennemi  le  plus  redoutable  de  la  France  à 
cette  époque,  du  roi  d'Angleterre  qui  préten- 
dait aussi  être  roi  de  France,  du  roi  Henri  V, 
qui  mourut  en  France,  à  Vincennes,  en  1422, 
à  trente-six  ans;  Henri  V  laissait  un  fils,  ce 
Henri  VI  que  les  Anglais  firent  venir  jeune  à 
Paris,  et  qu'ils  y  couronnèrent  d'une  double 
couronne  dans  l'église  cathédrale,  le  27  no- 
vembre 1431. 

Le  tableau  peint  par  Jean  Fouquet  put  être 


TRIBUNE   DES  ARTS 

peint  après  cette  cérémonie  anglaise  du  27  no- 
vembre 143 1,  car,  le  tableau  d'une  significa- 
tion vengeresse  est  une  protestation  solen- 
nelle, éclatante  contre  cet  acte.  Je  crois  qu'il 
fut  peint,  en  1437,  pour  la  rentrée  du  Parle- 
ment. 

Aux  pieds  de  Henri  V,  âgé  de  trente-six 
ans,  portant  le  globe  du  monde  en  main,  Jean 
Fouquet  peint,  allégoriquement,  la  tète  d'un 
saint  décapité;  ce  tableau  est  prophétique,  car, 
on  sait  que  Henri  VI  ou  Henri  de  Windsor  fut 
enfermé  à  la  Tour,  et  égorgé  par  le  duc  de 
Gloucester,  en  147 1,  à  cinquante-deux  ans. 
Quand  on  s'est  assuré,  d'après  les  portraits 
authentiques,  que  le  second  roi  fleurdelisé 
placé  à  la  gauche  du  Père  est  bien  Henri  V,  roi 
d'Angleterre  et  de  France,  mort  à  Vincennes, 
en  1422,  on  relit  avec  intérêt  ce  qu'Emile 
Montégut  a  dit  de  ce  roi  dans  l'avertissement 
qui  précède  sa  traduction  du  Henri  V  de 
Shakespeare.  Emile  Montégut  dit  : 

«  ...  Dès  le  début  du  règne  de  Henri  V,  les 
projets  de  réforme  furent  remis  sur  le  tapis, 
et  ce  fut  pour  en  détourner  l'aitcniion  que 
Chichele,  âme  en  cette  circonstance  du  clergé 
d'Angleterre,  conseilla  au  roi  Henri  la  cam- 
pagne de  France.  Henri  V  avait  pour  son  père 
usurpateur  une  nuance  de  mépris  et  quand  il 
fut  roi  pour  son  propre  compte  il  eut  peur  que 
l'expiation  ne  s'arrêtât  pas  à  son  prédécesseur, 
mais  qu'elle  retombât  sur  lui  et  sur  les  siens. 
Pour  détourner  la  colère  de  Dieu,  il  institua 
une  sorte  de  culte  à  la  mémoire  de  Richard. 

«  ...  Tout  n'était  pas  momerie  dans  ces 
craintes;  il  y  avait  une  profonde  intuition  des 
redoutables  etîets  de  l'injustice.  La  malédiction 
de  Dieu,  comme  apaisée  par  les  prières  du 
héros,  sauta,  en  effet,  une  génération;  mais 
alors  elle  consuma  jusqu'au  dernier  homme, 
la  maison  de  Lancastre,  par  l'effrovable  incen- 
die de  la  guerre  des  Deux  Roses.  » 

C'est  exactement  ce  qu'a  voulu  montrer,  en 
peignant  Henri  V  parallèlement  à  Charles  VH 
roi  de  France,  l'auteur  du  retable  baptisé  :  le 
retable  du  Parlement.  D'un  côté,  le  roi  inique; 
de  l'autre,  le  roi  qui  pardonne  lorsqu'il  rentre 
à  Paris  avec  le  Parlement,  en  1437. 

Du  côté  du  roi  inique  (Henri  V  d'Angle- 
terre, le  roi  d'Angleterre  et  de  France  de  1422), 
le  peintre  a  accumulé  ad  probandum  comme 
l'on  faisait  alors  tout  ce  que  l'on  peut  imagi- 
ner dans  un  si  petit  espace  de  supplices,  d'ini- 
quités, de  prisons  ou  geôles.  C'est  le  côté  des 
Violents  en  face  des  Doux,  et  en  opposition 
avec  eux.  Les  doux  sont  autour  de  Charles  VII, 
le  vrai  roi  de  France,  celui  qui  croit  à  la 
parole  de  saint  Jean,  celui  qui  est  à  la  droite 
du  Père,  et  qui,  dès  qu'il  rentre  à  Paris,  en 
1437,  grâce  à  Michel  Lallier,  pardonne  et  fait 
acte  de  clémence. 

Chacun  sait  ce  qui  arriva  de  1436  à  1450, 
et  qu'en  1450  la  victoire  fut  accordée  au  vrai 
roi  de  France,  Charles  VII,  sur  l'usurpateur 
anglais    Henri    VI    le    tortionnaire,    et    que 


/ 


l'Anglais     fut    chassé    de     France 

...  Jehanne,  la  bonne  Lorraine 
Qu'Anglais  bruslèrent  à  Rouen 

(François  Vik 

Et  nunc,  reges,  erudimini.  Intell 
judicatis  terram. 

«  Et  maintenant,  rois,  comprenez 
sez-vous,  vous  qui  jugez  la  terre.  »  C  ] 
que  disait  et  que  dit  encore,  à  qui  sa' 
prêter,  ce  beau  retable  du  Parlement 
œuvre    infiniment   précieuse   comnn 
d'histoire,  comme  témoignage  de  la 
d'un    peuple,  si  elle    n'était  pas   d'à 
très  précieuse  comme  œuvre  d'un  gra 
encore  incomplètement  connu. 

La  commande  de  ce  tableau  fut 
ment  faite  au  peintre  par  ou  pour 
France  Charles  VII.  Le  Parlement 
après  1436,  siégeait  dans  le  palais  di  [ 
que  l'on  voit  peint  derrière  le  roi.   1 
ment  faisait  œuvre  de  goiit  et  œuvre  i 
tisme  reconnaissant  en  plaçant  cet  0 
tableau  dans  sa  grand'salle. 

C'était,  et  c'est  encore  une  haut^ 
sévère  leçon  d'histoire  donnée  aux  i 
aux  violents.  j 

Si  les  portraits  de  Charles  Vil! 
France,  sont  assez  nombreux  ceux 
anglais-français,  Henri  V,  ne  sont  p; 
Les  érudits  anglais  en  retrouvent 
jours.  Même,  on  a.  du  roi  Henri  IV  i 
terre,  des  portraits  où  l'on  retrouve  la 
rouge,  de  forme  triangulaire,  •du  Hei 
retable. 

Même   le   portrait   du  petit  chien 
an 
d 
irréprochable 

L'artiste  qui  a  peint  ce  tableau  est 
artiste  français  qui,  avant    1422,  aval 
loisir  d'étudier  Henri  V,  roi  anglais  s: 
Notre-Dame  de  Paris,  et  qui  avait  cor 
de  lui  un  ou  plusieurs   portraits  en  ce 
de  sacre,  d'une  ressemblance  parfaite. 


Parmi  les  trois  femmes  qui  pleure  ' 
pied  de  la  croix,  l'une  ne  serait-ell 
Catherine  de  France,  femme  du  roi  a 
Henri  V,  mère  de  Henri  VI,  la  Catherin 
Shakespeare  a  développé  le  caractère  da 
drame  sur  Henri  V  ? 

Je  le  crois,  sans  encore  oser  l'ai 
faute  de  preuves.  1 

Mais  j'oubliais  que  Shakespeare  lui- 
est  aujourd'hui  traité  d'auteur  surfait  pa 
une  École,  et  notamment  par  Léon  Toi 

C'est  à  faire  douter  de  tout. 

Avant    qu'on   conclue  pour    ou   coi 
vérité  du  personnage  de  Henri  V  dans 
speare,  le  tableau  du  Louvre  est  bon  à  < 
ter,  à  méditer. 

AMÉDÉE  PIGEO 


...~...^   .~    f --  f —  

inglais,  placé  auprès  de  son  maître,     \ 
l'une  exactitude  parfaite,  d'une  resse    | 


Les  Accroissements  des  Musées 

LA    CONSOLE    DE    L'HOTEL    DES    INVALIDES 


Les  salles  du  Mobilier  du  xviii=  siècle  viennent  de  s'en- 
richir d'un  des  meubles  de  l'époque  de  Louis  XV  les  plus 
beaux  et  les  plus  rares,  qui  est  digne  de  la  place  d'honneur 
qui  lui  a  été  donnée  aux  côtés  du  bureau  de  Louis  XV. 

C'est  une  console  de  milieu  de  grande  dimension  en  bois 
de  chêne  sculpté  et  ciré;  ce  qui  est  une  rareté  parmi  les 
consoles  du  xvui^  siècle  qui  n'ont  jamais,  même  lorsqu'elles 
ont  conservé  leur  dorure  ancienne,  la  couleur  et  l'éclat  du 
chêne  ciré. 

Les  quatre  pieds  contournés  sont  formés  de  faisceaux  et 
de  feuilles  de  palmier,  autour  desquels  s'enroulent  des 
serpents  et  des  brandies  de  laurier,  et  sont  surmontes  par 
des  casques  ouverts,  couronnés  de  plumes.  Au  croisillon, 
quatre  trophées  de  vases  entourés  de  fleurs  et  de  serpents  se 
réunissent  au  centre  pour  supporter  un  grand  trophée 
d'attributs  guerriers,  couronnés  par  un  casque  soutenu  par 
une  massue.  La  ceinture  de  la  console  est  formée  d'une 
frise  très  variée  de  rinceaux  et  de  feuilles  de  palmier;  au 
centre  de  chaque  face  se  trouve  un  cartouche;  ceux  des 
deux  grandes  faces  sont  ailés. 

Cette  partie  du  meuble  est  la  plus  belle  par  sa  variété  et 
son  élégance  qui  contrastent  avec  la  partie  inférieure  d'une 
très  belle  exécution,  mais  d'une  importance  et  d'une  richesse 
exagérées.  La  ceinture  supporte  un  superbe  plateau,  en 
brèche  d'Alep,  mouluré  et  chantourné  suivant  la  forme  de 
la  console. 


Nous  ne  connaissons  pas  l'artiste  qui  a  fait  ce  meuble, 
car  il  ne  porte  ni  signature,  ni  marque  d'ébéniste.  Les 
archives  des  Invalides  ne  possèdent  aucun  document  qui 
puisse  nous  éclairer  sur  son  origine  et  sur  son  auteur.  Les 
attributs  guerriers  qui  le  décorent  nous  permettent  de 
penser  qu'il  a  été  commandé  et  exécuté  pour  les  Invalides, 
sous  le  règne  de  Louis  XV,  et  il  est  probable  que,  depuis 
cette  époque,  il  n'en  est  jamais  sorti,  étant  donné  l'état  de 
conservation  parfait  dans  lequel  il  se  trouve.  Pendant  la 
Révolution,  on  a  malheureusement  gratté  sur  chacune  des 
quatre  faces  les  trois  fleurs  de  lis  qui  ornaient  le  cartouche 
et  la  couronne  qui  le  surmontait.  Sans  cet  acte  de  vanda- 
lisme, la  console  nous  serait  parvenue  absolument  intacte. 

Il  semble  étonnant  qu'un  meuble  d'une  si  grande  impor- 
tance et  d'une  telle  rareté  n'ait  pas  été  connu  de  ceux  qui 
ont  étudié  le  mobilier  du  xvin'  siècle.  Ni  M.  Molinier  dans 
son  Histoire  du  Mobilier,  ni  de  Champeaux  dans  son  livre 
sur  le  Meuble  ne  le  mentionnent.  C'est  que,  dans  l'Hôtel  des 
Invalides,  il  se  trouvait  dans  une  salle  fermée  —  la  salle 
des  Gouverneurs  —  qui  est  cédée  au  Musée  de  l'.^rmée  et  qui 
doit  être,  un  jour,  ouverte  au  public.  Si  la  console  est 
aujourd'hui  exposée  au  Louvre,  c'est  au  ministre  de  la 
Guerre  et  au  général  commandant  l'Hôtel  des  Invalides  — 
M.  le  général  Niox  —  que  nous  le  devons. 

CARLE  DREYFUS. 


PORTRAIT  DE  FEMME 

AU  MUSÉE  DU  LOUVRE 


Dans  le  numéro  36  des  Arls,  nous  avons  publié  une 
communication  émanant  d'un  de  nos  correspondants,  où, 
pour  de  simples  raisons  de  calligraphie  et  sans  qu'on  eût  à 
entrer  dans  aucun  détail  au  sujet  de  la  façon  dont  le  tableau 
est  peint,  .se  trouvait  mise  formellement  en  doute  l'authenti- 
cité du  portrait  de  femme  attribué  à  l'école  française  du  xv« 
siècle  et  désigné  dans  les  catalogues  comme  ayant  été  acheté 
de  M.  Raimond  Pelez  le  3o  mai  1846.  Notre  correspondant 
sollicitait  l'avis  de  MM.  les  Conservateurs  du  Louvre, 
lesquels  savent  qu'ils  sont  toujours  les  bienvenus  dans  notre 
maison.  Nous   n'avons   reçu  d'eux  aucun   renseignement. 

C'est  déjà  comme  un  désistement  et  nous  l'acceptons 
comme  tel.  Le  tableau  n'a  d'ailleurs  pas  été  présenté  à  l'Ex- 
position des  Primitifs.  Donc  on  s'en  mériait.  Peut-être  va-t-on 
jeter  du  lest?  Sacrifler  l'écriture  pour  conserver  la  peinture? 
Il   faut  bien  conserver  quelque  chose  —  fût-ce  ce  Musée  du 


Faux  dont  un  de  nos  abonnés  proposait   jadis   la  création 
(n"   14J   et   pour   lequel   on  a  déjà  réuni  au  Louvre  même 

(n»  17),  de  si  précieux  objets  de  curiosité. 


LA  VIERGE  ET  L'ENFANT  (fresque) 

ATTRIBUÉE  A  MICHEL-ANGE 

Un  correspond.mt  de  Londres  nous  adresse,  en  réponse  à  la 
question  posée  dans  noire  numéro  ai)  par  un  de  nos  abonnes  de 
Milan,  l'indication  suivante  : 

Dans  le  numéro  29  des  Arts,  «  un  .Amateur  »,  en  vous 
écrivant  au  sujet  d'un  tableau  attribué  à  Michel-Ange,  dit  se 
rappeler  avoir  vu  une  peinture  pareille  à  Paris,  en  posses- 
sion du  sculpteur  Triqueti,  puis  de  sa  fille.  Madame  Deles- 
sert,  depuis  Lee  Childe. 

Une  dame  anglaise,  lectrice  assidue  des  Arts,  parente  de 
Madame  Lee  Childe,  m'écrit  que  le  tableau  dont  parle  votre 
abonné  de  Milan,  appart  ent  aujourd'hui  à  M.  Henry  Paul 
Harvey. 

Veuillez  agréer,  etc. 


Directeur  .  M.  MANZl. 


Imprimerie  MANXt,  Joyant  &  C'*,  Asniéres. 


Le  «rut  I  e.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N"  38 


PARIS   —    LONDRES   —    BERLIN   NEW-YORK 


Février^i905 


LA     PORCELAINE    DE     SEVRES 


VITRINE 

Cabarets.  Cache-pol  avec  biiiii|uots  île  Heurs  <Ie  Si'Vres.  —  ('.ache-|K>ts  provenant  du  Scrvire  «le  Madame  Du  Barrr.  —  Assiellc»,  salicrrs,  tltéière»,  1 

sur  fonda  blancs  et  de  couleurs.  —  Ancienne  pAte  tendre  de  ïèvre» 


1  à  décors  TmiWs 


TKTE-A-TÉTE  A  DlîcOU  DIÎ  CL' llU.A.MiES   1)K   ILULIIS,  .\(J,I  l>s    1)15  RUIIAXS  ni.lXS  EN   HEI.IKI'  ET    HIXOEALX  D  OR 

Ce  cabaret,  décoré  par  Noël  en  1775,  a  été  offert  par  le  Roi  à  Madame  Sophie  la  même  année.  —  Ancienne  pSte  tendre  de  Sevrés 

LA    PORCELAINE    DE    SÈVRES 


COLLECTION  CHAPPEY 


pi.aqle:  I.  AMoun  trxdant  son  abc  au  milieu  de  buissons  de  nosES 

Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres.  —  Décor  par  Dodin  (année  17C5),  cadre  bronze  doré 

(Collection  Chappey} 


POUR  un  petit  nombre  de  privilégiés,  une  époque,  en 
France,  fut  par  excellence  celle  de  l'élégance,  du  luxe 
aimable,  de  la  conversation,  et  de  l'agrément  social. 
D'autres  furent  plus  glorieuses,  plus  mouvementées, 
plus  intéressantes  pour  la  nation  ;  nulle  n'estcomparable  quant 
à  la  douceur  de  vivre.  Et,  comme  l'art  d'un  temps  est  le  reflet 
de  ce  temps,  comme  il  en  donne  la  substance  morale  avec  la 
représentation  physique,  l'art  décoratif  du  xviii=  siècle  est 
demeuré  par  excellence  l'art  social,  —  s'entend  l'art  qui 
convient  à  une  société  raffinée  dans  sa  politesse,  recherchée 
dans  ses  goûts,  qui  souhaite  un  décor  analogue  à  sa  façon  de 
comprendre  la  vie  et  d'en  jouir. 

Pour  la  femme,  qui  y  fut  la  souveraine  véritable,  les 
artistes  du  xvni«  siècle  se  sont  efforcés  de  créer  un  art  digne 
d'elle,  un  art  où  elle  trouvât  le  cadre  congruent  à  sa  beauté, 
un  art  qui  ne  fût  point  de  palais,  —  quoiqu'ils  s'entendissent 
à  en  construire,  —  mais  plutôt  de  châteaux,  d'hôtels,  de 
petites-maisons,  un  art  qui  n'exigeât  point  pour  se  déployer 
des  galeries  comme  la  Galerie  d'Apollon  au  Louvre  ou  à 
Saint-Cloud,  ou  la  Galerie  des  Glaces  à  Versailles,  mais  qui 
tint  dans  des  salons,  des  boudoirs,  des  chambres  à  coucher, 
des  «  petits  appartements  »,  qui  les  rendit  vraiment  les  tem- 
ples de  la  divinité  qu'on  y  adorait,  qui,  en  s'adaptant  aux 
goûts,  aux  habitudes,  aux  façons  des  fidèles,  prêtât,  pour  les 
conversations  aimables,  des  fauteuils  contournés  dont  les 
coussins  moelleux  emboîtent  agréablement  tout  le  corps  ; 
qui  offrit  au  déploiement  des  charmes  dolents  de  la  femme, 
les  chaises  longues  où  la  paresse  se  plaît,  qui  disposât  pour 
les  confidences,  tous  ces  petits  canapés,  à  médaillons,  en 
gondole,  en  corbeille,  à  joue,  quoi  !  «  canapés-confidents  » 
où  deux  personnes  ne  tiennent  qu'à  condition  qu'elles 
soient   si  sages  !    En    nul    temps     on    ne    chercha    mieux 


VITRINE 
Groupes,  pendule  et  statuettes  ancien  biscuit  de  Sèvres  pâte  tendre;  jardinières,  tasses  à  décors  variés,  ancienne  porcelaine  dure  de  Sèvres 

I  Collection  ChappeyJ 


LES   ARTS 


«  les  aises  »,  on  ne  les  servit  avec  plus  de  raffinement.  Rien 
que  sur  les  diverses  sortes  de  tables  servant  pour  les  jeux, 
on  ferait  un  traité;  et  les  tables  à  brelan,  à  quadrille,  à  tri, 
à  reversi,  à  trictrac,  les  tables  trou-madame  y  mériteraient 
chacune  leur  chapitre.  Pénétrez  dans  un  de  ces  salons  :  vos 
yeux  s'égaient  aux  soies  brochées  ou  aux  tapisseries  qui 
couvrent  les  meubles  ;  ils  se  reposent  sur  les  tableaux  tapis- 
sés aux  Gobelins,  à  Beauvais  ou  à  Aubusson,  qui,  encastres 
dans  des  boiseries  aux  gracieuses  sculptures  dorées,  prêtent 
aux  murs  une  splendeur  sans  égale  ;  ils  jouent  sur  l'or  des 
pendules,  des  candélabres,  des  chenets  et  des  appliques, 
sur  le  laiteux  des  marbres  des  cheminées  et  des  consoles, 
ils  éprouvent  des  délices  sans  pareilles  en  leurs  rapides 
voyages,  mais  il  manquerait  quelque  chose  à  leur  joie  si, 
pour  accrocher  le  regard,  pour  rompre  la  monotonie  des 
ors,  pour  tacher  agréablement  le  marbre  des  consoles,  pour 
échauffer  d'un  ton  vif  le  blanc  d'une  boiserie,  pour  jeter 
partout  une  note  d'art  précieux,  il  n'y  avait  la  Porcelaine. 


l'ond  bleu  de  ro.  à  roscrvo  de  médaillons  .■  marine  et  scùncs  de  eamp  par-  Morin 

Ancienne  pute  tondre  de  Sèvres  (Haut.  :  0»,40  sans  socle) 

(Collection  Chappey) 


l'AiHi':  m-:  vasks 

Fond  rose  u'il-de-perdrix   —  Décor  »roiseaux,  nionlurc  en  bronze  ciselé  et  dcni- 

]iar  Goulhière 

Ancienne  porcelaine  dure  de  Sèvres  (tiaut.  ;  0"',61) 

(Cnltettion  Chappeyl 

Elle  parait  avec  ce  temps,  la  divine  porcelaine  de  Sèvres, 
elle  parait  pour  tout  conquérir,  pour  devenir  la  reine  entre 
toutes,  pour  demeurer  le  plus  précieux  et  le  plus  fragile 
témoignage  de  ce  que  la  société  la  plus  exquise  a  pu  imaginer 
de  plus  délicat  pour  plaire  à  la  femme  la  mieux  aimée. 
Parée  des  couleurs  les  plus  tendres  et  les  plus  seyantes  ; 
ornée  de  médaillons  où  les  plus  grands  artistes  se  plaisent 
à  déployer  leur  talent;  décorée  selon  des  imaginations  à 
l'infini  qui  résument  toute  la  période  d'art  et  qui,  par  la 
matière,  la  forme,  la  composition,  le  dessin,  la  peinture,  la 
monture,  affirment  l'étonnante  habileté,  le  génie  même  des 
ouvriers  du  siècle  ,  la  Porcelaine  —  et  c'est  du  sèvres  bien 
sur  qu'il  s'agit  —  porte  en  soi  la  lumière,  elle  éclaire 
comme  d'une  puissance  interne  tout  ce  qui  l'approche, 
elle  éblouit  par  un  éclat  qui  lui  est  propre;  elle  ne  supporte 
point  de  voisinage,  elle  écrase  tout  du  luxe  de  ses  ors,  du 


VITRINE 
Cabarets  à  fond  rose  Du  Barry  et  à  semis  Pompadour,  jardinières,  bols,  cafetière  et  tasses  fond  bleu  turquin,  tasses  diverses  à  fonds  de  couleur 

(Collection  Chappey) 


LES    ARTS 


VASE   ÉVENTAIL 

Décor  de  rincfiaux  d'or 
réserve   do    médaillons    paysages 
Ancienne  pfite  dure  de  Sèvres 


JAHDIMKRK 

Fond  l)lcu  tnrti«oise  à  réserve  de  médaillons 
d'après  'réniers 
Ancienne  pAlo  t<'ndre  de  Sèvres 
(Cottevtinn  Chappeyj 


VAhK   h\  KM.XII. 

Décor  de  rinceaux  d'or 
réserve  de  médaillons  p;iysage3 
Ancienne  piMc  dnrc  de  Sèvres 


brillant  de  ses  fleurs,  de  la  splendeur  de  son  décor,  de  l'har- 
monie de  ses  tons,  surtout,  par-dessus  tout,  de  la  crème  ini- 
mitable de  sa  matière  translucide.  Telle  elle  est  qu'il  est 
impossible  de  la  méconnaître,  quelque  masque  qu'elle  mette, 
quelque  vêtement  qu'elle  revête,  quelque  travestissement 
dont  elle  se  couvre.  Elle  prend  son  bien  où  il  lui  plaît  et 
s'amuse  à  des  imitations;  mais  les  modèles  qu'elle  a  copiés, 
elle  les  transforme  et  les  sublime,  demeurant,  elle,  l'inimi- 
table. Elle  ne  se  contente  pas  de  régner  dans  les  salons  par 
SCS  vases,  ses  statuettes,  ses  cache-pots,  ses  jardinières,  ses 
fleurs,  elle  étend  sa  domination  sur  le  boudoir  par  ses  tcte- 


à-téte,  ses  solitaires  et  ses  trembleuscs,  sur  la  salle  à  man- 
ger, où  la  vaisselle  plate  lui  rend  la  place  pour  le  dessert  et  le 
café  ;  sur  le  cabinet  de  toilette,  où  elle  fournit  les  pots  à  eau, 
les  pots  à  onguent,  les  boites  à  mouches,  les  pots  à  fard, 
tous  les  accessoires  de  la  toilette,  jusqu'aux  plus  intimes  et 
aux  plus  secrets;  elle  s'insinue  partout,  et  partout  elle  porte, 
avec  la  grâce  dont  il  semble  qu'elle  soit  pétrie,  une  sorte 
de  solidité  et  d'assurance  qui  est  propre  à  elle  seule. 

Cette  impression  qu'elle  donne,  alors  que  le  moindre 
choc  sufhrait  à  la  briser,  est  comme  une  vertu  de  race  qui 
tient   à    la   perfection    de   la    mise  en    oeuvre.    Ses    ors    ne 


CACIIIM'OT 

Fond  vert  pomme  k  réserve  de  médaillons 
Sujets  militaires  par  Morin 


JAnoiMliRE 

r'ond  vert  pomme  à  réserve  de  mi'daillons  fleurs  et  fruits 
Contenant  un  bouquet  de  fleurs  de  Sèvres  décorées  au  naturel 
(Collection  Chappcyi 


t:Ar.n!î-P0T 
Fond  vert  pomme  à  réserve  de  médaillons 
Sujets  militaires  par  Moria 


LA    PORCELAINE  DE  SÈVRES.  —   COLLECTION  CHAPPEY 


^ 


VITRINK 

Vases,  ciibareis,  tasses,  trcmbleuses,  hanaps,  salières,  bourdalou  à  décors  variés  sur  fond  blanc  et  fonds  de  couleurs 

Ancienne  pâte  tendre  de    Sèvres 
I  Collection  Chappey)  . 


CACHE-POT  DE  FORME  CONTOURNI-:E 

Fond  blanc  à  décor  de  guirlandes  de  fleurs 
au  chiffre  de  M'"»  Du  Barry 


JAUIUMI.KI:    Ul.    IoILML    ijL  Al>l;ll.i.t|;l    I 

Fond  de  vannerie,  entourage  de  Heurs  de  lis, 
ornée  d'un  bouquet  de  lleurs  de  Sèvres  décorées  au  naturel 

(Collection  Chappeyf 


cAcuii-i'oT  ni-;  i-'oiniE  coM'.li:    i  i 
Fond  blanc  à  décor  de  guirlandes  de  Heurs 
au  chiffre  de  M""  Du  liarry 


sont   point    des 
ors   étendus    et 
lavés    sous   qui 
l'on     sent     le 
blanc  qui  repa- 
rait ;  ce  sont  des 
ors  de  métal;  ils 
ont  la  robus- 
tesse et  le   gras 
du  ciselé,  ils  ont 
la    profondeur, 
l'unité    d'une 
matière  homo- 
gène. Ses  blancs 
—  parquel  éton- 
nant mi  racle!  — 
nepapillotentni 
ne  se  bigarrent; 
ils  ne  se  nuisent 
ni  ne  luttent  les 
uns   contre    les 
autres;    ils    se 
prêtent  à    tous 
les  jeux,   aussi 
bien  à  suppor- 
ter toutes  les 
couleurs  et  les 
plus  vives  et  à 


leur  servir  de 
fonds,  qu'à  les 
faire  valoir  en 
en  recevant  eux- 
mêmes  un  éclat 
nouveau.  Sont- 
ils  blancs?  Sans 
doute  !  Et,  près 
des  autres 
blancs,  quelle 
puissance  ont- 
ils  pour  tout 
écraser  ?  Et, 
sur  CCS  blancs, 
voici  s'étendre 
la  gamme  des 
tons,  voici  ces 
roses,  ces  bleus, 
ces  verts,  ces 
jaunes,  voici  les 
bleus  profonds 
qui,  striés  ou 
vermicelésd'or, 
sont  comme 
des  pierres  pré- 
cieuses ;  voici 
ces  roses  de 
fleur,  ces  verts 


AIOUII'MIE  ET  SON    PLATEAU 

Fond  blanc  h  décor  de  guirlandes  de  fleurs 
Ancienne  p;Ue  tendre  de  Sèvres 
(Collection  Chappey) 


VITRINE 
Cabarets,  grand  plateau  en  Vincennes,  jardinière  à  décors  de  Téniers  sur  fond  bleu  turquin, 
plaque,  groupe  et  statuettes  décorés  au  naturel,  vases,  tasses,  jardinières,  décors  variés 

Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres 
(Collection  Chappey) 


10 


LES   ARTS 


pomme,  ces  Jaunes,   ces   incomparables  jaunes  par  qui  tout 
un  appartement  s'éclaire. 

Rien  d'égal  ni  de  comparable  au  monde,  rien  de  plus 
précieux,  car  rien  n'a  moins  résisté  à  ces  tempêtes  qui,  de 
1789  à  1900,  se  sont,  à  intervalles  si  rapprochés,  abattus  sur 
le  pays  qui  produisit  ces  merveilles.  A  chaque  révolution, 
à  chaque  émeute,  pillage,  sac  et  dévastation  des  palais,  des 
châteaux  et  des  hôtels.  La  première  joie  des  émeutiers,  c'est 
de  briser  ces  objets  fragiles  et  charmants.  On  les  jette  par  k-s 
fenêtres,  on  les  brise  à  coups  de  talon,  à  coups  de  sabre,  à 
coups  de  bâton.  N'est-ce  pas  un  jeu,  le  jeu  de  «  casse-pot  »,  et 
quelle  plus  belle  occasion  de  s'y  distraire  que  sur  les  sèvres 
royaux  I  Et  non  paschez  le  Roi  seul  ;  princes  et  ducs,  favorites 
et  fermiers  généraux,  les  gens  de  la  cour  qui  émigrent  et  les 
gensd'argent  qui  se  terrent  ont  aussi  leurs  porcelaines,  et  les 
détruire  est  un  plaisir  parce  qu'elles  sont  belles,  rares,  pré- 
cieuses et  enviables.  Les  emporter  compromettrait.  Il  y  a 
des  êtres  timorés  qui  charbonnent  sur  les  murs  des    «  Mort 


CIRAM»   VASK 

Fond  hlcu  de  loi  Ji  anses  de  tores  et  ilo  lanriers  et  cnlot  godronnr    doré 

Médaillons  :  Vénus  et  l'Amour,  par  Dodin,  et  bouquets  de  fleurs 

Ancienne  pite  tendre  de  Sevrés  (Haut.  :  0">43  sans  socle) 

i Ctiliection  Chappeyj 


VICMS    KT    1.  A.MOIfî 

Ancien  biscuit  de  Sèvres,  paie  tendre 
f CtUleclinn   Chappeyi 

aux  voleurs  1  »  et  qui  font  comme  ils  ont  dit;  mais  briser 
est  civique,  c'est  l'acte  généreux  dune  âme  violente  qui 
déleste  autant  les  tyrans  que  ce  qu'ils  louchent  ou  manient, 
qui  rejette  au  néant  avec  une  patriotique  horreur  tous  les 
gages  d'une  corruption  détestable.  Et  ainsi  disparaissent 
ces  divins  chefs-d'œuvre,  ceux-ci  parce  qu'ils  portent  des 
armoiries  proscrites,  ceux-là  parce  qu'ils  sont  chargés  d'un 
chiffre  détesté;  les  uns  parce  qu'ils  reproduisent  la  figure 
d'un  souverain,  les  autres  parce  qu'on  y  représenta  quelque 
victoire  de  la  tyrannie,  tous  parce  qu'ils  sont  beaux  et  que 
détruire  quelque  part  de  la  beauté,  guillotiner  des  statues, 
crever  des  tableaux,  mutiler  des  sculptures,  brûler  des 
monuments,  saccager  des  maisons  et  briser  des  porcelaines, 
est  l'acte  instinctif  par  lequel  la  populace  affirme  d'abord 
sa  liberté  reconquise  et  proclame  son  droit  à  vivre. 

Et  c'est  pourquoi  un  étonnement  vous  prend  lorsque 
l'on  visite  la  collection  formée  par  M.  Chappey.  Com- 
ment, au  prix  de  quelles  recherches,  de  quels  voyages  et  de 
quels  sacrifices  est-il  parvenu  à  réunir  un  pareil  ensemble? 
Certaines  manufactures  étrangères  ont,  à  bon  droit,  con- 
serve des  spécimens  des  objets  précieux  qu'elles  avaient 
fabriqués  et  ont  ainsi  constitué  des  musées  singulière- 
ment complets  et  intéressants  ;  mais,  à  Sèvres,  l'on  cher- 
cherait vainement,  dans  la  manufacture,  autre  chose  que 
des  moules  et  des  dessins  ;  dans  le  Musée  céramique,  l'on 
ramassa   à  de    médiocres    frais   toutes   les   poteries   à   pâte 


VITRINE 
Assiettes  et  tasses  à  décors  de  paysages,  devises,  marines,  etc.,  sur  fond  blanc  et  de  couleurs.  —  Vasque  armoriée 

Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres 
(Collection  Chappejr) 


LES    ARTS 


tendre,  à  pàtc  dure  opaque  et  à  pâte  dure  translucide, 
les  verres  et  les  émaux  de  tous  les  temps  et  de  tous  les 
pays;  terres  cuites,  poteries  tendres  lustrées,  vernissées  et 
émaillées,  faïences  fines,  grès  cérames,  porcelaine  dure  ou 
chinoise,  porcelaine  tendre  naturelle  et  artificielle,  verres 
incolores,  verres  colorés  dans  la  masse,  verres  colorés  par 
application  superficielle  de  couleurs  vitrifiables;  c'est  une 
encyclopédie,  aussi  défectueuse,  stérile  et  médiocre  qu'une 
encyclopédie  l'est  d'ordinaire.  D'après  le  plan  d'organisa- 
tion, tel  qu'il  avait  été  tracé  par  Brongniart  et  Riocreux,  le 


Musée  céramique  devait  renseigner  sur  tout,  c'est  pourquoi 
il  n'apprend  rien  et,  de  Sèvres  même,  moins  que  rien.  Si, 
grâce  aux  moules  subsistants,  les  biscuits  s'y  trouvent 
représentés,  la  porcelaine  tendre  n'y  parait  qu'en  forme 
dérisoire  :  quatorze  pièces  des  plus  médiocres  de  porce- 
laine blanche,  douze  pièces  en  fonds  divers  dont  plusieurs 
manquées,  trente-deux  pièces  décorées,  la  plupart  incom- 
plètes, non  terminées,  postérieures  à  1800  :  assiettes,  tasses 
sans  soucoupes,  cuvettes  sans  aiguières,  pots  à  pommade  ou 
coquetiers,  c'est  le  déplorable  bilan  de  ce  que   possédait  le 


V  nui. NE 
Pièces  de  forme  :  soupière,  aiguière,  plateau,  jardinières,  caclie-pots,  assieUes  et  tasses  à  décors  varies  sur  foud  vert  pomme  et  autres  pièces  de  dillereuls  décors 

Aucicnae  pftte  tendre  de  Sèvres 
(Coilection  Chappey) 


Musée  céramique  au  moment  où  Brongniart  et  Riocreux  en 
ont  publié  la  description  méthodique.  Depuis  lors,  sauf 
quelques  legs,  presque  aucun  accroissement.  Cela  serait 
une  honte  de  plus  si  l'on  était  à  les  compter. 

Ailleurs   est-on    plus    heureux  ?   Au    musée    de    Cluny, 
où  est  conservée   une  collection  considérable  de  faïences, 


on  trouve  quelques  porcelaines  de  la  Chine,  pas  une  pièce 
de  Sèvres;  au  Louvre,  près  des  faïences  de  Henri  II  et 
de  Bernard  Palissy,  nulle  place  pour  le  sèvres.  Les  palais 
sont  plus  vides  encore  que  les  musées  :  dans  ceux-ci 
encore,  par  suite  de  legs  et  de  dons  particuliers,  pourra 
s'égarer  quelque  produit  de  la  Manufacture;  dans  ceux-là, 


LA    PORCELAINE    DE    SÈVRES.    —    COLLECTION   CHAPPEY 


VITRINE 

Assiettes  et  tasses  décors  variés  sur  fond  blanc  et  sur  fonds  de  couleur 

Ancienne  pAte  tendre  de  Sèvres 

(Collection  Cltjpycr) 


'4 


LES   ARTS 


où  rien  ne  subsiste  d'antérieur  à  Napoléon  I",  qui  les  a 
restaurés  et  lésa  remeublés  en  entier,  les  administrateurs 
se  sont  donné  pour  tâche  de  ne  rien  introduire  que  de 
contemporain  et  de  constamment  renouveler  par  de  pires 
horreurs  ce  qui  déjà  devait  passer  pour  le  sublime  dans  la 


laideur.  On  ne  nianque  donc  pas  d'y  rencontrer  quantité  de 
pièces  fabriquées  à  Sèvres  depuis  i8o5  jusqu'à  nos  jours. 
Certaines  des  anciennes  sont  belles  parce  qu'elles  fureiit 
exécutées  suivant  un  plan,  qu'elles  répondent  à  une  théorie 
artistique,  qu'elles  témoignent   d'un  effort,  au  triple  point 


VITRIM-: 

1.  —  Trois  grands  vases  et  dcuN  bri'ile-pariams  tond  bien  de  roi  à  décor  de  marines,  Amours  et  sujet  niytliologique.  Ancienne  p;Uc  tcndr<'  de  Sèvies 

2.  —  Série  de  tasses  avec  émaux  de  C.otteaux 
3  et  4.  —  Série  d'écuelles  ii  l'jnd  de  couleur  et  .à  décors  variés.  —  5.  —  Série  de  tassés  de  Ij  période  révolutionnaire  et  du  Directoire 

fCoUertinn    Chappcyj 


de  vue  de  la  matière  qui  est  la  porcelaine  dure,  de  la  forme 
qui  souvent  est  intéressante,  de  la  décoration  surtout,  où, 
malgré  des  essais  parfois  malencontreux,  il  est  impossible 
de  méconnaître  une  recherche  curieuse  de  fonds  nouveaux, 
une  application  ingénieuse  de  métaux  inusités,  une  habileté 


prodigieuse  de  la  miniature.  Cela  peut  déplaire,  mais  ne  peut 
se  confondre.  Cela  est  d'un  art  peu  sympathique,  mais  c'est 
un  art  officiel.  Ces  pièces,  —  celles  uniquement  qui  datent 
de  Napoléon  et  qui  se  rattachent  à  l'école  napoléonienne, — 
sont  dès  à  présent  intéressantes  ;    elles  le   seront  sûrement 


LA    PORCELAINE   DE   SEVRES.    —    COLI.ICTION  CUM'I'EY 


\  IT R I  N  E 

Assiettes  et  tasses  à  décors  variés  sur  fond  blanc  et  sur  londs  de  couleur 

Ancienne  pAie  tendre  de  Sèvres 

(Collection  Chappey) 


^ 


i6 


LES    ARTS 


davantage  dans  un 
siècle  ou  deux  ; 
elles  ont  eu  l'im- 
mense mérite  de 
maintenir  la  re- 
nommée de  la 
Manufacture  jus- 
qu'au moment  où 
la  fabrication  est 
tombée  à  la  bar- 
barie des  formes, 
des  couleurs  et 
même  des  ma- 
tières  ;  mais  elles 
ne  sauraient , 
d'une  façon  quel- 
conque, être  op- 
posées aux  pièces 
exécutéesàSèvres, 
enpàte  tendre, du- 
rant le  xv[n=  siècle 
à  peu  près  entier. 
Seules  pourtant 
ces  pièces  en  pâle 
dure  ont  trouvé 
place  dans  les  pa- 
laisqui  subsistent 
après  que  les  Tui- 
leries,Saint-Cloud 
et  Meudonont  été 
brûlés,  puisque  le 
principe,  en  ma- 
tière de  mobilier 
national ,  est  d'u- 
tiliser ce  qu'on 
fabrique   dans  les 


OHAND  VASE  FORME)  OVALE 

Fond  bleu  do  roi.  —  I.i's  aoscs  formées  par  des  serpents  fi^iiranl  le  bronze  doré 
fCollcclion  Chappeyt 

manufactures    nationales    et  de  ne   rien 


acheter  qui  soit 
ancien.  Devant  le 
Bot  montant  des 
hideurs  invenda- 
bles de  l'Art  nou- 
veau, qu'il  faudra 
bien  quelque  jour 
caser  dans  les  pa- 
lais,  les  pièces 
anciennes  —  celles 
qui  ne  sont  que 
fêlées  —  disparai- 
1 1"  o  n  t  quelque 
jour.  On  les  ven- 
dra à  l'une  de  ces 
ventes  du  Do- 
maine dont  les 
amis  sont  infor- 
mes. La  France, 
admirable  pro- 
ductrice d'art,  en 
est  la  plus  détes- 
table conserva- 
trice. 

En  France,  cer- 
tains particuliers 
ont  réuni  des  por- 
celainesde  Sèvres. 
On  en  cite  quatre 
ou  cinq  :  MM.  de 
Rothschild  et  Ma- 
demoiselleGrand- 
jean,  pour  ne 
nommer  que  ceux 
qui  exposèrent  en 
1889  ou  en   1900.  Ce  fut  un  émerveillement  de  voir  trente 


;  .imiùi>'  îSbîi  Ai»  .'Jl^?la!s!.. 


T^aKassm 


^^' 


incdii 


i'r..\.\Mii:\c 
Foud  vert  pomme  a  réserve  de 
sur  fond  blanc 
Monture  bron/.o  ciselé  et  doré,  Heurs  et  fruits 
Epoque  Louis  XVI 


coM'M  ri:i(ii:ii 
Bord  bluu  turquin  à  guirlandes  de  (leurs  sur  fond  blanc 
Ancienne  pâte  tendre  <lc  Sèvres 
(Collection  Chappcy) 


FLAMBEAU 


Food  vert  poiiinie  à  ré-^erve  de  niédiiillons 

sur  fond  blanc 

Monture  bronze  ciselé  et  doré,  fleurs  et  fruits 

Époque  Louis  XVI 


LA  PORCELAINE  DE  SEVRES.  -  COLLECTION  CHAPPEY 


'7 


VITRINE 

Collection  d'assiettes  et  do  tasses  à  décors  variés  sur  fond  bleu  de  roi 

Ancienne  pAte  tendre  de  Sèvres 

(Collection  Chappej-J 


ou  quarante  objets  appartenant  au  même  propriétaire,  et 
Ton  trouva  que,  depuis  le  dispersement  de  la  collection 
Double,  on  n'avait  jamais  eu  occasion  d'admirer  à  Paris 
tant  de  beautés  ensemble.  Puisque  c'étaient  là  les  collec- 
tions  les  plus  réputées,    qu'on   juge  des  autres  ! 

Hors  de  France,  il  est  en  Europe  de  belles  porcelaines 
de  Sèvres.  Le  roi  George  IV,  lorsqu'il  n'était  encore  que 
prince  de  Galles  et  régent,  avait,  au  nombre  des  officiers  de 
sa  maison,  un  certain  Benoit,  homme  actif,  aventureux, 
qui,  malgré  la  guerre,  entreprenait  de  fréquents  voyages 
en  France  et  en  rapportait  à  chaque  fois  quantité  de 
porcelaines.  On  n'y  risquait  rien  en  effet.  La  Convention, 
pour  mieux  assurer  le  débit  des  objets  qu'elle  avait  volés, 
avait  levé  les  droits  de  douane.  C'est  ainsi  que  du  mobilier 
des  châteaux  royaux  et  princiers,  du  mobilier  des  gens  de 
cour  et  des  gens  d'église,  du  mobilier  des  fermiers  et  des 
receveurs  généraux,  la  plus  grande  partie  est  passée  en  Angle- 
terre. C'est  ainsi  qu'il  faut  aller  en  Angleterre,  chez  le  mar- 
quis d'Abercorn,  Th.  Baring,  le  duc  de  Cambridge,  le  duc 
de  Hamilton,  Robert  Holland,  D.  C.  Marjoribanks,  le  comte 
Spencer,  surtout  au  musée  Wallace,  pour  trouver  des  suites 
de  porcelaines  de  Sèvres  dignes  de  remarque.  A  Turin,  à 
Pétersbourg,  à  Stockholm,  à  Berh'n,  à  Copenhague,  à  Vienne, 
à  Lisbonne,  on  rencontre,  dans  les  palais  des  souverains,  des 
services  qui  attestent  la  magnificence  du  Roi  très  chrétien  ; 
on  en  peut  trouver  encore  chez  les  descendants  de  quelques 


ambassadeurs  accrédités  près  de  la  Cour  de  France,  tels  que 
le  duc  de  Bedford,  le  comte  de  Stahremberg,  le  duc  de 
Manchester,  mais  si  ce  sont  là  des  spécimens  sans  prix,  — 
tels  le  service  bleu  turquoise  et  le  service  rose  Pompadour 
du  palais  royal  de  Turin,  —  ils  ne  font  connaître  qu'un  état, 
admirable  à  la  vérité,  de  la  production  de  la  Manufacture, 
ils  n'en  révèlent  qu'une  époque,  ils  n'en  montrent  qu'un 
artiste  ;  ils  ne  donnent  aucune  idée  de  la  diversité  infinie 
des  modèles,  de  l'étonnante  variété  des  tons,  cfe  la  fécon- 
dité des  sculpteurs,  des  mouleurs,  des  décorateurs  et  des 
doreurs. 

La  collection  de  M.  Chappey,  au  contraire,  c'est  Sèvres 
même,  c'est  la  Manufacture  royale  depuis  les  jours  de  1-38, 
où  Orry  de  Fulvy  établit  à  Vincenncs  les  frères  Dubois, 
transfuges  de  la  manufacture  fondée  en  1695,0  Saint-Cloud, 
par  Chicanneau,  sous  les  auspices  du  duc  d'Orléans,  jus- 
qu'aux jours  de  1800,  où  Alexandre  Brongniart.  par  mépris 
pour  la  porcelaine  tendre,  non  seulement  en  abandonna 
la  fabrication,  mais  fit,  dit-on,  détruire  les  formules  de 
mélange,  en  telle  sorte  que  jamais,  depuis  lors,  on  n'arriva 
à  en  produire. 

Soixante-deux  années  donc.  —  Encore  n'en  faut-il  bien 
compter  qu'à  peine  cinquante,  car  le  privilège  obtenu  par 
Orry  de  Fulvy  «  pour  l'établissement  d'une  manufacture 
de  porcelaine,  façon  de  Saxe,  au  château  de  Vincennes  »,  ne 
date  que  de  1745,    le   transfert   de  la  manufacture,  devenue 


URUMÎ- PARFUMS 


fond  bleu  du  roi  à  réserve  de  doux  médailloDS  décorés  de  jeux  d'enfants  dans  des  paysages  sur  fond  blanc  ornés  do  guirlandes  de  Heurs  et  de  rinceaux  d'or 
Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres.  —  Décoré  par  Vieillard.  —  Lettre  D  (175C) .  —  Haut,  sans  socle  :  0"'24 

(ColUction  Chappey) 


V  I  T  U  1  N  E 
Cnche-pot  vunneric,  orne  de  bouquets  de  fleiirs  de  Sèvres,  cabaret,  plat  à  barbe,  tr>*mbleuscs,  vases  i  décors  variés 

Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres 
(Collection  Chappey) 


20 


LES    ARTS 


LA  GUERRE 

Ancien  biscuit  de  Sèvres 


Tini.i:rTK  i>r-:  vi*:vLs.  piMiiltili' 
Ancien  biscuit  de  Sevrés,  p;'de  tendre 
I  Collection  Chappeyl 


\.\    PAIX 

Ancien  biscuit  <le  Sevrés 


royale  (ijSS),  à  Sèvres,  dans  le  château  de  la  Diarme,  l'an- 
cienne maison  de  Lulli,  est  de  1756,  et,  à  partir  de  1791, 
l'activité  de  la  fabrication  se  ralentit  au  point  que  les  pièces 
dites  révolutionnaires,  en  pâte  tendre,  h  décors  républicains, 
sont,  sauf  quelques  biscuits,  pour  ainsi  dire  introuvables.  — 
Quarante-six  années,  à  dire  tout  à  fait  vrai,  dont  huit  pour 


"Vinccnnes  et  trente-huit  pour  Sèvres,  et  dans  ce  demi-siècle 
il  faut  encore  distini^ucr  deux  périodes  :  l'une  de  1745 
à  1765  OLi  l'on  fabrique  exclusivement  la  porcelaine  tendre, 
l'autre  de  1765  à  1791,  ou  si  l'on  veut  à  1800,  où  l'on  fabrique 
concurremment  la  porcelaine  tendre  et  la  porcelaine  dure.  A 
partir  de  1 800, Sèvres  ne  fabrique  plus  que  de  la  porcelaine  dure. 


Ancien  biscuit  de  Sèvres,  pAte  tendre 


Ancien  biscuit  de  Sèvres 
(Collection  Chappeyi 


\neien  biscuit  de  Sèvi'es,  pâte  tendre 


LA    PORCELAINE  DE  SÈVRES.   -   COLLECTION  CHAPPEY 


VITRINE 

Cache-pots,  écuelles,  aiguière  et  plateau,  hourdalou,  tasses  et  assiettes  à  décors  variés 

Ancienne  pâte  tendre  de  Vincennes  et  de  Sèvres 

(Collection  Chappejrj 


.iAninMi:Hr  ovAi.R 

I-"(ind  Itli'ti  tiir<|ilin,  dôcop  d'oiseaux 

dan«  dus  paysaj^es 

Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres 


l'OllTI-:-IlOl"Qi:ET   FOHMr:    IVENTAIL 

:in(l  IiliMi  tnr<|nin,  dt-cin-s  d'AnidUrs  et 

attributs  sur  fond  Itlanc 

Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres 

I  Collection  Ckafpey} 


JAHDIMHItK  nVALB 

luid  bleu  turquin,  dèeor  d'oivean? 

dans  <les  paysa;çes 

Ancienne  ])àle  tendre  de  Sèvres 


Ces  expressions  :  porcelaine  tendre  et  porcelaine  dure 
qui  re\:iennent  constamment  lorsqu'on  parle  de  Sèvres,  ont 
besoin  d'une  explication  :  «  La  porcelaine  à  pâte  tendre, 
terre  cuite  translucide  sans  kaolin,  à  glaçure  composée,  dit 
Auguste  Demmin,  est  une  faïence  translucide  à  la  lumière. 
Sa  cassure  est  blanche  et  son  émail  d'une  blancheur  pâteuse 
pareille  à  la  crème.  Elle  est  légère  et  douce  au  toucher, 
pareille  à  la  taïence.  Le  dessous  des  pieds  est  partout  émaillé 
puisque  la  porcelaine  tendre  est  cuite  suspendue  à  des  cro- 
chets de  fer,  tandis  que  la  porcelaine  dure  montre,  au-dessous 
des  pieds,  des  endroits  privés  d'émail  là  où  elle  était  posée 
dans  le  four.  Comme  l'émail  de  cette  poterie  n'est  qu'une 
espèce  de  vitrification  peu  dure,  sorte  de  vernis,  moins  dure 
ménie  que  l'émail  de  la  faïence  et  qui  se  cuit  à  peu  près  à  la 
même  température  que  le  vernis  ou  la  couverte  des  poteries 


vernissées,  on  peut  l'entamer  et  la  rayer  à  la  lime  et  au 
couteau  et  sa  pâte  se  gratte  aussi  facilement  sous  une  lame 
d'acier  que  celle  de  la  terre  cuiie...  La  porcelaine  de  pâte 
tendre  ne  peut  servir  à  la  cuisson  puisque  le  feu  la  lait 
éclater. 

«  La  terre  cuite  translucide  au  kaolin  et  à  glai;ure  kaoli- 
nique  ou  porcelaine  à  pdte  dure  est  proprement  du  grès 
rendu  transparent.  Elle  est  transparente  à  la  lumière;  sa 
cassure  est  dure  et  blanche  intérieurement  comme  le  sucre 
ou  l'albaire  rompu.  Elle  a  la  blancheur  du  lait;  au-dessous 
des  assiettes  et  autres  pièces,  le  bord  du  pied  est  dépoli  ou 
sans  émail.  Elle  est  généralement  plus  pesante  que  la  paie 
tendre  et  peut  au  besoin  servir  à  la  cuisson  puisqu'elle  sup- 
porte le  passage  du  froid  au  chaud.  » 

Pour    la    pâte    rnéme,    l'essentiel    est   que   la    porcelaine 


OKANDE  TASSI!   TnIMBLtUSE  A  c:orvi:ili:l 

Fond  œil-dc-penlrix  à  réserve  de  médaillons  pavsa; 


ges 


JAHI)IMl;UE   I-OIIMIC  i.otis  \\ 
or  de  fleurs  et  fruits  sur  i'oiul  blanc 


(illAMUC  TASSK    TKI-:.\I»LEL"SIC  A   IHIU VEHCl.E 

I-'otul  gros  bleu,  décoré  d'.\lnours  en  camaïeu  rose 


(Collection  Chappeyj 


LA  PORCELAINE    DE    SÈVRES. 


COLLECTION  CHAPPEY 


23 


CAKKrii-iliK,    SI't.KII-:».  <-.Hh\JIKIt 

Koiiil  jfros  bliîii  il  ivserv.'  «U*  im'-d  lillnns  tU>  lltMirs  cl  fniîls  sur  fo:ul  b!aoc 

Ancu-nni!   pîUf   trmlr.'    d«    St-vrcs 

t  Collection  Chapptyi 


tendre  a  ctd  ordinairement, el  selon  des  proportions  variables, 
composée  d'un  mélange  de  niirc,  de  sel  marin,  de  soude,  de 


gypse,  de  sable,  de  craie  blanche  ci  de    marne,   tandis    que 
la   porcelaine  dure  est  formée  de    kaolin  et    de   feldspath. 


VASK  pouTK-norijrFT 
Di'rnr  «II*   pcrsonnnjïi's  v\  pavsajîi's   sur  fnml  blaiir 
Ani'ii'iini»  pAti'  tt'iuht'  do  VÎiipimuh's 


rVFKTlKRR 

Fond  hb'ii  df  nn  «  diH*or  invlholofïi(|uo 

Aiicirnno  pAï»»  Irndn'  do  S«"'vr.'« 

(CùiUctiom  Ckmfpt^l 


v\«E  is^«Tr-ih\ro»*«fT 
Aarionm*  pAlt*  Irwirv  «Ir  Via 


24 


LES    ARTS 


La  découverte  faite  à  Saint-Yrieix,  en  1765,  sur  l'impulsion 
de  Monseigneur  d'Audibert  de  Lussan,  archcvéciue  de  Bor- 
deaux, et  par  les  soins  d'un  apothicaire  nommé  Villaris, 
d'un  immense  gisement  de  kaolin,  permit  à  la  France 
la  fabrication  de  la  pâte  dure,  mais  «  comme  l'émail  ou  la 
couverte  de  la  porcelaine  dure  ne  peut  être  mise  en  fusion 
convenable  pour  son  mariage  intime  avec  les  couleurs  du 
décor  qu'à  une  température  si  élevée  que  le  cobalt  seul 
résiste  tandis  que  les  autres  colorants  minéraux  disparaissent, 
il  devient  impossible  de  décorer  la  porcelaine  autrement  que 
sur  la  surface  et  à  couches  minces  par  des  couleurs  fondantes 
et  cuites  au  petit  feu  du  moufle  ».  Ces  couleurs  n'entrant 
presque  pas  dans  l'émail  ne  peuvent  avoir  ni  la  solidité,  ni 
l'épaisseur  nécessaires  ;  elles  manquent  de  gras  et  de  corps  ; 
la   touche   large   et   à   effet    devient  presque    impossible   et 


«  c'est  pourquoi  l'amateur  à  goût  artistique  préférera  tou- 
jours la  porcelaine  à  pâte  tendre  à  la  porcelaine  à  pâte  dure  ». 
A  ces  arguments  décisifs  présentés  par  Auguste  Demmin  en 
faveur  de  la  pâte  tendre,  on  a  ajouté  que,  par  une  étrange 
coïncidence,  la  Manufacture  commença  à  décliner  au  point 
de  vue  artistique,  vers  l'époque  où  elle  entreprit  la  fabri- 
cation de  la  pâte  dure.  On  ferait  alors  dater  cette  décadence 
de  1769,  époque  où  P.-J.  Macquer,  commissaire  du  Roi 
pour  la  chimie  à  la  Manufacture  de  Sèvres,  présenta  à 
l'Académie  des  Sciences  les  premières  pièces  de  porcelaine 
dure  fabriquées  avec  le  kaolin  de  Saint-Yrieix.  Ce  serait 
rendre  singulièrement  brève  l'existence  de  Sèvres  et  rien 
n'est  moins  conforme  à  la  réalité,  .lamais  la  Manufacture 
ne  jeta  autant  d'éclat  que  durant  les  cinq  dernières  années 
du    règne    de    Louis    XV-  et    les    douze  premières  du  règne 


LAMOUR   I)I-:SAH.MV; 


Anciens  bisciiils  de   Sèvres,  pAte  tendre 

(Collection  Chappey) 


L  AMOfn  r.u.vijris 


de   Louis  XVI,    et    ce   fut   son   succès    même,    son    succès 
mérité  et  incontesté,  qui  compromit  sa  prospérité. 

A  l'instar  de  la  Manufacture  royale,  quantité  de  manu- 
factures avaient  surgi  qui  toutes  échappaient  aux  lois  exis- 
tantes en  se  prévalant  de  la  protection  d'un  prince  du  sang  : 
Fabrique  de  Monsieur,  établie  à  Clignancourt  en  1773  par 
le  sieur  Deruelle  et  marquant  d'un  M  couronné;  manu- 
facture de  la  rue  Thiroux,  fondée  en  1777  par  le  sieur 
Lebœuf  et  honorée  de  la  protection  de  la  Reine  qui  donne 
pour  marque  un  A  couronné  et  permet  que  les  porcelaines 
qu'on  y  fabrique  soient  dénommées  porcelaines  à  la 
Reine;  manufacture  du  Pont-aux-Choux>où,  après  les  belles 


e  sieur  Mignon   se 


faïences  qui  en   ont  fait   la   réputation 

met  à  fabriquer  de  la  porcelaine  sous  le  patronage  du  duc 
d'Orléans  qui  donne  son  nom  à  la  manufacture  et  permet 
qu'elle  marque  de  son  chiffre  ;  manufacture  de  Sceaux 
dirigée  en  1772  par  le  sculpteur  Glot  sous  le  patronage  du 
duc  de  Penthièvre  et  marquant  de  l'ancre  de  grand  amiral  ; 
manufacture  du  faubourg  Saint-Denis,  dirigée  en  1779  par 
Bourdon-Desplanches  sous  le  patronage  du  comte  d'Artois 
e' marquant  du  CP  (Charles-Philippe)  couronné  ;  manufac- 
ture, enfin,  du  duc  d'Angoulème  —  il  n'y  a  plus  d'enfants 
pour  la  porcelaine  —  la  célèbre  manufacture  fondée  par  Dihl 
en  1780,  protégée  par  le  duc  d'Angoulème,  âgé  alors  de  cinq 


LA  PORCELAINE  DE  SEVRES.  —  COLLECTION  CHAPPEY 


25 


TASSIî   TUKMUI.ICUSI-; 

»iijets  d'attributs 


JARniMKItR  OVAI.R 

d<!cor  de  fleurs  et  fruits  sur  fond  blanc 

(Collection  Chappey) 


TAs<«e  thcmblecsb 
soJeU  d'i 


{torPIKRIt 

Fond  vert  poniinc  .î  dt^or«  de  Oeurs  ri  fmît» 
ADricDne  pAle  tendre  ilc  Swrv*» 


26 


LES    ARTS 


Décor  de  paysages  en  cainaicii  bleu  s:ir  r.ind  lilaiic 


ans  et  marquant 
au  LA(Louis-An- 
loine)  couronné. 
Chantilly,  à  la 
vérité,  a  fermé  ses 
portes  vers  1/85, 
mais,  rien  qu'à 
Paris,  voilà  six 
m  a  n  u  fa  c  t  u  r  e  s 
princières  aux- 
quelles s'adresse 
la  clientèle  qui  ja- 
dis allait  à  Sèvres 
et  qui,  mainte- 
nant, attirée  par 
la  nouveauté,  l'es- 
poir de  faire  la 
cour  à  la  Reine  et 
aux  princes,  la 
facilité  de  rencon- 
trer chez  les  mar- 
chands  de    Paris 


qui  sont  à  la  mode  les  «  objets  de  goût  »,  se  conienie  au  bon 
marché  de  ces  pièces  agréables,  décorées  de  semis  de  fleurs 
d'or  ou  de  couleur,    de  rubans  et    de  cartouches,    parfois 


de  figures  et  de 
paysages,  comme 
en  particulier  les 
produits  souvent 
excellentsdeDihl. 
Cela,  sans  nul 
doute,  est  singu- 
lièrement i  n  fé- 
rieur  au  Sèvres, 
cela  ne  tient  pas 
un  instant  à  côté, 
ni  pour  la  paie, 
ni  pour  le  décor, 
ni  pour  les  ors, 
surtout  pour  les 
ors,  mais  c'est  la 
mode,  mais  Sa 
Majesté  en  veut 
chez  elle,  mais 
Monsieur  en  fait 
ses  services,  mais 
M.  le  comte  d'Ar- 
tois ne  mange  ses  fruits  que  dans  la  porcelaine  et  chacun  des 
princes  tient  à  honneur  qu'on  dépense  bien  de  l'argent  à  sa  ma- 
nufacture et  que  chacun  trouve  que  Sèvres  n'est  rien  auprès. 


Décor  lie  piiys.Ég.'s  en  ciinaieu  bleu  sur  fou.l  bl.inc 


AK.i  ii.iti;  i.i   1-1. Al  i:\i 
Fond  vorl  iioinnic  n  i-éscrvo  de  médaillon  de  lluiirs  sur  fond  ))lanc 
Ancienne  pàtc  tendre  de  Sèvres 
'  CoUccUvn  Chappey) 


LA    PORCELAINE    DE    SÈVRES.    —    COLLECTION    CHAPPEY 


27 


SEii.ir.MnK 

KoihI  l'ose  Du  Hai-rv,  oriK-  dr  |iîiys;ij;<'s  animes  sur  fiiiiil  blanc 

Aufirnntî  |»jUt'  li'ndrir  di-  Si-vri's 

(Cnllttlinn  Chappei/I 


A  cette  concurrence  effrénde,  la  Manufacture  rovale 
oppose,  en  1784,  son  privilètje  et  fait  signifier  défense  aux 
fabricants  particuliers  d'employer  aucune  autre  couleur  que 
le  bleu  façon  de  Chine.  Vaine  tentative  :  les  fabricants  ont 
trouvé  des  protecteurs  si  iniluents,  et  la  faiblesse  du  Roi  est 


si  grande  que,  par  arrêt  du  Conseil  du  17  janvier  1787,105 
manufactures  de  la  Reine,  de  Monsieur,  de  M.  le  comie 
d'Artois  et  de  M.  le  duc  d'Angouième  se  trouvent  reconnues 
et  acquièrent  le  droit  de  tout  fabriquer  «  sauf  aucun  ouvrage 
à   fond   or,   ni   aucun  ouvrage  de  grand  prix    tels  que  les 


l'i.AMKi:  \r.  i)ii>iilnri>  t'i)  hrmi/i' 
UiM-m"  tlo  llciii's  L'I  lloiiivttos  sur  fond  blanc 


T1U  II  isr 
DiH-tM-  riliniiiji  sur  f,>n«l  liUur 
Aiirit'nno   pAlo  tliirv   tic    Si*vn^ 
ICotltrliom  Ckmfftj) 


Drcttr  de  llours  c4  Acurcttcs  Mir  kmà  Mi 


28 


LES   ARTS 


tableaux  de  porcelaine  et  les  ouvrages  et  sculpture,  soit 
vases,  figures,  groupes  excédant  i8  pouces  de  hauteur,  non 
compris  les  socles,  lesquels  demeureront  réservés  à  la  Manu- 
facture royale  de  porcelaine  de  France  exclusivement  à 
toute  autre.  » 

Les  lettres  patentes  de  1787  qui  consacrent  la  concur- 
rence, ne  reçurent  pas  plus  d'exécution  que  celles  de  84. 
Les  manufactures  princières,  même  celles  non  reconnues, 
n'en  continuèrent  pas  moins  à  fabriquer  toutes  les  pièces 
qui  étaient  de  vente,  laissant  à  Sèvres,  aux  termes  des  lettres 
patentes,  ce  qui  était  de  nul  usage.  Et  c'est  là,  tirée  des 
lettres  patentes  même,  l'explication  du  discrédit  où  Sèvres 
tombe  à  partir  de  1787  dans  le  public.  Il  ne  s'agit  plus  d'y 
fabriquer  des  produits  qui  plaisent  par  des  formes  élé- 
gantes, un    décor    gracieux,   une   exécution    parfaite,   mais 


des  œuvres  dont  la  matière  agrée  aux  chimistes  qui  la 
traiterlt,  et  soit  curieuse,  rare,  peut-être  intéressante  pour 
les  professionnels  :  par  contre,  elle  ne  l'est  nullement  pour 
les  femmes  qui  s'étaient  éprises  du  sèvres  et  en  avaient 
fait  la  fortune.  Mais,  de  cela  qui  prend  souci?Sèvres  est  une 
administration  d'Etat,  Sèvres  dédaigne  le  public.  Qu'importe 
son  goiit  à  ce  public?  11  ne  veut  point  de  Sèvres,  mais  il  le 
paiera  tout  de  même  ;  il  le  paiera  grâce  au  recors  et  au 
garnisairc.  Sèvres  n'est  point  même  une  administration, 
c'est  une  institution  !  Critiquer  Sèvres  est  un  acte  d'oppo- 
sition blâmable,  un  acte  dont  le  patriotisme  demande  compte, 
comme  si  la  patrie  tenait  dans  un  bourdalou  ou  un  coque- 
tier !  A  Sèvres,  à  l'aide  de  ces  matières  nouvelles,  on 
fabrique  des  vases  de  plus  en  plus  grands,  des  plaques  dont 
on  couvre  les  meubles  et  les  carrosses,  et  sur  lesquelles  on 


Décor  de  rinceaux,  cannelures  et  torsades  dorés  simulant  le  bron/.c,  à  réserve  de 

Ancienne  pAtc  dure  de  Sèvres 
{ CoUectinn  Chappey) 


médaillons  à  sujets  mythologiques 


copie  des  tableaux,  paysages,  scènes  de  chasse,  batailles, 
sujets  de  sainteté.  A  Sèvres,  on  n'exécute  plus,  pour  le  plaisir 
de  ceux  qui  achètent  avec  leur  argent,  des  objets  d'usage  ou 
d'ornement,  mais  on  produit  des  objets  de  magnificence,  qui 
ne  peuvent  trouver  place  que  dans  des  palais,  qui  étonnent 
par  leur  matière  et  leur  masse,  la  minutie  de  leur  décoration 
médiocre  et  l'application  désordonnée  de  métaux  inusités, 
brillants  au  début,  mais  si  vite  tournés  au  noir.  Ainsi  fait-on 
dévier  l'ornementation  de  la  porcelaine  comme  l'utilisation  ; 
amsi  s'efforce-t-on,  par  une  conceptioiî  mégalomane,  à  pro- 


duire des  objets  qui  semblent  un  défi  au  sens  pratique 
et  passe-t-on  des  vases  de  soixante-dix  centimètres  aux  vases 
d'un  mètre,  de  ceux-ci  aux  vases  d'un  mètre  cinquante, 
pour  arriver,  après  quatre-vingts  ans  d'efforts,  au  vase  dit 
«  de  Neptune  »,  de  trois  mètres  quinze  de  hauteur  et  d'un 
mètre  dix-sept  de  diamètre. 

De  ces  choses  à  celles  que  la  Manufacture  mettait  naguère 
au  jour,  nulle  comparaison.  Le  nom  seul  leur  est  commun, 
et  le  souvenir  des  beautés  disparues  dissimule  seul  l'horreur 
de  la  laideur  présente.   Cette  laideur,  et  c'est   là    une   des 


VAsi:s  A  KKux  ANsiis.  —  Kpoiftic  Dirccloïpo 

Dtri'iiratiiiii  <l(t  riitccuiix 

niécluilluiis  ut  (leurs  sur  l'oiul  jaune 


HLT.KIKII    KllKUl-:  OVAI.K 

Fond  hieii  tiirqiiîn  ii  réserve  de 
inédailloiis  iliiiseaiix  et  fetiilhigcH  sur  fiind  Idaiir 

f  Collection  Chappey) 


VASK  A  DKL'X  A?fftKs.  —  Époqoc  Dtrectutrr 

DiT4*rali<>n  fl<-  rînr«-jiu\ 
Uh^lailkm!*  df  fli-un»  >nr  ft'iid  biru 


caractcrisiiques  encore  de  la  manufaclurc  d'État,  est  toute 
d'inutile  el  oiseuse  splendeur,  dédait;ne  de  parti  pris  tout 
ce  qui  est  ou  serait  pratique  ;  recherche  le  monumental  pour 
aboutir  au  monstrueux  el,  lorsqu'elle  manque,  le  monstrueux 
atteint  à  coup  sûr  le  grotesque.   Sous  Louis-Philippe,  par 


une  suite  des  traditions  de  Fontaine,  un  exécutait  encore  à 
Sèvres  des  services  pour  les  châteaux  où  l'un  se  coniraignail 
à  suivre  les  bons  modèles  ;  il  tallut,  sous  le  second  Empire, 
rinitiative  d'un  prince  qui  avait  à  un  haut  degré  le  goûi  des 
arts  pour  qu'on  créai  pour  lui  un  service  de  table  genre 


SM.ICItK    A    THOIS    CHvnKS 

Fend  hliinr  il  rulians  Iden  lun|Uuise 


l»I  AT  A  itAHiir:  ^ 

Sonùs  do  (leurs  >ur  fond  Idaitr 
Aiirienno  porrelniito  tendre  «le  Seviv» 
i  VoUtçtiom  Ckmf^jft 


»ur  I(hnI  bluK 


3o 


LES  ARTS 


antique,  qui  fut  en  son  genre  une 
curiosité  intéressante  ;  pour  les  palais 
impériaux,  l'on  se  contenta  du  blanc 
avec  des  chiffres  en  or  ;  pour  les  pré- 
sents, l'on  eut  des  services  qu'on  dirait 
aujourd'hui,  n'éiait  la  marque,  achetés 
chez  un  porcelainier  de  province  et 
décorés  par  des  débutantes  d'une  école 
municipale  de  dessin. 

11  est  vrai  qu'aux  prix  qu'ils  étaient 
facturés  à  l'État,  ils  auraient  pu  être 
de  vaisselle  plate. 

Quant  à  l'époque  présente,  il  est 
infiniment  préférable  de  n'en  point 
parler. 


Jadis,  l'art  suprême  allait  à  ce  qui 
était  de  la  décoration  pratique  :  chacun 
pour  ainsi  dire  des  objets  dont  l'image 
est  reproduite  ici  atteste  une  série  de 
pièces  analogues  constituant  un  en- 
semble d'usage,  tantôt  de  cinq  pièces 
comme  certains  téte-à-téte,  tantôt  de 
dix  pièces  comme  certains  services 
à  café,  tantôt  de  cent  pièces  et  plus 
comme  certains  services  à  dessert.  Les 
cent  huit  assiettes  toutes  différentes 
de  la  collection  Chappey  évoquent 
cent  huit  différents  services  à  dessert, 
et  l'on  peut  prendre  l'idée  de  ce  qu'ils 
étaient,  au  double  point  de  vue  du 
nombre  et  de  la  qualité  des  grandes  pièces,  par  celles  du 
service  de  Madame  Du  Barry.  Tout  ce  qu'on  fabriquait  alors, 


GROUPE  D  K.\KA>'TS  .MUSICIKXS 

Déi'or  au  naturel 
Aneicnue  pâte   tendre  de   Sèvres 

(Collection  Choppey) 


pondent  à   aucune 
société,   affirment 


sauf  peut-être  les  vases,  était  de  la 
décoration  d'usage,  et,  pour  s'en  assu- 
rer, les  témoignages  ne  manquent  pas, 
ni  les  documents.  C'était  pour  parer  la 
salle  du  repas,  ces  cache-pots  avec 
bouquets  de  fleurs,  ces  vases  minus- 
cules, ces  groupes  de  biscuits  et  de 
porcelaine  peinte,  c'était  pour  manger 
et  pour  boire  ces  assiettes,  ces  théières, 
ces  cafetières,  ces  pots  à  crème,  ces 
salières,  ces  confituriers,  ces  rafrai- 
chissoirs,  ces  marronniers,  ces  écuelles 
à  bouillon,  ces  sucriers  pour  le  sucre 
en  poudre,  ces  coquetiers,  ces  sou- 
pières; et  les  cuvettes,  les  aiguières,  les 
pots  à  poudre  et  à  fard,  les  encriers, 
les  cassolettes,  les  flambeaux,  les  plats 
à  barbe,  les  bourdalous,  c'est  la  vie 
même  qu'ils  évoquent,  c'est  le  détail 
de  la  vie  auquel  ils  servaient. 

Ils  s'y  sont  adaptés,  ils  ont  été  faits 
pour  elle  ;  ils  en  représentent  à  la  fois 
les  habitudes  et  les  goûts;  ils  en  four- 
nissent les  préférences  et  en  tradui- 
sent les  manies;  ils  attestent  des  per- 
sonnalités et  ce  sont  les  gestes  dont 
on  les  prenait  il  y  a  deux  siècles  qui 
s'imposent  à  qui  prétend  les  toucher. 
Tandis  que  les  objets  sortis  depuis 
cent  ans  de  Sèvres  sont,  à  peu  d'excep- 
tions près,  des  pièces  de  musée,  imper- 
sonnelles et  glacées,  qui,  n'ayant 
aucune  utilité  pratique,  ne  corres- 
civilisation,  ne  se  rattachent  à  aucune 
seulement    le  bon   ou   le    mauvais    goiit 


IIANAI' 

Fond  vert  avec  médaillon  do  fleurs 
Ancienne  pslte  tendre  de  Sèvres 


IIANAP 

Fond  noir  avec  décor  de  Cliinois 

Ancienne  pâte  dure  do  Sèvres 

(Collection  Chappey) 


IIANAI' 

Fond  bleu  tur([uin  à  sujet  mythologique 
Ancienne  pâte  tendre  de  Sèvres 


LA    PORCELAINE    DE    SEVRES. 


COLLECTION    CHAPPEY 


Fond  lie  (le  vin,  (h'cnr  «lo  fleurs  et  IViiils 
Ancicnno  pilto  tendre  de  Sèvres 


MAnnON.MKRK  AJOI'RKR 

Sinitilai;t  la  vannerie  à  <l<!>cnrs  do  rtihann  hlous  et  ruses  CDlrelacéff 

Ancienno  pàlo  tendre  de  Sëvrcs 

(Collection  Chappeyi 


FoDil  blco,  déror  de  fleurs  «t  fmîls 
ADcienae  pAte  tendre  de  Serrée 


TIIKIKRR    Oni.-ni:-l'KHDIUX 

Fond  l>leu  de  roi  à  réservi'  de  nit'>dtiilli>ns 
paysage  sur  l'ontl  lilant; 


CACIIK-POT   POn\li:    . M'^-'i      \ 
Fond  Meit  tiirqiiuUo  à  réserve  île  inedailloit?*  d  Aiiiourn 
-  sur  fund  blanc 
(Coltectlnn   Chappeyi 


CAPBTIIIIIK 

Food  bleu  lurquoi»o  à  réserve  do  inodailltM» 
sujet  mvthulogiquc  sur  fond  blanc 


VASK   KOUMI-:    Tri.ll'K 

Fond    iileu     liirtiuoise 

Di'Ciir  de   lleurs  et  frutls 

sur  fond  blanc 


POT  A  CHKMK 

FoihI  blanc 
A  décors  do  Hours  et  arabesque» 


STATIKTTK 

Ancionno  |M)rci*laino  de  Sevrr's 
décon'e  au  naturel 


POT  A  t:HK>IE 

DtTor  do  flours 
au  rhilTïv  de  M"*  Du  lUrrv 


TA«ft  rtmMK  VrUFB 
f*ttnd   blott    lui 
Dvn^r»  dr  ttour*  «t 
MIT  tomd  blaac 


32 


LES    ARTS 


d'art  —  le  mauvais 
bien  plutôt  —  des 
époques  traversées 
depuis  Napoléon  P^ 
ceux-là  sont  élo- 
quents autant  par 
leurs  décors  que  par 
leurs  formes  ;  ils 
suggèrent  un  temps, 
des  mœurs,  des 
luxes,  des  splen- 
deurs disparus;  ils 
évoquent  les  rois  et 
les  favorites,  les 
reines  et  les  princes, 
tout  ce  qui  fut  d'é- 
légance, de  joliesse 
et  de  grâce  en  ce 
demi-siècle  qui  fut 
la  grâce  même  ;  et 
c'est  pourquoi  leur 
collection  est  si  pré- 
cieuse :  précieuse 
par  la  rareté,  pré- 
cieuse par  la  ma- 
tière, précieuse  par 
la  décoration,  pré- 
cieuse avant  tout 
parce  qu'elle  est  la 
représentation  que  nul  homme  au  monde  ne  pourra  désor- 
mais réunir  aussi  complète,  de  l'art  le  plus  délicat  qui 
ait   été    cultivé   depuis    qu'il  existe   une  société  polie. 


Air.UIKKH 

Fond  gros  bleu,  d('*corée  de  paniers  do  (leurs 

Ancienne  pAtc  tendre  de  Sèvres 

(Collectlnii  Ckappey) 


On  sait  des  col- 
lectionneurs de  pa- 
pillons qui  payent 
très  chèrement  le 
butin  des  chasseurs 
qu'ils  engagent  tout 
exprès.  Ce  qu'ils 
achètent, ce  sontdes 
papillons  morts.  Ici, 
aussi  brillants, 
aussi  colorés,  plus 
beaux  et  plus  rares 
que  dans  la  nature, 
puisqu'ils  sont  des 
chefs-d'œuvre  hu- 
mains et  que  les 
hommesqui  les  pro- 
duisirent sont  morts 
depuis  deux  siècles, 
ces  papillons  de  por- 
celaine —  car  à  cela 
seulement  la  pâte 
tendre  de  Sèvres 
peut  se  comparer — 
ces  papillons  vivent; 
ils  sont  immortels 
malgré  leur  fragi- 
lité. Et  l'Art  qui 
leur  a  donné  l'être 
rend  célèbre  du  même  coup,  entre  les  noms  des  grands 
amateurs,  le  nom  de  celui  qui  aura  la  joie  de  les  posséder. 

FRÉDÉRIC  MASSON. 


AICUIHRE 

Fond  gros  bleu,  décorée  de  paniers  de  lU-iirs 

Ancienne  pAte  tendre  de  Sèvres 

(Collection  Chappey) 


J.VRDIMKHR 

M(''(IailIon  d)î  paysages  sur  fon<l  blanc 

à  semis  de  bleuets 

Ancienne  pâte  dure  do  Sèvres 


CAC.Illî-POT 

Fond  l)leii  Itirqnin  à  réserve  de  nu-daïllons  lleiirs  et  friiîls 

sur  fond  l)lanr.  — ■  Ancienne  ]>Ate  tendre  do  Sèvres 
i)rn(*i'  d'un  bou<[U('t  di*  fleurs  de  Sevrés  di'-corée  au  nalurt-l 
(Collection  Chappey) 


.i.\uniNTi:[{i: 
Médaillon  <lo  paysajçes  sur  fond  blanc 
à  sentis  de  bleuets 
Ancienne  ])àle  (hirc  de  Sèvres 


Directeur  :  M.  MANZI. 


Imprimerie  Manzi,  Joyant  &  G**,  AsniéreB. 


Le  Gérant  :  G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N"  39 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Mars  i90'> 


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CIM,-  Ihnuii.  Chmfiil    y  i:,t. 


ALEXANDRE  ROSLIN.  —  François  boicher,  premier  peintre  ou  roi 

(Musée  de  Versailles) 


«  LES  QUATRE  SAISONS  » 


ES  Quatre  Saisons  de  François  Boucher,  qui 
ont  appartenu  à  Madame  Ridgway,  comp- 
tent parmi  les  plus  intéressants  ensembles 
de  l'œuvre  du  maître.  Ces  toiles,  relative- 
ment petites, —  puisqu'ellesn'ont  que  o™56 
de  hauteur  sur  o^ja  de  largeur,  —  repré- 
sentent le  talent  de  Boucher  sous  ses  faces 
diverses  (scènes  pastorales,  scènes  de 
nymphes,  scènes  contemporaines)  et,  comme  elles  sont 
encore  de  sa  meilleure  époque,  on  peut  avec  profit  étudier 
tout  à  loisir  ces  œuvres  charmantes. 

Elles  ont  une  histoire  assez  complète,  telle  qu'il  est 
quelquefois  possible  d'en  constituer  pour  les  œuvres  impor- 
tantes de  cette  époque.  Datées  de  ijSS,  elles  étaient  desti- 
nées, à  l'origine,  à  décorer  une  pièce  élégante  de  dimensions 
moyennes,  qui  paraît  s'être  trouvée  dans  une  des  résidences 
de  Madame  de  Pompadour.  Les  gravures  contemporaines 
de  Daullé,  dédiées  «  à  Madame  la  marquise  de  Pompadour, 
dame  du  Palais  de  la  Reine  »,  portent  chacune  que  le 
tableau  original  appartient  à  Madame  de  Pompadour. 
Cependant  on  ne  retrouve  pas  les  toiles  sur  l'inventaire  des 
tableaux  de  la  marquise,  dressé  pour  sa  succession,  et  que 
j'ai  eu  occasion  de  publier. 

Elles  ont  dû  être  préalablement  retirées  par  son  frère, 
M.  de  Marigny,  à  qui  elles  ont  aussi  appartenu  :  en  effet,  en 
1782,  elles  sont  mentionnées  parmi  les  tableaux  mis  en  vente 
après  la  mort  de  l'ancien  Directeur  général  des  Bâtiments 
du  Roi.  Malgré  la  défaveur  où  était  tombé  Boucher,  aussitôt 
après  sa  mort,  elles  «  font  »  encore,  à  cette  vente,  i  ,402  livres. 
Il  est  plus  que  probable  qu'elles  avaient  été  commandées  à 
Boucher  par  la  marquise  elle-même,  qui  se  trouvait  en  rela- 
tions fréquentes  avec  lui. 

Le  catalogue  de  la  vente  du  marquis  de  Ménars  (Marigny) 
les  désigne  ainsi  :  «  Les  Saisons,  en  quatre  tableaux,  faisant 
pendant.  Ces  sujets  sont  connus  par  les  estampes  qu'en  a 
gravées  Daullé.  Deux  de  ces  tableaux  sont  des  pastorales; 
l'Été  y  est  représenté  par  un  bain  de  femmes,  et  l'Hiver  par 
une  dame  en  robe  bordée  de  poil,  assise  dans  un  traîneau 
poussé  par  un  Tartare.  T.  27  pouces  sur  20  de  haut.  » 

On  a  conservé  à  ces  toiles  les  noms  que  leur  donnent  les 
estampes  célèbres  de  Daullé.  Ce  sont  les  Charmes  du  Prin- 
temps, les  Plaisirs  de  l'Eté,  qui  appellent  une  observation 
anccdotique  intéressante,  les  Délices  de  l'Automne  et  les 
Amusements  de  l'Hiver.  Regardons-les  avec  attention  :  nous 
y  trouverons  le  maître  tout  entier. 

Les  Charmes  du  Printemps  sont  naturellement  une  pas- 
torale où,  dans  le  plus  fantaisiste  des  paysages,  s'encadrent 
les  plus  irréels  bergers.  La  toile  déborde  ;  pas  un  coin  qui  ne 
soit  pris;  mais  cette  abondance  met  toute  chose  à  sa  place  ; 
on  la  sent  née  d'une  imagination  d'artiste,  exubérante,  mais 
avisée.  Le  ciel  est  bleu,  les  arbres  clairs  ;  il  semble  tomber, 
des  branches  fleuries,  sur  le  couple  amoureux,  de  la  poudre 
blanche  parfumée. 


«  Elle  »  est  toute  mignonne  et  blonde,  sans  caractère, 
étendue  sur  le  gazon  et  appuyée  au  genou  de  l'ami,  qui  mêle 
des  pâquerettes  à  l'or  des  boucles  envolées.  La  lumière, 
franchement  diffuse,  baigne  de  son  onde  l'enfant  douce, 
habillée  de  jaune,  et  les  rayons  se  jouent  dans  les  luisantes 
cassures  de  l'étoffe.  Le  corsage  décolleté,  les  manches  bouf- 
fantes et  courtes,  laissent  voir  la  naissance  de  la  gorge  et  les 
bras  nus  d'une  exquise  blancheur.  Un  ruban  bleu  passé 
au  poignet  retient  un  panier  de  roses,  de  jasmins  et  de 
myosotis  ;  les  fleurs  s'échappent  et  jettent  sur  la  large  robe 
des  teintes  pâles  qui  en  rompent  le  ton  vif. 

Le  jeune  homme,  assis  sur  la  margelle  d'un  puits,  domine 
la  bergerette  et  se  penche  tendrement;  ses  mains  amou- 
reuses lui  tressent  une  couronne.  Son  profil  chifi'onné 
se  détache  sur  la  transparence  d'une  ombre  légère;  en  ses 
cheveux  frisés,  d'un  châtain  soutenu,  est  un  bouquet;  le 
ton  de  ses  vêtements  va  mourant,  du  manteau  de  satin  rose 
à  l'habit  lilas  et  aux  bas  de  soie  blanche. 

Tout  près  de  lui,  dans  la  pénombre,  une  écharpe  d'azur 
éclate;  un  tambour  de  basque  est  là  qui  contient  de  la 
lumière. 

Sur  des  Jonchées  de  fleurs,  une  chèvre  se  dresse,  la  tête 
seulement  dans  les  rayons;  une  autre  est  couchée  et  semble 
bêlante.  Un  buisson  de  roses,  à  droite,  fleurit  les  petits 
pieds  de  la  fillette.  Au  loin,  sur  un  fond  d'arbres  bleuté, 
se  dessinent  une  tour  ronde  et  un  pont,  sous  les  arches 
duquel  coule  un  ruisseau. 

Nous  sommes  en  plein  pays  de  convention  ;  le  rêve,  ici, 
semble  défier  la  nature;  mais  quel  doux  appel  de  couleurs 
rayonnantes,  quel  charme  de  jeunesse,  de  printemps  et  de 
gaieté  !  Comme  on  le  sent  dans  toute  sa  maîtrise,  le  peintre 
charmant  du  plaisir,  et  combien  il  est  souple  encore  ce 
pinceau  qui  va  bientôt  s'alourdir  ! 

Et  voici  l'Eté,  avec  sa  caresse  enveloppante  d'air  lumi- 
neux, avec  la  grâce  indiscrète  des  trois  baigneuses  dont  les 
corps  nus  s'offrent  blancs  et  savoureux. 

Ce  paysage  n'est  encore  qu'un  décor  voulu  par  l'artiste, 
et  d'une  invraisemblance  délicieuse.  Le  cadre  resserré  est 
comme  une  tonnelle  de  branches  fines,  sous  laquelle  entre 
à  flot  la  lumière;  les  chairs  roses  resplendissent  sous  la 
coulée  des  rayons.  Sur  l'azur  du  ciel  courent  de  floconneux 
nuages  d'or.  A  droite,  un  monstrueux  dauphin  de  pierre 
laisse  épancher,  de  ses  mâchoires  ouvertes,  l'eau  qui  s'écoule 
en  cascade  ;  l'onde  chantante  par-dessous  les  roseaux  vient 
tenter  les  baigneuses.  Elles  se  sont  dévêtues,  et  sur  un 
buisson  fleuri  se  voient  leurs  robes  éclatantes,  lilas,  jaune 
et  blanc  broché  d'or. 

Les  trois  femmes,  groupées  en  arc  de  cercle,  suivent  une 
ligne  du  paysage.  Toute  l'attention  se  porte  sur  la  plus  déli- 
cieuse, la  mieux  dessinée  et  la  plus  vivante. 

C'est  que  cette  adolescente  est  un  être  réel,  dont  le  por- 
trait fut  tant  de  fois  copié  avec  amour.  Nous  voyons  en 
elle   Murphy  ou  Morphise,   la  première  pensionnaire   du 


(I)  Depuis  trois  ans,  Us  Arts  ont  publié  beaucoup  d'œuvrcs  de  Boucher,  beaucoup  d'oeuvres  considérables,  beaucoup  d'intéressantes,  quelques-unes  tout  à  fait  hors  de  pair.  Nous 
avons  la  bonne  fortune  de  présenter  aujourd'hui  au  public  les  quatre  tableaux  achetés  par  M.  Eugène  Fischhof  à  la  vente  de  Madame  Ridgway.  Sans  pénétrer  sur  le  domaine  réservé 
a  notre  collaborateur,  M.  Pierre  de  Nolhac,  nous  voulons  remercier  ici  M.  iLugone  Fischhof  de  la  gracieuse  autorisation  qu'il  nous  a  donnée  de  reproduire  directement  ces  inléres- 
sanles  toiles  qui,  nous  voulons  l'espérer,  ne  sont  pas  définitivement  perdues  pour  les  amateurs  français. 


N.  D.  L.  D. 


LES   ARTS 


Parc-aux-Cerfs,  celle  qui,  à  quinze  ans,  fixa  le  caprice  de 
Louis  XV.  C'était  vers  la  fin  de  1752,  et  Boucher,  dont  elle 
était  le  modèle  favori,  passait  pour  avoir  présenté  au  Roi 
cette  jeune  beauté.  On  a  pu  la  retrouver  en  plusieurs  de  ses 
tableaux  de  cette  époque,  et  M.  E.  Lassaugue  vient  préci- 
sément, dans  l'Art,  d'écrire  son  histoire.  Un  tableau  de 
Besançon,  qu'il  a  ingénieusement  identifié,  est  l'étude  la  plus 
certaine  de  Murphyd'après  nature.  Et  nous  avons,  dans  les 
Plaisirs  de  l'Été,  la  même  tête  fine,  la  bouche  enfantine,  le 
petit  nez  relevé.  Les  cheveux  noirs  et  les  yeux  sombres,  la 
font  mystérieuse,  alors  que  son  air  ingénu  ajoute  à  son 
expression  un  piquant  étrange  et  inattendu. 

Elle  est  ici,  réveuse,assisesousun  arbre;  elle  n'a  point  ôlé 
sa  chemise,  mais  l'épaule  ronde  se  dégage  de  la  mousseline, 
ainsi  que  les  jambes  élégantes.  Sous  le  linon  qui  l'enve- 
loppe, se  devine  la  grâce  de  son  jeune  corps  si  joliment 
abandonné;  il  est  inondé  de  clarté  et  aussi  éblouissant  que 
celui  de  sa  compagne  étendue  n'je  à  ses  côtés. 

Est-ce  encore  Murphy  qu'il  faut  voir  en  celle-ci,  couchée 
sur  une  draperie  aux  teintes  pâles,  et  dont  une  jambe  plonge 
dans  l'eau?  Bien  plutôt,  ces  chairs  grasses  aux  touches  roses, 
aux  formes  amples,  le  profil  perdu,  rappellent  la  Minerve  du 
Jugement  de  Paris.  La  troisième  baigneuse,  moins  jolie,  se 
cache,  peut-être  pour  cela,  sous  les  roseaux.  De  ce  groupe 
féminin  émane  une  impression  de  volupté,  d'harmonie  et  de 
splendeur. 

Les  Délices  de  l' Automne  ne  nous  posent  aucun  pro- 
blème iconographique.  La  saison  nous  offre  son  riche  bou- 
quet de  couleurs,  éclatant  dans  la  lumière  d'or.  Partout  des 
fruits  et  des  fleurs;  la  nature  est  comme  surchargée  ;  les 
arbres  ploient  sous  le  feuillage,  l'air  est  lourd  et  bleuté 
comme  l'horizon. 

Ce  serait  le  paysage  banal  des  pastorales,  si  le  pinceau 
entraînant  du  maître  ne  jetait  de  la  joie,  par  de  larges  lou- 
ches. Pour  les  yeux,  pour  l'esprit,  c'est  une  lente  caresse, 
une  gentille  émotion  sans  secousse,  toute  la  poésie  d'une 
bouche  rose  qui  sourit. 

L'enfant  mièvre  et  blonde  est  pareille  à  tant  d'autres  de 
ses  petites  sœurs,  qui  naissent  lumineuses  du  cerveau  de 
Boucher.  Elle  est  moins  un  être  qu'un  motif  de  décor  char- 
mant, une  blanche  poupée  sans  âme  ;  mais  on  l'aime  cepen- 
dant d'être  si  irréelle,  si  blonde  et  si  menue. 

Sa  robe  de  satin  blanc  est  scintillante  et  ample  ;  elle  se 
relève  sur  un  jupon  de  soie  lilas,  et  dessous  paraissent, 
comme  deux  colombes  grises,  de  tout  petits  souliers  à  nœuds 
de  rubans.  Le  corsage  est  décolleté,  les  bras  sortent  des 
manches  de  linon;  des  roses  pâles  tombent  en  guirlande  de 
la  poitrine  à  la  taille;  un  étroit  chapeau,  entouré  d'un  galon 
rose,  se  tient,  comme  par  enchantement,  sur  le  côté  gauche 
de  la  tête,  une  petite  tête  ronde  et  fade,  délicieusement  jolie 
pourtant. 

L'amoureuse  est  assise  et  s'appuie  sur  l'épaule  du  jeune 
homme,  qui  est  à  genoux  à  ses  pieds.  Il  jette  dans  sa  jupe 
tous  les  raisins  de  ses  mains  pleines  ;  de  belles  grappes,  qui 
tachent  la  robe  blanche  de  grains  ambrés  et  rouges.  Un 
panier  enrubanné  est  posé  à  terre,  débordant  aussi  de  fruits 
vermeils.  Près  de  la  fillette  liliale,  le  garçon  paraît  plus 
hardi  ;  ses  grands  yeux  ravis  la  regardent.  Sa  veste  est 
rouge,  sa  culotte  bleue,  ses  bas  blancs  ;  le  large  chapeau  de 
feutre,  qui  couvrait  sa  tête  bouclée,  est  tombé  à  terre. 

Rien  au  fond  du  tableau  que  l'azur;  et  au-dessus  des  ber- 
gers, les  branches  qui  se  penchent  de  deux  arbres  enlacés.  A 
gauche,  des  troncs  renversés  semés  de  fleurs,  et  plus  loin, 
des  arbres  encore.  Et  le  tout  est  d'une  harmonie  colorée, 
d'une  verve  lumineuse  qui  nous  prend.  Le  meilleur  idéal  de 
Boucher  n'est-il  pas  dans  ses  paysages?  - 


Le  Printemps  fleuri  a  passé,  l'Été  et  ses  plaisirs  ont  suivi, 
puis  les  Délices  de  l'Automne  sont  venues;  et  enfin  voici 
l'Hiver  tout  blanc  de  givre,  sous  un  ciel  à  peine  rosé.  La 
lumière  est  exquise,  fondue  et  éparse  ;  elle  en  est  comme  un 
grand  rayon,  la  jolie  femme  assise  dans  un  traîneau  que 
pousse  un  vaillant  patineur. 

L'esquif  est  tout  doré,  d'un  mouvement  de  nacelle,  avec 
un  cygne  à  la  proue.  La  blonde  dame  se  repose  sur  des  cous- 
sins de  velours  vert.  Une  fourrure  retombe  de  ses  épaules 
découvertes  et  fait  délicieusement  ressortir  le  ton  nacré  des 
chairs  ;  une  autre,  autour  de  son  cou.  se  ferme  par  un  de  ces 
nœuds  Louis  XV,  si  coquets,  si  badins,  semés  comme  des 
fleurs  sur  les  grands  habits  de  soie.  L'ample  robe  est  de  satin 
blanc,  d'un  ton  plus  chaud  que  le  blanc  qui  l'entoure;  un 
manteau  rose  la  recouvre,  bouffant  à  larges  plis. 

Les  mains  seules  paraissent  frileuses,  elles  se  cachent 
dans  un  manchon  de  velours  fourré.  Les  petits  pieds, 
chaussés  d'adorables  sabots,  s'avancent  sur  le  coussin.  La 
fine  tête  ne  craint  pas  la  bise,  elle  n'est  coiffée  que  de  ses 
clairs  cheveux  poudrés  à  frimas,  retenus  par  des  perles  et  un 
ruban  bleu  qui  flotte  au  vent. 

Dans  un  gracieux  élan,  le  jeune  homme  pousse  le  traî- 
neau. Ce  n'est  nullement  un  serviteur,  ni  même  le  «  Tartare  » 
ducatalogue  de  M.  de  Marigny;  c'est  un  gentilhomme  qui 
s'amuse,  comme  la  belle  dame  qu'il  conduit.  Il  est  douillette- 
ment couvert.  Une  toque  de  fourrure  descend  bas  sur  le 
cou  ;  un  manteau  rouge  met  sa  couleur  éclatante  dans  cette 
ambiance  de  blanc  pur,  et  retombe  sur  un  habit  bleu.  Les 
mains  sont  gantées  de  blanc,  et  les  patins,  à  rubans  de  soie, 
se  recourbent  en  pointe  de  fer. 

La  neige  a  tout  recouvert  de  son  fin  duvet  ;  on  sent  le  sol 
moelleux  sous  son  tapis  éblouissant;  de  capricieuses  giran- 
doles sont  suspendues  aux  branches  mortes  des  arbres 
givrés,  et  un  moulin  abandonné  a  sa  roue  immobile  dans 
l'eau  congelée  du  courant. 

Pendant  ce  temps,  l'amoureux,  penché  sur  son  amou- 
reuse, lui  conte  de  bien  agréables  choses,  à  voir  l'air  attentif 
et  heureux  de  la  promeneuse  blanche.  Et  c'est  l'impression 
qui  demeure  de  ce  tableau  d'hiver;  Boucher  devait  mettre 
la  note  galante,  en  cette  représentation  d'un  des  plaisirs  les 
plus  goiîtés  par  la  mode  du  xviii«  siècle. 

Ces  sujets  des  Saisons,  d'un  motif  un  peu  monotone,  se 
prêtaient  cependant  à  l'harmonieuse  décoration  des  appar- 
tements aux  sculptures  fines  et  sans  surcharge  somptueuse, 
telles  que  l'imposait  l'architecture  de  Louis  XV.  Aussi  furent- 
ils  souvent  répétés.  Dans  ses  toiles  fameuses,  Lancret  notam- 
ment avait  développé  le  même  thème,  avec  une  plus  large 
mise  en  scène,  une  composition  plus  étendue  et  de  plus 
nombreux  personnages.  Le  tout  est  heureux  et  joliment 
maniéré;  mais  Boucher  de  si  loin  l'emporte  par  la  verve  de 
son  pinceau  et  les  tons  de  sa  palette! 

Lui-même  donna,  en  1/53,  pour  le  plafond  de  la  Salle 
du  Conseil,  à  Fontainebleau,  les  Quatre  Saisons  qui  devaient 
accompagner  le  Soleil  qui  chasse  la  Nuit.  Ses  Saisons,  cette 
fois,  n'étaient  que  des  enfants,  de  beaux  bambins  potelés 
roulant  dans  la  lumière,  sur  les  nuages,  sur  le  gazon...  Mais 
Boucher  est  d'abord  le  peintre  de  la  grâce  féminine,  le 
coloriste  des  chairs  de  femme,  l'évocateur  de  la  volupté,  le 
metteur  en  scène  de  la  fantaisie  amoureuse. 

C'est  là  surtout  qu'il  le  faut  chercher.  Factice  et  sincère 
à  la  fois,  il  croit  à  l'artificiel  de  son  siècle,  et  son  œuvre 
est  peut-être  la  réalité  d'une  illusion,  la  vérité  d'un  men- 
songe. Et,  pour  tout  le  plaisir  des  yeux  qu'il  nous  donne, 
comme  nous  lui  pardonnons  facilement  son  invraisemblance 
et  sa  convention! 

PIERRE    DE   NOLHA.C. 


THiiTYQUi;.  —  École  flamande,  commencement  du  xvi«  siocîe 


l'OUTHAIT   nu    l'KMMn 

Ecole  miluiuise,  (in  du  xv«  Biècle 
(Collection  Chabricre-ArUs) 


LA   COLLECTION 

CHABRIÈRE=ARLÈS 


APRÈS  avoir  étudié  longuement  ici  mcme,  la  série  si  importante  de 
meubles  du  xvi<=  siècle  que  M.  Chabrière-Arlès  avait  réunis  et  qui 
ont  lait  la  grande  célébrité  de  la  collection,  j'avais  réservé  les  tableaux, 
sculptures  et  objets  d'art  dont  il  avait  aimé  à  s'entourer  et  qui  étaient  le 
charme  de  ses  loisirs. 

Les  tableaux  sont  peu  nombreux,  mais  choisis  avec  un  goiit  très  sur;  il 
est  évident  que  les  œuvres  du  xv=  et  du  xvi=  siècle  étaient  les  préférées  et 
s'harmonisaient  d'ailleurs  plus  complètement  que  toutes  autres  avec  les  beaux 
meubles  qui  les  avoisinaient.  L'école  flamande  y  est  représentée  par  une 
charmante  Vierge  dont  le  visage,  d'un  ovale  si  pur,  se  profile  sur  un  délicat 
bnd  de  paysage;  puis  par  un  triptyque  oi.i  la  Vierge  allaitant  l'Entant  Jésus 
est  encadrée  par,le  portrait  du  donateur,  peint  sur  l'un  des  volets;  il  est  age- 
nouillé, les  mains  jointes  devant  son  livre  de  prières  ouvert  sur  son  prie- 
Dieu  et  accompagné  de  son  saint  protecteur;  sur  l'autre  volet  est  représenté 
un  personnage  debout,  vêtu  d'une  longue  robe  bordée  d'hermine  et  tenant  un 
livre  ouvert  à  la  main.  D'une  grande  limpidité  d'atmosphère,  le  paysage  avec 
ses  arbres  Ans  sur  un  ciel  léger,  ses  lointains  très  purs  et  ses  accidents  de 
terrain  assez  particuliers,  évoque  le  souvenir  des  paysages  des  maitres  ita- 
iens,  et  surtout  des  peintres  du  nord  de  l'Italie.  C'est  l'oeuvre  d'un  Flamand 
qui  avait  vu  la  terre  promise.  Ils  turent  si  nombreux  ceux  qui,  au  début  du 
xvi=  siècle,  en  firent  véritablement  la  conquête  artistique,  et  rentrés  dans  les 
brumes  du  nord  subjugués  par  le  charme  méridional,  ne  purent  jamais  se 
déprendre  complètement.  Gossaert  tut  de  ceux-là  et  ce  triptyque  rappelle 
assez  sa  manière. 

(i)  Voir  les  Arts,  n"s  22  et  23. 


LA    COLLECTION    CH ABRI E RE-ARLE S 


Un  de  cts  tondi  llorcntins,  dont  Miiinz  fit  autrefois 
l'ctudc,  riippcllcrii  à  nos  lecteurs  l'cL-uvrc  churmantc  et  ana- 
lof^ue  de  la  collection  Foule  que  nous  leur  finies  naguère 
connaitre.  (ladeaux  de  nuuiage  ou  cadeaux  de  relevailles, 
ils  sont  toujours  cliannanis  par  la  jolie  silhouette  des  archi- 
tectures et  la  j;race  des  personnaf^es. 

Un  portrait  de  femme,  dont  le  buste  se  présente  nu,  avec 
la  triomphante  beauté  de  chairs  toutes  pénétrées  de  soleil  et 
dorées  comme  un  fruit  imir,  nous  propose  réternelle  enifjme 


de  ce  sourire  indéfinissable  dont  Léonard  avait  su  éclairer 
ses  visages  de  femmes  avec  tant  de  subtilité  et  de  délicatesse. 
Convient-il  de  proposer  ici  le  nom  immortel  du  grand  maiire 
ou  celui  d'un  des  nombreux  Milanais  qui,  pénétrés  de  son 
style,  firent  tant  d'wuvres  où  son  caractère  est  reflété?  Il  ne 
faut  pas  oublier  que  l'homme  de  si  grand  goût  qui  s«  nommait 
Kugèiie  Pi(n  possédait  cette  it-uvre  remarquable  et  en  faisait 
le  plus  grand  cas. 

l'n   petit    diptyque  de   buis   i;uiilfe.  pciiyciiroiné  et   peint 


1.K  11(11  iikmS  D'ANJOU  KT  SA  KKM.MB  JBA^^K  DK  UVAI..  —  IViutiirv  t-uf  iMii».  —  Knilr  frunç»;»,  XT«  itirrlr 

(rotUclin*  ChubrUrt-Arlitl 


nous  a  laissé  les  traits  du  roi  René  d'Anjou  et  de  Jeanne 
de  Laval,  son  épouse.  Ils  se  présentent  exactement  comme 
dans  le  petit  diptyque  que  le  roi  René  avait  oti'ert  à  son 
dévoué  serviteur  .lean  de  Matheron  et  que  M.  Paul  Durieu 
contribua  jadis  à  faire  entrer  au  Musée  du  Louvre.  Le 
diptyque  du  Louvre  qu'on  a  attribué  à  Nicolas  Froment 
d'Avignon  est  cependant  d'un  dessin  plus  ferme  et  plus 
écrit  que  celui-ci,   bien    qu'il   soit  encore  très  inférieur  aux 


superbes  portraits  où  le  roi  René  et  sa  femme  paraissent  en 
donateurs  dans  le  célèbre  triptyque  du  Buisson  arJenl  de  la 
cathédrale  d'Aix. 


La  sculpture  n'est  représentée  que  par  un  seul  monument 
mais  d'une  importance  capitale.  C'est  une  figure  de  marbre, 
en  pied,  de  grandeur  demi-nature,  le  corps  vêtu  d'une  étoiïe 


10 


LES  ARTS 


ANGE.  —  Marbre  blanc.  —  École  lombarde,  xv=  siècle 
(Collection  Chabri'ere- Arles j 


LA    COLLECTION  CHABRIËRE- ARLES 


1 1 


II 


PLATEAU  DE  MARIAGE.  —  pkintiirk  sur  bois.  —  icoLS  florbntink,  xv«  siècle 

(Collection  Chabriire-Arlès  \ 


LES    ARTS 


iiorîi,(Kii':s  lîT  si'iiKHii;    —  XWonio  don'-.  —  xvi»  siècle 
(  Collection  Chabricre-A  ries) 


M 


i.iiMAXT  A  I.  ouTiiK.  _  BroQzc.  —  Italie,  xv]<'  siècle 


l'ANTiiiiHK.  —  Bronze.  —  lUUe,  xv»  siècle 
(Collection  Chabrière-Arlcs) 


siLkNH.  —  Uroûze.  —  Italie,  wi-^  siècle 


souple  lonihaiH 
en  plis  droits  et 
pressés  jusqu'aux 
pieds,  la  jambe 
gauche  deiiii-iuie, 
légèrement  ten- 
due en  avant.  Le 
visaged'unegràce 
toute  juvénile, 
avec  les  grands 
yeux  candides  et 
les  longs  cheveux 
bouclés  épandus 
sur  les  épaules, 
a  ce  charnie  am- 
bigu qu'on  re- 
trouve dans  tant 
de  figures  sem- 
blables du  quat- 
trocento italien, 
(^u'on  se  rappelle 
le  délicieux  page 


coFi-nK  i;\  NovKH.  —  Art  Iranrain.  —  \v(*  si'Tlo 
(Collection  Chahrlèie-AïUl) 


campi^  dans  un 
coin  du  grand  ta- 
bleau du  Borgo- 
gnone  à  la  Char- 
treuse de  Pavic. 
Ce  marbre,  d'une 
patine  chaude, 
tout  ambrée,  offre 
tous  les  carac- 
tères de  l'École 
lombarde  à  la  tin 
du  xv«  siècle.  Il 
rappelle  le  beau 
tabcrnacicdcposé 
au  musée  archéo- 
logique de  Milan 
et  qui  provient  de 
l'église  San  Tro- 
vaso;  les  deux 
groupes  d'anges 
qui  se  penchent 
vers   la    Vierge. 


NTI'HK  KX  VIRMKIl.  —  Art  llMuaild.  —  XVI*  Mccl*.  —   BIJOl'X  CT  MONTRE,  —   XVI*  >i««l« 

(CoU*elio»  Chatriirt-ÀrUt) 


ARTS 


aioiuicht:  kt  I'i-Vtkau  u'aicuikhr.  —  Faïence  de  Dcruta.  . 
I Collection  Chabricre-Arlcs) 


XVI»  siècle 


dans  un  mouvement  d'ardente  dévotion,  tout  en  conser- 
vant une  timide  et  respectueuse  retenue,  sont  très  proches 
par  le  style  de  la  figure  de  la  collection  Chabricre. 

Parmi  les  bronzes,  une  oeuvre  admirable  est  la  panthère 
de  l'ancienne  collection  Piot.  Marchant  la  gueule  ouverte  et 
le  fouet  dressé,  elle  est  traitée  avec  la  vérité,  la  rigueur  scien- 
tifique d'un  écor- 
ché.  C'est  merveille 
de  voir  la  con- 
scienceintelligente 
avec  laquelle  fut 
étudié  et  rendu  le 
jeu  des  m  lise  les 
sensible  sous  la 
peau.  Cette  pièce, 
d'une  fonte  splen- 
dide,  est  de  p'us 
d'une  patine  par- 
faite. Pas  la  moin- 
dre lourdeur,  pas 
le  plus  léger  em- 
pâtement; c'est  au 
contraire  surpre- 
nant de  vigueur  et 
de  nerf. —  Un  petit 
enfant  dont  le  pied 
nu  s'amuse  à  dé- 
gonfler une  outre, 
est  une  œuvre  ex- 
quiseduxvi=  siècle. 
Enfin, un  petit  per- 
sonnage ventru, 
tenant  d'une  main 


un  vase,  de  l'autre  une  coupe,  représente  sans  doute  un 
Silène.  Ce  petit  personnage,  les  cheveux  crépus,  la 
lèvre  ombrée  d'une  moustache,  a  un  type  si  particulier 
qu'on  ne  l'oublie  plus.  Un  semblable  se  trouve  dans 
a  collection  Martin  Le  Roy.  L'œuvre  est  attribuée  à 
Valerio  Chiolli  qui  se  serait   inspiré  du  nain  de  Cosme 

de  Médicis,  Mor- 
dante. 

Trois  belles 
é  p  é  e  s  sont  des 
types  remarqua- 
bles de  ce  qui  était 
alors  réputé  sortir 
desplusgrandsate- 
liers  d'armuriers  de 
l'Europe.  Celles- 
ci  sont  italiennes, 
si  l'on  en  juge  par 
le  décor  des  gardes; 
mais  les  formes 
étaient  à  peu  près 
semblables  aussi 
bien  en  Italie, qu'en 
France  ou  en  Alle- 
magne, depuis  le 
règne  de  Henri  II 
jusqu'à  la  fin  du 
règne  de  LouisXm. 
C'est  l'époque  des 
branches  multi- 
pliées, contour- 
nées, entrelacées, 
destinées   à  enve- 


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LES    ARTS 


LÉou.MiKR  ii>  vKRMEli..  —  Époque  de  Luuis  XV 
(Collection  Chabriére- Arles I 

lopper  la  main  comme  un  berceau.  Il  est  visible  même  que 
dans  l'une  de  celles-ci,  non  seulement  les  branches  de  gardes 
protègent    le   dessus   de    la   main,    mais    des   contre-garde 
viennent   en    dessous    prote'ger    les    doigts 
repliés    vers   la    paume.    La    première,    à 
gauche  de  notre  reproduction,  est  décorée 
en    incrustations    d'argent    de    mascarons 
d'où  partent  des  rinceaux   et  des  tiges    de 
fleurs  en  assez  tort  relief;  sur  la  lame  se 
lit  :    Rodrigue  Domingo.  L'épée    centrale, 
également  incrustée  d'argent,  porte  des  tètes 
d'anges    ailées,    au    milieu   de    beaux  rin- 
ceaux.   La   dernière,    la 
plus    riche    d'effet    avec 
ses  incrustations  d'or  et 
d'argent,  est  décorée,  sur 
toutes  les  branches  de  la 
garde,  d'une  sorte  de  péli- 
can  luttant  avec  un  ser- 
pent, motif  répété  sur  le 
quillon,    alternant    avec 
des    petits    personnages 
jouant  des  instruments  de 
musique.  —  Un  objet  de  métal  est  encore 
digne  de  retenir  notre  attention  :  c'est  un 
beau  lustre  de  cuivre,   tel   que  les  églises 
des  Flandres  en  possédaient  un  si   grand 
nombre,    où,  dans  une  sorte  de  lanterne 
surmontée  d'un  clocheton,  se  trouve  une 
Vierge    debout  ;    de    grandes    branches 
aux  souples   volutes   partent    de    la   base 
de  la    lanterne,  et    portent    à    leurs  extrémités    des    bobé- 
chons    à    pointes.  Ce  très    beau    lustre,    qui    sort  du  type 


ordinaire    si    vulgarisé,    appartint    autrefois    au     Lyonnais 
Carrand. 

.le  n'ai  point  à  parler  ici  des  beaux  cuivres  arabes,  ni  des 
deux  boites  en  ivoire,  qui  furent  prêtés  en  190^  à  l'Kxposition 
d'art  musulman;  il  en  a  été  parlé  dans  la  livraison  des  Arts 
d'avril  iQo3. 

D'une  petite  série  de  faïences  italiennes,  toutes  du  xvi=  siècle, 
e  ne  retiendrai   que  deux    pièces   d'une  qualité   tout  à  lait 
exceptionnelle,  un  plateau   et   une  aiguière  de 
Deruta,  aux  reflets  mordorés  d'un  éclat  superbe, 
légèrement    verdàtre    et    assourdi.    Le   plateau, 
décoré  de   compartiments  alternés  décorés   de 
feuilles  et    d'imbrications,  porte  en  son    centre 
un  profil  de  femme,  commec'est  l'habitude  dans 
les  plats  des  ateliers  de   Deruta.  Ce  beau  pla- 
teau, sur    le   mur  qu'il   décore,   harmonise    ses    reflets   avec 
ceux    de  quelques    beaux   plats   hispano-moresques. 


Une  petite  collection  d'horloges  et  de  montres  de  la 
Renaissance  est  chez  M.  Chabrière  d'un  très  grand  intérêt  de 
curiosité.  Elle  n'a  pas  été  faite  de  façon  systématique,  avec 
l'idée  volontaire  et  arrêtée  de  taire  l'histoire  de  cette  industrie 
si  intéressante.  Cela  a  été  fait  magistralement  à  Paris  par  les 
recherches  obstinées  de  M.  Paul  Garnier.  Mais  nous  rencon- 
trons   ici   quelques  objets  de  tout   premier   ordre    qui   pro- 


i.É(iUArli;H  KN  AKdKNT.  —  Éiioque  de  Louis  XV 
i  Collection  Chabrière- Arles) 


LA    COLLECTION    CHA  liRfJ: RE-ARLFS 


-n 


vt-m-'^^^  'TM^^^s^mmu^^jMi^^^s^jsîSi 


^.^tJ^^SÏM^^ 


ftiînvicR  nK  vov.vfiR  nx  viîhmkh,  aiv   vriviRs  uv  hAriMii>'.  —  ICpoqnc  de  Loiiin  XV 
(Collection  Chahrii rc-Àrl'es) 


=^] 


to,  ■  ■■'v.-siç**!^-: 


I  .ijiMi  nifiiiii»ji.'.itm«j'»iJwiamMi» 


TKSCTi^V^ 


I  i:Tn  iii.s  i:n  vKiivti:ii.  ai  \  vmmkh  lu;**  .\o\h.ik>         l.j><Hiit<«  <I«  Louis  XV 
fColUctinn.  CkahrUre^Àrièsf 


liPliES   INCRUSTEES  DOR    ET  UAROEM.  —   Ilalio,   XVI 

/Collection  Chabricre-Àilis) 


viennent  en  grande  partie  de  la  collection  Spitzer,  si  riche 
en  monuments  de  ce  genre.  Les  petites  horloges  ne  diffèrent 
alors  le  plus  souvent  des  montres,  que  par  les  figures  qui  les 
portent,  ici  une  petite  cariatide  et  là  un  Atlas  (cette  dernière 
signée  Pierre  Loutau,  un  horloger  de  Lyon,  provient  de  la 
collection  Spitzer,  après  avoir  passé  par  celle  de  Carrand  . 
Une  petite  sphère  astronomique  montée  sur  une  base  trian- 
gulaire renfermant  un  mouvement  d'horlogerie  à  trois 
cadrans,  porte  la  marque  de  Pierre  Noytolon,  un  autre 
ouvrier  lyonnais  ancienne  collection  Maxmaron  à  Dijon). 

Les  montres  que  nous  donnons  dans  la  reproduction 
entourées  d'une  très  belle  ceinture  en  vermeil,  ajourée  et 
ciselée,  d'origine  flamande,  —  offrent  toutes  des  cadrans 
finement  gravés  enfermés  dans  des  boites  en  cristal  de  roche. 


Il  nous  reste,  avant  de  terminer,  à  parler  des  deux  trésors 
de  la  collection  Chabrière-Arlès,  qui  sont  célèbres  dans  le 
monde  des  amateurs,  les  deux  services  de  table  en  vermeil, 
l'un  aux  armes  du  Dauphin,  fils  de  Louis  XV  ;  l'autre  aux 
armes  des  Noailles,  qui  furent  l'objet  d'une  très  grande 
admiration  à  l'Exposition  rétrospective  du  Petit  Palais  en 
1900. 

Le  service  du  Dauphin,  conservé  dans  sa  boite  de  gainerie 
originale,  se  compose  de  pièces  de  vermeil  d'une  ciselure 
superbe;  quelques  autres  sont  en  porcelaine  de  Chine  mon- 
tées. Ce  service  est  passé  par  les  mains  du  marquis  d'Afos. 

La  nécessité  où  l'on  se  trouva  à  la  fin  du  xvii<=  siècle  d'en- 
voyer, sur  l'ordre  du  Roi,  tant  de  pièces  d'orfèvrerie  à  la 
Monnaie  pour  y  être  fondues  et  monnayées  afin  de  subvenir 
aux  dépenses  de  la  guerre,  fut  une  des  causes  de  ruine  les 
plus  certaines  de  ces  objets  si  beaux  et  si  précieux.  Quelques- 
uns  furent  heureusement  sauvés  et  ceux-là  n'auraient  peut- 


être  pas  échappé  aux  fureurs  révolutionnaires  de  la  fin  du 
xviiis  siècle,  si  quelques  émigrés  ne  les  avaient  emportés  avec 
eux  à  l'étranger.  C'est  à  une  raison  de  ce  genre  que  nous 
devons  l'existence  de  ce  merveilleux  service  aux  armes  de 
Noailles.  composé  d'une  grande  cafetière  en  vermeil,  d'une 
autre  plus  petite,  de  deux  douzaines  de  grandes  et  de  petites 
cuillères.  Ces  cuillères  n'ont  pas  toutes  des  manches  sem- 
blables; certains  sont  ajourés  de  deux  branches  entrelacées 
avec  une  étonnante  souplesse.  Les  cafetières  d'un  galbe  par- 
fait et  d'une  grande  élégance  portent  une  splcndide  décoration, 
de  longues  guirlandes  de  feuillages  en  vigoureux  reliefs 
au-dessous  desquelles  des  médaillons  portent  gravés  légère- 
ment des  enfants  jouant  avec  un  bouc. 

En  dehors  de  ces  deux  services,  M.  Chabrière,  amateur 
passionné  d'orfèvrerie  du  xvin=  siècle,  possédait  encore 
deux  légumiers,  l'un  en  argent  décoré  des  plus  délicats  et 
fins  motifs  gravés,  l'autre  en  vermeil,  de  relief  plus  vigou- 
reux et  de  ciselure  prodigieuse,  où  des  cygnes  alternent  avec 
des  gerbes  de  fleurs  ou  de  légumes  et  deux  anses  merveil- 
leusement ajourées  de  deux  branches  entrelacées.  Puis  encore 
un  sucrier  d'argent  d'un  type  rarissime;  la  forme  en  est 
légèrement  surbaissée  et  manque  un  peu  d'élégance,  mais  le 
décor  quadrillé  interrompant  des  bustes  laurés  d'empereurs 
romains,  est  d'un  type  admirable  et  très  peu  connu. 

Je  n'ai  pu  qu'indiquer  très  brièvement  quelles  étaient  les 
merveilles  dont  il  avait  plu  à  M.  Chabrière-Arlès  de  s'en- 
tourer. Les  joies  qu'elles  lui  procuraient  n'étaient  point 
égoïstes  :  nul  n'ouvrait  plus  gracieusement  ses  portes  à  qui 
était  susceptible  de  tirer  de  ces  visites  une  intime  satisfaction, 
un  souvenir  durable  et  charmant.  Nombreux  sont  ceux  qui 
eii  conserveront. 

GASTON  MIGEON. 


I.A   VIFIIOK   l>R  MIHKIIlCOKItK,   PAR    R.Xtil.'KRRAXM  Qt*ARTO?(  (U&3f 

Musée  Conâi  {Chantilly) 


Les  Origines  de  la  Peinture  française 


11""     PARTIE.    —    DK    LA    MOUT    DI'    DVC    DK     Bi;RRI    A     l'aVÈNEMENT 
DE    FRANÇOIS    1"^ 

ANNÉE  1432,  qui  vit  s'achever  le  célèbre 
retable  de  Gand,  marque  une  des  grandes 
époques    de  l'histoire  des  arts. 

L'influence  des  Van  Eyck,  qui  s'exerça 
par  là,  eut  en  effet  pour  résultat  de  déta- 
cher l'école  des  Flandres  de  l'imitation  de 
l'Italie,  et  de  soustraire  celle-ci  à  une 
autorité  qui  auparavant  régna  sur  toute  l'Europe.  Ce  n'est  pas 
sans  raison  que  plusieurs  ont  remarqué  dans  cette  première 
époque,  un  style  de  peinture  international.  Ce  style,  propre- 
ment italien,  n'avait  pas  laissé  de  s'imposer  partout.  Des 
temps  nouveaux  virent  naître  la  dissidence  dont  je  parle,  et 
dont  les  origines  demeurent  un  mystère. 

M.  Durricu  en  a  très  savamment  reporté  les  premiers 
signes  avant  le  tableau  de  l'Agneau,  jusqu'à  la  seconde  suite, 
peinte  pour  la  maison  de  Bavière,  des  miniatures  des  Heures 
de  Turin.  Ces  Ravières  régnaient  en  Hainaut.  Parce  que  les 
premières  miniatures  de  ces  Heures  furent  peintes  pour  le 
duc  de  Berri,  ce  n'est  pas  une  raison  de  conclure  à  une 
parenté  d'atelier  de  ces  premières  avec  les  autres.  Au  con- 
traire, n'cst-il  pas  remarquable  que  le  style  des  Van  Eyck, 
ainsi  reconnu  dans  un  ouvrage  de  quinze  ans  plus  ancien 
que  l'Agneau,  n'est  pas  encore  pour  cela  ôté  aux  Pays-Ras. 
où  l'on  a  cru  jusqu'ici  qu'il  naquit  ? 

Ce  fut  comme  tout  d'un  coup,  et  tout  ce  qu'on  allègue 
contre  la  possibilité  d'une  aussi  soudaine  invention,  ne  paraît 
pas  devoir  tenir  contre  l'histoire. 

Peut-être  s'est-on  fermé  tout  à  fait  le  chemin  de  la  com- 
prendre, en  s'cfforçant  de  dépouiller  les  Van  Eyck  de  l'inven- 
tion de  la  peinture  à  l'huile.  On  a  prouvé  par  vingt  textes 
que  l'huile  avait  servi  bien  avant  eux  à  peindre,  sans  remar- 
quer que  ce  point  n'est  pas  tant  en  question,  que  la  manière 
dont  ils  l'ont  appliquée.  Or  là-dessus  les  peintures  récusent 
tous  les  textes.  Toutes  les  huiles  du  monde  aux  tableaux 
plus  anciens  ne  pourront  faire  que  les  Van  Eyck  n'aient  pra- 

(0  Voir  Its  Aris,  n«  Hy,  p.  17. 


tique  en  huile  un  procédé  nouveau  ci  considérable,  dont  les 
effets  éclatent  dans  leurs  œuvres.  Cela  seul  intéresse  les  his- 
toriens de  l'art.  Le  reste  est  affaire  aux  chimistes.  Dans  un 
ouvrage  récent,  un  expert,  M.  Dalbon.  en  remarquant  l'im- 
portance du  procédé  brugeois,  a  rendu  vain  tout  ce  qui 
s'entasse  là-contrc,  et  contribué  à  rendre  aux  Van  Eyck  leur 
vieille  gloire. 

Elle  diminue  l'étonnement  que  cause  le  reste.  La  sou- 
daineté n'a  rien  qui  surprenne  dans  l'invention  d'une  recette 
d'industrie.  S'il  est  prouvé  que  cette  recette  favorise  une 
imitatioii  plus  matérielle  de  la  nature,  et  Téclosion  sans  elle 
impossible,  d'une  école  de  coloristes,  peut-être  on  concevra 
qu'un  peintre,  tout  d'un  coup  détourné  vers  ce  nouvel  objet, 
ait  négligé  la  belle  draperie,  l'harmonie  des  visages,  tout  le 
grand  style,  dont  l'éloignement  des  modèles  antiques  lui 
rendait  aussi  bien  la  pratique  moins  aisée.  De  là  peut-être 
ont  di'i  naître,  en  même  temps  qu'un  prestige  de  couleur, 
une  transparence  d'ombres,  un  modelé,  une  exécution  sans 
pareils,  ces  airs  de  têtes  plats  et  vulgaires,  ces  draperies 
cassées,  ces  gestes  anguleux,  toute  cettegrimace,  qui.  s'ajou- 
tant  à  la  gaucherie  inévitable  des  premiers  Ages,  établit 
pour  un  siècle,  dans  les  écoles  du  Nord,  cette  barbarie 
de  dessin  qu'on  a  nommée  gothique,  et  que  la  Renaissance 
réforma. 

Les  premiers  effets  de  cette  manière  nouvelle  se  font 
sentir  en  France  dans  le  fameux  Bréviaire  de  Sarisbérj- 
Salisbury),  et  dans  tout  ce  qu'on  a  coutume  de  rapprocher  de 
cet  ouvrage.  Des  signes  certains  empêchent  d'en  reculer  le 
temps  au  delà  de  1433.  Il  fut  peint  à  Paris  pour  le  duc  de 
Redford,  régent  anglais  de  France  au  nom  de  Henri  VL  Ce 
manuscrit,  célèbre  par  le  nombre  et  l'agrément  de  ses  pein- 
tures, mêle  aux  traits  évidents  du  style  des  Van  Eyck,  assez 
de  souvenirs  de  l'âge  précédent  pour  qu'on  fixe  de  son  temps 
le  passage  d'un  style  à  l'autre.  Ce  passage  s'explique  aisé- 
ment, si  l'on  considère  que  la  miniature  française  était  aux 
mains  des  ouvriers  des  Flandres,  et  ne  subissait  l'action  de 
l'Italie  que  par  ceux-ci.  Il  était  comme  inévitable  que  la 
nouvelle  école  de  Bruges  l'entraînât  dans  sa  dissidence.  De 


20 


LES  ARTS 


discipline  giottesque  et  florentine,  aussi  longtemps  que  tout 
le  monde  et  même  les  Pays-Bas  y  furent  obéissants,  l'art 
français  la  rejeta  presque  en  même  temps  qu'eux.  Quand 
pour  la  première  fois  enfin  se  révélèrent  dans  un  homme 
de  notre  nation,  des  talents  qui  peut-être  eussent  changé  le 
cours  des  choses,  le  pli  était  pris,  et  Fouquet  ne  put  que 
s'accommoder  des  pratiques  établies. 

Il  est  chez  nous  le  plus  frappant  exemple,  et  dans  ses 
bons  ouvrages  une  des  gloires  les  plus  authentiques  de  la 
discipline  brugcoise.  Aussi  ne  veux-je  considérer,  dans  les 
années  qui  suivent  la  mort  du  duc  de  Berri,  qu'une  attente, 
et  comme  la  préparation  de  l'apparition  d'un  si  tameux 
artiste. 

C'est  un  intervalle  de  vingt-cinq  ans,  durant  lesquels, 
hors  l'enluminure,  on  ne  trouve  presque  aucun  ouvrage 
dont  nous  ayons  à  faire  l'histoire.  C'est  un  trait  remar- 
quable du  temps,  et  que  l'exposition  des  Primitifs  français 
aura  rendu  extrêmement  sensible.  Pour  celte  période,  et 
même  pour  une  plus  longue  encore,  la  disette  de  tableaux 
y  était  presque  absolue.  Depuis  1400  jusqu'à  Fouquet,  et 
dans  l'espace  d'un  demi-siècle,  le  catalogue  de  cette  exposi- 
tion ne  contient  pas  plus  de  deux  tableaux,  ainsi  libellés  : 
École  du  Midi,  École  d'Auvergne.  Un  si  grand  vide  ne  put 
être  comblé  que  grâce  aux  oeuvres  de  l'anonyme  dit  maître 


Aussi  bien,  depuis  environ  le  même  temps,  les  mentions 
d'archives  ne  se  font  pas  moins   rares.  Soit  effet  des  mal- 


Ctichi  Ctiraudon, 

KTIE.\.NE  CHEVAIJEU  EN    l'HlîiHE  ASSISTÉ  Dli  SON  SAINT   PATKON 

Uiniatllrc  des  Heures  d't^tiennc  Clicvalier,  par  Ktniqilet  (xv  siècle) 
Musée  Coudé  (ChantUly) 

de  Flémalle,  universellement  tenu  pour  Flamand,  et  que  rien 
ne  permet  de  ranger  dans  cette  histoire.. 


jon  ET  SKS    TltdlS  AMIS 

Miniature  des  Heures  d'Etienne  Clievatier,  par  Fouquet  (xv*  siècle) 
Musée  Coiitlc  (Chaillilt;/) 

heurs  publics  engendrés  de  la  conquête  anglaise,  soit  disette 
effective  de  peintres,  les  trois  quarts  du  règne  de  Charles  VII 
se  présentent  comme  vides  à  cet  égard.  Quelques  mentions 
de  lances  peintes  et  vernies  pour  le  roi  réfugié  dans 
Bourges,  sont  tout  ce  qui  figure  alors  une  école  française 
de  peinture.  Le  fil,  jusque-là  visible  à  peine  par  places,  est 
cette  fois  rompu  tout  à  fait. 

Fouquet  le  renoue  vers  1445,  qu'il  peignit,  à  ce  qu'on 
croit,  premier  de  tous  ses  ouvrages  connus,  le  portrait  de 
Charles  VII  au  Louvre. 

Il  était  de  Tours,  où  quelques-uns  veulent  imaginer  que 
la  cour  de  Bourges  tout  d'un  coup  avait  attiré  les  arts.  On 
ne  sait  de  façon  certaine,  en  quel  lieu,  ni  sous  quel  maître 
il  se  forma.  Il  vit  l'Italie  dans  sa  jeunesse,  avant  1447, 
comme  il  ressort  du  portrait  du  pape  Eugène  IV,  mort  cette 
année-là,  qu'il  y  avait  peint.  Au  retour,  de  bonnes  raisons 
font  croire  qu'il  fut  dans  la  faveur  d'Agnès  Sorel,  maî- 
tresse du  roi.  Celle-ci  mourut  bientôt,  en  1450.  On  le  voit 
depuis  travailler  pour  Etienne  Chevalier,  trésorier  de 
France,  pareillement  protégé  de  celte  maîtresse  royale. 

Dans  un  tableau  célèbre,  qui  décora  longtemps  la  cha- 
pelle funéraire  de  Chevalier  dans  Melun,  Fouquet  avait 
peint  l'un    et   l'autre  :  Agnès    sous  les  traits  de  la  Vierge, 


LES    ORTGTNES   DE    I.A    PEINTURE   FRANÇAISE 


21 


Chevalier  à  genoux  tourné  vers  elle,  présenté  par  son  saint 
patron.  L'ouvrage  formait  deux  volets,  qui  sont  maintenant 
dans  les  musées,  l'un  d'Anvers,  l'autre  de  Berlin.  l'our  le 
même  il  peignit  encore  les  fameuses   Heures  de  Chantilly, 


et  pour  un  patron  inconnu  le  Boccace  de  Munich,  oii  se 
trouve  représenté  en  tête  le  procès  du  duc  d'Alençon.  Ce 
dernier  manuscrit  fut  achevé  en  1438,  les  autres  peu  aupa- 
ravant,  ainsi   que   peut-être   les    Grandes    Chroniques    de 


LK  TnKBUCHRMRNT  DKS   llovyR!4    ItAMt  u'B.xrKn 

Miniatura  de  la  Cilé  de  Dieu  par  Maitr*  Kran^ois  (xv>  siwle) 
Bibtioihètf  te  matiomalt  (PmrUI 


France  du  CaUnet  des  Manuscrits.  On  place  vers   1460  le 
Jouvenel   des  Ursins  du    Louvre. 

Tout   ceci    marque  que  la  fortune  du  maître  était  faite, 
quand  Charles  Vil  mourut  (1461),  et  que  Louis  XI  lui  suc- 


céda. Le  nouveau  roi  At  de  lui  son  peintre  en  titre,  dont  un 
premier  etTct  sans  doute  fut  le  conseil  qu'on  lui  demanda 
au  sujet  de  l'empreinte  du  feu  roi,  prise  pour  les  funérailles. 
Au  reste,  ce  qu'il  retira  de  cette  fonction,  parait  avoir  été 


22 


LES    ARTS 


peu  de  chose.  Tout  ce  qu'on  sait  de  positif,  est  la  miniature 
en  tête  des  Statuts  de  l'Ordre  de  Saint-Michel,  en  1470. 
Deux  fois  on  voit  le  roi  arrêter  des  travaux  auxquels  tout  jus- 
tement notre  homme  fut  employé.  Le  caprice  d'une  humeur 
chagrine,  ou  le  soin  d'épargner,  le  fait  tantôt  contremander 
des  fêtes  qu'on  préparait  pour  son  entrée  dans  Tours,  tantôt 
suspendre  le  projet  de  sa  sépulture. 

Cependant  Fouquet  recevait  les  commandes  des  églises, 
et  de  divers  grands  officiers  et  seigneurs.  A  Tours,  Notre- 
Dame-la-Riche  fut  décorée  de  ses  peintures.  En  1472,  il 
peint  un  livre  d'Heures  pour  Marie  de  Clèves,  veuve  du 
duc  d'Orléans,  un  autre  pour  Philippe  de  Commines  en 
1474.  Jean  Moreau,  valet  de  chambre  du  Roi,  eut  de  lui  un 
pareil  ouvrage.  Peu  avant  1475  sans  doute,  que  le  duc  de 
Nemours  fut  décapité,  se  placent  les  fameuses  Antiquités 
de  Josèphe,  commandées  par  ce  prince.  On  met  dans  le 
même  temps  les  Faits  des  Romains,  récemment  révélés  par 
l'admirable  débris  de  quatre  miniatures  que  M.  Thompson 
en  conserve.  A  ces  pièces  d'enluminure  se  joignent,  en 
petit  volume  toujours,  ses  camaïeux  d'or  en  émail,  dont 
deux  échantillons  sont  maintenant  connus  :  le  propre  por- 


COXSTRLT.TIOX  I>U  TIÎMIM.K  1)1-:  .IKKUSAi.KM 

Miuiatui'o  lies  Anliquilùs  do  .ToBÙplio,  par  Fouquot  (xv  siècle) 
Bibliothèque  nationale  (Paris)      . 


trait  de  l'artiste  au  Louvre,    et  le  Saint-Esprit  accueilli  et 
refusé,  au  Musée  d'Art  industriel  de  Berlin. 

Tels  sont  les  ouvrages,  tant  conservés  que  mentionnés 
seulement  dans  les  comptes,  du  maître.  Il  faut  y  joindre 
ceux-ci,  qui  montrent  que  sa  renommée,  vivante  en  Italie, 
n'avait  pas  moins  pénétré  dans  les  Flandres  :  des  Heures 
commandées  en  1460  par  Isabeau  de  Roubaix,  fondatrice  de 
l'hôpital  Sainte-Elisabeth  de  cette  ville,  un  petit  tableau 
peut-être  peint  pour  le  Téméraire,  dont  on  trouve  plus  tard 
la  mention  aux  inventaires  de  Marguerite  d'Autriche. 

Or  il  importe  de  définir  les  mérites  auxquels  répondit 
ce  grand  succès.  On  ne  les  trouve  pas  dans  les  ouvrages  à 
l'huile.  Tous  les  grands  tableaux  de  Fouquet  pèchent  par 
un  dessin  pauvre  et  raide,  par  un  coloris  rougeâtre  et  noir. 
La  misère  des  draperies,  l'enfantillage  des  poses,  la  haïs- 
sable boursouflure  d'un  modelé  sans  exactitude,  achèvent 
d'en  rendre  l'aspect  insupportable. 

Dans  la  miniature,  tout  change.  Au  bout  de  son  pinceau 
d'enlumineur,  Fouquet  retrouve  la  facilité,  les  grâces,  un 
degré  de  science  précisément  mesuré  sur  cet  espace  réduit, 
une  liberté  d'invention,  une  beauté  de  dessin,  une  saveur 
d'exécution  et  de  touche  qu'on  ne  finit 
pas  d'admirer.  Aucune  des  louanges 
que  le  nom  de  compatriote  inspire  à 
plusieurs  historiens  complaisants  de 
l'art  français,  n'est  à  cet  égard  exa- 
gérée. Fouquet  met  dans  ses  petits 
tableaux  une  noblesse  de  style  incon- 
nue des  Flandres.  Un  peu  de  l'ita- 
lianisme d'un  Paul  de  Limbourg 
apparemment  survit  chez  lui,  dans 
l'ordonnance,  l'expression,  l'air  de 
tête,  lequel  est  souvent  d'un  naturel 
exquis.  Ses  fonds  sont  une  source 
renouvelée  d'agrément.  Les  fabriques 
y  sont  peintes  d'une  précision  et  d'une 
légèreté  sans  égales.  Avec  ce  qui,  dans 
ces  vieux  ouvrages,  demeure  d'imper- 
fection aux  eaux  et  aux  feuillages,  le 
paysage  ne  laisse  pas  d'enchanter, 
principalement  dans  les  lointains,  éta- 
blis et  touchés  avec  un  art  parfait. 
Quant  à  cette  partie,  le  Josèphe  et 
les  Faits  des  Romains  renferment  des 
chefs-d'œuvre. 

Fouquet  mourut  peu  avant  148 1. 
Il  faut  remarquer  qu'ayant,  par  ses 
rares  talents,  à  nouveau  tiré  d'obscu- 
rité l'école  française,  il  ne  laissait  pas 
de  la  replacer,  un  siècle  et  demi  après 
Pucelle,  à  ce  point  de  départ  d'enlu- 
minure, où  la  fixaient  ses  destinées. 

Ceci  n'empêche  pas  de  signaler 
comme  un  exemple  exceptionnel  de 
grande  peinture  décorative,  les  Anges 
peints  à  la  voûte  de  la  chapelle  de 
Jacques  Cœur  à  Bourges.  Il  est  vrai 
aussi  qu'une  école  provinciale,  que  de 
récentes  découvertes  ont  mise  dans 
toutes  les  bouches,  faisait  preuve  alors 
de  talents  du  même  genre. 


LES    ORIGINES   DE    LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


23 


Ce  qu'on  nomme  dcole  d'Avignon,  et  dont  les  commen- 
cements palpables  se  placent  vers  1440,  parait  avoir  produit 
en  abondance  ce  que  nous  cherchons  en  vain  autour  des 
rois  de  France,  je  veux  dire  des  tableaux,  et  de  quelque  mé- 
rite. Ce  mérite  est  attesté  par  les  ouvrages  d'Enguerrand 
Quarion,  mal  nommé  Charonton  sur  un  barbarisme  avi- 
gnonnais,  issu  de  Picardie,  auteur  en  1432  d'une  Vierge 
de  Miséricorde  qu'on  garde  à  Chantilly,  et  l'année  sui- 
vante, d'un  Couronnement  de  la  Vierge  à  l'hôpital  de 
VilIeneuve-lès- Avignon. 

Ces  deux  curieux  tableaux  méritent  toute  l'attention  de 
l'historien.  Ce  sont  des  pièces  de  style  en  général  flamand, 
qu'une  composition  indigente  et  confuse,  joint  le  froid  effet 
d'une  matière  qui  ne  diffère  que  peu  de  la  détrempe,  dépare. 
Cependant  un  regard  attentif  découvre  sous  ce  fâcheux  aspect 
quelques  beautés  de  premier  ordre.  Un  jet  de  draperie  ample, 
soigneusement  étudié  et  du  plus  majestueux  effet,  en  fait  le 
caractère  principal.  On  le  retrouve  agrandi  encore,  dans  la 
Pitié  du  même  hôpital  de  Villeneuve  et  dans  l'Homme  de 
douleur  de  Boulbon,  maintenant  au  Louvre,  pièces  ano- 
nymes qu'on  croit  d'un  même  auteur,  odieusement  barbares 
décomposition,  mais  d'une  vigueur  d'exécution  surprenante. 

Or,  quelle  que  soit  à  plusieurs  égards  l'excellence  de 
ces  exemples,  une  chose  s'opposeà  ce  qu'on 
leur  donne  ici  la  même  place  qu'à  ce  qui 
précède.  Rien  en  effet  ne  les  relie  au  cours 
de  cette  histoire,  soit  dans  le  passé,  soit 
dans  l'avenir.  La  qualité  de  Picard  recon- 
nue à  Quarton,  ne  vaut  à  l'école  française 
qu'une  louange  isolée.  Ses  talents  s'exercent 
hors  de  France,  aux  ordres  d'un  mécénat 
d'Église  et  de  négoce,  dont  le  goût,  les 
soins,  les  exigences  ne  devaient  exercer 
nulle  action  sur  le  développement  de  nos 
arts.  D'action  directe  sur  les  artistes  qui 
travaillèrent  pour  les  rois  de  PVancc  ou 
pour  les  princes  qui  les  approchent,  on  n'en 
voit  pas  davantage  à  ce  peintre. 

Le  patronage  du  bon  roi  René,  quelque 
temps  exercé  sur  la  Loire,  et  qui  depuis 
147 1  se  transporta  en  Provence,  ne  valut  à 
nos  arts  aucun  retour  d'Avignon.  Personne 
de  chez  nous  ne  puise  parson  intermédiaire 
à  cette  source,  que  des  particuliers  ont  peut- 
être  contribué  plus  que  lui  à  entretenir.  Les 
listes  d'ouvrages  de  ces  peintres,  publiées 
par  M.  l'abbé  Requin,  tous  issus  de  com- 
mandes privées,  ne  laissent  pas  d'être  fort 
longues.  Rien  n'oblige  à  croire  que  Pierre 
Villatte  Limousin,  Tavernery  de  Lyon, 
Grabuzetti  de  Besançon,  Delabarre,  Dum- 
betii,  Yverni  d'Avignon,  pas  plus  qu'après 
eux  Changenet  de  Langres,  Grassi  d'Ivrée, 
vivant  sur  les  particuliers,  aient  tenu,  grâce 
au  roi  René,  quelque  chose  d'un  patronage 
français. 

Quelques  talents  donc  que  révèlent  les 
découvertes  de  l'avenir  chez  les  sujets  du 
roi  de  France  qui  de  leurs  ouvrages  entre- 
tinrent cette  école,  ce  ne  sera  jamais  que 
dans   un  sens   très  particulier   et  restreint 


qu'on  pourra  les  considérer  comme  représentant  recelé 
française.  Le  fait  est  qu'ils  n'en  sont  point  issus,  et  que  de 
façon  directe  ni  indirecte,  ils  n'ont  contribué  à  la  former. 

Aussi  bien,  rien  n'assure  que  ce  qui  sera  découvert, 
tienne  les  promesses  contenues  dans  quelques-uns  de  ces 
tableaux.  Tout  dans  ce  que  nous  possédons,  n'est  pas  fait 
pour  encourager  de  grands  espoirs.  Les  œuvres  de  Froment 
d'Uzès  opèrent  précisément  le  contraire.  Car,  avec  la  meil- 
leure volonté  du  monde,  que  louer,  soit  dans  sa  Résurrec- 
tion de  Lazare  de  1461,  aux  Offices  de  Florence,  soit  dans 
son  Buisson  ardent  de  1475,  à  la  cathédrale  d'Aix,  dans  le 
Saint  Siffrein  d'Avignon,  dans  le  diptyque  de  Matheron  au 
Louvre,  suffisamment  présumés  de  sa  main  ?  De  pareils 
morceaux  semblent  n'avoir  vu  le  jour  que  pour  montrer  ce 
que  l'imitation  des  Van  Eyck  pouvait  engendrer  d'exécrable, 
quand  nulle  étude  soigneuse  de  la  nature,  quand  nul  soup- 
çon du  clair-obscur,  quand  nulle  transparence  des  cou- 
leurs, quand  nul  prestige  de  fonds  lumineux  et  fuyants  n'en 
rachètent  la  gothicité. 

Le  roi  René  et  la  reine  Jeanne  sa  femme  ont  leurs  ridi- 
cules portraits  au  tableau  d'Aix,  qu'ils  commandèrent,  et 
dans  le  diptyque  de  Matheron.  Faut-il  en  conclure  qu'Avi- 
gnon n'avait  dès  ce  temps-là   rien  de  mieux  à  leur  fournir. 


UWID  RErRVVXT  LA  XirTKtLK  »■  LA  WiUlt  BK  »«t  L 

Minialurc  des  .Vnli<|iiitrs  <(>•  Jowphr,  par  KonqaH  (XT>  liiclvt 
KMiMikcf M  mattuutt*  (Mri*) 


24 


LES   ARTS 


ou  que  ce  prince  tut  assez  peu  mêlé  à  la  prospérité  de 
l'école,  pour  que  ce  qu'on  trouve  chez  lui  en  soit  les  pires 
ouvrages  ? 

Le  temps  de  son  séjour  d'Anjou  le  montre  fort  occupé 
de  la  protection  des  peintres.  Outre  quelques  Flamands,  dont 
on  ne  sait  pas  les  noms,  on  l'y  voit  dès  1456  employer 
Copin  Delf,  et  dès  auparavant  Barthélémy  Declerc,  tous 
deux  de  cette  nation  également,  et  pourvus  de  quelque 
renom.  On  sait  du  second  un  tableau  peint  pour  la  reine 
.Jeanne,  et  rien  n'empêche  de  croire  que  l'un  et  l'autre  con- 
tribuèrent à  soutenir  l'école  que  l'exemple  de  Fouquet  avait 
laissée  dans  ces  parages. 

Elle  est  célèbre  sous  le  nom  d'école  de  Tours,  et  il  est 
vrai  que  la  plupart  des  peintres  qui  depuis  Fouquet  jusqu'à 
Clouet  mériteront  d'être  nommés  ici,  ont  plus  ou  moins 
travaillé  dans  cette  ville. 

Le  roi  Louis  XI,  logé  tout  auprès,  au  Plessis,  préside  à 
ses  commencements.  Ce  n'est  pas  qu'il  ait  été  grand  protec- 
teur des  arts.  Outre  Fouquet,  son  patronage  s'étendit  à 
Colin    d'Amiens,  connu   pour   avoir  fait  les  dessins  de  son 


I.KS  THO.MPETTliS  DE  JKHICIIO 

Miniature  des  AiUiquitcs  de  Joséplic,  par  I''oiiquet  (xv"  siè 
BibUuthcque   nationale  (Faris) 


tombeau.  Mais  ce  qu'on  a  cru  quelque  temps  entrevoir 
de  dépense  de  sa  part  en  faveur  d'artistes  italiens,  se  réduit  à 
l'achat  unique  d'un  tableau  de  Bugatto,  disciple  des  Fla- 
mands et  peintre  des  Sforces  à  Milan,  qui  ne  parut  à  la  cour 
de  P'rance  qu'un  temps  et  pour  quelques  affaires.  Ce  tableau 
fut  le  portrait  de  F'rançois  Sforce  et  de  son  fils  Galéas-Marie. 
Le  même  peintre  peignit  aussi  celui  de  Bonne  de  Savoie,  sœur 
de  la  reine  de  France,  pour  ce  dernier  prince,  qu'elle  épousa. 
Un  autre  maître  inconnu  jusqu'ici,  d'éducation  flamande, 
comme  fut  Bugatto,  a  peint  .Jeanne  de  France,  sœur  du  roi, 
dans  un  tableau  qui  se  trouve  à  Chantilly. 

Louis  XI  mourut  peu  après  F'ouquet  (1483).  Charles  VIII, 
qui  lui  succéda,  et  par  lequel  dix  ans  plus  tard  allait  s'ébau- 
cher le  retour  de  l'art  français  aux  modèles  d'Italie, 
cependant  ne  joue  dans  l'histoire  de  la  peinture  qu'un  rôle 
très  effacé. 

Ce  qu'on  vit  sous  son  règne  en  ce  genre,  n'est  que  la 
suite  naturelle  et  singulièrement  dépréciée  de  ce  qu'avait  vu 
l'âge  précédent.  Du  vivant  de  F'ouquet  peignit,  selon  son 
style,  maître  François,  gagé  de  Charles   d'Anjou,    et   auteur 

d'une    Cité   de    Dieu  conservée    au 

I  Cabinet  des  Manuscrits.  Les  histo- 
riens de  l'enluminure  vantent  à  tort 
cet  ouvrage  mécanique  et  glacial. 
Fil  1482,  Piqueau  fit  pour  la  reine 
Charlotte  la  première  page  d'une 
Vie  de  Jésus-Christ.  Il  y  a  dans 
celle-ci  quelque  agrément  mêlé  à 
beaucoup  de  faiblesse.  Le  même 
style,  porté  dans  les  provinces  de 
l'Est,  se  reconnaît  dans  la  Bible  de 
Hugueniot  de  Langres,  achevée  dix 
ans  plus  tôt,  pour  l'évèque  de  cette 
ville.  Il  faut  joindre  F'rançois  Co- 
lombe, qui  termina  pour  le  duc  de 
Savoie,  les  Très  Riches  Heures  de 
Chantilly,  passées  en  possession  de 
ce  prince.  Pour  le  duc  de  Nemours 
peignit  Evrard  d'Espinques,  Alle- 
mand, dont  quelques  œuvres  de  ce 
temps-là  étalent  une  manière  diffé- 
rente, affreusement  hâtive  et  brutale. 
Plus  on  considère  les  exemples 
de  l'art  d'enluminure  en  France 
après  F"ouquet,  plus  on  s'étonne 
qu'un  si  grand  maitre,  qui  laissa 
deux  fils  peintres,  n'ait  fait  aucun 
élève,  que  rien  ne  soit  resté  après  lui 
au  moins  d'approchant  à  ses  talents. 
Les  manuscrits  somptueux  peints 
pour  de  grands  seigneurs  sont  ce 
qui  manque  le  moins  dans  les  trente 
ans  qui  suivent.  Mais  quoiqu'on 
en  renomme  plusieurs,  aucun  ne 
mérite  d'être  tiré  de  pair,  aucun 
même  n'évite  des  reproches  dont  les 
bons  ouvrages  sont  exempts. 

Ce  qu'on  y  trouve  de  fâcheux 
surtout  est  le  coloris  rude  et  criard, 
et  la  mauvaise  exécution  du  sali 
d'or  dans  les  lumières,  que  Fouquet 


:1c) 


26 


LES   ARTS 


avait  porté  au  plus  haut  degré  de  perfection,  l^ien  n'égale 
chez  ses  disciples  l'involoniaire  grossièreté  de  celte  partie, 
et  le  détestable  aspect  qu'elle  communique  au  reste.  La 
grande  célébrité  d'un  livre  comme  les  Heures  de  Louis  de 
Laval  (1489),  celle  de  plusieurs  autres,  renommés  pour 
marquer  le  temps  de  la  belle  miniature  française,  ne  doit  point 
empêcher  de  remarquer  cette  décadence.  Le  cas  qu'on  voit 
faire  de  Bourdichon,  tenu  pour  un  maître  de  l'art,  ne 
saurait  donner  le  change  sur  les  réalités. 

On  trouve  mention  de  ce  peintre,  à  Tours  pareillement, 
depuis  1478.  Tout  le  long  du  règne  de  Charles  VIII,  on  le 
voit  employé  du  roi,  tantôt  à  des  besognes  accessoires  de 
décoration  et  de  tournois,  tantôt  à  quelques  rares  tableaux, 
tantôt  à  des  miniatures.  C'est  en  ce  genre  seulement  que 
nous  demeurent  des  témoignages  de  son  talent.  Les  Heures 
du  Roi,  celles  d'Alphonse,  roi  de  Naplcs,  les  unes  et  les 
autres  au  Cabinet  des  Manuscrits,  en  sont  les  effets  pour  ce 
temps-là.  Les  Fumée,  abbés  de  Beaulieu  près  Tours,  eurent 
aussi  un  missel  de  sa  main.  Il  faut  ajouter  des  Heures  à 
l'Arsenal,  et  d'autres  chez  M.  Edmond  de  Rothschild.  Depuis 
l'avènement  de  Louis  XII  (1498),  Bourdichon  servit  le  nou- 
veau roi.  Sous  ce  règne,  en  i5o8,  il  peignit  le  plus  célèbre 
de  ses  ouvrages,  choyé  comme  un  joyau  sans  prix,  complai- 
sammcnt  célébré  comme  une    merveille   de  l'enluminure  : 


Cliché  Giraudo». 


L  ANNONCIATION 

MiaiaUiro  dos  Hiiurus  d'Etienne  Chevalier,  par  Fouquet  (xv  sieclu 
Musée  Condt  iChaniiliyj 


c'est  les  Grandes  Heures  d'Anne  de  Bretagne.  Or,  à  ne  juger 
que  le  talent  dont  ce  morceau  donne  la  mesure,  on  ne  peut 
dissimuler  qu'il  est  des  plus  médiocres.  La  pauvreté  de 
l'inspiration,  la  crudité  de  la  peinture,  l'exécution  froide  et 
pénible,  ne  sauraient  être  rachetées  ni  par  l'or,  ni  par  la 
profusion  d'ornement  et  de  couleur  dont  il  nous  apparaît 
chargé.  Les  fleurs  des  marges,  sur  lesquelles  quelques-uns 
ont  pensé  reposer  une  admiration  que  les  pages  mettent  en 
déroute,  ne  valent  certainement  pas  mieux  que  le  reste. 
Elles  n'ont  ni  dessin  ni  tournure,  et  le  poli  de  leur  exécu- 
tion ne  fait  que  rendre  plus  sensible  l'ignorance  du  peintre. 
Faut-il  penser  que  Poyet,  qui  fleurit  en  ce  temps-là 
(1491-1497),  et  servit  également  de  miniatures  la  reine 
Anne,  marqua  quelque  talent  de  plus?  Le  fait  est  au  moins 
que  tout  ce  qui  nous  reste  de  pièces  anonymes  même,  méiite 
cette  médiocre  estime. 

Nous  touchons  à  l'époque  où  se  placent  les  nouveautés 
de  la  Renaissance.  Bourdichon  mourut  sous  F'rançois  1", 
en  i52o.  Ceux  qui  vont  répétant  que  les  peintres  que  ce  mo- 
narque appela  d'Italie,  n'étaient  pas  nécessaires,  et  que  la 
gloire  de  l'école  française  était  parfaite  avant  eux,  ne  se 
contentent  pas  il  est  vrai  de  ce  qu'on  vient  d'énumérer.  Ils 
y  joignent  un  assez  grand  nombre  de  tableaux,  que  des 
éloges  persévérants  ont  imposés  à  l'attention  publique,  et 
qu'il  s'agit  maintenant  d'examiner. 

Le  plus  célèbre,  dont  on  ne  songe  point 
à  méconnaître  le  mérite,  est  le  triptyque  de 
Moulins,  où  se  voit  une  Vierge  glorieuse 
entre  les  deux  portraits  de  Pierre  de  Bour- 
bon-Beaujeu  et  d'Anne,  (ille  de  Louis  XI,  sa 
femme. 

On  ne  connaît  pas  l'auteur  de  ce  tableau. 
Tout  ce  qu'on  a  jusqu'ici  fcurni  d'inlbr- 
mation  à  son  sujet,  ne  consiste  qu'en 
quelques  autres  pièces  que  les  historiens 
de  l'art  pensent  lui  attribuer.  La  Donatrice 
Sonizée,  maintenant  au  Louvre,  la  Vierge 
priante  de  Bruxelles,  le  Saint  Victor  au 
Donateur  de  Glascow,  la  Nativité  d'Au- 
tun,  une  petite  Assomption  à  M.  Quesnet, 
composent  ce  bagage,  assez  peu  propre  en 
soi  à  éclairer  la  vie  de  l'auteur,  et  du  reste 
purement  supposé.  11  est  certain  que  d'une 
part  le  lien  qui  relie  tous  ces  ouvrages  est 
des  plus  fragiles,  l'identité  de  style  et  d'exé- 
cution n'étant  nullement  de  celles  qui 
s'imposent  ;  d'autre  part,  les  conditions  his- 
toriques de  chacun  sont  presque  toutes 
indéterminées.  La  Nativité,  où  figure  Jean 
Rollin,  n'a  été  datée  de  1480  (en  démenti 
de  l'âge  apparent  du  personnage)  que  pour 
cadrer  avec  l'attribution.  Le  nom  de  la 
Donatrice  Somzéeestinconnu.  Tout  ce  qu'on 
a  promis  de  démontrer  touchant  le  tableau 
de  Glascow,  n'a  pu  sortir  d'un  vague  et  d'une 
incertitude  qui  devaient  dispenser  d'en  rien 
dire.  Que  dire  de  ceux  de  ces  tableaux  où 
n'entrent  ni  portraits  ni  costume,  et  dont 
il  faut  espérer  moins  encore  ? 

Quant  au  retable  de  Moulins  lui-même, 
le  public  instruit  attend  encore  non  pas  la 


LES  ORIGINES  DE  LA    PEINTURE  FRANÇAISE 


LE  PARADIS  ET  LES  Pt'CUKS  DE  LA  TERRE 

Miniature  de  la  (]ité  de  Dieu,  par  Maître  François  (xv«  siècle) 

Bibliothèque  nationale  (Paris) 


28 


LES   ARTS 


preuve,  mais  seulement  une  raison  de  présumer  qu'il  est 
français.  On  n'en  connaît  que  deux  sortes  en  ces  matières  : 
ou  des  textes,  ou  des  ressemblances  de  style  avec  d'autres 
peintures  démontrées  de  cette  provenance.  Les  textes 
manquent.  D'ouvrages  authentiquement  français,  il  n'y  a  que 
ceux  de  Fouquet,  de  Boardichon  et  les  semblables,  avec  les- 
quels tout  le  monde  a^'ouequele  tableau  de   Moulins  n'otl're 


pas  la  moindre  ressemblance.  Quant  à  reconnaître  simple- 
ment dans  ce  tableau  les  qualités  abstraitement  déduites  du 
génie  français  dans  les  ans,  c'est  une  méthode  qu'aucune 
autorité  n'a  recommandée  jusqu'ici.  Rien  aussi  bien  n'em- 
pêche de  le  croire  d'un  Italien  touché  de  l'influence  des 
Flandres,  de  sorte  qu'on  ne  serait  pas  même  tenu  de  lui  don- 
ner place  dans  cette  histoire,  sans  la  circonstance  d'avoir  éic 


T.E  Dr; PART  rtE  T 

Miiii;iliiiv  ili^  la  CilM  di-  Die 

Hiblioll.i'f/'i 


peint  au  commandement  de  princes  français.  Ce  témoignage 
même  fait  défaut  aux  autres  tableaux  qu'on  vient  de  dire. 

Pourlemaître  nommé  des  Bourbons, auteursupposé, outre 
ces  mêmes  princes  au  Louvre,  du  cardinal  de  ce  nom  à  Chan- 
tilly, et  d'une  fausse  .Jeanne  la  Folle  exposée  aux  Primitifs 
français,  un  mot  suffit  à  son  sujet.  Ces  pièces  sont  trop  mau- 
vaises, d'un  coloris  trop  froid,  d'une  exécution  trop  triviale 
pour  intéresser  la  critique.  Le  triptyque  du  Palais  de.hisiice, 
supposé  français  sur  des  preuves  incertaines  en  somme,  ne 


nKOI.nolE  FT   DlIISTOinR 
1,  pu-  Maili-c  Krançois  ixv»  slrfli') 
iiatioi.atc  <  Pw  isl 

fournit  pas  un  argument  meilleur.  Enfin  l'excellent  Charles- 
Orland,  dauphin  de  France,  non  moins  isolé  de  style  que  le 
retable  de  Moulins,  n'est  pas  un  appoint  plus  solide  au 
fantôme  d'une  école  française  dont  on  s'efforce  de  nous  payer. 
Sur  un  seul  point,  ce  qu'on  propose  rencontre  des  vrai- 
semblances palpables  :  c'est  le  Cruciliement  de  Loches 
(1485;,  visiblement  apparenté  aux  miniatures  de  Bourdichon, 
et  que  plusieurs  déclarent  son  œuvre.  Si  le  fait  se  confirme, 
l'occasion  sera  belle  de  corroborer  l'impression  que  laissent 


LES  ORIGINES  DE  LA    PEINTURE  FRANÇAISE 


RAOUL  DE  PRESLE  PRÉSENTANT  AU  ROI  SA  TRADUCTION  DES  ŒUVRES  DE  SAINT  AUGUSTIN 

Miniature  de  la  Cité  de  Dieu,  par  Maître  François  (xv<  siècle) 

Bibliothèque  nationale  (Paris) 


3o 


LES    ARTS 


les  miniatures  du  peintre,  par  la  faiblesse  e'gale  de  ce 
tableau.  Le  jour  viendra  peut-être  où  de  pareils  morceaux, 
dûment  authentiqués  aux  peintres  de  la  Loire,  attesteront 
par  leur  médiocrité  autant  que  par  leur  petit  nombre,  le  peu 
que  valait  une  production  si  témérairement  célébrée. 

Il  reste  à  nommer  Perréal,  dit  Jean  de  Paris,  qu'on  offre 
de  reconnaître  pour  l'auteur  du  tableau  de  Moulins.  C'était, 
à  juger  par  les  textes,  un  habile  homme,  maître  en  décora- 
tion et  en  dessin  d'architecture.  Il  tenait  de  ce  chef  une 
grande  place  dans  Lyon,  où  on  lui  voit  faire  son  principal 
séjour.  Seulement,  ce  qu'on  trouve  chez  lui  de  mentions  de 
tableaux,  tient  en  deux  mots  :  en  1497,  le  portrait  d'une 
beauté  célèbre,  qu'il  alla  faire  en  Allemagne;  en  iSoj,  pour 
le  roi  Louis  XII,  celui  de  Guillaume  de  Montmorency  et  de 
quelques  autres  personnes  de  la  cour.  C'est  tout.  Le  reste,  pen- 
dant plus  de  quarante  ans  qu'on  le  suit  pas  à  pas,  à  travers  des 
mentions  dispersées  il  est  vrai,  ne  contient  pas  la  moindre  réfé- 
renceà  destableaux.  Ce  qu'on  suppose  de  plusn'estqu'enl'air. 

Comme  Bourdichon,    Perréal  fut  au   service   de    Fran- 


LA   FUITE   EN   EGYPTE 

WÎDialurc  des  Graades  Heures  d'Anne  de  Bretajj;ne,  par  Bourdichon  (1508) 
Bibiiothcque  nationale  (Paris) 

çois  l".  Il  mourut  peu  avant  i528.  Avec  ces  deux  maîtres, 
l'un  médiocre,  l'autre  sans  ouvrages  connus,  finit  l'histoire 
de  l'ancienne  peinture  française. 

Il  y  avait  trente  ans  que  ce  qu'on  nomme  la  Renaissance 
avait  commencé  pour  les  autres  arts.  On  en  marque  judicieu- 
sement l'époque  à  la  campagne  de  Charles  VIII  en  Italie, 
l'an  1495.  La  débilité  de  la  peinture  dans  le  même  temps  fut 
cause  que  cette  division  ne  la  touche  qu'à  peine,  et  qu'on  peut, 
ne  parlant  que  de  cet  art,  la  négliger.  A  qui  pourtant  souhaite 
de  remonter  aux  origines  les  plus  délicates  des  choses,  il  con- 
vient défaire  remarquer  l'italianisme  naissant  dans  les  Heures 
de  la  reine  Anne  par  exemple.  Nul  doute  aussi  que  Perréal, 
qui  fit  les  dessins  du  tombeau  de  François  11,  duc  de  Bretagne 
à  Nantes,  n'ait  également  donné  dans  cette  imitation.  Plusieurs 
ont  avancé  la  même  chose  de  Fouquet,  mais  contre  l'évidence 
des  faits.  Aussi  bien  dans  ce  règne  de  Charles  VIII  même,  il 
ne  s'agit  que  de  signes  les  plus  faibles  du  monde,  noyés  dans 
la  pratique  de  tout  l'âge  précédent. 


SAINT  SEBASTIEN^ 

Miniature  des  Grandes  Heures  d'Anne  de  Bretagne,  par  Bourdichon  (1508) 
Bibliothèque  nationale  (Paris/ 


(A  suivre./ 


L.    DIMIER. 


TRIBUNE    DES    ARTS 

Le  Retable  du  Parlement  de  Paris 

La  communication  de  M.  Amédée  Pigeon,  publiée  dans  le  numéro  3y  des  Art»,  a  attiré,  de  la  part  de  nos  abonnés  qui  n'avaient  pas  tous  pris  connaissance 
de  la  note  initiale,  un  nombre  considérable  de  protestations .  L'eussions-nous  fait  à  dessein,  nous  n'aurions  pas  mieux  réussi.  Les  assertions  peu  démontrées  de 
M.  A  médou  l'i^eon  ont  provoqué  un  mouvement  que  nous  avons  été  heureux  de  constater,  puisqu'il  a  apporté  des  notions  nouvelles  et  des  indications  précieuses. 
Nous  remercions  ici  ceux  de  nos  correspondants  dont  nous  nous  faisons  un  plaisir  d'insérer  les  lettres  et  nous  nous  excusons  près  de  ceux  dont,  à  notre 
grand  regret,  les  exigences  du  journal  nous  obligent  d'ajourner,  ou  même  de  supprimer,  les  intéressantes  communications. 

N.  D.  L.  R. 


La   Vierge  au   donateur   provenant    Je    la 
cathédrale  d'Autun  et  conservée  au  Musée  du 
Louvre  est  attribuée  à  Van  Eyck  parce  qu'elle 
est  incontestablement  de    la  même  main  que 
lesMt7i/«/7c.v  de  l'Institut  Siifdcl  à  Francfort  et 
de  la  galerie  de  Dresde,  que  VAnnoiiciation  du 
Musée  de  l'Krmitage  à  Saint-Pétersbourg,  sur- 
tout que  la  Vierge  entourée  de  saint  Georges 
et  de  saint  Donatien,  adorée  par  le  chanoine 
Van   de  Pacte,   que    possède  l'Académie   des 
Beaux-Arts  de  Bruges.  Les  analogies  entre  ce 
dernier  tableau  et  les  Madones  de  Dresde  et  du 
Louvre   sont  nombreuses  et  caractéristiques  : 
mêmes  figures  de  la  Vierge  et  de  l'Entant,  mêmes 
colonnes  à  chapiteaux  historiés,  mt-mes  fenêtres 
cintrées,  ornées  des  mêmes  vitraux,  même  tona- 
lité générale,  mêmes  plis  des  vêtements,  surtout 
même  exécution  des  nus,  des  orfèvreries,  des 
étoffes,  en  un  mot,  même  esprit  pour  concevoir 
et  même  main  pour  exécuter,  donc  même  au- 
teur. Quel'on  nes'arrêtedonc  pas,pourchanger 
l'attribution  du  tableau  du   Louvre,  au  détail 
des  personnages  du  second  plan  vus  de  dos, 
personnages  accessoires  et  n'ayant  avec  ceux 
du   Retable  du   Parlement  de  Paris  qu'une 
ressemblance  très  superficielle,  nous  les  retrou- 
vons dans  bien  d'autres  tableaux  :  dans  \c  Saint 
Luc  de  Munich  et  dans  le  Saint  Luc  de  l'Er- 
mitage, dans  des  œuvres  d'auteurs  très  diffé- 
rents,  exécutées   parfois  à  plus  de  cinquante 
ans  de  distance.  Fixer  des  attributions  par  de 
semblables  détails,  c'est  créer  le  désordre  et 
confondre  Van  F2yck  et  Fouquet  avec  l'auteur 
du  Retable  du  Parlement  de  Paris,  qui  n'est  ni 
l'un,  ni  l'autre.  Quant  à  la  Vierge  au  donateur 
du  Louvre,  elle  restera  attribuée  à  Van  Eyck 
tant    que  la    Vierge   adorée   par   le  chanoine 
Van  de  Paele  lui  sera  donnée,  et  il  n'y  a  pas 
lieu  de  prévoir  que  cette  attribution  soit  rai- 
sonnablement modifiée  avant  longtemps. 

Un  Ahonni';. 


Monsieur, 
.l'admets  fort  bien  que  le  symbolisme  a 
joué  dans  l'art  du  xv«  siècle  un  rôle  considé- 
rable, mais  pourquoi  chercher  des  symboles 
là  où  le  problème  se  pose  d'une  tas'on  si 
simple  et  si  naturelle?  Aux  côtés  du  calvaire, 
je  vois,  comme  il  est  d'usage,  deux  saints  qui 
sont  debout  :  saint  Jean  et  saint  Denis  :  Saint 
Denis,  apôtre  des  Gaules  et  l'un  des  patrons 
du  royaume  ;  saint  .lean-Baptiste,  dont  une 
relique  insigne  (la  partie  supérieure  du  chef) 
fut,  en  1247,  donnée  par  Baudouin  IL  empe- 
reur de  Constantinople,  à  saint  Louis,  roi  de 
France,  qui  la  déposa  à  la  Sainte-Chapelle. 
Saint  .lean-Baptiste  est  donc  par  là  un  des  pa- 
trons du  Palais  dont  la  Sainte-Chapelle  est  la 
paroisse.  Remarquez  encore  que  la  célébration 
toute  spéciale  de  la  fête  de  la  Nativité  de  saint 
.lean  et  le  feu  de  joie  de  7,000  livres  qu'on  allu- 
mait devant  THotel  de  Ville,  donneraient  bien 


à  penser  que  saint  Jean-Baptiste  était  un  des 
patrons  de  la  ville,  concurremment  au  moins 
avec  sainte  Geneviève,  la  Ville,  le  Corps  de 
Ville,  l'Hoiel  de  Ville  ciani premier  paroissien 
de  Saint-Jean  en  Grève.  A  coté  de  saint  Denis 
est  debout  saint  Charlemagne,  fondateur  de 
l'Université  et  son  patron,  comme,  à  côté  de 
saint  Jean,  saint  Louis,  fondateur  de  la  Sainte- 
Chapelle  et  patron  de  la  Maison  royale.  Aussi 
bien,  voilà  juste  soixante  années  que  M.  Tail- 
landier a  dit  tout  cela;  en  voilà  cinquante  que 
M.  de  Guilhermy  racontait  l'histoire  du  Retable 
et  identifiait  le  saint  Louis  avec  les  Charles  VII 
qui   sont  à   Saint-Denis  et   au    Louvre.   Ob- 
servez, Monsieur,  que  ce  sont  bien  là  quatre 
saints,  car  ils  sont  debout,  et,  autrement,  deux 
sur  quatre  seraient  agenouillés;  que  ce  sont 
les  Saints  patrons  de  l'Université,  de  la  Justice, 
de  Paris  et  de  la  France  —  des  saints   bien 
parisiens,  comme  on  dirait.  Les  hagiographes 
et  les  Sociétés  savantes  qui  s'occupent  de  Paris 
feraient,  en  mettant  la  question  à  l'ordre  du 
jour  de  leurs  séances,  surgir  sans  doute  quan- 
tité de  faits  nouveaux.  Mais  n'est-ce  pas  assez  ? 
Un  mot  pourtant  encore  s'il  vous  plaît.  On 
eût  pu  croire  que  M.  Amédée  Pigeon  connais- 
sait de  visu  les  armoiries  que  prend  l'Empire 
allemand.  Elles  sont  telles,  parce  que  l'imagi- 
nation des  peuples  voulut  que  Charlemagne 
les  ait  portées  telles  ou  presque  (car  certains 
disent  qu'il  porta  d'azur  à  l'aigle  d'or,  et  que 
ce  fut  un  de  ses  successeurs  médiats  qui  inversa 
les  émaux);  en  tout  cas,  parce  que,  depuis  un 
temps  immémorial,  elles  furent  les  armoiries 
du  saint  Empire  romain  germanique.  Or,  sur 
le  manteau  du  personnage  auquel,  bien  gratuite- 
ment, M.  Pigeon  attribue  le  nom  de  Henri  V 
d'Angleterre,  se  trouvent,  d'un  côté,  les  Heurs 
de  lis  sans  nombre;  de  l'autre,  l'aigle  d'Em- 
pire, d'or  à  l'aigle  éployée  de  sable.  L'aigle  se 
lit  fort  aisément  et  n'a  rien  qui  permette  de  le 
confondre  avec  les  léopards  d'or  sur  fond  de 
gueules  que  porte  l'écu  du  roi  d'Angleterre.  — 
M.  Amédée  Pigeon  a  écrit  des  romans  qui  ont 
eu  du  succès  :  il  est  à  douter  que  celui  qu'il 
vous  a  donné  obtienne  le  suffrage  de  vos  lec- 
teurs. Louis  DE   ROZKN. 


Monsieur, 

Le  fameux  retable  du  Parlement  a  beau- 
coup occupé  la  critique  depuis  le  jour  où  il  a 
quitté  le  Palais,  et  il  ne  semble  pas  que  les 
discussions  soient  près  de  cesser.  Une  ques- 
tion qui  paraissait  résolue  vient  d'être  reprise 
dans  le  numéro  des  Arts  de  janvier  :  M.  Amé- 
dée Pigeon  y  propose  de  changer  les  noms 
des  deux  souverains  Heurdelisés  qui  tiennent 
la  droite  et  la  gauche  du  tableau.  On  avait 
pensé  voir  en  ces  personnages  saint  Louis  et 
Charlemagne  ;  il  veut  y  reconnaître  Charles  VII 
et  Henri  V,  roi  d'Angleterre. 

L'opinion  s'était  déjà  fait  jour  que  saint 
Louis  nous  était  présenté  sous   les  traits  de 


Charles  VII;  la  thèse  n'est  donc  qu'en  partie 
nouvelle  sur  ce  point,  mais  en  somme  elfe 
peut  se  soutenir.  Je  ne  vois  pas,  pour  ma 
part,  d'empêchement  absolue  ce  que  ce  prince 
soit  réellement  Charles  VII.  Mais,  pour  ce 
qui  touche  Henri  V,  il  en  va  tout  autrement. 
Comment  admettre  que,  dans  l'enceinte  du 
Parlement,  on  ait  osé,  à  quelque  époque  que 
ce  soit,  avant  ou  après  le  départ  des  .Anglais. 
représenter  conjointement  les  deux  rois  rivaux? 
Au  surplus,  en  quoi  le  prestige  de  Charle- 
magne, de  cet  ancêtre  de  la  monarchie,  pou- 
vait-il être  atteint  par  le  fait  de  figurer,  comme 
saint,  à  gauche  du  Père  Éternel  au  pied  de 
la  croix,  et,  comme  souverain,  source  de  la 
Justice,  dans  une  peinture  destinée  à  rappeler 
aux  juges  leurs  devoirs?  On  sait  que,  dans  la 
grand'chambre  du  Parlement,  le  retable  était 
accompagné  de  deux  inscriptions  commina- 
toires tirées  des  Livres  saints,  menaçant  de 
châtiment  les  juges  prévaricateurs. 

Le  retable  présente  un  autre  petit  problème 
à  éclaircir.  A  l'arrièrc-plan,  à  gauche,  on  voit 
le  Louvre;  sur  ce  point  il  n'y  a  jamais  eu  de 
doute;  à  l'extrémité  droite,  c'est  le  Palais.  Ici 
il  était  permis  d'hésiter  un  peu.  On  retrouve 
bien  le  grand  degré,  le  portail  à  double  baie, 
les  grandes  fenêtres  gothiques,  la  tour  poly- 
gonale, située  vers  l'angle  de  la  cour,  mais 
tout  cela  déformé,  mal  placé.  De  plus,  un  pas- 
sage a  été  pratiqué  entre  les  bâtiments  du  lond 
et  les  bâtiments  en  retour;  une  arcade  sur- 
monte ce  passage,  qui  se  continue  en  chemin 
à  travers  la  campagne:  or,  il  n'y  eut  jamais  là 
de  passage,  d'arcade,  ni  de  chemin. 

A  mon  avis,  cependant,  c'est  bien  le  Palais. 
La  présence,  en  un  même  lieu,  du  grand  degré, 
du  portail,  des  fenêtres  et  de  la  tour  poly- 
gonale, en  est  un  sûr  indice;  et  quel  autre 
édifice  que  le  Palais  pouvait  être  choisi  pour 
accompagner,  de  pair  avec  le  Louvre,  les 
figures  de  deux  rois  de  France  dans  l'enceinte 
du  Parlement  de  Paris? 

On  peut  d'ailleurs  donner  une  explication 
des  singularités  que  j'ai  signalées.  La  scène 
principale,  le  Christ  en  croix,  est  à  Jérusalem  ; 
l'église  située  en  haut  de  la  colline  est  celle 
du  Saint-Sépulcre  elle  est  à  comparer  à  l'église 
du  Saint-Sépulcre,  qu'on  a  pu  voir  dans  une 
vue  de  Jérusalem,  certainement  traitée  d'après 
un  dessin  fait  sur  les  lieux.  N°  96  de  l'Expo- 
sition des  Primitifs).  Le  Palais  n'est  pas  seu- 
lement la  résidence  royale  et  le  siège  du 
Parlement,  c'est  aussi  le  palais  de  Pilaie,  où 
le  Christ  fut  jugé  et  condamné.  Il  a  été.  pour 
ce  motif,  figuré  non  dans  le  lointain,  comme 
le  Louvre,  mais  au  second  plan  ;  on  n'a  donc 
pu  présenter  qu'un  fragment  de  Icdifice.  Le 
chemin  qui  part  de  l'angle  droit  de  la  cour, 
c'est  la  Voie  douloureuse,  que  le  moyen  âge 
faisait  commencer  à  droite  des  ruines  de  la 
tour  .-Xnionia,  résidence  présumée  de  Pilaie; 
l'arcade  qui  surmonte  le  chemin,  c'est  l'être 


32 


TRIBUNE  DES    ARTS 


de  VEcce  Homo,  qui  s'élève  encore  en  ce  même 
endroit.  Je  me  sers  de  l'expression  :  arc  de 
FEcce  Homo,  parce  qu'elle  est  d'usage  cou- 
rant. On  sait  que  la  tradition,  qui  rattache 
à  cette  arcade  la  présentation  du  Christ  au 
peuple,  n'est  pas  antérieure  au  xvi=  siècle.  «  Au 
xiv«  et  au  xv=  siècle,  dit  M.  le  marquis  de  Vogué 
(Temple  de  Jérusalem,  p.  i25),  on  vénérait 
deux  pierres  encastrées  à  la  base  de  l'arc  et 
que  la  tradition  rattachait,  soit  à  la  scène  du 
Jugement  de  Jésus,  soit  au  Lithostrotos,  soit 
même  au  Porteme?it  de  la  croix.  »  —  «  Une 
arcure  de  pierre  qui  traverse  la  rue,  lequel  fit 
faire  S"^  Hélainne  et  au  haut  y  a  deux  grosses 
pierres  blanches  dont  sur  l'une  estoit  Notre 
Sgr.  quand  il  fut  jugié  à  mort  et  sur  l'autre 
Pillate  qui  le  jugea.  »  (Voyage  de  G.  Len- 
gherrand,  1485-1486.) 

Telles  sont  les  raisons  qui  ont,  à  mon  sens, 
altéré  sur  le  retable  la  physionomie  du  Palais 
de  la  Cité  au  xv=  siècle,  et  nous  privent  du 
plaisir  de  posséder  une  vue  sincère  de  la  grande 
cour  pour  cette  époque  reculée. 

'Veuillez  agréer.  Monsieur,  l'expression  de 
ma  considération  la  plus  distinguée. 

J.    GlWBERT, 

du   Cabinet  des  Estampes  de  la  Bibliothèque 
nationale. 


MONSIEIR, 

Répondant  à  l'appel  que  vous  adressez  à 
tous  vos  lecteurs,  je  crois  bon  devons  faire  con- 
naître les  quelques  réflexions  que  m'ont  suggé- 
rées la  lecture  de  l'article  de  M.  Pigeon  et 
l'étude  antérieure  du  retable.  Je  laisserai  de  côté 
la  question  de  savoir  si  les  deux  personnages  de 
droite  et  de  gauche  sont  réellement  Charles  VII 
et  Henri  V.  C'est  là  une  controverse  diificile 
à  trancher  sans  documents  précis,  et  l'attribu- 
tion de  M.  Pigeon  me  paraît  plus  ingénieuse 
que  vraisemblable.  Je  ne  m'en  occuperai  donc 
pas.  Mais  il  y  a,  dans  cette  même  communi- 
cation, deux  affirmations  qui  me  semblent 
discutables  au  plus  haut  point.  C'est  d'abord 
le  rapprochement  que  M.  Pigeon  établit  entre 
le  retable  et  la  Vierge  au  donateur,  c'est 
ensuite  l'attribution  de  ces  deux  œuvres  à  Jean 
Fouquet. 

Il  me  semble,  en  effet,  oiseux  de  venir  mettre 
en  doute  aujourd'hui  encore  l'origineflamande 
de  la  Vierge  au  donateur,  alors  que  tout,  au 
contraire,  tend  à  prouver  qu'elle  eut  pour 
auteur  Jean  Van  Eyck .  Nous  y  retrouvons 
tous  les  défauts  de  cet  artiste,  en  même 
temps  que  toutes  ses  qualités,  sa  pauvreté 
d'imagination,  sa  tendance  habituelle  à  copier 
servilement  la  nature,  ainsi  que  sa  facture 
merveilleuse ,  son  extraordmaire  talent  de 
dessinateur  et  de  coloriste.  Pouvons -nous 
faire  les  mêmes  constatations  à  propos  du 
retable?  Non,  cènes.  La  facture  en  est  plus 
lâche,  le  modelé  des  physionomies  moins 
parfait,  leur  expression  moins  puissante,  le 
coloris  plus  terne  et  moins  transparent.  Les 
types,  enfin,  ne  nous  rappellent  en  rien  ceux 
que  nous  avons  coutume  de  contempler  dans 
les  tableaux  flamands,  ce  qui  n'est  pas  le  moins 
du  monde  le  cas  pour  la  Vierge  au  donateur. 
Il  ne  reste  donc  en  faveur  du  rapprochement 
des  deux  œuvres  que  l'argument  spécial  invo- 
qué par  M.  Pigeon,  et  il  ne  me  paraît  pas  lui- 


même  bien  sérieux.  La  présence  dans  les  deux 
tableaux  d'un  personnage  à  peu  près  identique 
peut  fort  bien  être  l'effet  du  hasard;  de  plus, 
l'on  ne  peut  dire  que  ces  deux  personnages 
soient  rigoureusement  semblables,  ce  qui  affai- 
blit d'autant  l'argument.  Mais  je  laisse  de  côté 
ceci,  qui  n'est  qu'un  détail.  En  réalité,  je  le 
répète,  l'œuvre  ne  me  paraît  pas  digne  de  Van 
Eyck. 

J'invoquerai  le  même  argument  en  niant  que 
le  retable  puisse  être  attribué  à  Jean  Fouquet. 
Il  me  semble  d'ailleurs  qu'il  n'est  pas  une  des 
œuvres  assez  nombreuses  de  cet  artiste  qui 
puisse  être  rapprochée  de  celle  qui  nousoccupe. 
Rien,  ni  dans  la  facture,  ni  dans  le  choix  des 
types  et  des  personnages,  ne  me  paraît  favo- 
riser un  rapprochement  quelconque. 

Mais  je  ne  voudrais  pas  avoir  l'air  de  dé- 
truire l'édifice  péniblement  élevé  par  d'autres 
plus  habiles  certes  que  moi,  sans  y  apporter 
aussi  mon  humble  pierre.  Je  termine  donc  en 
disant  que  le  retable  est  à  n'en  pas  douter 
l'œuvre  d'un  artiste  qui  fit  en  Italie  un  fort 
long  séjour  :  ceci  ne  prouvant  d'ailleurs  rien 
contre  l'attribution  à  Jean  Fouquet,  mais  j'ai 
dit  plus  haut  pourquoi  je  considérais  cette 
attribution  comme  erronée.  Cette  question 
réglée  voici  les  arguments  sur  lesquels  j'ap- 
puie mon  dire.  Si  nous  examinons  la  partie 
centrale  du  retable,  nous  v  constatons  la  pré- 
sence d'un  édifice  surmonté  d'une  coupole  et 
flanqué  d'une  haute  tour.  Il  ne  me  paraît  pas 
qu'on  ail  accordé  à  cette  partie  du  retable  une 
attention  suffisante.  Elle  est  pourtant  révéla- 
trice. 

Comment,  en  eff'et,  expliquer  qu'un  artiste 
qui  n'a  Jamais  vécu  que  dans  des  pays  où  l'ar- 
chitecture gothique  règne  encore  d'une  façon 
absolue,  ait  eu  l'idée  d'un  pareil  édifice?  La  res- 
semblance du  monument  dont  il  s'agit  avec  les 
grandes  cathédrales  de  la  Renaissance  italienne 
est  frappante;  on  y  remarque,  à  côté  du  corps 
de  bâtiment  principal  surmonté  d'une  coupole, 
une  tour  qu'on  peut  assimiler  à  un  campanile 
et  un  édifice  plus  petit,  qui  rappelle  fortement 
certain  baptistère  de  la  cathédrale  de  Florence, 
qui  fut  achevée  en  1436.  On  peut  donc  sup- 
poser, sans  modifier  la  date  attribuée  au  re- 
table, qu'il  est  l'œuvre  d'un  artiste  qui  est  allé 
puiser  son  inspiration  à  la  source  italienne. 
C'est  à  mon  avis  de  ce  côté,  c'est-à-dire  dans 
les  écoles  du  midi  de  la  France,  qu'il  faut 
dorénavant  diriger  les  recherches.  Je  laisse  ce 
soin  à  d'autres  plus  qualifiés  que  moi.  J'ai 
voulu  seulement  faire  paît  aux  lecteurs  àe^Arts 
d'une  remarque  que  je  ne  crois  encore  avoir 
vue  nulle  part  et  qui  n'est  cependant  pas  dé- 
nuée de  toute  espèce  d'intérêt. 

Veuillez  agréer.  Monsieur,  l'expression  de 
ma  considération  distinguée. 

P.  DE  Mouv. 


Henri  V  porte  un  manteau  historié  et  parti  à 
dextre  de  France  ancien,  et  à  gauche  de  ce  qui 
semble  bien  être  un  semis  d'aigles. 

Si  ce  point  était  vérifié,  la  traditionnelle 
attribution  à  Charlemagne  semble  devoir  être 
maintenue,  car  c'est  là  les  armoiries  que  lui 
prêtent  les  miniaturistes  du  moyen  âge,  bien 
que  les  armoiries  à  l'époque  de  Charle- 
magne !... 

Accessoirement,  ajouterai-je  qu'un  roi  capé- 
tien de  France  n'a  pas  dij  voir  d'inconvénient 
à  voir  représenter  Charlemagne  à  gauche  de 
la  Trinité,  la  droite  étant  réservée  au  saint 
de  la  dynastie  capétienne?  Qu'en  1471,  ni 
Charles  VII,  ni  Henri  V,  morts  en  1461  et 
1422,  n'étaient  «  les  deux  rois  de  France 
d'alors?  »  Que  le  peintre  a  pu  prêter  à  saint 
Louisles  traits  de  son  successeur?  Que  jamais 
le  Parlement  n'a  siégé  au  Louvre?  Que  «  les 
juges  en  train  d'assister  à  des  supplices  »  sont 
des  accessoires  du  supplice  du  Christ,  seul 
visible  sur  cette  colline?  Qu'à  gauche  du  Père 
Éternel,  où  «  sont  les  maudits  »,  il  y  a  aussi 
saint  Denis  et  dans  le  fond  une  église? 

Enfin,  je  ne  crois  pas  que  Henri  V,  qui  n'a 
jamais  été  sacré  à  Notre-Dame,  soit  non  plus 
jamais  représenté  avec  la  barbeet  lacoiff"uredu 
personnage  du  retable.  Il  est  facile  à  ce  sujet  de 
consulter  l'ouvrage  de  Nyon  :  The  Great  Seals 
of  England. 

Veuillez  pardonner,  Monsieurle  Directeur, 
ces  nombreuses  questions  à  un  lecteur  assidu 
de  votre  si  intéressant  recueil  et  croxez  que  je 
serais  heureux  devoir  mes  doutes  éclaircis  par 


M.  Pigeon. 


L.    DUBREIIL. 


Monsieur  le  Directeur, 

A  propos  de  votre  article  sur  le  retable  du 
Parlement,voulez-vous  accueillir  une  remarque 
toute  simple  et  qui  sera  sans  doute  savamment 
réfutée  par  l'auteur  de  l'article? 

Le  personnage  que   M.   Pigeon  croit   être 


Monsieur  i.e  Directeur, 

Dans  le  numéro  de  janvier  de  votre  revue, 
les  Arts. ya\  lu  un  article  de  M.  Amédée  Pigeon 
sur  le  trop  fameux  retable  du  Parlement  de 
Paris. 

M.  Amédée  Pigeon  ne  veut  pas  que  les 
personnages  du  retable  soient  saint  Louis  et 
saint  Jean -Baptiste,  saint  Denis  et  Charle- 
magne. Il  reconnaît  Charles  VII  et  saint 
Jean  et  même  il  entend  ce  que  Charles  VII 
dit  à  saint  Jean  :  «  Ce  n'est  pas  ma  faute  si  je 
fais  la  guerre.  »  Soit!  Ce  qui  me  parait  plus 
difficile  à  admettre,  c'est  que  le  souverain  de 
droite  soit  Henri  V  d'Angleterre.  Nous  pen- 
sions, jusqu'à  présent,  que  c'était  Charlemagne. 
M.  Amédée  Pigeon  ne  le  veut  pas.  Il  ne  sau- 
rait admettre  que,  dans  une  peinture  dEtat, 
on  ait  placé  Charlemagne  à  la  gauche  du 
Père  éternel  et  qu'on  ait  ainsi  déconsidéré 
le  grand  Empereur.  Tels  ornements  héral- 
diques du  manteau  permettraient  en  vain  de 
reconnaître  Charlemagne.  Mais  la  logique  de 
M.  Amédée  Pigeon  est  impitoyable  :  il  ne  peut  ^m 
concevoir  qu'on  ait  placé  Charlemagne  à  la  ^^|! 
gauche  et  non  pas  à  la  droite  de  Dieu.  Cette 
place  de  défaveur  ne  peut  être,  selon  lui,  attri- 
buée qu'à  un  ennemi  de  la  France. 

Dès  lors,  il  n'hésite  plus  :  ce  roi  est  l'usur- 
pateur Henri  V.  11  déclare  que  sa  coiffure  est 
révélatrice.  Une  des  femmes  qui  pleurent  au 
pied  de  la  croix  n'est  autre  que  son  épouse,  et  le 


TRIBUNE    DES    ARTS 


33 


chien  du  premier  plan  est  le  propre  chien  du 
roi  Henri  V,  —  évidemment,  M.  Amédée  Pigeon 
en  juge  la  ressemblance  irréprochable.  Saint 
Denis  n'est  plus  saint  Denis  :  c'est  une  pro- 
phétie. Le  peintre  a  prévu  que  Henri  VI  serait 
égorgé  par  le  duc  de  Cîloucester  et  c'est  ce 
qu'il  a  voulu  signifier  en  plaçant  auprès  du 
pseudo  Henri  V  un  martyr  décapité.  Allons 
plus  loin,  Monsieui-  le  Directeur,  et  al'rirmons 
que  l'auteur  du  retable  a  prévu  la  tin  mal- 
heureuse de  Louis  XVL 

Ne  trouvez-vous  pas  que  les  logiciens  sont 
d'une  ingéniosité  vraiment  déconcertante  ? 
Supposez  qu'un  ignorant  regarde  ce  retable. 
Il  se  dira  tout  simplement  :  «  Au  centre,  il  y 
a  le  supplice  du  Christ,  avec  les  personnages 
habituels  :  les  femmes,  l'apotre,  les  bour- 
reaux. Rien  n'est  plus  naturel  :  ce  retable  était, 
en  effet,  destiné  au  Parlement  et,  jusqu'à  l'an- 
née dernière,  on  ne  pouvait  rendre  la  justice 
qu'en  invoquant  le  Christ,  ou  bien  en  se 
plaçant  sous  sa  protection.  Comme  cette  pein- 
ture était  destinée  au  parlement  de  Paris, 
l'auteur  a  rendu  hommage  aux  deux  saints  qui 
furent  chers  à  cette  ville,  saint  Jean  et  saint 
Denis.  Enfin,  il  a  placé,  à  gauche  de  son 
tableau,  un  roi  figurant  la  .Fustice,  et,  adroite, 
un  roi  figurant  la  F"orce,  parce  que  la  justice 
n'est  rien  sans  la  force  et  que  la  force  n'est 
rien  sans  la  justice.  » 

Mais  il  me  parait  hasardeux  de  supposer 
que  le  peintre,  chargé  d'un  tableau  ofhciel,  ait 
osé  opposer  à  Charles  Vil  son  plus  grand  en- 
nemi, Henri  V,  et  qu'il  en  ait  fait  le  type  du 
roi  fort.  Il  aurait  ainsi  manqué  plus  gravement 
aux  devoirs  protocolaires  i]u'en  plaçant  Char- 
lemauiie  à  la  i;auche  du  Sauveur. 


Ce  jeu  d'érudition  serait  assez  innocent. 
Mais  M.  .^médée  Pigeon  ne  se  contente  pas 
de  reconnaître  les  rois  et  les  saints;  il  prétend 
aussi  découvrir  l'auteur  du  retable,  et  il  nous 
affirme  que  cette  peinture  flamande  est  l'ctuvrc 
d'un  P'rançais.  Il  n'hésite  pas  à  l'attribuer  à 
Jean  Fouquet,  en  alléguant  que  cet  artiste 
avait  auprès  de  Charles  VII  la  situation 
qu'Ingres  occupait  auprès  de  Charles  X  :  ce 
n'est  qu'à  Jean  Fouquet  que  pouvait  échoir 
une  pareille  commande. 

Ce  raisonnement  est  spécieux.  M.  Amédée 
Pigeon  aime  certainement  Jean  P'ouquet  et  il 
fait  de  louables  efforts  pour  grossir  sa  pro- 
duction. Mais  il  n'ajoute  rien  à  sa  gloire  en 
lui  attribuant  cet  honnête  retable.  .Aussi, 
M.  .Amédée  Pigeon  ne  s'en  tient  pas  là,  et, 
très  généreusement,  il  confère  à  Jean  Fou- 
quet la  paternité  de  la  \'ieri;;c  au  Donateur, 
qui  est  au  Musée  du  Louvre  et  quOn  regarde 
assez  habituellement  comme  l'ituvre  du  plus 
grand  des  Van  Kyck. 

.■\h  !  Monsieur,  les  peintres  flaiViands  pas- 
.'^enl  un  mauvais  quart  d'heure.  On  les  conteste, 
on  les  dépouille.  Par  un  louable  sentiment  de 
patriotisme,  on  veut  que  des  primitifs  français 
aient  exécuté  toutes  les  peintures  flamandes  et 
voici  que  Jean  Fouquet  —  s'il  en  faut  croire 
M.  .Amédée  Pigeon  —  est  l'auteur  de  la  Vierge 
au  Donateur! 


Il  convient  de  citer  la  raison  qu'il  insoque 
j  l'appui  de  sa  thèse  :  "  Si  l'on  regarde  atten- 
tivement cette  Vierge  au  Donateur,  écrit-il, 
les  personnages  qui  sont  au  second  plan, 
regardant  le  paysage,  on  y  retrouvera  l'un  des 
personnages  du  fond  du  retable  du  Parlement 
de  Paris,  celui  qui,  revêtu  d'un  habit  rouge 
court,  à  manches  bouffantes,  tourne  le  dos 
aux  spectateurs  et  regarde  couler  la  rivière.  » 

Et  ce  détail  suffit  à  prouver  que  la  Vierge 
au  Donateur  est  due  à  l'artiste  qui  a  peint  le 
retable,  c'est-à-dire  à  Jean  Fouquet,  puisque 
M.  Amédée  Pigeon  veut  que  Jean  Fouquet  soit 
l'auteur  de  ce  retable. 

Je  me  permettrai  cependant  de  faire  obser- 
ver que  les  petits  personnages  en  question  se 
rencontrent  assez  communément  dans  les  fonds 
des  tableaux  flamands.  Qu'(jn  veuille  bien  se 
rappeler,  par  exemple,  une  peinture  de  Van 
der  Weyden,  Saint  Luc  dessinant  la  Sainte 
Vierge,  qui  se  trouve  à  la  Pinacothèque  de 
Munich  :  on  y  apercevra  un  groupe  d'arrière- 
plan  qui  est  assez  analogue  à  ceux  qu'on 
signale  dans  le  retable  et  dans  la  Vierge  au 
Donateur.  Faut-il  en  conclure  que  ce  saint 
Luc  est  aussi  de  Jean  Fouquet  : 

Mais  est- il  vraiment  nécessaire.  Monsieur 
le  Directeur,  de  démontrer  que  la  Vierge  au 
Donateur  ci^i  un  Van  Eyck...'- 

.Maintenant,  s'il  faut  absolument  que  le 
retable  du  Parlement  de  Paris  ait  été  peint  par 
un  Français,  donnons-le  à  Jean  Perréalet  qu'il 
n'en  soit  plus  question.  FZt  pourquoi  pas?  Si 
M.  Amédée  Pigeon  veut  bien  regarder  le 
Mariage  m)-slique  de  sainte  Catherine  qu'a 
peint  Perréal,  il  observera  un  saint  Jean  qui 
ressemble  à  celui  qui  est  représenté  dans  le 
retable,  un  petit  mouton  qui  fait  penser  au 
petit  mouton  du  retable,  une  vierge  assise  qui 
ressemble  à  la  vierge  éplorée  du  retable  et, 
comme  dans  le  retable,  des  bonshommes  qui 
regardent,  au  dernier  plan,  le  paysage.  .Mal- 
heureusement ce  tableau,  qui  figurait  à  l'expo- 
sition des  Primitifs  français,  n'est  pas  de  Per- 
réal, et  même  il  est  indiscutablement  flamand. 
J'en  appelle  à  l'autorité  de  M.  Henri  Bouchot. 

lîn  définitive,  je  crois  que  M.  Amédée  Pi- 
geon tient  en  réserve  des  raisons  plus  efficaces 
pour  soutenir  sa  thèse.  Pourquoi  ne  pas  les 
donner  ?  On  regrette  de  ne  pouvoir  admettre 
sans  les  contrôler  ses  affirmations;  si  elles 
étaient  justifiées,  il  en  résulterait  en  eflet  un 
accroissement  considérable  de  la  production 
française  et  notre  amour-propre  national  en 
serait  singulièrentent  flatté. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Directeur, 
l'assurance  de  ma  considération  distinguée. 

M.    JoiRDAIN. 


Conséquences  de  l'exposition  des  l'rimiliis  français 
LE  RETABLE  DU  PARLEMENT  DE  PARIS 

MoNSIEl'R    LK    DlRKCTEl  R. 

Les  Arts  ont  public  dans  leur  numéro  de 
novembre  IH04  un  article  de  M.  J.  Cîuitfrcy  sur 
le  Retable  du  Parlement  de  Paris  dont  il  ne 
m'appartient  pas  de  discuter  les  conclusions 


artistiques,  mais  ou  se  trouve  exposée  uncduc- 
I  trine  qui,  si  elle  csi  officielle,  met  en  péril  les 
;  droits  que  les  municipalii<5s,  les  corps  consii- 
;  tués  et  même  les  particuliers,  croyaient  pos- 
i  sédcr  jusqu'ici  sur  les  objets  dont  ils  avaient 
I  la   possession    immémoriale  ou  la   propriété 
I  constatée.  Ai-je  besoin  de  rappeler  à  vos  lec- 
.  leurs  les  termes  dont  s'est  servi  M.  J.  Guilfrey  r 
A  tout  hasard  et  pour  ne  point  être   suspect 
d'amplifier,  je  remets  sous  leurs  yeux  ce  pas- 
sage qui  aurait  pu  leur  échapper. 

«  Quelle  singulière  destinée  que  celle  de  ce 
'  rctabfe  !  dit  .M.  J.  GuifTrey.  Objet  de  vénération 

des  lungtcmps,  toujours  en  place  d'honneur,  — 
l  d'anciennes  estampes  en  font  foi,  —  dans  la 
I  grande  salle  du  Parlement  de  Paris,  aux  scances 
,  solennelles  des  xvii*  et  sviii<  siècles,  i  uneépoque 
\  où  les  peintures  de  nos  vieux  maîtres  étaient  fort 
I   peu  considérées,  il  n'avait  pourtant  pu  être,  jus- 

qu'à  ces  derniers  moi*,  étudié  <tvec  quelque  soin, 

lu  haute  importance  qu'on  lui  accordait  exigeant, 
{  parait-il,  une  place  élevée,  loin  du  sol  et  des 
I  yeux.  Il  était  en  même  temps  célèbre  et  presque 
I   inconnu.    Personne,    sauf   de   rares   privilégiés, 

quand  la  réfection  àe  la  Première  Chambre  atait 
I  exigé  des  échafaudages  complaisants,  n'ajant  été 
i  admis  jusqu'ici  à  l'examiner  d'assez  prés  pour  en 

connaître  autre  chose  que  la  disposition  générale, 

l'aspect,  la  silhouette  des  figures,  sans  pouvoir  en 
I  saisirsuffisammentle  détail,  pour  apprécier  l'exé- 
I  cution.  reconnaître  la  facture  et  chercher  à  en 

préciser  l'auteur.  Les  renseignements  qu*on  en 
I  donnait  étaient  aussi  vagues  que  s'il  se  fût  trouvé 
'  dans  le  village  le  plus  recule,  dans  la  province  la 
'   plus  arriérée  de  France,  et  non  daiu  un  palais 

public  du  centre  de  Paris.  On  en  avait  maintes 
:  Ibis  sollicité  le  prêt  pour  des  expositions  rctro- 
I   spcctives,  jamais  la  Cour  n'avait  consenti  a  s'en 

dessaisir,  et,  pour  décourager  à  l'avenir  d'aussi 

indiscrètes  demandes,  elle  avait  pris  un  arrêté 
I  interdisant  pour  loujoursle  prêt  du  f.imeux  retable. 
I  <  Les  organisateurs  de  l'Kvposition  des  Pri- 
]  mitifs  t'rançais  se  heurtèrent,  comme  leurs  dex-an- 
[  ciers,  à  un  refus  catégorique  et  quelque  peu 
;  hautain.  Alors  que  les  musées  de  Berlin,  de  Flo- 
!   rence,  d'Anvers,  de  Bruxelles,  de  Glasgow,  alors 

que  le  roi  d'Angleterre  et  le  prince  de  l.ichienstcin 
'  Je  Vienne  consotaient  à  envoyer  des  tableaux 
;  au  pavillon  de  Marsan,  on  ne  put  obtenir  que  le 
I  retable  du  Parlement  de  Paris  fit  le  trajet  du 
i   Palais  de  Justice  au  Louvre,  qu'il  avait  deià  fait 

autrefois  sous  la  Révolution.  La  mesure  radicale 

enlevant  les  emfilèmes  religieux  du  prctoire  vint 
,  donner  aux  promoirurs  de  l'entreprise  une  aide 
J  aussi  puissante  qu'inattendue.  La  résistance  fut 
;   encore  vive,  et  il  fallut  toute  l'opiniâtre  fennetéde 

M.  le  Directeur  des  Bcaux-.Arts  et  de  .M.  Geoiyes 
I  Berger  pour  en  triompher.  Le  tableau  quitta  pour 

toujours,  sans  doute,  le  vieux  palais  de  la  Cité. 

Il  est  aujourd'hui  expose  au  Louvre.  ■ 

.Ainsi,  sous  peine  d'excommunication  ma- 
jeure, toute  corporation  est  tenue  de  prêter  i 
tout  organisateur  d'exposition  le  ou  les  objets 
lui  appartenant,  dès   lors  que  cet   organisa- 
I  teur  estime  que  l'exhibition  en  est  utile  aux 
I  intérêts  de  l'.ART  et,  si  la  corporation  refuse 
I  de  déplacer  et  d'abandonner  pour  trois,  six  ou 
I  neuf  ntois  l'objet  convoité,  elle  est  dénoncée 
'  comme  rétrograde,  réactionnaire  et  cléricale. 
Trop  d'exemples  démontrent  le  profit  moral 
et  matériel  que  les  expositions  rétrospectixes 
,  procurent  à  tout  le  monde,  sauf  aux  légitimes 
I  propriétaires.  Bien  heureux  sont-ils,  ceux-ci, 
'  lorsque  leurs  objets  d'an  leur  reviennent  entiers, 
n'ayant  laissé  que  des  reflets  aux   mains  par 
lesquelles  elles  ont  passe.  Nous  reparlerons  de 


34 


TRIBUNE   DES  ARTS 


cette  question.  Il  en  est  une  autre  plus  grave  : 
Si,  contre  la  volonté  fermement  et  authen- 
tiquement  prouvée  de  son  possesseur,  l'objet 
en  question  est  prêté  à  une  exposition,  l'Etat 
est  en  droit  —  que  dis-je  !  —  en  devoir  de  le 
confisquer,  toujours  pour  l'intérêt  suprême  de 
FART,  et  s'il  fait  à  l'objet  l'honneur  sans  prix 
de  le  placer  au  Louvre,  le  propriétaire  n'a 
qu'à  se  confondre  en  remerciements  et  à 
rendre  grâces  aux  Dieux  qui  lui  ont  envoyé 
cette  bonne  fortune. 

Ainsi  fut-il  fait  non  seulement  pour  le 
Retable  du  Palais,  mais  pour  les  deux  statues 
de  l'église  de  Saint-Denis,  rien  qu'à  cette 
exposition  des  Primitifs.  Encore  tenia-t-on  de 
prouver  aux  gens  de  Villeneuve-lès-Avignon 
qu'ils  n'avaient  que  faire  de  leurs  tableaux  en 
piteux  état  et  prétendit-on  les  retenir.  Les 
gens  de  Villeneuve  ne  comprirent  point  que 
leur  intérêt  était  de  céder,  que  dis-je  !  d'offrir 
à  Messieurs,  comme  il  faut  dire  à  présent,  les 
perles  de  leur  musée  et  de  leurs  églises.  Ils 
menacèrent  de  faire  scandale.  On  n'insista 
pas.  Le  pays  est  trop  bien  pensant  pour 
manquer  d'avocats  ayant  l'oreille  du  ministère. 

Cette  théorie  de  la  confiscation,  nous 
l'avons  entendu  exposer  lors  de  l'Exposition 
de  iqoo.  N'a-t-on  pas  proposé  alors  de  retenir 
à  Paris,  dans  l'intérêt  de  PART,  les  trésors 
d'église  qu'un  grand  nombre  de  fabriques 
avaient  libéralement  prêtés?  Cela  était  bien 
trop  beau  pour  la  province  qui  ne  savait  qu'en 
faire,  cela  était  bien  trop  intéressant  pour  des 
curés  qui  célébreraient  bien  mieux  avec  des 
calices  en  aluminium  et  des  ostensoirs  en 
simili-bronze.  A  Paris,  à  la  bonne  heuie,  l'on 
en  saurait  tirer  parti  :  l'on  y  possède  des 
savants  infaillibles  (témoin  la  tiare  de  Saïta- 
pharnès) ,  des  conservateurs  auxquels  rien 
n'échappe  —  sauf  les  tabatières;  des  connais- 
seurs dont  le  flair  est  réputé  et  qui,  sur 
quelque  branche  qu'ils  s'exercent,  ont  acquis 
—  chèrement  pour  les  contribuables  —  une 
réputation  reconnue. 

En  effet  ! 

Il  y  a  mieux,  et  la  théorie  de  la  confiscation 
au  profit  de  l'Etat  ne  s'arrête  pas  même  aux 
villes,  villages,  fabriques  et  corporations:  lors 
des  travaux  préparatoires  de  l'Exposition  de 
igoo,  un   de  nos   amis,    égaré   dans   un  jury 
d'admission  pour  une  des  exhibitions  rétro- 
spectives, se   hasarda  à  demander  si  tout  par- 
ticulier  prêtant,    sur    la    demande    du    com- 
missaire   général,    les    objets    dont    il    était 
propriétaire  de  bonne  foi,  serait  garanti  contre 
une  revendication  éventuelle  de  l'État.  On  lui 
répondit  que  non.  Il  fit  observer  qu'en  matière 
de  meubles,  aux  termes  du  Code,  possession 
vaut  titre  et  que,  lorsqu'un  collectionneur  a 
acquis  régulièrement  d'un  marchand  patenté, 
un  objet  :  tableau,  statue,  livre,  manuscrit,  etc. 
il  en  est  propriétaire  légitime  au  même  titre 
que  d'une  obligation  ou  d'une  action  achetée 
chez  un  agent  de  change.  Une  action  ou  une 
obligation    volée    est    frappée   d'opposition  : 
l'agent  de  change  ne  doit  ni  ne  peut  la  vendre. 
Mais  où   est  la  liste  des  oppositions  formées 
par  l'Etat  à  des  transmissions  d'objets  d'art? 
On  répondit  à  notre  ami  que  nul  n'est  admis 


à  prescrire  contre  l'Etat,  que  la  possession  en 
ce  cas  est  toujours  précaire,  et  que,  pour 
rentrer  en  son  bien,  l'Etat  n'a  qu'à  faire  la 
preuve  que,  à  un  moment,  l'objet  a  appartenu 
à  un  souverain,  à  une  ville,  à  un  village,  même 
à  une  corporation,  une  congrégation  ou  un 
particulier  dont  les  biens,  ayant  été  confis- 
qués par  la  nation  ou  incorporés  à  son 
domaine,  ont  dû  faire  retour  à  l'Etat. 

N'avez-vous  point  ouï  parler  d'un  procès 
de  cette  sorte  qui  fut  récemment  intenté, 
soutenu  —  et  perdu  —  par  la  Bibliothèque 
nationale,  contre  un  des  plus  grands  et  des 
plus  honnêtes  libraires  de  Paris  ?  Là,  le 
libraire  s'est  trouvé  être  armé,  il  s'est  défendu 
et  il  a  gagné  son  procès;  ce  fut  une  chance 
qu'il  courut  et  il  fera  bien  de  ne  pas  renou- 
veler l'expérience.  Sur  cent  objets  que  possède 
le  collectionneur  le  plus  avisé,  le  plus  scrupu- 
leux, le  plus  méfiant,  en  est-il  dix  dont  il 
suive  la  filière  au  delà  du  vendeur  dont  il 
l'a  acquis,  dont  il  puisse  prouver  qu'ils  n'ont 
jamais,  à  un  moment  quelconque,  appartenu 
à  qui  que  ce  soit  ayant  eu,  de  près  ou  de  loin, 
un  rapport  avec  l'Etat  ?  En  général,  jusqu'ici, 
dit-on,  l'Etat  ne  revendique  que  dans  le  cas 
de  mise  en  vente  public^ue  :  mais  n'est-ce  pas 
qu'alors  le  collectionneur  est  le  plus  souvent 
mort,  et  quelles  preuves  donneront  ses  héri- 
tiers que  leur  auteur  a  acquis  et  possédé  de 
bonne  foi  ?  Comment  sauront-ils  même  où  et 
de  quelles  mains  il  a  acquis  ?  Ne  connaissez- 
vous  pas  de  ces  gens  à  mystère  qui  ne  révèlent 
point  quand,  où,  de  qui  ils  ont  acheté,  qui 
n'avouent  point  le  prix  qu'ils  ont  payé  et  qui 
volontiers  en  détruiraient  la  trace  ?  Bien  des 
motifs  d'ordre  intime  incitent  à  ces  cachot- 
teries, ne  serait-ce  que  la  conviction  qu'on  a 
surpavé  et  le  désir  de  l'oublier  soi-même. 

Admettons  que  le  collectionneur  soit  vivant, 
que,  par  des  pièces  en  règle,  il  établisse  que, 
depuis  trente  années,  l'objet  est  dans  le 
domaine  public.  Qu'importe,  puisqu'on  ne 
prescrit  pas  contre  l'État,  les  départements  et 
les  communes,  et  qu'il  suffit,  pour  établir  un 
droit,  d'une  mention  pouvant  se  rapporter  à 
l'objet  en  litige,  écrite  par  on  ne  sait  qui,  sur 
un  inventaire,  un  catalogue,  une  liste  quel- 
conque d'objets  ayant  appartenu  à  l'Etat,  à 
une  corporation,  ou  une  congrégation  ? 

Encore,  un  particulier  peut  se  défendre  et 
lutter;  mais  une  commune,  une  corporation, 
une  fabrique  d'église,  comment  résistera-t-elleà 
l'intimidation,  et,  si  elle  a  à  sa  tête  des  hommes 
assez  indépendants  pour  lutter,  que  pourra-t- 
elle  contre  le  fait  du  Prince  ?  La  procédure 
généralement  usitée  consiste  dans  le  classe- 
ment comme  monument  historique  du  tableau, 
de  la  statue,  de  l'objet  quelconque  dont  la  pos- 
session est  convoitée.  Sans  doute,  le  Conseil 
municipal  ou  le  Conseil  de  fabrique  peut 
prendre  une  délibération  contradictoire,  mais 
le  Prince  passe  outre.  Dès  lors,  la  propriété 
est  annulée,  l'objet  est  placé  sous  séquestre. 
Quelque  jour,  sous  un  prétexte,  on  sera  censé 
donner  une  compensation  à  l'église  ou  à  la 
commune;  on  offrira  à  l'une  des  gravures  de 
la  Chalcographie;  à  l'autre  une  chromolitho- 
graphie, une  linéographie,  ou  un  plâtre  coloré, 


et  le  tour  sera  joué.  N'en  avez-vous    pas  ici 
même  fourni,  en  1902,  un  curieux  exemple? 

En  entassant  dans  les  salles,  les  magasins 
et  les  greniers  du  Louvre,  les  objets  d'art 
ainsi  ramassés  et,  peut-on  dire,  confisqués  par 
toute  la  France,  a-t-on  du  moins  la  prétention 
qu'ils  soient  plus  en  sûreté  qu'ailleurs?  En 
dépouillant  la  province  au  profit  de  Paris, 
veut-on  dire  que  c'est  pour  mieux  conserver 
les  objets  d'art,  les  mieux  surveiller  et  les 
mieux  défendre?  La  conservation,  le  vol  des 
tabatières  de  la  collection  Lenoir  l'atteste;  la 
sûreté,  l'incendie  de  la  bibliothèque  du  Louvre 
la  démontre,  et  pour  la  sécurité,  elle  est 
garantie  par  la  cohabitation  des  chefs-d'oeuvre 
avec  le  ministère  des  Colonies,  malgré  les 
vœux  du  Conseil  supérieur  des  Musées  et  les 
votes  de  la  Chambre.  Inclinons-nous  :  le 
Prince  a  parlé. 

La  loi  et  l'équité  mises  à  part,  n'est-ce 
point  la  plus  étrange  des  anomalies,  en  un 
temps  qui  se  prétend  artiste,  qu'on  arrache 
ainsi  du  milieu  pour  lequel  ils  ont  été  conçus 
et  exécutés,  les  objets  d'art  que  la  piété,  la 
reconnaissance,  l'orgueil  ou  la  vanité  y  ont 
placés?  Ils  y  ont  leur  raison  d'être  et  ne  la 
peuvent  plus  trouver  dans  un  musée;  ils  y 
évoquent  des  souvenirs,  ils  v  constituent  une 
tradition,  ils  y  affirment  un  art  local,  ils  y 
définissent  un  état  d'esprit,  ils  ajoutent  à  leur 
beauté  la  gloire  du  souvenir  —  et  qu'on  ne 
s'imagine  point  qu'ils  y  soient  plus  mal  gardés 
que  dans  les  nécropoles  où,  en  entrant,  ils  per- 
dent leur  accent,  leur  valeur,  leur  signification 
pour  devenir  à  peine  un  document.  Ce  qui  se 
passa  en  1860  pour  les  tombeaux  des  Planta- 
genets  et  le  tombeau  du  comted'Harcourt,que 
le  Gouvernement  de  l'Empereur  prétendait 
offrir,  l'un  à  l'empereur  d'Autriche,  les  autres 
à  la  reine  d'Angleterre,  est  là  pour  démontrer 
qu'aussi  bien  et  mieux  que  les  conservateurs 
du  Louvre,  les  populations  de  Fontevrault  et 
d'Asnières  ont  su  garder  dans  leur  pays  des 
monuments  qu'elles  n'appréciaient  point, 
peut-être,  aussi  savamment,  mais  qu'elles 
savaient  au  besoin  défendre  fusil  en  main. 

Les  magistrats  de  la  Cour  de  Paris  ont  été 
vaincus.  Le  Garde  des  Sceaux,  qui  eût  dû  être 
à  leur  tête,  les  a  abandonnés.  Le  Retable  du 
Palais  de  Justice  est  devenu  matière  à  disser- 
tations critiques  et,  si  l'on  a  bien  lu  l'article 
de  M.  .1.  Guiffrey,  il  a  «  beaucoup  souffert  », 
il  a  été  «  très  restauré  »  ;  «  la  peinture  a 
{  perdu  sa  transparence,  les  colorations  ont 
été  alourdies  »  ;  il  ne  présente  aucun  intérêt 
historique.  Alors  pourquoi  tant  d'efforts  dé- 
ployés pour  en  obtenir  le  prêt,  tant  dé  ressorts 
mis  en  marche  pour  s'en  emparer,  tant  d'or- 
gueil à  déclarer  qu'on  ne  le  restituera  point? 

En  vérité,  bafouer  à  la  fois  ceux  qu'on 
dépouille  et  ce  dont  on  les  dépouille,  «  grâce 
à  la  mesure  radicale  enlevant  les  emblèmes 
religieux  du  prétoire  »,  n'est-ce  pas  un  peu 
trop  ? 

j         Veuillez  agréer.    Monsieur    le    Directeur, 
l'expression   des    sentiments   distingués   d'un 
I   maire  rural. 

Cl.AtDE    Dl  ILOT. 


Directeur:  M.  MANZI. 


Imprimerie  Manzi,  Joyant  âc  C'*i  Paris. 


Le  Gérant  :  G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N°  40 


PARIS   —   LONDRES  —    BERLIN   —  NEW-YORK 


Avril  1905 


i:licli,>  F,t,t,  iMumtmu  f  C«  ,'GeoiMj, 


J.  ANTH0NI5Z  VAN  RAVENSTEYN.  -  portrait  dVn  mécènk 
(Collection  de  M.  Léopold  Favre  (Genève) 


Cliché  Ft-eâ.  ïioissomas  ^  Cie  (Genh-e). 


MEINDERT  HOBBEMA.  —  paysage 
{Collection  de  M.  Liopold  Favre) 


La  Collection  de  M.  Léopold  Favre 


ART  tient  une  large  place  à  Genève.  Les  inté- 
rieurs élégants  y  sont  nombreux  et  con- 


tiennent souvent  des  œuvres  de  marque. 
Parmi  les  collections  d'art  ancien, celle  de 
M.  Léopold  Favre,  à  la  rue  des  Granges, 
est  une  des  plus  importantes.  Elle  est  con- 
sacrée à  la  peinture  hollandaise  et  a  été 
formée,  au  début  du  xix''  siècle,  à  Saint- 
Pétersbourg,  par  François  Duval,  de  Genève,  qui  était  joaillier 
de  la  cour  et  unissait  à  Thabilctédu  commerçant  le  goût  d'un 
Mécène.  Duval  a  fait  l'objet  d'une  notice  biographique  dans 
le  Messager  des  Beaux-Arts,  de  Saint-Pétersbourg  (t.  I, 
i833).  D'après  les  renseignements  qu'a  bien  voulu  me  com- 
muniquer M.  A.  Somof,  conservateur  de  la  Galerie  de 
l'Ermitage,  Duval  a  vendu  au  musée  impérial  un  Intérieur 
de  Corps  de  garde,  par  J.  Le  Duc,  en  i8o5;  un  Hameau 
situé  sur  un  ilôt  de  la  Meuse,  par  A.  Van  der  Neer,  en  1806, 
ei  un  Paj^sage,  attribué  à  Sébastien  Bourdon,  en  1807.  En 
outre,  plusieurs  tableaux  destinés  à  des  personnages  de  la 
cour  lui  passèrent  par  les  mains,  ifse  constitua  une  collec- 


tion, dans  laquelle  figuraient  la  plupart  des  grands  noms  de 
la  peinture  hollandaise,  et  en  forma  une  autre,  moins  consi- 
dérable, pour  son  frère.  Revenus  à  Genève,  les  frères  Duval 
aliénèrent  leurs  galeries  de  tableaux.  Celle  de  François  lut 
vendue  en  grande  partie  au  duc  de  Morny,  tandis  que  celle 
de  son  frère  resta  à  Genève  et  passa,  en  1820,  avec  l'hôtel 
où  elle  était  installée,  aux  mains  de  la  famille  Favre. 

Lorsqu'on  pénètre  dans  le  salon  de  M.  Léopold  Favre,  le 
regard  s'arrête  tout  d'abord  sur  une  peinture  signée  de  Jean 
Ravensteyn.  Un  magistrat  de  belle  apparence  s'approche 
d'un  jeune  clerc,  l'engage  à  quitter  son  étude  pour  se  consacrer 
à  son  art  préieré  et  lui  en  offre  les  moyens.  Quel  est  ce 
Mécène  que  l'artiste  a  peint  avec  tant  de  soins?  Sans  doute 
le  bailli  Willem  van  Outshoorn,  dont  Ravensteyn  a  introduit 
le  portrait  dans  une  de  ses  grandes  toiles  du  musée  municipal 
de  la  Haye  :  Le  Magistrat  recevant  les  Gardes  civiques.  Ici, 
le  bailli,  qui  préside  la  table  des  fonctionnaires,  se  tourne 
vers  les  délégués  de  la  garde  et  lève  son  verre  en  leiir  hon- 
neur. L'identité  du  portrait  de  Genève  et  de  celui  de  la 
Haye  est  frappante  :  on  y  constate  le  même  profil  accentué. 


CIkM  FrW.  Bmwmiuu  f  Vit  lOrnit). 


THOMAS  DE  KEYSER.  —  portrait  o'hommb 
(Collection  de  M.  Lèopold  Favre) 


LES   ARTS 


le  même  nez  aquilin,  les  mêmes  yeux  vifs  profondément 
enchâssés  dans  leurs  orbites,  le  même  front  découvert,  la 
même  bouche,  le  même  port  de  barbe.  Dans  la  peinture 
de  la  Haye,  qui  date  de  1618,  le  bailli  paraît  toutefois  plus 
âgé.  Il  en  résulte  que  le  tableau  de  M.  Favre,  d'origine  plus 
ancienne,  est  une  œuvre  de  Jeunesse.  Peut-être  Ravensteyn  y 
a-t-il  fixé  un  épisode  de  sa  vie.  En  ce  cas,  nous  nous  trouve- 
rions  probablement   en    face    d'un    ouvrage    dont   l'artiste 


reconnaissant  aurait  fait  hommage  à  son  bienfaiteur.  Quoi 
qu'il  en  soit,  ce  tableau  est  une  des  œuvres  capitales  du 
maître  et  inaugure  de  la  façon  la  plus  heureuse  la  brillante 
évolution  du  portrait  hollandais  au  xvn=  siècle. 

hc  Paysage  d'Hobbema.  semble  avoir  été  composé  sous 
l'influence  de  Ruysdaël.  A  droite  s'élèvent  deux  chênes  aux 
troncs  noueux.  Devant  eux  s'étend  une  mare  où  surnagent 
quelques   plantes  aquatiques.  A  gauche,  un  chemin    bordé 


Cliché  Fred.  BoitKyintu  ^  Cie  (Genève). 


GERARD  DOW.  —  lechiruroiiîn 
fCoUcctinn  de  M.  Lènpold  Favre) 


d'une  allée  d'arbres  passe  près  d'une  chaumière  et  se  perd 
dans  un  sous-bois  lointain.  Vers  l'horizon  s'amassent  des 
nuages.  Bientôt  l'orage  grondera  au-dessus  de  ces  chênes 
qui  paraissent  défier  les  siècles,  mais  n'échapperont  point  à 
leur  destinée.  A  côté  de  cette  évocation  grandiose,  combien 
chétifs  apparaissent  les  hommes  transplantés  dans  ce  mi- 
lieu !  Il  semble  que  l'artiste  ait  voulu  opposer  ici  la  fragilité 
humaine  à  la  puissance  de  la  nature.  Une  telle  interpréta- 
tion est  plus  familière  à  Ruysdaël  qu'à  Hobbema,  dont  les 
paysages   traduisent  d'ordinaire   des  impressions   sereines. 


Comparons,  par  exemple,  cette  toile  avec  un  Paysage 
d'Hobbema  de  la  Galerie  MohUe,  à  Copenhague.  La  donnée 
est  la  même  dans  les  deux  tableaux.  Msis  les  arbres  et  le 
ciel  sont  plus  délicats  dans  celui  de  Copenhague,  qui  produit 
l'effet  d'une  idylle  plutôt  que  celui  d'un  drame.  En  revanche, 
c'est  dans  une  œuvre  de  Ruysdaël,  le  Marais,  à  l'Ermitage 
de  Saint-Pétersbourg,  que  nous  retrouvons  les  nénuphars  et 
les  joncs,  les  clairières  ensoleillées,  les  sous-bois  mystérieux 
et  les  éclaircies  lointaines  du  tableau  de  Genève.  Ce  dernier 
a  aussi  un  ciel  plus  mouvementé  que  ceux  dont  Hobbema 


LA    COLLECTION  DE  M.    LIiOPOLD   FAVRE 


faisait  choix  dans  la  plupart  de  ses  oeuvres.  De  telles  parti- 
cularitcis  ne  nous  inspirent  toutefois  aucun  doute  sur  l'au- 
thenticité du  tableau,  qui  porte  bien  le  cachet  du  maître. 

Le  Portrait  d'un  Maffistrat,  par  'l'homas  de  Kcyser, 
nous  transporte  à  Amsterdam  et  révèle  l'assurance  que  pre- 
nait, au  XVII' siècle,  l'opulente  bourgeoisie  d'une  des  pre- 
mières villes  du  monde.  Thomas  de  Kcyser  était  HIs  d'un 
architecte  et  hérita  de  son  père  le  goût  du  décor  à  la  fois 
sobre  et  monumental  dont  nous  voyons  ici  un  exemple.  La 
seule  pièce  de  mobilier  qui  orne  cet   intérieur  est  un  bahut 


au  pied  duquel  le  peintre  a  inscrit  son  monogramme  et  la 
date  1634.  Le  monogramme  a  été  effacé,  mais  la  date  est 
conservée,  et  l'écriture  est  bien  celle  de  Kcyser.  Aucune 
recherche  d'élégance,  telle  que  l'aimaicni  Rubcns  et  Van 
Dyck,  ne  distingue  l'attitude  du  personnage.  Mais.dantcctie 
immobilité,  quelle  intensité  de  vie,  quelle  puissance  d'ex- 
pression, quelle  pénétration  du  regard  !  On  sait  que  Thomas 
de  Keyser  a  exercé  une  influence  sur  Rembrandt.  Lorsqu'on 
rapproche  le  portrait  dont  nous  venons  de  parler  de  celui 
d'un  Bourgmestre  par  Rembrandt,  au  musée  d'.Xnvers,  daté 


l'.lîfht^  Freit.  Ihîftotuaê  f  Cit  (Ufufv^). 


PHILIPS  WOUWEHMAN.  —  IIALTI!  LtVA.tT   LAtiBBRoa 
(CoUcction  lie  M.  Lc^pnlH  ra%'rel 


de  1037,  et  que  l'on  considère,  dans  ces  ouvrages,  le  rendu 
minutieux  des  mains  et  l'éclat  des  chairs,  on  saisit  les  liens 
qui  unissaient  ces  deux  peintres. 

Gérard  Dow  se  fait  remarquer,  dans  la  collection  Favre, 
par  une  teuvre  de  début  qui  révèle,  à  travers  des  imperfec- 
tions techniques,  les  qualités  de  tinesse  par  lesquelles  ce 
peintre  a  contribué  à  renouveler  l'art  de  son  pavs.  "Transpor- 
tés dans  le  cabinet  d'un  chirurgien,  nous  sommes  témoins 
d'une  de  ces  opérations  que  les  «  petits  maîtres  »  aimaient  à 
copier  sur  le  vif.  Une  douce  lumière  filtre  dans  cet  intérieur 
et  enveloppe   hommes  et   choses  de   ses  reHeis  atténués; 


Gérard  Dow,  à  la  fois  idé.ili&ie  par  l'ordonnance  et  rcali&ic 
par  l'exécution,  disposait  la  scène  dans  son  atelier  ci  la 
reproduisait  ensuite  avec  une  exactitude  consciencieuse.  Le 
tableau  de  M.  Favre  est  un  exemple  frappant  de  ce  procédé. 
Dans  les  trois  personnages  qui  entourent  le  patient,  on  a 
voulu  reconnaître  Rembrandt  et  ses  parents.  Les  types  res- 
semblent cnctfetaux  portraits  de  cette  famille:  la  femme  âgée 
surtout  rappelle  •  la  mère  de  Rembrandt  »,  de  Gérard  Dow. 
au  musée  de  Berlin.  .Ajoutons  que  le  peintre,  ayant  fait  ses 
débuts  dans  l'atelier  de  Rembrandt  vers  l'année  1618.  eut  alors 
mainte  occasion    de    pourtraire    l'entourage  de  son  jeune 


LES    ARTS 


maîire.  Cette  hypothèse  n'est  donc  point  dc'nude  de  fondement. 
La  Halte  devant  l'Auberge,  de  Wouwerman,  est  signée  du 
monogramme  dont  le  maître  faisait  usage  durant  la  période 
la  plus  féconde  de  sa  vie.  Elle  est  comparable  à  ses  meilleurs 
morceaux,  tels  que  V Arrivée  à  l'Hôtellerie,  du  musée  de  la 
Haye,  ou  le  Sac  du  Village,  de  la  Pinacothèque  de  Munich. 


Au  centre,  un  cheval  gris  pommelé,  qui  ne  manque  pas  dans 
la  plupart  des  compositions  de  Wouwerman,  donne  la  note 
sur  laquelle  s'accordent  les  nuances  du  tableau. 

Wouwerman,  quoiqu'il  eût  rarement  traité  des  sujets  reli- 
gieux, s'est  montré  à  la  hauteur  de  sa  tâche  en  figurant  le 
Prophète    Elisée   raillé  par  des  Enfants.    Le   coloris   n'y 


Cliché  Fi-cd.  fioistosniai  ^  Cie  (G'Kéiej. 


PHILIPS  WOUWERMW.  _  le  pnupiil:Tii  iiLisÉE 
iCotlectinn  de  M.  Lénp-ild  t'avre} 


atteint  pas  la  légèreté  que  nous  venons  de  remarquer  dans 
la  Halte  devant  l'Auberge.  En  revanche,  la  vivacité  des 
petits  garnements,  si  bien  contre-balancée  par  l'attitude  digne 
du  prophète,  rivalise  avec  les  plus  brillantes  évocations  du 
rire  enfantin.  Les  gestes  francs,  les  silhouettes  enlevées  font 
penser  à  Vélasqucz  et  rappellent  les  influences  réciproques 
dont  se  pénétraient,  au  xvn=  siècle,  l'Espagne  et  les  Pays-Bas. 


Van  dcr  Meulen,  le  peintre  des  Gobelins,  fait  preuve  de 
sens  dramatique  dans  le  Choc  de  Cavalerie.  Au  premier  plan, 
les  cavaliers  fondent  les  uns  sur  les  autres.  Leurs  chevaux,  le 
regard  plein  de  feu,  semblent  participer  à  la  lutte.  Le  paysage, 
dont  le  ciel  s'obscurcit  et  dont  les  arbres  ploient  sous  la 
bourrasque,  forme  un  décor  approprié  à  l'épisode  de  guerre. 

On  admire,    dans    le  grand    paysage   attribué    à    Cuyp, 


la  limpidité  de  l'atmosphère  et  la  composition  harmonieuse. 
Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  rencontré  chez  M.  Favrc 
que  des  peintres  hollandais.  L'éclectisme  éclairé  qui  a  pré- 
sidé à  la  formation  de  cette  galerie  y  a  cependant  introduit 
un  spécimen  remarquable  de  l'art  français  :  La  Visitation, 
de  Philippe  de  Champaigne.  Dans  celte  œuvre,  la  sobriété 
du  décor,  la  distinction  des  gestes,  l'harmonie  des  lignes,  le 
relief  saillant  des  draperies,  qui  semblent  avoir  été  moulées 


sur  des  statues  antiques,  nous  font  toucher  du  doigt  les  qua- 
lités et  les  défauts  de  la  peinture  ofHcielle  du  siècle  de 
Louis  XIV.  Le  fait  que  la  "Vierge  est  placée  à  droite,  alors 
que,  suivant  la  tradition  iconographique,  elle  devrait  se 
trouver  à  gauche  du  tableau,  permet  de  supposer  que  nous 
sommes  en  présence  d'un  canon  destiné  sans  doute  aux 
Gobelins,  dont  le  maître  était  un  actif  collaborateur. 

Les  œuvres  de  la  galerie  Favre   ne  sont  pas  toutes  repro- 


CUelf  l'red,  liù, 


A.    CUVP.    —  VACIIRS   AU   REPOS 

(Coliectinii   de    M.    Lénpnld    Favrej 


duites  ici.  Pour  être  complet,  il  faudrait  mentionner  encore 
un  5a/;j/ ye'rdme  de  Steenwyk,  un  Anachorète  et  un  Inté- 
rieur d'Estaminet  de  Teniers  le  jeune,  une  Chasse  aux 
Cerfs  d'Hackaen,  un  Intérieur  de  la  Cathédrale  d'Anvers 
de  Peter  Neefs,  une  Léda  de  Van  der  Wertf,  et  plusieurs 
autres  tableaux  de  petites  dimensions. 

Une  circonstance  n'aura  pas  échappé  à  quelques-uns  de 
nos  lecteurs  :  dans  cette  galerie,  constituée  à  Saint-Péters- 
bourg, figurent  des  noms  particulièrement  bien  représentés 
à  l'Ermitage:  Gérard  Dow,  Wouwerman,  Albert  Cuyp.  Une 


telle  coïncidence  n'est  pas  fortuite;  elle  indique  qu'au  début 
du  xix=  siècle  certains  peintres  jouissaient  d'une  faveur  spé- 
ciale dans  les  milieux  d'art  russes. 

La  collection  de  M.  Léopold  Favre  mérite  d'autant  plus 
d'être  mise  en  lumière  que  son  propriétaire  l'apprécie  en  ama- 
teur éclairé  et  lui  a  donné  récemment  un  cadre  élégant  en  res- 
taurant son  hôtel  de  la  rue  des  Granges.  Il  a  mis  à  contribution, 
dans  cette  œuvre,  les  ressources  de  l'architecture  moderne 
tout  en  respectant  l'harmonie  du  passé,  qui  revit  en  sa  demeure 
sous  une  de  ses  faces  les  plus  attravantes. 

G.   nie    MANDACH. 


LA    Cni.T.ECTinN  DE   M.   I.ÉOPOLD    FAVRE 


Cliché  F'ti.  Hmsùnnat  ^  Ci»  fGtHtvtJ, 


PHILIPPE  Dt  OHAMPAloNt.  —  la  visitatiow 
(Collée lion  de  M.  LèopoU  Favre) 


Pholo  Laurent  (MadridJ. 


SARCOPlIAnE  VISIGOTH-ROMAIN    EN    PIIÎRRE 

Fin  du   IV*  siècle  ou  commencement  du  v« 


LE  MUSÉE  PROVINCIAL  DE  BURGOS 


5E  voyageur  qui  arrive  à  Burgos  court  d'abord 
à  la  prestigieuse  cathédrale,  dont  la  superbe 
tour  centrale  et  les  deux  légères  flèches 
pointent  vers  le  ciel  ;  l'intérieur  de  cette 
gigantesque  fleur  architecturale  le  sub- 
jugue et  l'éblouit,  avec  son  chœur  sans 
pareil,  ses  stalles  merveilleuses,  ses  innom- 
brables chapelles  regorgeant  de  chefs-d'œuvre.  Il  monte 
ensuite  à  la  Cartuja  de  Miraflores  admirer  les  tombeaux 
élevés  par  Gii  de  Siloé,  dignes  de  ceux  de  Dijon  et  de  Brou. 
Enfin,  s'il  en  a  encore  le  temps,  il  se  fait  conduire  à  l'antique 
monastère  de  Las  Huelgas,  au  cloître  sans  égal  dans  les 
Castilles;  mais  il  néglige  presque  toujours  le  petit  musée, 
blotti  tout  proche  de  l'Arlanzon,  dans  les  salles  de  l'Arco 
Santa  Maria,  construction  des  plus  intéressantes  et  des  plus 
pittoresques,  édifiée  au  commencement  du  xvi=  siècle. 

Ce  monument  est  flanqué  de  six  tourelles  crénelées,  orné 
des  statues  de  la  Vierge,  de  Charles-Quint  et  des  preux  des 
temps  héroïques  de  l'histoire  de  Burgos. 

Quelque  étrange  que  la  chose  puisse  paraître,  c'est  dans 
les  différentes  salles  échelonnées  parmi  les  divers  étages  de 
cette  sorte  de  château  fort  que  se  trouvent  réunis  les  objets 
d'art,  tous  du  plus  grand  intérêt,  qui  font  partie  de  cette 
collection  provinciale.  Ils  proviennent  des  différentes  époques 
de  l'histoire,  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos 
jours. 

Passons  vite  devant  les  monuments  de  l'art  antique  : 
stèles,  pierres  milliaires,  fragments  de  mosaïques,  autels, 
statues,  bustes  et  statuettes;  à  part  une  statue  romaine, 
trouvée  dans  les  ruines  de  Salonica,  et  une  statuette  datant 
du  règne  des  Césars,  ces  vestiges  intéressent  surtout  l'ar- 
chéologue. 

Un  sarcophage  visigoth-romain  de  la  fin  du  iv=  siècle  ou 
du  commencement  du  v=,  réclame  plutôt  l'attention  ;  il 
est  en  pierre  et  montre  sur  l'une  de  ses  faces  extérieures  une 
longue  frise  sculptée  renfermant  différentes  scènes  que  nous 
n'essaierons  pas  d'expliquer,  mais  certainement  chrétiennes, 
puisque  l'on  y  voit,  aux  extrémités,  une  vigne  portant  une 
grappe,  —  allusion  à  la  Terre  promise,  c'est-à-dire  à  la  Résur- 
rection, —  le  monogramme  du  Christ,  l'échelle  de  Jacob, 
figurée  par  deux  personnages  qui  soutiennent  une  échelle,  la 
colombe  de  l'arche  du  déluge,  etc. 


Ces  différents  sujets,  dus  au  ciseau  de  pi'aticicns  inex- 
perts, sont  traités  d'une  façon  barbare  qui  ne  manque  cepen- 
dant pas  d'une  certaine  ampleur.  On  sent  que  ceux  qui  les 
ont  exécutés  ont  subi  l'influence  des  modèles  des  belles 
époques  dont  les  Castilles  étaient  couvertes  malgré  les  inva- 
sions qui  se  succédaient  sans  interruption  sur  leur  sol.  Ces 
œuvres  d'art,  qu'ils  rencontraient  de  toutes  parts,  et  sur  qui 
souvent  s'abattait  leur  démence  iconoclaste,  impressionnaient 
leur  goût,  et  tout  en  les  détruisant,  ils  s'en  imprégnaient  et  ils 
les  imitaient  inconsciemment  dansla  mesure  de  leurs  moyens. 

L'art  mauresque  est  représenté  ici  par  différents  mor- 
ceaux de  premier  ordre.  C'est  d'abord  un  magnifique  pla- 
fond composé  de  milliers  de  morceaux  de  bois  résineux  qui, 
se  brisant  et  s'entre-choquant  sans  cesse,  forment  des  arêtes, 
des  dômes  et  des  pendentifs  successifs,  des  arabesques  et 
des  combinaisons  géométriques  des  plus  imprévues  et  des 
plus  ingénieuses.  Malheureusement,  ce  chef-d'œuvre,  exécuté 
par  des  artisans  mudejares,  c'est-à-dire  par  des  Maures  restés 
en  Espagne  jusqu'à  leur  expulsion  définitive  par  Philippe  III, 
est  en  fort  mauvais  état.  Il  faut  placer  à  côté  deux  portes  de 
même  espèce,  des  plus  élégamment  enjolivées.  Viennent 
ensuite  deux  superbes  arcatures  en  stuc  provenant  de  l'an- 
cienne porte  de  la  ville,  remplacée  par  l'Arco  Santa  Maria, 
le  musée  actuel.  Leur  capricieuse  et  subtile  décoration, 
fouillée  au  possible,  véritable  dentelle  d'une  finesse  surpre- 
nante, composée  de  feuillages,  de  fleurs,  de  lettres  arabes, 
de  lacs,  d'entrelacs  et  de  rinceaux,  s'enroule  autour  des  jam- 
bages des  portes,  de  l'arc  guilloché  des  cintres  et  s'évase  sur 
les  frises,  partagées  au  milieu  par  un  écusson  aux  armes  de 
la  cité. 

Citons  aussi  de  curieux  coffrets  ouvragés,  les  uns  en 
bois,  les  autres  en  ivoire,  du  goût  le  plus  délicat  et  le  plus 
précieux,  ainsi  qu'un  casque  maure  de  la  fin  du  xiv"^  siècle, 
rare  et  caractéristique. 

L'art  romano-byzantin,  qui  a  régné  assez  tard  dans  les 
Castilles,  offre  de  merveilleux  spécimens  du  mobilier  litur- 
gique :  d'abord  un  devant  d'autel  ou  frontal  provenant  de 
l'ancienne  abbaye  de  Santo  Domingo  de  Silos. 

Formé  d'une  armature  de  bois  recouverte  d'un  revête- 
ment de  cuivre  sur  lequel  sont  appliquées  de  nombreuses 
plaques  émaillées,  il  était  en  outre  orné  autrefois  de  gemmes 
dont    on  ne    voit    plus    malheureusement  que   les  alvéoles. 


f>«M«  U»n»l(Mt*1il. 


EL  ARCO  DE  SANTA  MARIA 

VUE  EXTERIEURS  DU  MUSiE  PROVINCIAL  DE  BURGOS 


12 


LES   ARTS 


Photo  LaUfCttl  fMadridJ. 

C'est  une  des  plus  rares  produc- 
tions de  réma'llerie  limousine, 
une  de  ses  pièces  les  plus  abso- 
lument belles.  Bordée  en  haut 
et  en  bas  d'une  bande  de  métal 
gui  Hoché,  et  ornée  d'émaux 
rectangulaires,  puis  de  cinq 
gemmes  disposées  en  quinconce, 
elle  est  divisée  en  douze  arca- 
tures  séparées  au  milieu  par  un 
ove.  Chaque  arcature  est  for- 
mée de  colonnes  engagées,  mar- 
telées à  jour,  toutes  différentes, 
reposant  sur  un  socle  et  sur- 
montées de  chapiteaux  soute- 
nant l'arc  qui  sert  de  support  à 
des  figurations  repoussées  au 
marteau,  de  tours  et  d'églises  à 
coupoles. 


Di'.lail 

arcaiuue;  lî.N  STUC  iMtuvi:.\A-NT  n'u.Mi  am:u-:.\-\e  l'oHTi;  DE  nritiios 

.  Épociuc  arabe 

(Musée  provincial  de  Burgos) 


Dansl'ove  médian,  le  Cinrist 
est  assis,  la  main  droite  levée 
pour  bénir,  la  main  gauche 
posée  sur  le  livre  de  la  Loi; 
dans  les  écoinçons  sont  appli- 
qués les  symboles  des  quai  ru 
évangélistes.  Dans  chacune  des 
arcatures  se  tient  l'un  des  douze 
apôtres,  dont  la  tête,  en  cuivre 
ciselé  et  repoussé,  est  à  relief 
fortement  saillant  ;  le  reste  du 
corps,  émaillé  à  plat,  à  la  taille 
d'épargne,  sans  juxtaposition  de 
couleurs,  à  l'exception  de  l'or- 
froi  qui  est  séparé  par  une  cloi- 
son réservée.  Ces  apôtres,  ainsi 
que  le  Christ  qui  les  domine, 
rappellent,  par  bien  des  côtés, 
les  personnages  représentés  dans 


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LES    ARTS 


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iuhmal  dautim.  k.n  U4HS  AVEC  revi:ti:.\ii:.nt  i>k  cLivniî  et  de  tlav^ues  emaillees 

Art  romaoo-liyzanlin.  —  Fin  du  xii»  siccle  ou  début  du  xin<- 

(Musée  provincial  de  Burgos) 


.,1  (Mmh,.lj. 


DETAIL   DE    I.A    PAHTIE  CENTHAI.E    DU    ER(^^TAL   D  AUTEL  CI-DESSUS 

(Musée  provincial  de  Burgos) 


i6 


LES   ARTS 


les  mosaïques  ou  sur  les  miniatures  byzantines;  ils  en  ont 
la  raideur,  la  force,  la  passivité  et  l'allure  hiératique;  aussi, 
à  première  vue,  l'œuvre,  qui  date  probablement  de  la  fin  du 
xii«  siècle,  et  peut-être  même  du  commencement  du  xni=, 
parait  être  d'une  époque  plus  ancienne. 

D'autres  objets  liturgiques,  de  moindre  importance,  il  est 
vrai,  mais  néanmoins  fort  curieux,  appellent  les  regards.  Ce 
sont  :  un  petit  coffret  de  l'époque  carlovingienne  provenant, 
comme  le  frontal  d'autel,  de  l'abbaye  de  Silos,  ancien  reli- 
quaire dont  les  émaux  portent  des  dessins  frustes  et  primi- 
tifs ;  puis  un  autre  coffret  recouvert  de  plaques  d'ivoire 
figurant,  au  milieu  d'un  enchevêtrement  étrange  de  fleurs  et 
de  feuillages,  des  chasseurs  poursuivant  à  coups  de  flèches 
des  animaux  fabuleux  ;  enfin,  plusieurs  crucifix  des  xu=  et 
xiM=  siècles,  en  cuivre  guilloché  et  en  fer  repoussé,  aux 
extrémités  pattées,  portent,  sur  la  face,  des  Christs  en  relief 
du  travail  le  plus  barbare,  une  sorte  de  jupon  attaché  aux 
hanches,  et,  sur  le  revers,  soit  la  Vierge  et  aux  extrémités  de 
la  croix  des  têtes  d'anges,  soit  le  Père  éternel  et  les  quatre 
évangélistes.  Quelques-uns  de  ces  crucifix  laissent  apercevoir 
des  traces  d'émail. 

Du  moyen  âge,  nous  trouvons  surtout  des  monuments 
funéraires,  des  pierres  gravées,  des  tombeaux  dont  la  partie 
supérieure  consiste  en  une  dalle  supportant  la  statue  cou- 
chée du  défunt,  les  mains  jointes,  les  pieds  posés  contre  un 
animal  héraldique,  et  dont  la  partie  inférieure  forme  un 
enfeu  décoré  de  délicates  arcatures,  de  niches  ornementées 
trop  souvent  vides. 

Signalons,  de  la  fin  du  xiv=  siècle,  un  devant  d'autel  en 
pierre,  divisé  en  deux  étages,  figurant  dans  le  premier, 
séparé  par  des  arcs  ogivaux,  la  Présentation  au  Temple  et  le 
Christ  devant  Pilate  ;  et  dans  le  second,  qui  forme  une 
longue  frise,  le  Calvaire  et  la  Mise  au  Tombeau.  Ces 
groupes  témoignent  d'un  caractère  naïf  des  plus  curieux. 

De  la  même  époque  ou  d'une  époque  un  peu  postérieure, 
voici  de  nombreuses  arcatures  fouillées  à  jour  avec  une  rare 
perfection  ;  des  pierres  blasonnées  qui  semblent  de  véri- 
tables dentelles  ;  des  statues  et  des  statuettes  d'un  sentiment 
profond  et  intense  comme  le  possèdent  seules  les  produc- 
tions de  ces  temps  de  foi  ardente  et  ingénue.  Parmi  ces  der- 
nières, il  convient  de  noter  une  petite  Vierge  assise  dans  une 
chaire  gothique,  la  tête  surmontée  d'une  haute  couronne 
ajourée,  de  longs  cheveux  ondulés  tombant  sur  les  épaules, 
l'Enfant  Jésus  dans  les  bras. 

Le  Musée  deBurgos  est  particulièrement  riche  en  œuvres 
de  la  première  période  de  la  Renaissance. 

Parmi  celles-ci,  il  faut  faire  une  place  à  part  au  tombeau 
de  D.  Juan  de  Padilla,  provenant  du  monastère,  aujourd'hui 
détruit,  de  Près  del  Val.  Juan  de  Padilla  était  un  des  prin- 
cipaux officiers  des  armées  des  Rois  Catholiques,  lesquels 
avaient  pour  lui  une  estime  toute  particulière  ;  il  mourut  sous 
les  murs  de  Grenade  peu  avant  la  prise  de  la  ville. 

Le  tombeau  proprement  dit  est  enfermé  dans  une  large 
archivolte  cintrée,  soutenue  par  des  pilastres  décorés  de  déli- 
cates statuettes,  et  est  surmonté  d'un  pinacle  gothique  enclavé 
dans  une  série  d'arcaiures  ogivales.  Il  se  détache  sur  un 
fond  surbrodé  de  sculptures  décoratives  et  architectoniques, 
occupé  à  droite  par  un  beau  bas-relief  représentant  la  Vierge 
tenant  son  Fils  mort  sur  ses  genoux,  entourée  de  saint  Jean 
et  de  la  Madeleine.  Un  soubassement,  meublé  aux  extré- 
mités de  deux  figurations  de  pages,  et,  au  milieu,   de  trois 


anges  soutenant  les  écussons  blasonnés  du  défunt,  supporte 
une  large  table  sur  laquelle  D.  Juan  de  Padilla,  sous  son  har- 
nois  de  guerre,  recouvert  d'un  fastueux  manteau,  est  age- 
nouillé sur  un  coussin  brodé,  devant  un  prie-Dieu  richement 
drapé;  derrière  lui,  un  enfant  également  agenouillé  et 
tenant  un  casque, a  été  assurément  ajouté  et  ne  fait  pas  partie 
du  monument. 

L'art  gothique,  aux  confins  de  la  Renaissance,  a  rarement 
produit  une  œuvre  plus  exquise,  plus  délicate  et  plus  fine, 
plus  puissante  et  plus  naïve. 

Deux  autres  tombeaux  en  marbre,  du  même  temps,  ne  le 
cèdent  guère  à  celui-ci  en  intérêt. 

Le  premier,  provenant  aussi  de  l'église  du  couvent  de 
Frès  del  Val,  fut  érigé  en  l'honneur  de  deux  membres  de  la 
famille  des  Padilla,  le  mari  et  la  femme.  Sur  la  dalle  mor- 
tuaire, posée  sur  un  enfeu  auquel  trois  mufles  de  lions 
servent  de  supports,  reposent  côte  à  côte  les  défunts  :  la 
femme,  aux  traits  placides,  sous  de  riches  atours  ;  l'homme 
portant  le  costume  de  l'ordre  de  Santiago,  la  tête  puissante 
au  nez  recourbé,  aux  gros  yeux  boufiis,  à  la  bouche  aux 
lèvres  lippues,  recouverte  d'une  sorte  de  turban  bouffant, 
tient  de  ses  deux  mains  le  pommeau  de  sa  lourde  épée 
placée  entre  les  jambes. 

Le  second  vient  de  l'église  San  Esteban  de  las  Aimas  et  a 
été  transporté  dans  le  Musée  au  moment  de  la  destruction 
de  ce  sanctuaire.  C'est  celui  que  D.  Luis  de  Acuna,  évêque  de 
Burgos,  fit  élever  à  sa  mère  D"  Luisa  de  Acuna.  Ce  beau 
monument  consiste  en  un  cénotaphe  de  pierre  dont  les  côtés, 
légèrement  incurvés,  sont  surmontés  de  délicates  arcatures 
à  pinacles  ou  dais  ajourés,  montrant  à  leur  base  une  sorte 
de  frise  dentelée.  Le  côté  principal  est  divisé  en  trois  par- 
ties :  dans  celle  du  milieu  est  figurée,  en  ronde  bosse,  sainte 
Louise,  la  palme  du  martyre  à  la  main,  accompagnée  de 
deux  religieux  ;  puis  à  droite  et  à  gauche,  des  hérauts 
d'armes  portant  les  écussons  armoriés  des  Acuiia.  La  statue 
de  marbre  de  la  mère  du  prélat  est  étendue  sur  la  dalle 
tumulaire,  la  tête  reposant  sur  deux  coussins  superpo- 
sés, richement  brodés.  D"  Luisa  de  Acuiia  est  représentée 
revêtue  de  vêtements  luxueux,  les  mains  pieusement  croi- 
sées, les  cheveux  cachés  sous  un  voile,  les  pieds  posés  contre 
deux  figurines,  dont  l'une  tient  un  livre. 

L'œuvre  est  d'une  conception  superbe  et  d'une  exécution 
impeccable  ;  la  tête,  d'une  rare  noblesse,  les  mains  des  plus 
fines,  d'un  dessin  très  ressenti  et  très  délicat. 

La  collection  provinciale  de  Burgos  renferme  bien 
d'autres  morceaux  intéressants  et  curieux,  bien  d'autres 
objets  d'art,  que  la  place  dont  nous  disposons  ici  nous  oblige 
à  passer  sous  silence  à  notre  grand   regret. 

Indiquons  seulement,  pour  finir,  quelques  grilles  et  ser- 
rures ciselées,  estampées  et  relevées  au  marteau,  qui  prouvent 
le  merveilleux  talent  des  forgerons  castillans  des  siècles 
passés,  un  grand  retable  doré  du  xvii«  siècle,  en  bois  de 
noyer,  quatre  grandes  cariatides  engainées,  en  pierre,  pro- 
venant d'églises  de  couvents  supprimés;  divers  bas-reliefs, 
statues  et  statuettes. 

Quant  aux  peintures,  à  part  d'anciennes  fresques  murales 
fort  détériorées  et  quelques  esquisses  de  l'école  de  Luca 
Giordano,  il  n'en  est  aucune  qui  vaille  la  peine  d'être  citée. 

PAUL  LAFOND. 


LE   MUSEE    PROVINCIAL    DE    DURGOS 


«7 


TOMBEAU   DE  DON  JUAN    DE  PADILLA 

Provenant  du  monastère  de  Frcs  dcl  Val.  —  Fin  du  xv*  siicle 

(Musée  provincial  Je  Burgos) 


II.  Cifinciii  y.  Cie 


LI£S  MUSKS  ET  LES  PlKniUES,  l'AK  LE    ltuS»U  (XVI*  SIECLE) 

Musée  tlii  Louvre 


Les  Origines  de  la  Peinture  française 


III™"=  PARTIE.   FRANÇOIS   l"  ET  L  ATELIER   DE   FONTAINEBLEAU 

9;>aBg|ii.LE  gens  ont  blàmc  ce  mot  de  Renaissance 
des  arts.  Il  est  le  legs  de  la  tradition,  et 
l'on  ne  craint  pas  d'assurer  que  ceux  qui 
trouvent  moins  de  charme  aux  distinc- 
tions de  système  qu'aux  sens  riches  et 
profonds,  aux  mots  éclos  d'eux-mêmes 
sous  ht  pression  des  laits  infiniment  nom- 
breux et  compliques  de  l'histoire,  le  conservent  avec  recon- 
naissance. 

Trois  éléments  servent  à  le  définir  :  l'italianisme  dans  la 
mode,  le  latinisme  dans  la  culture,  le  classicisme  dans  la 
recherche  et  dans  l'intelligence  de  la  nature.  Le  triomphe 
parfait  de  ces  trois  choses  est  ce  qui  terme  le  Moven  Age  et 
commence  les  temps  nouveaux.  Le  prestige  d'une  beauté 
achevée  y  convertit  l'art  des  Pavs-Bas,  qui  dès  le  début  du 
xvi=  siècle  commence  de  confondre  ses  traits  particuliers 
dans  la  culture  traditionnelle.  En  France  une  pénurie  d'ou- 
vrage et  les  suggestions  matérielles  d'une  vie  de  cour  entiè- 
rement transformée  en  nécessitent  l'importation. 

Tout  ce  qui  précède  a  suffisamment  établi  que  notre  pays 
manquait  encore  aux  environs  de  i5i5,  temps  de  l'avène- 
ment de  François  I",  de  ce  qu'on  nomme  une  école  de  pein- 
ture. Ce  dont  il  s'agissait  n'est  donc  pas  de  transformer  chez 
nous  cet  art,  d'en  réformer  le  goljt,  d'en  promouvoir  par  des 
greffes  heureuses  la  vertu.  Comme  nous  avions  manqué  de 
Van  Eycks  et  de  Memlings,  nous  manquâmes  de  Van  Orleys, 
de  Mabuses,  de  Schorels  et  de  Lambert  Lombard.  L'art 
italien  n'eut  pas  en  France  d'introducteurs  de  notre  nation. 
Il   fallut    recourir   aux    Italiens  eux-m"^émes,   et   l'œuvre   de 


ceux-ci  compte  dans  cette  histoire  pour  un  véritable  com- 
mencement. 

En  i5o9  parut  en  France  le  premier  peintre  chargé  de 
grandesdécorations  que  l'Italie  nous  ait  fourni.  C'est  Solario, 
élève  de  Léonard,  attiré  par  le  cardinal  d'Amboise  pour  le  soin 
de  la  chapelle  de  Gaillon.  Ce  magnifique  château  représente 
en  ce  temps-là  quelque  chose  comme  un  premier  essai  de 
l'entreprise  de  Fontainebleau.  Mais  les  chambres  n'en  furent 
encore  décorées,  suivant  l'ancienne  mode,  que  d'étoffe  et  de 
cuir  diversement  ornés.  Les  tableaux  aussi  y  étaient  peu 
nombreux.  Le  goiit  de  cet  objet  d'an  n'avait  pas  commencé. 
On  n'en  commandait  que  par  hasard.  Le  cardinal  une  fois, 
une  fois  le  roi  Louis  XII,  se  montrent  occupés  d'en  avoir, 
celui-ci  de  Léonard  de  Vinci,  celui-là  de  Mantègne,  qu'il 
appelle  «  le  premier  peintre  du  monde  ». 

Enfin  François  F'  parut,  possédé  d'un  si  grand  amour  des 
arts  et  en  particulier  de  la  peinture,  qu'on  put  croire  que  ces 
faibles  promesses  allaient  recevoir  tout  d'un  coup  des  eflets 
merveilleux.  Il  ne  faut  pas  compter  la  présence  de  plusieurs 
Italiens  de  rang  médiocre,  dignes  d'être  cités  seulement  pour 
mémoire  :  Guetty  de  Florence,  Nicolas  de  Modène,  auteurs 
tantôt  de  miniatures,  tantôt  de  modèles  en  plusieurs  genres. 
Le  trait  fameux  de  ces  commencements  est  la  venue  en 
P'rance,  sur  les  instances  du  Roi,  de  Léonard  de  Vinci  lui- 
même. 

Installé  au  doux,  près  d'Amboise,  l'illustre  peintre  y 
conduisit,  avec  l'aide  de  trois  élèves,  Salaïno,  Meizi  et  Vil- 
,-Ianis,  plusieurs  ouvrages,  dont  une  partie  est  encore  con- 
servée au  Louvre.  C'était  le  portrait  d'une  Dame  de  Flo- 
rence, un  Saint  .(ean-Baptiste,  et  la  Sainte  Anne,  dont  il  avait 
apporté  le  carton.  Sans  doute  il  convient  de  joindre  la  Vierge 


(1)  Voir  les  Arts  n"  37,  p.  17,  et  n-  'i 


y,  r-  ly- 


LES    ORIGINES   DE    LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


«9 


aux  Koclicrs,  la  P)Cllc  Fcrronnicrc,  uti  l'Jilcvcmcnt  de  Pro- 
serpiiK-,  iiu'nn  iidiivc  plusiarJ  aux  collections  du  Roi,  peut- 
être  aussi  une  i.étla  mainicnant  perdue,  et  dont  plusieurs 
copies  nous  resieiii.  Mais  l'âge  dc'jà  avance  du  maître  ne  pou- 
vait promettre  de  longs  services.  Paralysé  de  la  main  droite, 
épuisé  de  soins  cl  de  fatigues,  Léonard  mourut  en  iSiq,  âgé 
de  soixante-huit  ans,  trois  ans  après  son  arrivée  en  France. 
Un  autre  Italien  de  grand  mérite,  attiré  pareillement  de 
l'année  précédente,  ne  devait  pas  être  plus  utile  au  Roi. 
C'était  André  del  Sartc,  dont  le  séjour  est  attesté  par  la  belle 
Cliarité  que  Krausois  1"^^'  tint  de  sa  main.  La  Sainte  FJIisabeth 


du  Louvre,  qu'il  a  posst^déc  «également,  a  sans  douic  la  même 
origine.  André  peignit  le  dauphin  François  cl  un  Saint  Jean- 
Baptiste  pour  Louise  de  Savoie.  On  croit  que  le  ministre 
Semblant,ay  l'employa  dans  sa  tnaison  de  Tours,  où  un  Frap- 
pement du  Rocher,  une  Rencontre  d'KsaU  ci  de  Jacob,  ci 
une  Manne  se  voyaient  plus  tard  de  sa  façon.  Des  contre- 
temps assez  connus  rompirent  ces  heureux  commencements. 
Envoyé  par  le  Roi  en  Italie  pour  y  rechercher  des  œuvres 
d'art  et  des  antiquités,  André  croqua  l'argent  commis  à  cet 
effet,  et  n'osa  plus  reparaître  en  France.  Il  n'y  avait  pas 
demeuré  plus  d'un  an.  Squazella,  son  élève,  resta.  Cet  artiste. 


i'Altd»    (JtirtMrft'H. 


VKUTrMM  KT  POMi'^  ,VVI"  »ic»l«' 

Uosftin  tirigtnal  pour  te  Pavillon  t\«  l'oniono  < itvtrail)  A  FosUiwblc«u 
Mmtét  dv  Ltm\Te 


apparemment  médiocre,  mérite  peut-être  qu'on  le  croie  auteur 
d'une  Charité  que  possède  M.  Raspail. 

Ainsi  tous  les  projets  que  formait  François  h',  man- 
quèrent à  la  fois.  Les  revers  de  la  politique  achevèrent 
bientôt  de  les  ruiner.  La  défaite  de  la  Bicoque,  la  trahison 
du  connétable  de  Bourbon,  enfin  le  coup  de  grâce  de   Pavie. 


marquent  une  période  de  catastrophes  dans  rhisioire  des 
ans  en  France.  Le  retour  du  Roi,  et  des  temps  moins 
sombres,  qui  suivirent  la  captivité  de  Madrid,  en  rcnoueot 
heureusement  le  fil.  Le  Roi  rentra  dans  son  royaume  au 
commencement  de  i5i(>.  En  1528  commencent  les  célèbres 
travaux  de  Fontainebleau. 


20 


LES   ARTS 


L'i';ni:(;A'i  ION  d'achille,  par    i.iî  rosso  (xvr»  siérlel 
Dessin  original  pour  la  Gal(,'rie  de  François  1""  (repeinte)  à  Fontainebleau 
(Nicole  des  Beaux-Arts  Paris) 


On  ne  sait  pas  quelle 
cause  fit  choisir  le  Rosso  dit 
maitre  Roux,  florentin,  pour 
y  mettre  les  premières  pein- 
tures. Il  est  au  moins  certain 
qu'il  vint  appelé  du  Roi,  en 
i53i.  Sa  première  commis- 
sion fut  de  peindre  la  galerie 
aujourd'hui  dite  de  Fran- 
çois 1"=%  et  d'y  exécuter  tout 
l'ornement  de  stuc. 

La  décoration  se  composa 
de  quinze  sujets  à  fresque, 
dont  le  Rosso  n'avait  achevé 
que  treize.  Il  faut  joindre  deux 
tableaux  aux  deux  bouts  de 
la  galerie,  l'un  de  Bacchus 
et  de  'Vénus,  l'autre  de  Vénus 
avec  l'Amour.  Les  autres 
étaient  tirés  de  la  fable  et  de 
l'histoire  ancienne.  Hérodote, 
Apulée,  Ovide,  en  avaient 
fourni    les   sujets.    Quelques 


compositions  n  ont  pu  être 
expliquées,  entre  autres  celle 
que  les  amateurs  d'estampes 
ont  nommée  l'Eléphant 
royal.  Deux  représentent  allé- 
gorique ment  le  gouvernement 
de  François  \"  et  son  patro- 
nage des  lettres  et  des  ans. 
Cette  dernière estconnuesous 
le  nom  de  l'Ignorance  chas- 
sée. Le  Roi  s'y  montre,  cou- 
ronné de  laurier,  un  livre 
sous  le  bras  et  son  épée  à  la 
main,  entrant  au  temple  d'Im- 
mortalité  ;  par  devant  sont 
plusieurs  figures  d'hommes  et 
de  femmes  les  yeux  bandés, 
quelques-uns  endormis,  d'au- 
tres appuyés  sur  des  bâtons, 
qui  paraissent  chercher  l'en- 
trée du  temple. 

L'apparition  de  ces  décora- 
tions compte  au  nombre  des 


BIÎLLONE  SOUTENUE  PAR   DES  GENIES,   PAR   LE    PRIMATIOE 

Dessin  original  pour  le  12'n«  compartiment  de  la  voûte  de  la  Galerie  d'Ulysse 

(détruite)  à  Fontainebleau 

(Musée  Britannique  Londres) 


LES    ORIGINES  DE  LA   PEINTURE  FRANÇAISE 


jrN<»\,  l'An  LI-:  imumatick 
Dessin  (ii-iginal  pour  la  voitto  (efîacôo)  do  la  grotte  du  Jardin  don  Pins 
à  Fontainubloau.  —  Musée  du  Louvre 


HIKCRVr.  PAU   LC  PIHUATICK 

Dtfssin  nri)cioal  pour  U  voAU*  (efl»r«t«)  de  l«  grtdte  da  iardïa 
à  FooUiaebt«««.  <—  Mmgit  ém  l^mwrt 


I  BniHN.  Cl*mtHi  y  Ci: 


IkKHLORATIiiX  0» 


22 


LES   ARTS 


l'halo  Braun,  Clément  ^  Cie. 


DIANE   DliCOUVnAXT  L\   0B0SSIÎ9SE  DE  CALI8T0,    PAR  LE  PRIMATICE 

Dcssia  original    pour  la  partie  do  gauche  d'une  ImicUc  de  l'Appartement  des  Baias  (détruit)  à  FoDtainebleau 

Musée  du  Louvre 


plus  importants  événements  de  l'histoire  des  ans  en  France. 
L'étendue  du  travail,  le  mérite  qu'on  y  trouve,  la  nouveauté 
enfin  de  pareils  ouvrages  chez  nous,  en  font  l'un  des  plus 
dignes  qu'il  y  ait  de  réflexion  et  d'étude.  Aux  curieux  d'art 
ornemental  il  offre  une  matière  d'admiration  sans  fin.  'Tout 
ce  qu'il  y  avait  chez  nous  "d'intelligent  et  de  curieux  de 
bien  laire,  s'empressa  d'en  copier  les  motifs  et  de  les 
répandre  en  mille  applications  diverses.  Il  n'y  a  pas  de  plus 
illustre  exemple  d'une  vogue  soudaine  et  extraordinaire, 
d'une  influence  durable  et  comme  universelle. 

Quant  aux  peintures,  rien  de  ce  qu'on  trouve  en  place  ne 
mérite  aujourd'hui  l'attention.  Toute  la  fresque  existante, 
effet  de  vingt  retouches  et  de  deux  restaurations  complètes, 
ne  doit  plus  passer  que  pour  une  caricature  des  ouvrages 
originaux.  Pour  juger  l'œuvre  il  faut  maintenant  recourir 
aux  anciennes  estampes  de  Boivin,  et  surtout  aux  dessins  du 
maître,  préparation  pour  ces  peintures,  dont  un,  conservé 
à  l'École  des  Bcaux-Ats;  représente  l'Éducation  d'Achille. 

On  trouve  dans  ce  morceau  toute  sa  fougue  heureuse 
et  toute  son  adresse.  La  mythologie  en  est  belle,  l'in- 
vention fine  et  poétique,  le  dessin  fier  et  délicat,  plein  du 
souvenir  de  Michel-Ange.  Le  Rosso  s'efforçait  de  le  copier, 
comme  faisaient  tous  les  Florentins.  Dans  tout  ce  qui  nous 
reste  de  sa  main,  on  trouve  ce  choix  piquant  d'attitudes  im- 
prévues, cet  emportement  dans  la  composition.  Il  est  vrai 
que  ses  airs  de  têtes  et  ses  visages  ne  sont  point  beaux,  et 
que  l'habitude  de  dessiner  de  pratique  le  fait  parfois  tomber 
dans  une  manière  abstraite  et  dans  un  défaut  de  naturel. 
Mais  il  y  a  chez  lui  tant  de  vrai  souffle,  des   ressources  si 


variées,  un  sentiment  si  vif  et  si  présent  de  la  forme  et  du 
mouvement,  que  les  plus  rigoureux  censeurs  ont  toujours 
senti  moins  de  pente  à  le  critiquer  qu'à  l'absoudre. 

La  Galerie  n'eut  pas  seule  l'honneur  de  ses  talents.  Une 
chambre  que  Vasari  appelle  le  Pavillon,  et  que  toutes  les 
apparences  placent  au  second  étage  du  fameux  pavillon  des 
Poêles,  fut  décorée  par  lui  dans  le  même  stvle.  Il  peignit 
encore  pour  le  Roi  une  Judith,  peut-éire  aussi  les  Muses 
et  les  Piérides,  et  pour  le  connétable  de  Montmorency  la 
Déploraiion  du  Christ  de  la  chapelle  d'Écouen,  maintenant 
au  Louvre. 

Cependant  les  travaux  de  Fontainebleau  s'étendant, 
requéraient  de  nouveaux  concours.  Le  Primatice,  bolonais, 
disciple  de  Jules  Romain,  sous  lequel  il  venait  de  vaquer 
aux  décorations  du  Palais  du  Té,  parut  en  France  un  an 
après  le  Rosso,  en  i5  32.  Comme  ce  dernier,  on  le  mit  à  la 
fresque  et  au  stuc  dans  la  chambre  du  Roi  dite  de  Saint- 
Louis,  près  de  la  Galerie.  Il  y  peignit  en  huit  tableaux  des 
histoires  de  la  guerre  de  Troie.  Bientôt  il  commença  la 
chambre  de  la  Reine,  faussement  nommée  Salon  de  Fran- 
çois l",  dont  une  cheminée  peinte  à  fresque  nous  demeure. 
Le  portail  du  château  sur  la  chaussée  de  l'Etang,  que  nous 
appelons  Porte  dorée,  eut  de  sa  main  deux  sujets  de  l'his- 
toire d'Hercule.  Un  quatrième  ouvrage  fut  une  chambre  au- 
dessus,  dont  il  n'y  a  pas  d'autres  nouvelles. 

Sous  ces  deux  hommes  du  premier  rang  travaillaient  de 
nombreux  auxiliaires,  dont  les  plus  importants,  issus  comme 
eux  d'Italie,  consomment  la  tournure  étrangère  de  cet  ate- 
lier de  Fontainebleau.  Quelques  Français  ne  laissent  pas  de 


LES  ORIGINES  DE  LA    PEINTURE  FRANÇAISE 


23 


DIANB  DÉCOUVRANT   LA  OROSingl  Dl   CALISTO,  PAR   LE   PRIMATICS 

Dessin  original  pour  la   partie  de  droite  d'une  lunette  do  l'AppartcmcDl  des  Baips  (détruit)  t  Fostaincblcan 

Musée  Britannique,  Londres 


s'y  mêler,  et  dans  une  proportion  plus  grande  à  mesure  que 
le  temps  s'avançant,  leurs  talents  se  pliaient,  comme  on 
peut  supposer,  aux  pratiques  nouvelles.  Ces  Italiens  sont 
PLllci;rin,  Jean  Antoine.  Juste  de  Just,  Seron,  Naldini  dit 
Renaudin,  Miniaio  et  Nicolas  de  Modcnc  ;  les  Fran^•ais  sont 
Lcrov,  Badouin  et  Dorij^ny.  Il  faut  ajouter  deux  Flamands, 
■losse  Fouquet  et  Ldonard  Thiry. 

Ces  ouvriers  composaient  deux  équipes,  dont  la  plus 
nombreuse  travaille  sous  le  Rosso.  Nous  savons  que  celui- 
ci  ne  remettait  à  ses  aides  que  le  dessin  lavt'  des  peintures, 
et  ne  retenait  de  la  fresque  que  la  conduite  et  la  surveil- 
lance. Il  ne  parait  pas  que  le  Primaticc  ait  pu  se  tenir  à  cette 
pratique  d'abord,  quoique  son  office  y  tendit  ;  sans  doute 
il  dut  s'en  rapprocher  à  mesure  qu'il  gagnait  d'impor- 
tance. 

11  est  certain  que  durant  ces  premiers  temps  le  Rosso 
tint  un  rang  supérieur.  .■\gé  de  quarante  ans  et  déjà  célèbre 
en  Iialie,  il  ne  faut  pas  s'étonner  que  la  laveur  du  Roi  l'ait 
d'abord  distingué  davantage.  Il  re>,ut  d'honneurs  tout  ce  qui 
se  pouvait  selon  les  idées  du  temps,  et  joignit  à  des  gages 
diniponance  le  revenu  d'un  canonicat  de  la  Sainte  Cha- 
pelle. Au  contraire  le  Primaticc,  âgé  de  vingt-sept  ans,  était 
au  début  de  sa  carrière,  et  le  succès  qu'il  eut  en  France 
devait  l'aire  toute  sa  renommée. 


La  rivalité  de  ces  deux  peintres  a  défrayé  les  faiseurs 
d'anecdotes.  Ce  qu'on  y  mêle  de  violence  et  d'injustice  ne 
repose  pourtant  sur  rien  de  palpable.  Malgré  cette  espèce  de 
concurrence,  ce  viui  tend  a  prouver  que  le  Rosso  et  le  Pri- 
maticc ne  laissaient  pas  de  vivre  en  paix,  c'est  qu'ils  ont 
travaillé  ensemble  à  plusieurs  ouvrages.  Le  premier  est  le 
pavillon  de  Pomonc,  élevé  dans  l'angle  du  Jardin  des  Pins. 
peint  de  deux  sujets  de  l'histoire  de  cette  dccssc.  qu'ils 
s'étaient  partagés  entre  eux.  Le  Rosso  seul  en  conduisit  les 
stucs,  lin  autre  est  la  Galerie  basse,  au  rez-de-chaussée  du 
pavillon  des  Poêles  et  donnant  sur  l'étang,  où  l'on  croit  que 
prirent  place  douze  ligures  de  Muses  et  de  Déesses  dessinées 
par  le  Primaticc.  Enfin  le  voyage  (\c  l'empereur  Charles  V, 
que  le  Roi  re^ut  à  F'oniainebleau  en  grande  pompe,  les  fit 
mêler  une  fois  de  plus  leurs  travaux.  Il  y  eut  de  leur  dessin 
un  arc  de  triomphe  peint  de  figures  allégoriques  et  de  celles 
des  deux  monarques.  Des  figurations  de  ballets  et  quelques 
autres  architectures  trouvaient  aussi  place  dans  cette  fête. 

Mais  cette  situation  partagée  ne  devait  pas  durer  tou- 
jours. La  mort  imprévue  du  Rosso  y  mit  fin  l'année  1540. 
Les  témoignages  assurent  qu'il  se  tua.  Les  plus  grandes 
apparences  sont  que  ce  fut  du  remords  d'avoir  fait  mettre 
îk  la  torture  le  peintre  Peilegrin,  son  ami  et  auxiliaire, 
soupçonné  de  l'avoir  dérobé.  Il  n'avait  pas  plus  de  cinquante 


24 


LES   ARTS 


ans.  A  moins  de  quarante,  du  fait  de  cet 
événement,  le  Primaiice  allait  recueillir 
rilliisire  et  pesant  héritage  de  tous  les  ira- 
vaux  de  Fontainebleau. 

Il  était  alors  en  Italie,  occupé  de  la 
recherche  d'objets  d'art  pour  le  Roi,  et  de 
mouler  plusieurs  statues  antiques  qu'on 
avait  dessein  de  fondre  en  bronze.  Cette 
commission,  par  où  se  marque  la  con- 
fiance qu'on  eut  en  lui  en  plus  d'un  genre, 
tombe  à  propos  pour  faire  entendre  la 
situation  qu'il  tenait,  et  pour  justifier  sa 
nouvelle  importance. 

Dès  son  retour  on  en  vit  les  effets,  non 
seulement  dans  les  fontes  de  bronze 
qu'aidé  de  Vignole  il  dirigea,  mais  dans 
les  travaux  de  peinture,  dessins  de  sculp- 
ture, plans  d'architecte  qui  se  concentrè- 
rent entre  ses  mains.  Dès  lors,  et  quoique 
aucun  titre  officiel  n'en  consacrât  le  per- 
sonnage, on  vit  s'ébaucher  en  son  nom 
celte  espèce  de  surintendance  des  diffé- 
rentes branches  de  l'art,  dont  plusieurs 
époques  de  l'histoire  ont  vu  pourvoir  les 
plus  grands  maîtres,  tels  que  Raphaël  sous 
Léon  X,  ou  que  Lebrun  sous  Louis  XIV. 
Notons  qu'une  fois  de  plus  un  peintre  en 
eut  l'honneur,  pour  le  plus  grand  bien  de 
l'école  et  de  son  avancement. 

De  son  propre  métier,  le  Primaiice  achève  la  Salle  du 
Roi  et  commence  son  cabinet.  En  même  temps,  la  Chambre 
de  la  duchesse  d'Eiampes,  maîtresse  de  celui-ci,  l'Apparie- 
ment  des  Bains,  le  vesiibule  contre  la  Porte  dorée  et  la 
grotte  du  Jardin  des  Pins  s'embellissent  par  ses  soins  d'une 
profusion  de  stucs  et  de  peintures.  Le  Cabinet  eut  des 
Vertus  représentées  sur  de  grandes  armoires,  et  le  beau 
tableau  des  Cyclopes  peint  à  fresque  sur  la  cheminée.  La 
Chambre   de  madame  d'Ktampcs,    maintenant   changée   en 


I.E  FESTIN   D'ALEXANDRE,    PAR    I.E   PRIMATICE 

Dessio  origioal    pour  la  chambre  <lo  la  Duclicssc  d'Ktampcs  licpoiiitc)  à  FontainuMuau 

Musée  du  Louvre 


I,A   MASCARADE    DE  PERSEPOI.IS,   PAR   I.E  PRIMATir.E 

DcssÎD  original  pour  la  rliainlirc  de  la  Duchesse  d'KUnipt^s  (repeinle)  à  Fontainebleau 

Musée  fin  Louvre 

escalier,  conserve  huit  sujets  de  l'histoire  d'Alexandre.  Dans 
la  grotte  du  .lardin  des  Pins,    parvenue  à  nous  en    débris, 
des  figures  plafonnantes  de  déesses  prennent  place  au  milieu 
de  cristaux  d'aragoniie  parmi    les    fantaisies  d'architecture 
rustique   dont    lui-même  fournit    les  dessins.   Le  Vestibule 
reçoit  d'autres  sujets  plafonnants.  Foudroiement  des  Géants, 
Aventure  de  Céphale,  et,  sur  les   voussures,    des  histoires 
mythologiques  ou  guerrières.  Enfin  l'Appartement  des  Bains, 
dont  le  souvenir  même  a  péri,   lieu  de  repos  chéri  du  Roi, 
retraite  préférée  où  s'entassent,  dans  quel- 
ques   chambres   appropriées,    les    chefs- 
d'œuvre  de  l'art  italien  ,  Raphaël,  Titien, 
Léonard,  expose  dans  sa  grande  salle  aux 
regards  enchantés,  l'histoire  de  Callisto, 
sa    grossesse    découverte,    sa    métamor- 
phose,   sa    gloire  quand  .lupiier  la   place 
entre  les  astres. 

De  ces  chefs-d'œuvre  malheureuse- 
ment tout  ou  presque  tout  a  péri.  Le  peu 
qui  reste,  repeint  par  des  mains  malha- 
biles, en  plusieurs  endroits  à  contresens, 
ne  doit  pas  du  tout  être  compté.  Non  plus 
que  du  Rosso,  le  château  de  Fontainebleau 
ne  conserve  du  Primaiice  que  des  stucs. 
Comme  on  n'a  connu  jusqu'ici  d'ouvrages 
certains  de  lui  que  ce  que  ce  château  en 
eut,  on  serait  en  peine  de  montrer  aujour- 
d'hui une  seule  peinture  du  Primaiice,  sans 
dcuxtoilesheureuscment  sauvées  en  Angle- 
terre. L'une  està\\"iltonHouse,c'cstr]{va- 
nouissement  d'Hélène  ;  l'autre  est  Ulysse 
et  Pénélope,  on  la  voit  à  Casile-Howard. 


LES    ORIGINES  DE  LA   PEINTURE  FRANÇAISE 


25 


Hors  de  là  une 
seule  chose  de- 
meure pour  juger 
le  maître,  source 
incomparable  ilest 
vrai  pour  la  per- 
fection et  l'abon- 
dance. Ce  sont  les 
dessins  prépara- 
toires de  ses  com- 
positions à  fres- 
que, que  des  rc- 
clierchesaitcntives 
ont  permis  de  rap- 
pareiller.  Dans  le 
naufrage  de  son 
ceuvre  peint,  ces 
pi  CCI.' s  font  aujour- 
d'Iuii  le  principal 
de  sa  gloire.  Aussi 
n'y  a-t-il  pas  de 
maître  qui  depuis 
l'origine  ait  été' 
1^  1  u  s  populaire 
chez  les  amaiturs 


l.i;»  rVCI.OI'fc»,    l'AH   I.K    PRIU.\Tli:B 

DiiKsiii  iii'iKinal  |)iiur  la  cbomiuoo  tlu  r.abinct  <lu  Iliii  (d<)lruil)  à  FonlaÏDcblccu 
Musée  du  Louvre 


et  l'élégance  de  tant  de  compositions 
variées,  la  souplesse  et  la  vivacité  des 
attitudes  qu'elles  rassemblent,  le  raffine- 
ment du  dessin  et  le  beau  choi.\  des 
formes,  une  union,  dans  toutes  ces  par- 
ties de  l'art,  du  grandiose  de  Michel- 
Ange,  du  goin  antique  de  Jules  Romain 
et  de  la  douceur  du  Corrège;  de  l'abon- 
dance sans  confusion,  de  la  science  sans 
pédantisme,  de  l'imprévu  sans  bizarre- 
rie, de  l'aisance  sans  trivialité,  de  la 
poésie  sans  abstraction .  de  rorncment 
sans  surcharge,  de  la  politesse  sans 
fadeur,  font  le  mérite  éternel  de  cet 
(vuvre,  à  quelques  égards  sans  pareil.  Je 
ne  songe  pas  à  l'absoudre  du  reproche 
de  maniérisme,  qu'ont  mérité  en  ce 
temps-là  assez  d'autres  imitateurs  de 
Michel- Ange.  De  celte  imitation  s'en- 
gendre, chez  le  Primatice  comme  chez 
le  Rosso,  une  longueur  exagérée  des 
figures,  que  tous  les  auteurs  ont  remar- 
quée. Mais,  outre  qu'un  mélange  plus 
habile  de  qualités  contraires  rend  ici  à 
ce  style  une  sorte  d'équilibre,  il  faut 
avouer  que  la  nature,  plus  assidumcn 
consultée,  corrige  plus  efficacement 
l'écart  dont  il  s'agit,  chez  lui. 

C'est  une  erreur  de  croire  que  ce 
maitre  ait  eu  peu  d'application.  Rien,  en 
dépit  des  apparences  faciles,  ne  rcs'oit 
moins  le  reproche  de  frivolité  que  son 
œuvre,  l'ne  preuve  en  est  dans  les  nom- 
breuses études  d'après  nature,  prcpara- 


dc  dessins.  Deux 
cent  cinquante 
morceaux  de  ce 
genre,  conservés 
dans  les  collec- 
tions, tantôt  san- 
guines relevées  de 
blanc,  tantôt  plu- 
mes rehaussées  de 
bistre,  nous  ap- 
portent son  œuvre 
en  débris,  dans  Ic 
bruit  d'une  renom- 
mée que  des  criti- 
ques récentes  ont 
à  peine  affaiblie 
.  hez  les  moins 
connaisseurs. 

Elle  a  tout  ce 
qu'il  faut  pour  sur- 
vivre aux  dédains 
que  l'esprit  de  sys- 
tème dicte  aux  te- 
nants du  gothi- 
cisme.  L'érudition 


KTlinS   DK  I.A    l.'inUKIiiUlI   SAINT    l'AL'L,    PAR    I.B   PHIM  VTICK 

Pour  les  ëiiiaiiN  do  Saint-lVro  do  Cliarlrci* 
Musce  itit  ioM\'re 


Ktl'DK  aC  tA  rKil'HK  BC  S\I<<T   TMOHV*.  rjUI  LBrWUttX  I 

Vtmr  \t*  imtmx  de  Sual-IVr*  tm  ( 


26 


LES  ARTS 


lions  des  dessins  arrêtés,  qui  nous  restent  pour  toute  cette 
première  partie  de  sa  carrière.  Pour  certains  des  ouvrages 
susdits,  on  voit  que  les  moindres  détails  étaient  établis  avec 
exactitude,  et  que  jamais  il  n'y  eut  d'entreprise  mieux  suivie 
et  de  direction  plus  vigilante  de  l'équipe  d'artisans  qu'il 
tenait  sous  ses  ordres. 

Des  Italiens  de  quelque  renom  s'y  étaient  joints.  Depuis  les 
environs  de  i  540,  on  lit  dans  les  états  les  noms  de  Lucas  Penni, 
frère  du  Fattore,  de  Bagnacavallo  le  fils,  de  Caccianemici  dit 
Cachenemis,  de  Fantuzzi  dit  Fantosede  Bologne,  de  Virgile 
Baron,  aussi  Bolonais.  Cinq  ans  et  davantage,  tous  ces  gens 
furent  en  France.  On  n'est  pas  renseigné  sur  ce  qu'ils  ont  pu 
faire  en  sus  des  travaux  de  Fontainebleau.  De  Lucas  Penni 
nous  tenons  des  dessins,  et  de  Fantose  des  estampes,  d'après 
le  Rosso  principalement.  On  sait,  en  outre,  que  ce  même 
artiste  fut  le  principal  auxiliaire  du  Primatice  à  la  partie  des 
arabesques  peintes  à  la  voûte  de  la  Galerie  d'Ulysse,  fameux 
et  colossal  ouvrage  commencé  sous  François  p^^  et  dont  il 
s'agit  maintenant  de  parler. 

Elle  mesura  toute  la  longueur  de  la  Cour  du  Cheval  Blanc 
de  Fontainebleau,  soit  cent  cinquante  mètres  environ,  et  se 
composait  de  quinze  travées  décorées  à  la  voûte  suivant  huit 
systèmes  différents.  Celui  du  milieu  était  unique,  et  les  sept 
autres  se  répétaient  deux  fois  en  symétrie  de  chaque  côté  de 
ce  premier.  Sur  les  murailles  furent  peintes,  en  cinquante- 
huit  tableaux,  les  aventures  d'Ulysse,  d'où  la  galerie  tirait 
son  nom.  La  voûte  ne  compta  pas  moins  de  quatre-vingt- 
quatorze  morceaux,  qui  font  avec  les  accessoires  un    total 


d'autant  plus  extraordinaires,  qu'un  effet  d'agréable  et  facile 
abondance  ne  rendait  pas,  dans  cet  ouvrage,  la  perfection 
moins  nécessaire.   Le   lieu   ne  se    prêtait  pas  à    cette  sorte 


DEPOSITION  DE  CROIX.   —  MANIERE    Df    PRIMATICE 

Corporalicr  brodd.  —  Musée  de  Cliiny 

de  cent  soixante  et  une  compositions  peintes.  Ces  chiffres, 
plus  éloquents  que  de  longs  discours,  obligent  d'imaginer 
chez  le   maître   des  ressources  d'invention    et  une   activité 


LA    TEMPÉRANCE,   PAR    LE    PRIMATICE 

Dessin  original  pour  une  décoration  dmmoire  du  cabinet  du  Roi  (dctruil) 

à  FontnincMcau 

Musée  Britannique  (  Londres I 

d'illusion,  cette  galerie  n'ayant  d'extrême  que  sa  longueur. 
Le  reste  de  ses  proportions  étaient  médiocres.  Les  ornements 
y  tenaient  une  place  considérable.  Les  figures  étaient  petites 
et  se  voyaient  de  près  :  de  sorte  qu'une  idée  assez  exacte  du 
tout  se  définit  par  quelque  ressemblance  avec  les  Loges  de 
Raphaël. 

Cette  galerie,  démolie  sous  le  règne  de  Louis  XV,  excita 
dans  le  temps  les  plus  amers  regrets.  Ce  que  les  dessins 
nous  conservent  de  la  voûte,  révèle  une  série  d'admirables 
chefs-d'œuvre.  Elle  n'avait  pas  de  sujet  suivi.  Passant  du  l'al- 
légorie à  la  fable  et  de  la  fiction  à  l'histoire,  le  Primatice  v 
avait  comme  épuisé,  ne  glanant  qu'à  sa  fantaisie,  tout  le 
champ  de  l'invention  poétique.  Ou  plutôt  c'était  un  poème 
à  la  façon  des  Métamorphoses,  où  les  épisodes  tour  à  tour 
piquants,  graves  ou  terribles,  forment  un  tout  par  l'unité  du 
style  et  l'intérêt  ingénieusement  renouvelé. 

Une  estampe  de  Ducerceau  conserve  le  dessin  d'orne- 
ment d'une  des  travées  de  la  voûte,  de  sorte  que  rien  n'em- 
pêche, en  joignant  les  figures,  de  prendre  l'idée  précise  de 
cette  partie.  Quant  aux  peintures  des  murailles.  Van  Thulden, 
élève  de  Rubens,  en  a  gravé  la  suite  au  siècle  suivant. 

Tant  d'importants  et  excellents  travaux  avaient  mis  le 
Primatice  dans  un    comble  de  gloire.  Aux   appointements 


JUXO:»  CIIKZ  LK  HOMIIKII^  PAR  I.K   PRItlATICB 

Dessin  original    piiur  lu  vvstiliuli'  (rcpuinll  d*  U  Porte  Doria,  k  Foalaiaeblna 
Musée  des  Offices  Florenct 


et  aux  salaires  qu'il  touchait  de  l'Kpargnc  royale,  se  joignit 
bientôt  le  revenu  de  Saint-Martin-ès-Aires  de  Troycs,  dont 
Frani,'ois  I''  le  fit  abbe'  et  dont  il  porta  désormais  le  titre. 
On  croit  qu'il  travailla  alors  en  plusieurs  lieux  de  la  pro- 
vince. Le  fait  est  certain  pour  le  château  de  Polisy,  en 
Champagne.  D'anciens  auteurs  y  ont  joint  le  château  de 
Reauregard  près  Rlois,  et  la  chapelle  de  Chaaiis  en  Valois. 
maintenant  à  S.  A.  le  prince  Murât,  porte  tous  les  signes 
de  sa  manière.  A  Fontainebleau  même,  l'hôtel  du  Grand 
Ferrare  eut  des  chambres  de  bains  décorées  de  sa  main. 

Ses  soins  ne  s'étendaient  pas  moins  aux  applications 
industrielles  de  l'art.  La  célèbre  série  des  émaux  de  Saint- 
Père  de  Chartres,  représentant  les  douze  .Apôtres,  est 
authentiquement  de  son  dessin.  Une  tenture  des  Dieux 
arabesques,  dont  deux  pièces  se  gardent  aux  Gobelins  et 
deux  autres  au  Musée  des  Tissus  de  l-yon,  ne  peut  venir 
que  d'après  ses  cartons.  Enfin  un  certain  corponilier. 
exposé  au  Musée  de  Cluny,  conser>-e  dans  l'interpréta- 
tion d'une  broderie  du  reste  excellente,  des  signes  évidents 
de  son  style. 

Tout  ceci  marque  une  carrière  brillante,  à  laquelle  la 
légende  n'a  pas  manqué  de  joindre  plusieurs  iraiis  de  ▼en- 
geance et  de  rivalité.  On  a  raconté  qu'il  saccagea  la  galerie 
peinte  par  le  Rosso  pour  y  placer  ses  propres  ouvrages.  La 
vérité  est  que  nulle  part  il  n'a  touché  au  stuc,  et  tout  fait 
supposer  que  deux  tableaux  qu'il  peignit,  et  dont  un  seul,  la 


KTtnK  |-Oll>  I.A  COMPOSITION  DR  JIXOX  Climi  I.K  SOMMÏII.,  l'AH 

Dossin  original  —  Mmct  dm  Limrr* 


K  PRIMATIr* 


28 


LES    ARTS 


Danaé,   subsiste,  occupèrent  des  cartouches    restés    vides. 

Il  est  certain  qu'il  dut  se  défendre  contre  Benvenuto 
Cellini,  engagé  du  Roi  comme  orfèvre,  et  qui,  affectant  de 
grands  ouvrages,  disputa  au  Primatice  le  dessin  d'une  fon- 
taine à  Fontainebleau.  Soutenu  dans  cette  querelle  par 
madame  d'Étampes,  il  est  prouvé  que  la  commande  demeura 
à  ce  dernier.  Cellini  dut  bientôt  quitter  le  service  du  Roi  et 
retourner  en  Italie.  Un  degré  de  faveur  sans  égal  mit  le  Prima- 
tice à  l'abri  de  ses  intrigues,  et  cette  contrariété  ne  compose 
qu'un  épisode  fort  court  et  peu  important  de  cette  histoire. 

Un  des  signes  les  plus  authentiques  de  la  grande  faveur 
du  maître  est  l'empressement  que  les  graveurs  du  temps 
ont  mis  à  reproduire  ses  œuvres.  Fantose,  nommé  plus 
haut,  et  Dominique  Florentin  s'y  employèrent  par  excep- 
tion. Mais  les  deux  excellents  maîtres  connus  par  les  seuls 
monogrammes  F.  G.  et  L.  D.,  en  furent  les  constants  inter- 
prètes. Le  second  surtout,  quelque  temps  identifié  à  tort 
avec  le  Flamand  Léonard  Thiry,  plein  de  qualités  exquises, 
rigoureusement  accommodé  au  style  du  maître,  doit  compter 
pour  le  principal. 

Les  effets  précis  de  cette  faveur  et  de  l'influence  qui 
s'ensuivit,  seront  examinés  plus  loin.  Il  convient  d'en  mar- 
quer ici  cette  conséquence  générale,  du  peu  que  l'initiative 
proprement  française  conserve  dans  le  renouveau  de  nos 
arts  à  cette  époque.  Le  rôle  de  surintendant  qu'y  jouait  de 
plus  en  plus  le  Primatice,  doit  ôter  l'idée  que  depuis  Lenoir, 
on  a  voulu  se  faire  d'une  Renaissance  où  .lean  Cousin  ei'it 
dominé,  et  d'un  François  1"  ne  résidant  qu'à  Chambord.  La 
vérité  est  que  Fontainebleau,  où  l'Italien  régnait  sans  par- 
tage, accapara  tous  les  soins  de  ce  monarque. 

Architecte  déjà  de  la  fontaine  de  ce  palais  et  sans  doute  de 
la  grotte  du  Jardin  des  Pins,  on  voit  l'abbé  de  Saint- Martin 
donner  des  modèles 
au  fondeur  pour  la 
décoration  de  la 
Porte  Dorée.  Il  des- 
sine la  bataille  de 
Marignan,  que  le 
duc  de  Ferrare  fait 
peindre  à  la  gloire 
du  roi  de  France 
dans  sa  villa  de 
Copparo.  En  i  546, 
au  commandement 
du  Roi,  il  reprend 
lechemindel'Italie, 
à  l'effet  de  chercher, 
entre  autres  choses, 
des  moules  de  quel- 
ques ouvrages  de 
Michel-Ange.  Il 
rentre  enfin  pour 
voir  mourir  son 
maître,  le  3i  mars 
1547. 

Cette  mort  de 
François  P^  fajt  la 
fin  de  la  période  qu'on  pourrait  nommer  héroïque  de 
la  Renaissance  française.  En  ce  qui  regarde  le  présent 
sujet,  il  faut  la  retenir  comme  celle  d'une  production 
qu'on  eut  peine  à  dépasser  par  la   suite.   Les  règnes  sui- 


TITnOX   ET   TwVURORIÎ,   PAR    l.V.   miMATIClî 

Dessin  original  pour  le  vestibule  (l'epcînt)  de  la   Porte  Durée,  à  r(intaii:el»lcau 
Musée  d't  /.tivre 


vants  ne  pouvaient  en  voir  que  le  déclin.  Toute  l'im- 
portance qui  revient  à  la  peinture  dans  une  histoire  de 
notre  Renaissance,  a  donc  ses  attaches  dans  celui-ci,  et 
quoique  le  Primatice  ne  fût  pas  même  au  milieu  de  sa 
carrière  chez  nous,  on  peut  dire  que  les  trois  quarts  de 
sa  tâche  étaient  faits.  Les  successeurs  de  François  F' 
n'étaient  chargés  que  de  continuer  son  œuvre,  d'empêcher 
que  les  fruits  prêts  à  cueillir  ne  s'en  perdissent.  Même  dans 
l'éclat  d'une  maturité  qu'ils  durent  à  son  initiative,  ils  ne 
devaient  pas  faire  oublier  le  prodigieux  essor  de  ces  com- 
mencements :  un  palais  en  quinze  ans  rempli  de  merveilles 
pareilles  à  celles  dont  l'Italie  se  vantait  davantage;  une 
«  Rome  nouvelle  »,  selon  l'expression  de  Vasari,  transportée 
au  sein  du  Gâtinais,  à  deux  pas  de  nos  bords  de  Seine;  la 
cour  de  France  attirant  tout  à  coup  les  regards  des  artistes 
du  monde  entier;  Fontainebleau  succédant  dans  l'attention 
des  hommes  au  Vatican,  à  Mantoue,  à  Florence;  le  vieux 
palais  de  saint  Louis  baptisant  une  école  dont  le  renom 
allait  courir  l'Europe  et  éterniser  son  nom  dans  l'histoire 
des  arts;  mieux  que  tout  cela,  l'école  française  fondée, 
des  bases  certaines  et  solides  posées  à  ses  succès  futurs. 
Tel  était  le  résultat  de  ce  règne  incomparable,  de  l'ac- 
tion opiniâtre,  enthousiaste,  éclairée,  du  prince  qu'à  bon 
droit  la  tradition  des  livres  a  nommé  le  Pcre  des  Arts  en 
France. 

La  fantaisie  d'esthétiques  futiles  et  des  chimères  histo- 
riques sont  cause  qu'on  voit  de  nos  jours  lui  contester  ce 
titre.  Mais  les  raisons  autant  que  l'autorité  manquent  à  celte 
dénégation.  On  ne  peut  contester  sérieusement  que  Fontaine- 
bleau ne  contienne  les  origines  définitives  de  notre  école. 
On  ne  peut  pas  plus  dissimuler  que  les  plus  grands  maîtres 
de  celle-ci  ont   tour   à  tour  marqué  l'admiration    qu'excite 

l'œuvre  des  artistes 
de  François  h'^ . 
Poussin  dans  le 
xvii«  siècle,  Lc- 
moyne  au  xviii",  au 
XIX'  Delacroix,  ont 
apporté  comme  à 
l'envi  leurs  tributs 
d'éloges  à  ces  vieux 
peintres.  Devant 
cet  accord  des  ar- 
tistes, soutenu  de  la 
constante  estime 
des  amateurs,  com- 
ment compter  pour 
une  raison  sérieuse 
le  reproche  dont  on 
s'avise,  que  ces 
peintres  n'étaient 
pas  Français?  Ils 
sont  bien  plus  :  ils 
sont  les  pères  et  la 
source  de  l'école 
française,  et  l'hom- 
mage qu'aussi  bien 
elle  n'a  cessé  de  leur  rendre,  n'est  que  la  déclaration 
de  cette  paternité,  le  texte  éclatant  de   cette  reconnaissance. 


(A  suivre.) 


L.  DIMIER. 


ERNEST    BARRIAS 


A  sculpture  classique  française  vient  do  perdre, 
cil  Krnest  Barrias,  un  de  ses  reprdseniants 
les  plus  <5minenis. 

Toute  sa  vie,  en  efl'et,  il  demeura  tidèle 
;uix  principes  et  aux  traditions  de  l'École, 
cl  toutes  ses  œuvres  portent  l'empreinte  de 
l'esprit  de  discipline  qui  est  la  base  de 
l'enseignement  olticiel  des  beaux-arts  en 
^"rance  et  ailleurs.  Se  placer  à  ce  point  de  vue  pour  étudier 
la  carrière  si  dignement  et  si  laborieusement  remplie  de 
Barrias,  ce  n'est  donc  nullement  risquer  de  méconnaître  sis 
mérites;  c'est,  au  contraire,  vouloir  les  moyens  de  les  mettre 
en  lumière  et  de  situer  la  personnalité  de  l'artiste  disparu  à 
sa  vraie  place 
dans  le  mou- 
vement de  l'art 
contemporain. 
Au  surplus,  on 
peut  être  cer- 
tain qu'il  n'eût 
point  déplu  à 
l'auteur  des 
Premières  Fu- 
nérailles et  de 
Mozart  enfant 
de  se  voir  juge 
selon  le  code 
d 'e  s  t  h  é-t  i  q  u  e 
auquel  il  se 
soumit  dès  ses 
débuts,  auquel 
il  dut  tous  ses 
succès,  et  qu'il 
enseigna  lui- 
même,  durant 
plus  de  dix  ans, 
avec  tant  de 
sincérité,  de 
bienveillance 
et  de  convic- 
tion. 

Quelle  force, 
pour  un  ar- 
tiste, de  con- 
server intacte 
jusqu'à  la  Hn 
sa  loi  en  l'ex- 
ceHence  des 
doctrines  où 
ses  maîtres 
l'instruisirent, 
aveugle  sa 
croyance  en  la 
supériorité  de 
l'Idéal  vers 
lequel  furent 
dirigés  ses  pre- 
miers pas  !  La 
vie  s'agite  au- 
tour de  lui,  la 


lutte  s'échauffe,  on  se  bat  pour  des  idées  nouvelles,  les  vieux 
dogmes  sont  ébranlés,  la  révolte  gronde,  l'art,  comme  tout 
au  monde,  subit  les  lois  irrésistibles  de  l'cvoluiion...,  mais 
lui,  perdu  dans  son  rêve,  poursuit  la  route  commencée;  i! 
possède  la  certitude;  comme  Tarcisius,  il  porte  la  vérité 
contre  son  cœur,  il  souffrirait  pour  elle,  comme  Tarcisius,  le 
martyre.  Cette  sérénité  est  infiniment  touchante...  et  res- 
pectable. 

Barrias  la  connut,  scmble-t-ii,  Barrias  fui  un  anisie  heu- 
reux. Les  indécisions,  les  doutes,  les  angoisses  qui  désor- 
ganisent les  tempéraments,  épuisent  les  énergies,  émieitent 
les  volontés,  on  n'en  trouve  pas  de  traces  dans  son  œuvre. 
Au  contraire,  on  le  voit  toujours  égal  à  lui-même,  et.  ni  dans 

le  choix  de  ses 
sujets,  ni  dans 
la  mise  en 
œuvre  des  pro- 
grammes qui 
lui  sont  im- 
posés, ni  dans 
son  exécution 
ne  se  trahit  une 
de  ces  crises 
décisives  dans 
une  carrière 
d'artiste  où, du 
jour  au  lende- 
main, sa  con- 
ception de  l'art, 
sa  vision  de  ta 
nature,  ses 
moyens  d'ex- 
pression, que 
sais- je?  tout 
change  en  lui, 
tout  est  bou- 
leversé, où  le 
voici  qui  se 
conquiericnlin 
lui-même  et 
recommence 
sa  vie  et  son 
art! 

Kicn  de  pa- 
reil chex  Er- 
nest Barrias;  il 
s  est  développé 
sagement,  pai- 
siblement, se- 
lon un  rythme 
tranquille,  ci 
conformément 
à  SCS  facultés 
innées,  à  ses 
aspirations 
personnelles,  à 
son  tempéra- 
ment. Par  na- 
ture.d'ailleurs, 
son  talent  n'est 


l'IuK  Unma,  CUawal  f  Ci». 


ERNEST    BARKIAS 


3o 


LES  ARTS 


ni  d'un  violent,  ni  d'un  tourmenté;  les  dons  de  grâce,  de  déli- 
catesse, d'expression  fine  et  tendre  dominent  en  lui,  soutenus 
et  affermis  par  une  science  entière  de  son  métier  et  le  plus 
louable  souci  de  perfection,  grâce  à  la  sévère  discipline  qui 
lui  fut  imposée  dès  ses  débuts  et  e^u'il  s'imposa  toujours  à 
lui-même. 

«  Quand  j'entrai,  à  l'âge  de  treize  ans  (il  était  né  en  1841), 
au  sortir  de  l'école  communale,  chez  Cavelier,  racontait-il 
un  jour  à  M.  Marius  Vachon,  je  fus  mis  à  la  besogne  pénible 
et  diverse  de  l'appreniissage,  tel  qu'on  le  comprenait  et 
qu'on  le  pratiquait  traditionnellement  en  ce  temps-là.  Le 
premier  arrivé,  dès  six  heures  du  matin,  je  devais  scier  le 
bois,  allumer  le  poêle  et 
balayer;  dans  la  journée,  je 
faisais  les  courses.  Bien  que 
mon  patron  fût  le  meilleur 
des  hommes,  je  recevais  de 
lui  et  des  praticiens  plus  de 
reproches  et  de  bourrades 
que  de  caresses  et  de  com- 
pliments. Je  n'en  apprenais 
pas  moins,  très  sérieusement, 
le  métier,  en  observant  avec 
soin  ce  qui  se  faisait  autour 
de  moi  et  en  travaillant  avec 
acharnement.  Au  bout  de 
trois  ans,  mon  apprentissage 
terminé,  Cavelier  me  con- 
seillait d'entrer  chez  Jouf- 
froy,  qui  avait  organisé  un 
atelier  de  professeur  et  rece- 
vait de  nombreux  élèves. 
J'étais  le  plus  petit  de  tous 
et  je  paraissais  le  moins 
instruit  et  le  moins  déluré. 
Quels  ne  furent  pas  l'éton- 
nementet  la  jalousie  de  mes 
camarades  !  Dès  le  second 
jour,  constatant  que  le  petit 
apprenti  de  chez  Cavelier  en 
savait  plus  que  ses  élèves, 
Jouffroy  le  chargeait  des 
travaux  les  plus  difficiles  et 
les  plus  délicats.  C'est  qu'en 
effet,  ils  en  avaient  beau- 
coup moins  appris  dans  leur 
cours  que  moi  dans  mon 
apprentissage,  tout  en  sciant 
du  bois  et  en  allumant  le  feu 
des  poêles,  grâce  à  l'instruc- 
tion technique  manuelle  que 
m'avait  donnée  mon  premier 
patron.  A  seize  ans,  en  1857, 
j'étais  admis  à  l'École  des 
Beaux- Arts,  et  en  1861,  je 
partais  pour  Rome,  comme 
pensionnaire  de  l'Académie 
de  France.  » 

Depuis,  Barrias,  on  peut 
le  dire,  n'a  connu  que  le 
succès.  Aux  Salons,  ses 
œuvres  lui  valurent  toutes 
les  récompenses;  en  1878, 
la  médaille  d'honneur  était 
décernée  à  ses  Premières 
Funérailles;  en  1884,  il 
entrait  à  l'Institut,  et  en  1 894 


à  l'École  des  Beaux-Arts  comme  chef  d'aielier  de  sculpture,  en 
remplacement  de  son  maître  Cavelier;  enfin,  il  était  nommé 
vice-président  de  l'Académie  des  Beaux -Arts  pour  l'année 
1897,  et  il  recevait  en  1900,  à  l'occasion  de  l'Exposition 
Universelle,  la  cravate  de  commandeur  de  la  Légion  d'hon- 
neur. 

Parmi  ses  principales  œuvres,  en  s'en  tenant  à  l'ordre 
chronologique,  il  faut  citer  :  la  Fondation  de  Marseille, 
bas-relief  (i865);  la  Guerre,  le  Commerce,  la  Pèche,  frise 
décorative  (i865);  Jeune  Fille  de  Mégare  1 18-0)  ;  le  Serment 
de  Spartacus  et  la  Fortune  et  l'Amour  1872);  la  Religion, 
la  Charité  (18-31;    la    Comptabilité  11878);   les   Premières 


Funérailles    (1878] 


la 


Défense  de  Paris,  monu- 
ment érigé  à  Courbevoie 
(1880);  Bernard  Palissy 
(  I  >  8 1  )  ;  Sainte  Sophie  (  1 88 1  j  ; 
la  Défense  de  Saint-Quentin 
[i88i);  Mo:{artenfant{iS8'i); 
le  Chant,  la  Musique  (1888); 
la  Chasse  (1889);  Jeune 
Fille  de  Bon-Saada  (1890); 
Anatole  de  La  Forge 
(1893;  ;  le  Monumentd'Emile 
Augier[i8<jyj;  le  Monument 
de  Victor  Schœlcher  '1896); 
Virgile,  le  Printemps  (  1 897)  ; 
r Expédition  de  Madagascar 
(1897);  le  Monument  de 
Lavoisier  (1898);  la  Nature 
se  dévoilant  {i8gg);  la  grande 
horloge  de  la  Bibliothèque 
nationale,  à  l'angle  de  la 
rue  Montyon  et  de  la  rue 
Vi vienne  (1901);  le  Monu- 
ment de  Victor  Hugo  (1902)  ; 
Jeanne  d'Arc  prisonnière 
(i9o3p  et  nombre  de  bustes, 
dont  ceux  de  Jules  Favre, 
de  Munkacsy,  de  Cave- 
lier, etc. 

Toutes  les  promesses  de 
ses  débuts,  Barrias,  au  cours 
de  sa  longue  et  laborieuse 
carrière,  les  a  tenues,  et  de 
la  Jeune  Fille  de  Mégare  du 
Salon  de  1870,  où  la  délica- 
tesse du  sentiment  s'unissait 
à  une  compréhension  si 
souple  et  si  raffinée  de  la 
grâce,  à  la  Nature  se  dévoi- 
lant du  Salon  de  1899,  on 
comprend  que  sa  renommée 
n'ait  fait  que  grandir. 

Il  possédait,  en  effet,  les 
dons  qui  charment,  une 
sensibilité  qui,  sans  miè- 
vrerie, savait  dire  les  mélan- 
colies, les  tendresses,  les 
fraîcheurs  des  gestes  fémi- 
nins; il  possédait  les  plus 
puissants  moyens  de  séduc- 
tion :  l'amour  du  joli,  du 
tendre,  de  l'émouvant,  l'art 
de  la  mesure,  une  étonnante 
habileté  d'exécution,  le 
souci   du   fini,   de  l'achevé, 


ERNEST  BARRIAS. 
Statue,  marbre  poly 


LA  NATURE   SE   DEVOILANT 

chrome  et  onyx  d'Algérie 


ERNEST  BARRI AS 


3i 


l'entente  de  l'effet.  Revoyez  ses  Premières  Funérailles  :  tout 
Barrias  est  là.  La  douleur  d'Adam  et  d'Eve,  portant  le 
cadavre  d'Abel,  ne  ddsharmonisc  pas  leurs  traits,  ne  con 
tracte  pas  les  muscles  de  leurs  corps  nus;  c'est  pourtant  leur 
premier  contact  avec  la  mort  ;  mais  Abcl  lui-même  n'est 
qu'endormi,  la  différence  n'est  pas  sensible  entre  les  chairs 
vivantes  et  celles  d'où  s'est  retirée  la  vie.  Le  geste  est  heu- 
reux et  juste,  et  très  attendrissant  cependant,  par  lequel  Eve 
soutient  la  tôte  de  son  fils  et  abaisse  son  visage  vers  elle,  et  le 
masque  farouche,  muré  par  la  souffrance  d'Adam,  ne  manque 
ni  de  caractère,  ni  de  grandeur.  Mais  rien  de  désordonné, 
d'excessif  dans  cette  figuration  de  la  douleur;  tout  demeure 
harmonieux  et  serein,  sagement. 

De  toutes  les  compositions  à  plusieurs  personnages  de 
Barrias,  celle-ci  est,  sans  aucun  doute,  la  meilleure,  et   les 


noio  fliVoii.loK.  ERNEST  IlAnniAS.  —  BlîR!»Ano  PAUSST 

(  Sijuari  Saint-Gtrmain-itt-tritl 


ERNEST  BARRIAS.  —  itatAKT  mrAjn 
IMmtit  eu  Lmxeimhmrff 

qualités  de  groupement,  de  mise  en  œuvre  qui  en  font  le 
mérite  ne  se  retrouvent  point,  à  un  égal  degré,  du  moins 
dans  les  monuments  qu'il  signa,  la  Défense  de  Paris,  l'Expé- 
dition de  Madagascar,  VEmile  Augier,  qui  s'élève  devant  le 
théâtre  de  l'Odéon,  cnrin  le  Monument  de  Victor  Hugo, 

En  revanche,  nous  le  retrouverons  encore  tout  entier, 
avec  ses  dons  de  fine  tendresse,  de  fraîcheur  souriante,  de 
grâce  délicate  et  mélancolique,  de  sage  fantaisie  même,  dans 
ses  figures  isolées.  Le  Mozart  enfant  n'est-îl  pas.  dans  son 
genre,  un  petit  chef-d'œuvre,  et  la  Jeune  Fille  de  Bou-SaaJa, 
jetant  des  ticurs,  qui  orne  la  tombe  de  l'orientaliste  Guillau- 
mct,  une  charmante  chose  et  des  mieux  venues  : 

Mais  l'œuvre  où  Barrias  parait  s'être  le  plus  complète- 


32 


LES  ARTS 


ment  exprimé,  ne  serait-ce  pas  la  statue  qu'il  exposait  au 
Salon  de  1899,  où  elle  fut  si  remarquée,  et  que  possède 
aujourd'hui  le  musée  du  Luxembourg  :  la  Nature  se  dévoi- 
lant. Par  l'emploi  de  matériaux  précieux  de  différentes  cou- 
leurs, marbre,  onyx,  ivoire,  combinés  et  associés  avec  le 
goût  le  plus  sûr,  elle  exerce  un  attrait  irrésistible,  et  l'effet 
est  vraiment  délicieux  de  cette  suave  poitrine,  de  ces  belles 
épaules  émergeant  du  somptueux  peplos  veiné  d'or,  de  ces 
doux  bras  soulevant  le  voile  sous  lequel  la  tète  pensive 
apparaît  dans  une  tendre  pénombre  pleine  de  mystère. 
Est-ce  vraiment  la  Nature  se  dévoilant  ?  Je  ne  sais,  et  peu 
m'importe,  car  l'allégorie  me  laisse  en  elle-même  assez 
froid,  mais  c'est  là  une  belle  œuvre,  et  vraiment  digne  de 
demeurer,  car  elle  témoigne  d'un  sens  de  la  Beauté,  sinon 
entièrement  personnel,  si  expressif,  du  moins,  de  rêves 
et  de  pensées  communes  à  tant  d'hommes,  qu'elle  provo- 
quera longtemps,  dans  l'esprit   et  le  cœur    de   ceux  qui  la 


ERNEST  BABRIAS.  —  groupe  pour  ux  tombeau 


ERNEST  BARltlAS.  —  la  ciiAniTii 
statue,  plSlre 

contempleront,  un  sentiment  ému  de  terveur  et  d'attendris- 
sement. 

Il  est,  certes,  dans  le  cycle  de  la  sculpture  française  du 
xix"^  siècle,  des  personnalités  plus  puissantes,  plus  origi- 
nales que  celle  d'Ernest  Barrias;  pour  ne  parler  que  des 
modernes,  Falguière  avec  sa  sensualité  fiévreuse,  Dalou 
avec  sa  verve  ardente,  Rodin  avec  sa  passion  formidable  de 
vie,  seront  placés  plus  haut  par  l'admiration  des  âges  à 
venir,  mais  aux  côtés  de  Mercié,  de  Chapu,  de  Paul  Dubois, 
de  Frémiet,  Ernest  Barrias  mérite  un  rang  d'honneur.  Ce 
fut  un  artiste  convaincu  et  sincère,  soucieux  de  la  perfection 
de  son  art,  et  d'une  conscience  droite  et  sereine.  «  Il  lui  est 
arrivé  de  se  tromper,  écrivait  l'autre  jour  un  critique,  il  ne 
lui  est  jamais  arrivé  de  déchoir.  » 

GABRIEL  MOUREY. 


DireeUar  :  M.  MANZI. 


Imprimerie  Makii,  Jotant  &  C»,  Asnières. 


Le  Gérant  :  G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


Vh9t9    GliflfrfoN. 


ERNEST  BARRIAS.   —  L^iLSCTRiciTÉ 


Chronique    des    Ventes 


Contrairement  à  l'usage,  on  s'est  enfin  dé- 
cidé cette  année  à  commencer  un  peu  plus 
tôt  la  saison  des  ventes,  et  dès  les  premiers 
jours  de  février,  nous  avons  eu  à  enregistrer 
des  vacations  importantes.  Cette  innovation 
qui,  il  faut  l'espérer,  sera  la  règle  désormais, 
a  été  provoquée  par  le  nombre  considérable 
de  ventes  à  effectuer  avant  la  fin  de  juin.  En 
effet,  cette  saison  sera  excessivement  chargée 
et,  sans  trêve  ni  repos,  les  jours  vont  être  oc- 
cupés durant  trois  mois,  sans  pour  cela  arriver 
à  épuiser  le  tableau,  certaines  ventes  ayant  dû 
être  remises  à  l'automne  prochain.  Ce  qu'il 
est  intéressant  de  constater,  c'est  que,  en  dépit 
de  la  quantité  de  marchandises  déjà  jetée  sur 
le  marché  et  de  celle  à  venir,  les  cours  n'ont 
pas  fléchi  et  se  maintiennent  toujours  plutôt  à 
la  hausse  pour  les  objets  anciens  et  principa- 
lement pour  ceux  du  xvni=  siècle,  plus  en  fa- 
veur que  jamais. 

La  première  vente  artistique  a  été  celle  des 
tableaux  et  objets  d'art  provenant  de  la  collec- 
tion de  M.  le  comte  Jacques  de  Bryas,  qui  a 
eu  lieu  le  6  février  sous  la  direction  de  MM. 
Chevallier,  Mannheim  et  Ferai,  et  qui  a  pro- 
duit 225,820  francs  pour  vingt  numéros.  Les 
honneurs  sont  revenus  là  à  un  panneau  de 
l'école  de  Cologne  par  le  Maître  de  l'autel  de 
la  'Vierge,  représentant  le  Baptême  du  Christ, 
qu'un  marchand  a  payé  46,000  francs,  juste  le 
double  du  prix  demandé.  Ensuite  est  venu  un 
pastel  par  Perronneau,  Portrait  présumé  delà 
marquise d'Anglure,  quis'estadjugé  39,000  fr., 
prix  supérieur  à  celui  de  demande.  Par  contre, 
sont  restés  au-dessous  des  estimations,  une 
peinture  par  Boucher,  les  Bulles  de  Savon, 
vendue  2i,5oo  francs  et  un  Portrait  d'Homme, 
par  Quentin  de  La  Tour,  payé  20,000  francs. 
Un  portrait  par  Reynolds  a  fait  i2,5oo  francs. 
Dans  les  objets  d'art  on  s'est  assez  vivement 
disputé  un  buste  en  terre  cuite  par  Pajou, 
qu'on  a  enlevé  à  3o,ooo  francs.  Il  faut  signaler 
encore  une  horloge  en  marqueterie  de  bois  de 
l'époque  Louis XV,  payée  g,  100  francs,  et  une 
pendule  à  cage  en  bronze  doré  avec  émaux, 
par  Coteau,  du  temps  de  Louis  XVL  adjugée 
8,000  francs.  Des  porcelaines  tendresdeSèvres 
se  sont  très  bien  vendues. 

Quelques  jours  après,  les  mêmes  commis- 
saire-priseur  et  experts  procédaient  à  la  vente 
de  la  collection  de  M.  H.  J.  M.,et  obtenaient  un 
total  de  272,185  francs,  avec  une  moyenne  de 
prix  supérieure  à  celle  de  la  vente  Bryas.  Tous 
les  objets  appartenaient  au  xvin=  siècle,  et  cer- 
tains ont  atteint  des  chiffres  laissant  loin  ceux 
obtenus  dans  des  ventes  antérieures.  C'est 
ainsi  qu'une  gouache  de  Hoin,  la  Consultation 
de  l'Oracle,  payée  5, 600  francs  à  la  vente 
Muhlbacher,  montait  ici  à  16,000  francs,  et  un 
Portrait  d'un  Maréchal,  par  Nattier,  quoique 
de  facture  bien  sèche,  grimpait  à  1 9,000  francs, 
sur  une  demande  de  10,000  francs.  Un 
petit  Portrait  de  Femme,  du  même,  a  fait 
i2,3oo  francs,  et  un  Portrait  de  l'Impératrice 
Marie  de  Russie,  par  Darbes,  10,200  francs. 
Quelques  beaux  meubles  d'ébénisterie  ont  ex- 
cité de  vives  compétitions.  On  a  poussé  à 
18,100  francs  une  commode  en  marqueterie 
et  bronzes  de  la  fin  de  l'époque  Louis  XV  et 
une  autre  de  la  même  époque  à  i  3,700  francs. 
Une  table  bureau  en  bois  de  placage  a  trouvé 
preneur  à  i5,ooo  francs,  et  un  meuble  d'appui 
à  i2,3oo  francs.  Un  prix  remarquable  a  ~été 
celui  de  25, 000  francs  atteint  par  une  tapis- 
serie de  Bruxelles  duxvni=  siècle,  représentant 
le  Débarquement  du  Poisson,  sujet  à  petits 
personnages  bien  dans  le  goût  du  jour. 


Au  milieu  de  février,  MM.  Chevallier, 
Paulme  et  Lasquin  ont  employé  quinze  vaca- 
tions à  disperser  la  collection  d'un  vieil  ama- 
teur, M.  Germeau,  qui  avait  entassé  depuis 
des  années  une  quantité  considérable  d'objets 
de  toutes  sortes,  renfermant  de  très  belles 
pièces  au  milieu  de  bibelots  sans  valeur.  Le 
succès  de  cette  vente  a  été  grand,  et  l'on  a  at- 
teint un  total  de  près  de  56o,ooo  francs.  Dans 
le  nombre  je  ne  retiendrai  que  quelques  objets. 
Un  antiquaire  anglais  a  enlevé  de  haute  lutte, 
au  prix  de  25, 000  francs,  un  petit  coffret  de 
Thomas  Becket  en  argent  doré  et  niellé  du 
xii^  siècle,  dont  on  avait  demandé  1  5, 000  francs. 
Les  tapisseries  ont  fourni  les  autres  gros  prix. 
Deux  salons  couverts  en  tapisserie  du  temps  de 
Louis  XVI  sont  montés  à  22,600  et  20,000  fr. 
Le  Musée  des  Arts  décoratifs  s'est  rendu  acqué- 
reur d'une  tenture  gothique  représentant  Dame 
Réthorique  pour  18,200  francs.  Une  tapisserie 
du  xvi=  siècle  a  fait  16,000  francs,  et  deux 
cantonnières  en  Aubusson,  18,400  francs. 

Très  importante  aussi  était  la  collection  de 
M.  Guilhou,  un  amateur  du  midi  de  la  France, 
qui  avait  réuni  des  objets  de  vitrine,  des  curio- 
sités et  antiquités,  en  quantité  suffisante  pour 
nécessiter  six  ventes, qu'ont  dirigées  MM.  Che- 
vallier, Mannheim,  Houzeau,  Samhon  et  Ca- 
nessa.  La  première  et  la  seconde  vente,  com- 
posées des  meilleures  pièces,  ont  fourni  des 
prix  intéressants,  mais  avec  des  écarts  assez 
sensibles,  et  plutôt  inférieurs  à  ceux  de  de- 
mande. Les  principaux  prix  ont  été  pour  deux 
flambeaux  en  bronze  du  temps  de  Louis  XVI, 
payés  1 5,000  francs,  et  deux  cassolettes  en 
bronze  Louis  XV,  vendues  12,600  francs.  Au 
nombre  des  boites  du  xvmi«  siècle,  une,  en  or 
émaillé,  ornée  de  portraits  de  personnages 
de  la  maison  d'Autriche  peints  sur  émail,  est 
montée  à  20,000  francs  sur  une  demande  de 
8,000.  D'autres  ont  dépassé  5, 000  francs. 
Dans  les  antiquités,  la  pièce  principale  était 
une  casserole  en  argent  ciselé,  qui  est  restée  à 
3o,ioo  francs  sur  une  demande  de  40,000  fr. 
Un  bronze,  jeune  taureau,  trouvé  à  Bosco- 
réale,  a  fait  i2,5oo  francs,  et  un  tout  petit 
lion  en  ivoire,  de  travail  égyptien,  8, 1 00  francs. 

Entre  temps,  M.  Lair-Dubreuil  et  M.  Blo- 
che  effectuaient  la  vente  d'objets  provenant  de 
la  succession  de  Madame  J...,  donnant  un 
total  de  210,000  francs.  Laissant  des  bijoux 
qui  n'ont  pas  d'intérêt  ici,  je  noterai  un  meu- 
ble de  salon  en  ancien  Aubusson,  que  l'on 
paya  17,000  francs,  et  un  joli  petit  bureau  de 
dame  en  marqueterie,  orné  de  bronzes,  signé 
Betz,  adjugé  ii,ooo  francs.  Les  dessins  an- 
ciens, qui  nous  ont  donné  de  si  beaux  prix  à 
la  vente  Beurdeley,  nous  en  fournissent  à 
mentionner  à  la  vente  Laglenne,  que  dirigea 
M.  Lair-Dubreuil.  Une  grande  gouache  de 
Van  Blarenbergue  se  paye  5,5oo  francs;  un 
pastel,  portrait  par  Prud'hon,  4,100  francs,  et 
un  portrait  par  Bosio,  3, 000  francs.  Le  tout 
produit  71,000  francs,  avec  des  choses  de  qua- 
lité moyenne. 

Mais  l'événement  de  ce  commencement  de 
saison  a  été  la  vente  des  dessins  du  xvni^  siècle 
formant  la  collection  de  M.  Beurdeley  et  que 
MM. Chevallier  et  Ferai  ont  dirigée  à  la  Galerie 
Georges  Petit.  Cett.;  vente  a  tenu  tout  ce  que 
l'on  en  attendait.  Les  numéros  de  vedette 
ont  atteint  des  prix  dépassant  toute  attente, 
pour  la  plupart,  et  les  pièces  de  qualité  secon- 
daire ont  bénéficié  de  l'emballement  pro- 
voqué par  les  premiers.  Limité  par  la  place, 
je  ne  signalerai  que  les  plus  grosses  adjudica- 
tions. Une  gouache    par  Lavreince,  la  Mar- 


chande de  Modes,  que  M.  Beurdeley  avait  payée 
20,000  fr.,  monte  ici  à  3 3, 000  fr.  Une  grande 
aquarelle  par  Le  Guay,  Chasse  du  prince  de 
Condé,  se  paye  23,000  francs  sur  une  demande 
de  10,000  francs.  Une  aquarelle  de  Hoin,  la 
Jeune  Fille  aux  roses,  fait  10,000  francs,  et 
une  aquarelle  de  Louis  Moreau,  le  même 
prix.  A  27,500  francs  s'enlève  une  feuille 
d'études  de  têtes  par  Watteau,  et  à  12,000  fr. 
un  portrait  de  femme  par  A.  de  Saint-Aubin. 
La  célèbre  sépia  de  Fragonard,  le  Verrou, 
monte  à  24,000  francs  contre  8,100  francs  à 
la  vente  Josse,  en  1894.  Du  même,  une  san- 
guine. Temple  de  Vesta  à  Tivoli,  payée  autre- 
fois 1,100  francs,  fait  20,000  francs,  et  une 
autre,  12,600  francs.  Dans  les  miniatures,  un 
amateur  en  paye  une,  par  Hall,  Portrait  de  la 
comtesse  de  Heljlinger,  28,200  francs.  Une 
autre,  de  l'Ecole  anglaise.  Portrait  de  Femme, 
par  Plymer,  trouve  acquéreur  à  i6,o5o  francs, 
et  l'on  termine  sur  un  total  de  632, 000  francs, 
ce  qui  est  un  résultat  des  plus  satisfaisants, 
devant  laisser  un  joli  bénéfice  sur  les  prix 
d'achat. 

En  même  temps,  à  l'Hôtel  Drouot, 
MM.  Bonnaud  et  Mannheim  opèrent  la  disper- 
sion de  la  collection  Schiff.  Comme  à  la  vente 
Germeau, c'est  une  réunion  considérable  d'ob- 
jets anciens  accumulés  par  un  amateur  de  la 
vieille  école.  Tout  se  vend,  là  aussi,  très  cher, 
sans  fournir  d'enchères  sensationnelles.  Pour 
de  vieux  tapis  d'Orient  on  fait  cependant  des. 
folies,  et  l'on  pousse  l'un  à  19,750  francs  et 
un  autre  à  17,500  francs.  Une  châsse  en  cuivre 
champlevé  et  émaillé  de  Limoges,  du  xin=  siè- 
cle, est  adjugée  i5,ioo  francs.  Des  bronzes 
italiens  du  xvi=  siècle  sont  aussi  très  disputés. 
Une  statuette  d'enfant  nu  monte  à  8,100  fr., 
et  un  encrier  formé  d'un  lion  terrassé  par 
Samson,  à  7,5oo  francs.  Dans  les  tableaux,  il 
ne  se  produit  rien  de  remarquable. 

Le  dernier  jour  de  mars,  on  vendait  des 
sièges  couverts  en  ancienne  tapisserie,  pour 
lesquels  on  a  donné  d'assez  gros  prix,  dont  le 
principal  a  été  celui  de  27,300  francs  pour 
quatre  fauteuils  en  Beauvais  époque  Louis  XV. 
Un  salon  en  tapisserie  ancienne  a  fait  22,000 
francs,  et  un  autre  en  Aubusson  époque 
Louis  XVI,  17,000  francs. 

La  veille,  à  la  vente  après  décès  d'un  an- 
cien marchand  de  tableaux,  M.  Gérard,  avait 
passé  un  très  beau  portrait  d'homme  par  Hol- 
bein,  représentant  Antoine  Humbelot.  Sur 
une  demande  de  40,000  francs,  ce  portrait  a 
été  adjugé  à  un  marchand  parisien  pour 
39,000  francs,  pas  cher  à  ce  prix,  étant  donnée 
la  qualité  de  l'œuvre. 

A  l'étranger,  New-York  seulement  nous  a 
envoyé  quelques  prix  importants.  A  la  fin  de 
mars,  on  a  vendu  la  collection  Brandus,  com- 
posée de  tableaux  modernes.  Une  toile  par 
Millet,  The  seated  Spinner,  a  atteint  i20,5oo 
francs  ;  un  tableau  par  Corot,  Souvenir  d'Ita- 
lie, 37,500  francs,  et  l'Attente,  par  Meissonier, 
21,000  francs.  Un  paysage  par  Daubigny  a 
fait  14,500  francs,  et  un  autre,  par  Cazin, 
18,000  francs.  Tout  de  suite  après  est  venue 
la  vente  de  la  collection  David  King,  qui  a 
produit  plus  d'un  million.  On  a  payé  90,000 
francs  un  portrait  de  la  comtesse  d'Argenson 
par  Nattier.  Un  portrait  de  Miss  Macarlney, 
par  Raeburn,  a  fait  52,5oo  francs,  et  un  autre 
portrait,  par  le  même,  45,000  francs. 

A.  FRAPPART. 


LES  ARTS 


N»  41 


PARIS   —   LONDRES   —    BERLIN  —  NEW-YORK 


Mai  1903 


i'htftit  UrmuH,  C/«mt(ii  f  Cn. 


EUGENE  GUILLAUME 

STATCAIRE 

I  8ai- I 9o5 


l'hulu  i\etirdem  fréren. 


EUGENE    GUILLAUME .  —  li;s  uH.\i:gLi;s 
(Muscc  du  t.uxcmùt  iiff;) 


EUGÈNE    GUILLAUME 


1822-1905 


MErGKNE  Guillaume  est  mort  plein  de  jours, 
ayant  occupé  et  rempli  en  son  pays  toutes  les 
places  qui  pouvaient  procurer  effectivement,  au 
*  nom  de  l'Etat,  une  sorte  de  dictature  des  Arts. 
Nul  homme  n'a  été  mis  à  même  d'exercer  sur  les  artistes  de 
son  ternps,  sur  leur  formation  intellectuelle,  leurs  progrès 
professionnels,  leurs  développements  Imaginatifs,  une 
influence  majeure.  Il  fut,  dans  l'enseigncmciit  et  la  direc- 
tion, l'homme  accrédité,  depuis  un  quartdc  siècle,  pour  distri- 
buer les  préceptes  et  attribuer  les  récompenses.  Profes- 
seur d'esthétique  au  Collège  de  France,  directeur  général 
des  Beaux-Ans,  inspecteur  général  des  arts  du  Dessin, 
directeur  de  l'Ecole  des  Beaux-Ans,  directeur  de  l'Académie 
de  France  à  Rome,  professeur  de  dessin  à  l'Ecole  polytech- 
nique, il  fut  de  ceux  auxquels  il  est  permis  de  concevoir,  de 
suivre  et  d'imposer  une  idée  maîtresse.  Sa  carrière  adminis- 
trative si  remplie  demandera  sans  doute  à  être  étudiée  comme 
celle  d'un  Lebrun,  d'un  Dcnon  ou  d'un  Forbin,  et  il  sera  à 
coup  sûr  intéressant,  peut-être  même  utile,  de  comparer  ce 
que  tut  l'exercice  de  la  dictature  artistique  sous  des  despotes 
tels  que  Louis  XIV  et  Napoléon,  et  sous  le  régime  actuel, 
mais  le  temps  n'est  point  venu  de  rechercher  si  le  pilote 


habile  qu'était  M.  Guillaume  a  conduit  vers  des  rivages  for- 
tunés la  barque  fragile  qui  porte  la  gloire  artistique  de  la 
troisième  République,  ou  si  le  nautonnier,  malgré  sa  pru- 
dence, n'a  pu  l'empêcher  de  venir  à  la  cote  où,  enlisée  aux 
sables  mouvants,  elle  est  par  eux  peu  à  peu  recouverte. 

Laissons  de  côté  l'administrateur,  c'est  l'artiste,  le  sta- 
tuaire, le  penseur,  l'écrivain,  le  confrère  qu'on  prétend  saluer 
ici  d'un  suprême  hommage,  d'uri  hommage  qui  fût  vrai  s'il 
est  possible  et  qui  rendit  quelques  côtés  tle  sa  nature  et  de 
son  talent.  Les  éloges  posthumes  n'ont  point  manqué 
à  M.  Guillaume.  Il  a  été  également  loué  par  des  Italiens 
et  des  F"rançais.  Il  eut  des  obsèques  solennelles;  des  hommes 
considérables  discoururent  sur  sa  tombe,  certains  avec  com- 
pétence, d'autres  avec  iniclligence,  tous  avec  une  admiration 
respectueuse,  nul  avec  émotion.  11  semblait  qu'on  se  lût 
involontairement  conformé  à  cette  sorte  d'austérité  polie, 
distinguée  et  froide  dont  M.  Guillaume  s'enveloppait.  Quoi- 
qu'il parlât  mieux  qu'homme  au  monde,  il  parlait  peu,  ne 
forçait  pas  le  ton,  ses  pensées  étant  assez  élevées  pour  qu'il 
n'eût  point  à  les  rehausser  par  des  éclats  de  voix.  Son  geste 
demeurait  constamment  mesuré  et  l'homme  avait  énergique- 
ment  voulu   être  tel   qu'il   ne   parût  jamais    extérieurement 


EUGÈNE  GUILLAUME 


EUGKNE    GUILLAUME.    —   lk  maria^.k   romain 
(Musée  du  Luxembounif 


LES   ARTS 


surpris,  agité  ou  bruyant,  tant  il  rejetait  les  mouvements 
discordants,  contraires  à  la  fois  à  la  norme  artistique, 
philosophique   et  sociale  qu'il  s'était  tracée. 

Sans  doute,  sous  ce  masque,  quelqu'un  qui  se  fût  atta- 
ché au  regard  et  au  pénétrant  éclat  des  yeux,  souvent  demi- 
clos,  eût  deviné  et  surpris  des  passions  très  ardentes.  Aux 
plis  minces  de  la  bouche,  même  aux  frémissements  des 
narines,  il  se  fût  confirmé  en  la  certitude  que  cette  impas- 
sibilité était  d'apparence.  Et  si,  comme  quelques-uns,  il 
avait  par  une  fissure  pénétré  en  ce  cœur,  il  y  eût  trouvé, 
avec  une  générosité  que  relevait  une  pointe  de  dédain,  une 
chaleur  de  sentiments  qui  prouvait,  malgré  les  ans,  le  foyer 
toujours  brûlant  sous  la  cendre. 

Tel  était  son  style,  —  et,  à  cet  enfant  de  Montbard, 
n'est-ce  point  que  le  mot  de  Buffon  s'impose  plus  précisé- 
ment encore  qu'à  nul  autre  ?  certes,   chez  Guillaume,  «  le 


style,  c'est  l'homme  même  »  ;  et  non  pas  seulement  le 
style  d'écrivain,  juste,  formel,  d'une  lucidité  admirable,  ser- 
rant la  définition,  ne  sacrifiant  rien  de  l'idée  et  la  présen- 
tant toute,  se  développant  en  périodes  larges,  pondérées, 
raisonnées,  pleines  d'un  art  majestueux,  comme  pénétrées 
d'antiquité,  d'une  antiquité  qui  fût  romaine  et  non  grecque, 
mais  le  style  d'ariiste-siatuaire,  tout  pareil  et  égal,  tel 
qu'en  revoyant  dans  son  atelier  de  l'Institut  ses  groupes,  ses 
bas-reliefs  et  ses  bustes,  l'idée  vient  qu'on  est  là  en  quelque 
réserve  du  Louvre,  que  ces  marbres  et  ces  plâtres  attendent 
pour  être  placés  en  une  salle  des  Césars  et  que,  pareils  en 
beauté  humaine  aux  chefs-d'œuvre  du  passé,  ils  viennent  de 
la  même  nature,  procèdent  du  même  génie,  attestent  la  même 
recherche,  méritent  la  même  étude. 

La  conception  que  Guillaume  avait  du  style  dans  la  sculp- 
ture s'affirmait  par  une  recherche  de  la  beauté  dans  la  vérité. 

Il  sublimait  un  visage  et  d'un 
individu  tirait  un  type  ;  mais, 
quand  il  avait  affaireà  lanaiure, 
il  restait,  dans  ceitesuhlimation, 
cncrgiquement  et  prodigieuse- 
ment vrai.  Il  n'avait  pas  même 
besoin  de  donner  aux  traits  une 
régularité  qu'ils  ne  présentaient 
point,  et,  lorsqu'il  rencontrait 
un  modèle  formellement  laid, 
il  ne  tentait  point  de  l'enjoliver, 
il  ne  prenait  point  davantage  la 
tache  de  l'enlaidir,  il  cherchait 
le  caractère  et  il  dégageait  l'es- 
prit, souvent  sublime  :  tel 
M.  Ingres.  Dans  chacun  de  ses 
portraits,  il  a  mis  à  la  fois  un 
homme  et  l'idée  qui  dominait 
cet  homme.  Il  n'a  pas  repré- 
senté seulement  une  tête,  mais 
ce  qu'il  y  a  dans  cette  téie.  Les 
modèles  que  sa  main  fit  vivre 
ne  sont  plus,  aux  yeux  même 
de  ceux  qui  les  ont  le  plus  fami- 
lièrement connus,  approchés  et 
aimés,  tels  que  la  nature  les  avait 
faits,  mais  tels  que  Guillaume 
les  produisit.  Ainsi  est-il  pour 
le  Prince  Napoléon,  pour  Mau- 
rice Richard  et  pour  Monsei- 
gneur Darboy.  C'est  aux  bustes 
qu'il  fit  d'eux  que  la  pensée  va 
d'abord,  ce  sont  ces  bustes  que 
la  mémoire  évoque.  Ils  demeu- 
rent comme  la  plus  intégrale  et 
la  plus  vivante  expression  de 
leur  personnalité  disparue.  Cela 
d'eux  subsiste  et  rien  ne  prévau- 
dra contre  cette  immonaliié  de 
leur  essence  morale  enchâssée 
dans  leurs  traits  physiques. 

Il  y  a,  dans  la  contempora- 
néité,  des  exigences  auxquelles 
tout  artiste  est  obligé  de  se  con- 
former pour  satisfaire  le  modèle, 
la  famille  et  les  amisdu  modèle; 
mais  l'on  peut  croire  que,  pour 
M.  Guillaume,  là  était  la  moins 
bonne  part  :  le  poète  qui  était 
en  lui  sentait-il  la  bride  lâche, 
n'avail-il  point,  dans  la  repré- 
sentation d'un  être,  à  suivre 
rigoureusement  la  nature,  il  pre- 
nait son  vol  et  s'efforçait  vers  les 
âmes  et,  s'il  avait  à  exprimer  des 
êtres  idéaux  ou  des  personnages 
historiques,  il  cherchait  d'abord 


photo  Giraudon. 


EUGENE  GUILLAUXLE.  —  inores  (partie  antérieure  du  monument) 
(École  des  Beaux-Arts,  Paris) 


la  beauté    morale,  la    générali- 


saiioli  pliilosopliitiiie;  ainsi,  près  de  poèmes  tels  que  les 
Gracqiics  cl  le  Mariai^e  romain,  inscrivait-il  une  cpopi'e, 
celle  de  Napoléon. 

Ceux  qui  chercheraient  là  le  document  nu,  la  restitu- 
tion inicgralc  et  réaliste  du  Surhomme  se  tromperaient;  ce 
n'est  point  ainsi  qu'il  convient  d'envisager  cet  te  suite  de  bustes, 
moniraniriù)ipereuràtouslesàgesdesavie,queM.(juillaumc 
exécuta  pour  le  {'rince  Napoléon  et  qui  demeurent  entre  ses 
(euvres  les  plus  intéressantes.  Hricnne,  Valence,  l'Italie,  le 
Consulat,  l'Empire,  Waterloo,  Sainte- Hélène,  l'adolescence, 
la  jeunesse,  la  virilité,  l'apothéose,  le  déclin,  l'agonie,  c'est 
l'existence  entière  de  Napoléon.  Si 
M.  Guillaume  s'était  appliqué  à  recher- 
cher et  à  reproduire,  d'après  les  por- 
traits existants,  ceux  qui  le  mieux  s'ap- 
prochent de  la  vérité  et  qui  en  donnent 
l'accent  le  plus  vibrant,  la  reconstilutii^n 
eiitété  intéressante  sans  doute,  mais  elle 
n'eut  satislait  ni  celui  qui  la  tentait,  ni 
celui  qui  l'avait  désirée,  ni  même,  osera- 
t-on  dire,  celui  pour  la  glorification  du- 
quel elle  était  entreprise.  Napoléon  avait 
eu  pour  objet  de  créer,  par  ses  portraits, 
ses  bustes  et  ses  statues,  un  type  dynas- 
tique. C'est  de  ce  type  que  M.Guillaume 
devait  partir,  et,  comme  ce  type  est  le 
plus  beau  qu'ait  imaginé  la  race  latine, 
le  statuaire  devait  prendre  pour  but  de 
ligurer  le  surhomme  latin  par  l'épa- 
nouissement physique  et  moral  de  ce 
type  aux  divers  âges  de  la  vie. 

Le  point  de  départ  du  type  conven 
tionnel  étant  le  Napoléon  Empereur,  de 
(jérard,  toutes  les  effigies  devaient  s'y 
rattacher,  avant  comme  après,  pour  signi- 
fier la  transformation  phvsique  et  l'évo- 
lution mentale,  pour  concentrer  le  génie 
dans  la  beauté,  pour  le  faire  pressentir, 
grandir  et  décroître.  Une  telle  vision 
d'histoife  —  de  religion  bien  plutôt  — 
devenait  ainsi,  non  seulement  la  syn- 
thèse de  la  plus  étonnante  fortune  qu'ait 
connue  l'humanité,  mais  l'analyse  des 
formes  essentielles  que  la  beauté  peut, 
à  tous  les  âges,  prêter  au  génie.  Un  tel 
dessein  sort  des  habiiiielles  formules  au 
point  d'étonner;  on  pourrait  se  demander 
s'il  était  réalisable,  si  l'on  n'avait  en 
l'esprit,  tels  qu'ils  apparaissaient  dans 
le  salon  de  l'avenue  d'Aniin  ou  de  la  rue 
de  Phalsbourg,  tels  qu'ils  apparaissent  à 
présent  dans  la  grande  salle  napoléo- 
nienne de  Prangins,  ces  bustes  d'une 
même  venue,  d'unart  égal,  d'une  inspira- 
tion constamment  soutenue, qui  forment 
par  leur  ensemble  un  des  plus  inté- 
ressants monuments  qu'ait  érigés  à  un 
ancêtre  la  piété  familiale. 

A  côté,  l'on  peut  placer  la  statue  que 
le  Prince  Napoléon  avait  demandée  à 
M.  Guillaume  pour  l'atrium  desa  maison 
pcimpéienne,  mais  ce  n'est  point  ici  une 
énumération  d'ccuvres  que  l'on  tente. 

Rn  un  temps  où,  par  l'influence  néfaste 
d'un  homme  de  grand  talent,  la  sculpture, 
échappée  des  règles  strictes  qui  imposent 
l'immobilité  et  tolèrent  à  peine  le  geste 
arrêté  dans  un  rvthme  ou  surpris  dans 
une  cadence,  s'efforce  au  mouvement  et 
emplit  les  jardins  d'êtres  convulsionnés, 
—  en  sorte  qu'une  exhibition  de  statues 
modernes  fait  songer  à  un  asile  de  fous 
dénudés.  —  Guillaume  garda,  avec  le 
respect,  la  connaissance  et  la  passion  de 

Mm»  (htwmIwi. 


son  art,  la  compréhension  exacte  de  ce  (\\x\  le  rend  un  art.  des 
lois  cjui  le  régissent,  dugoùl  qui  le  dirige,  de  la  phihi&ophic 
oui  l'illumine,  et  c'est  pourquoi,  tandis  qu'on  verra  tomber 
oans  le  mépris  tant  d'objets  que  la  mode  recommande  et 
que  prône  le  snobisme,  son  œuvre,  parce  qu'elle  fut  clas- 
sique, demeurera  telle  ;  parce  qu'elle  eut  le  respect  de  la 
beauté,  en  restera  illuminée:  parce  qu'elle  rechercha  la  cen- 
sée, retiendra  la  gloire. 

FRÉDÉRIC  MASSON. 


El'GENB  tiUlLLAUMB.  —  stoxsiiivtn-ii  daubot 
iMm*it  ém  iMJttmt—trgt 


ItOLDINl.  —  POUTHAiT  DE  MENZBt.  —  (GaUrîc  nationale,  Berlin^ 
{Avec  Vautorisnlion  de  U.  de  TschudiJ 


ADOLF  VON  MENZEL 


±8±B-±90B) 


'Allemagne  a  fait  à  Menzel  i)  de  princicres 
funérailles  :  sous  la  rotonde  du  Vieux 
Musée,  dans  la  demeure  des  anciens 
maîtres  auxquels  la  postérité  le  réunira, 
celui  qui,  de  son  vivant,  avait  été  comblé 
3^^  de  toutes  les  dignités  —  sénateur  de  l'Em- 
pire, président  d'honneur  de  l'Académie 
de  Berlin,  membre  associé  de  l'Institut  de  France  et  de  la 
Royal  Academy  de  Londres,  chamarré  de  croix,  et,  dis- 
tinction plus  rare,  décoré,  il  y  a  six  ans,  de  l'ordre  de  l'Aigle 
Noir  qui  confère  la  noblesse  —  reçut  les  derniers  hommages 
de  l'Empereur,  des  grands  corps  de  l'État  et  des  artistes  alle- 
mands. C'est,  en  effet,  plus  que  l'annaliste  du  grand  Frédéric  et 
delà  maison  de  Prusse  qui  disparait;  c'est  un  des  foyers  lumi- 
neux de  l'Allemagne  qui  s'éteint,  le  chef  incontesté  de  l'école 
nationale  qui  s'en  va.  Non  pas  chef  au  sens  de  conducteur  : 
Menzel,  toute  sa  vie,  travailla  isolé,  en  dehors  de  tout  grou- 
pement artistique;  mais  chef  au  sens  de  maître  souverain 


dont  l'ieuvre  et  l'exemple  ont  été  si  puissants  que  tous  en 
sont  restés  plus  ou  moins  débiteurs  :  bloc  de  granit  —  tel  que 
l'a  symbolisé  Max  Klinger  dans  sa  gravure  Hommage  à 
Menzel  —  posé  sur  les  épaules  de  l'école  allemande  et  dont 
elle  sentira  toujours  la  domination;  pierre  fondamentale  sur 
laquelle  elle  a  pu  éditier  des  constructions  moins  chimé- 
riques et  plus  solides. 

Ce  n'est  pas  que  Menzel  eût  reçu  en  partage  le  don 
suprême  qui  fait  les  génies  créateurs  :  la  révélation  d'une 
face  ignorée  de  la  Beauté,  la  faculté  de  l'évoquer  aux  hommes 
en  accents  impérieux  et  troublants  ;  et  sa  mort  ne  fer- 
mera aucun  de  ces  horizons  nouveaux  et  mystérieux  que 
nous  faisaient  entrevoir  un  Puvis  ou  un  \\'atis;  mais  si  «  le 
génie  n'est  qu'une  longue  patience»,  à  qui  ce  mot  peut-il  mieux 
s'appliquer,  après  Hokousaï,  qu'à  ce  petit  homme  au  masque 
volontaire  et  obstiné  qui  n'a  cessé,  jusqu'à  la  dernière  minute 
de  sa  longue  existence,  d'étudier  et  d'apprendre,  sans  autre 
maître   que  la  nature  et  la  vie,  de  s'intéresser   à   tous    les 


(l)  Mort  à  Berlin  le  9  février  dernier,  dans  sa  quatre-vingt-dixième  année. 


ADOLF   VON  MENZEL 


Vlw:0    O'i^l't'l-    ScA.IMr'l 


MENZEL.    —    TABLE   RONDE      A   SANS-SOUCI  <l85o) 

{Galerie  nationale,  Berlin) 


LES   ARTS 


aspects,  même  les  moindres,  du  monde  extérieur,  le  scru- 
tant dans  tous  ses  détails,  jamais  satisfait,  tendant  sans  trêve 
à  une  plus  grande  perfection,  et  l'atteignant  à  force  d'obscr- 
vaiion  pénétrante,  de  labeur  acharné,  d'incessant  renouvel- 
lement? Servi  par  des  organes  admirables —  un  œil  possé- 
dant, derrière  les  lunettes  d'or,  l'acuité,  la  précision,  la 
lidélité  implacable  d'un  objectif  de  photographe;  une  main 
(ou  plutôt  des  mains,  car  la  gauche  rivalisait  d'habileté 
avec  la  droite)  d'une  prestesse  et  d'une  souplesse  incompa- 
rables, —  il  a  promené  partout  ses  regards  fureteurs  et  son 
crayon  :  à  la  Cour,  dans  la  rue,  à  la  brasserie,  dans  la  cam- 
pagne, notant  tout  ce  qu'il  voyait,  se  donnant  pour  tâche 
les  problèmes  les  plus  dissemblables,  souvent  les  plus  ardus, 
et  les  résolvant  tous  avec  un  égal  bonheur.  Avec  une. 
extraordinaire  faculté  de  se  diversifier  (qui,  en  même  temps 
que  la  largeur  de  la  facture,  le  rend  bien  supérieur  à  Mcis- 
sonicr,  auquel,  à  tort,  on  l'a  souvent  comparé),  il  se  montre, 
comme  Durer,  séduit  par  tout,  apte  à  rendre  avec  une  égale 
perfection,  qu'on  voudrait  seulement  moins  impassible,  les 
choses  les  plus  diverses  :  un  uniforme  de  soldat,  un  intérieur 
d'église,  une  cour  de  ferme,  des  lions,  une  forge,  un  escalier 
délabré,  des  maçons  au  travail,  une  main  tenant  un  éventail, 
un  chemin  boisé,  un  coin  d'aielier,  un  dormeur  en  wagon,  un 
torse  antique,  un  noyé  qu'on  relire  de  l'eau,  une  scène  de  bou- 
levard, un  perroquet,  un  éléphant,  un  bal,  une  bataille...,  tout, 
en  un  mot,  — excepté  pourtant  ce  qui  est  du  monde  du  senti- 
ment, s'évade  dans  l'au  delà  son  Jésus  au  viilieit  des  docteurs 
n'est,  malgré  l'auréole  autour  de  la  tête  de  l'Enfant  divin, 
qu'une  scène  quelconque  de  la  vie  juive,  d'un  réalisme  plus 
absolu  que  tout  ce  que  tenteront  plus  tard  dans  ce  domaine 
Munkacsy  et  Tissot],  excepté  aussi  le  mystère  du  charme 
féminin.  C'est  «  le  Balzac  du  crayon  »,  a  dit  de  lui  un  des 
critiques  d'art  les  plus  pénétrants  de  ce  temps,  artiste  lui- 
même,  M.  Jan  Veth,  et  la  comparaison  ne  laisse  pas  que 
d'être  assez  juste  :  sinon  par  la  hauteur  et  l'ampleur  de  sa 
vision,  du  moins  par  sa  curiosité  universelle  de  la  vie,  la 
variété  de  son  observation,  la  force  sereine  de  son  exécution, 
Menzel  est  digne  de  ce  glorieux  surnom. 

Il  a  été  par  excellence  le  dessinateur  captivé  par  l'infinie 
variété  du  monde  des  formes,  les  aimant  pour  elles-mêmes, 
et,  suivant  une  voie  logique,  conduit  à  la  peinture  par  le 
dessin,  condensant  ses  études  dans  des  tableaux,  au  rebours 
de  la  pratique  habiiuelle  qui  fait  de  ceux-ci  le  but  essen- 
tiel, de  celles-là  le  moyen  accessoire.  Il  s'ensuit  que  les  com- 
positions peintes  de  Menzel  n'ont  pas  l'accent  persuasif  de 
ses  dessins  et  de  ses  notations  à  l'aquarelle.  L'artiste  lui- 
même  ne  se  faisait  pas  d'illusions  à  cet  égard.  Aux  visiteurs 
qui  lui  demandaient  à  voir  ses  tableaux,  il  répondait  de  son 
ton  bourru  :  «  Il  n'y  a  rien  ici.  Si  vous  voulez  de  la  peinture, 
allez  voir  à  la  Nationalgalerie  mon  portrait  par  Roldini  1 
C'est  la  meilleure  chose  qu'on  ait  faite  d'après  moi.  » 
Néanmoins,  si  les  tableaux  de  Menzel  trahissent  plus  ou 
moins  l'effort,  ils  se  sauvent  parla  liberté  de  conception  et  la 
franchise  d'exécution  :  indépendant  ici  encore,  soucieux 
uniquement  d'exactitude,  il  a  été  historien  véridique,  sans 
emphase  ni  convention,  ni  académique  ni  romantique,  ces 
deux  écueils  de  la  peinture  allemande  d'hier...  et  d'au- 
jourd'hui encore  :  comparez  telle  de  ses  scènes  historiques,  la 
Table  ronde  à  Sans-Souci  ou  le  Frédéric  JI  jouant  de  la  flûte, 
si  pleins  de  justesse  et  de  mesure,  à  felle  grande  «  machine  » 
de  M.  Anton  von  Werner,  boursouflée  et  toute  en  formules. 


•loignezy  que  la  sincérité  de  son  observation  l'a  conduit  à 
réaliser  bien  avant  tout  autre  en  Allemagne  les  recherches 
modernes  de  lumière  et  de  plein  air  :  voyez  l'étonnant 
Intérieur,  daté  de  1845,  que  conserve  la  Nationalgalerie  de 
Berlin  ! 

Enfin,  sous  son  impulsion,  a  été  renouvelé  en  Allemagne 
l'art  de  la  xylographie.  C'est  à  juste  titre  que  son  pays  peut 
vénérer  en  lui  celui  qui,  ayant  été  à  la  tête  de  tous  les  pro- 
grès, est  véritablement  le  père  de  l'école  allemande  moderne. 


Adolf-F"riedrich-Erdmann  Menzel  éiait  né  le  8  décembre 
181  5  àBreslau,où  son  père  dirigeait  un  pensionnat  de  jeunes 
filles.  Quoique  celui-ci  ne  se  souciât  guère  de  voir  son  fils 
seconsncrer  à  l'art,  la  vocation  était  si  forte  chez  l'enfant  qu'à 
quinze  ans  il  triomphait  de  la  résistance  paternelle.  Des  por- 
traits qu'il  exécuta  alors  frappèrent  tellement  des  amis  de  la 
famille,  que  le  père  se  décida  même  à  quitter  Breslau  et  à 
venir  à  Berlin  exploiter  un  matériel  de  lithographie  dont  son 
fils  devait  être  l'âme.  Et  voici  le  jeune  Menzel  occupé  à  dessi- 
ner à  la  plume  sur  pierre  les  vignettes,  programmes,  cn-tétes 
de  factures,  caries  d'invitation,  de  souhaits,  etc.,  commandés 
à  la  maison  paternelle.  Dès  ces  premières  oeuvres  se  remar- 
que l'indépendance  de  l'artiste,  formé  tout  seul,  sans  aucun 
maître,  sans  autres  modèles  que  les  spectacles  de  la  rue,  les 
eitampes  aux  devantures  des  marchands,  les  oeuvres  des 
musées,  uniquement  soucieux  de  vérité.  Il  déploie  en  outre, 
dans  ces  petits  travaux,  des  dons  d'invention  et  de  verve  qui 
les  font  vivement  apprécier.  Mais  voici  que,  en  i832.  son 
père  meurt.  Chargé  désormais  de  subvenir  seul  à  l'existence 
de  sa  famille,  le  jeune  homme  trouve  dans  cette  épreuve  et 
ces  diflicultés  un  stimulant  nouveau  à  redoubler  d'applica- 
tion et  travaille  jour  et  nuit.  Il  continue  à  faire  pour  l'insiiiut 
lithographique  de  Sachseet  C''^ce  qu'il  faisait  chez  son  père: 
étiquettes,  menus,  programmes,  et  y  sème  mille  trouvailles 
où  la  fantaisie  s'allie  à  la  vérité.  Mais  c'est  un  recueil  publié 
en  1834  chez  Sachse  :  Kiinstlers  Erdenwallen  (Tribulations 
d'un  artiste),  suite  de  onze  lithographies  inspirées  par  un 
poème  de  Goethe,  qui  commence  sa  réputation  :  Schadow,  le 
le  sévère  directeur  de  l'Académie,  en  parla  avec  éloges.  De 
fait,  tout  Menzel  est  en  germe  dans  ces  petites  scènes  si  justes 
d'observation,  si  ingénieusement  présentées  :  l'éclosion  du 
sentiment  artistique  se  manifestant  par  des  bonshommes  dont 
l'enfant  couvre  le  plancher  et  qui  lui  attirent  les  remon- 
trances paicrnclles;  l'adolescent  dessinant  la  nuit  en  cachette  ; 
son  inaction,  le  jour,  devant  un  travail  rebutent;  les  moque- 
ries des  camarades;  son  évasion  par  la  lucarne  de  sa  man- 
sarde; son  application  aux  cours  de  l'.Académie;  les  soucis 
d'argent  ;  l'apparition  de  l'amour  sous  la  forme  d'une  jeune 
fille  entrevue  à  l'église;  les  châteaux  en  Espagne;  puis  la  réa- 
lité :  le  peintre  obligé,  pour  nourrir  les  siens,  de  portraiturer 
de  hideux  bourgeois;  la  mort  prématurée;  la  gloire  posthume. 
Tous  ces  tableaux,  que  résume  au-dessous  une  vignette  allé- 
gorique (c'est,  détail  significatif,  une  perruque  qui  symbolise 
ces  cours  de  l'Académie  un  moment  suivis  par  l'artiste  en 
i833,  puis  vite  abandonnés),  sont  pleins  de  naturel,  de  fraî- 
cheur, d'ironie  tempérée  d'émotion. 

Curieux  de  tous  les  procédés,  Menzel  s'essaie  aussi  à  des 
compositions  au  lavis  sur  pierre  où  les  lumières  sont  obte- 
nues au  moyen  du  grattoir.  Deux  jolies  scènes  de  genre:  La 
Liseuse  Cl  L'Antiquaire  soniïes  meilleures  de  ces  productions. 


LES   ARTS 


Enfin,  de  1834  à  i836,  il  dessine  sur  pierre,  cette  fois  au 
crayon,  pour  les  Faits  mémorables  de  l'histoire  de  Brande- 
bourg et  de  Prusse  édités  chez  Sachse,  une  suite  de  compo- 
sitions dont  l'absence  de  convention,  le  souci  d'exactitude  et  la 


vie  étonnent,  en  regard  des  tableaux  d'histoire  alors  en  vogue, 
où  triomphent  encore  l'ordonnance  classique,  l'allégorie 
pompeuse  :  Mcnzel  leur  préfère  la  seule  vérité.  Il  est  déjà  un 
isolé. Un  artiste,  il  est  vrai,  doit  toujours  plus  ou  moins  à  ceux 


Fhotù  Gustave  Schauer. 


MENZEL,  —  LE  PROMENEUR.  —   Gouache  (1875) 


qui  l'ont  précédé.  La  filiation  de  Menzei,  cependant,  est 
assez  difficile  à  établir.  On  peut  bien  lui  découvrir  une 
parenté,  en  Allemagne,  avec  ces  esprits  de  probité  que  furent 
Holbein,  Rauch,  Schluter,  Chodowiecki  ;  en  réalité  il  n'a 
qu'un  maître  :  la  nature.  Venu  à  un  moment  où  l'école 
allemande  se  partage  entre  l'hellénisme  et  le  romantisme, 
il  a  la   sagesse   de  s'en  remettre   au    seul  guide  éternel. 

Une  tâche  immense  allait  achever  de  le  mettre  en  valeur 
et  de  fonder  définitivement  sa  réputation.  En  i83(),  l'his- 
torien Franz  Kugler,  chargé  par  les  éditeurs  Weber  et 
Lorck  d'écrire,  comme  en  pendant  à  VHistoire  de  Napo- 
léon de  Laurent  illustrée  par  Horace  Vcrnet,  qui  avait  eu 
un  vif  succès  en  Allemagne,  une  histoire  populaire  du 
héros  national,  le  Grand  Frédéric,  choisit  Mcnzel  comme 
illustrateur.  Alors  commence  pour  le  jeune  artiste  un  travail 
de  tous  les  instants  :  désireux  de  reconstituer  exactement 
la  vie  de  toute  la  société  au  xviu^  siècle,  il  ne  cesse,  avec 
une  conscience  admirable,  pendant  trois  ans,   d'accumu- 


ler les  études  et  les  recherches,  amoncelant  des  milliers  de 
dessins  préparatoires  d'après  les  documents  de  l'époque,  à 
Potsdam  et  ailleurs,  et  il  en  tire  une  suite  de  quatre  cents 
illustrations  qui,  d'abord  un  peu  tâtonnantes,  influencées  par 
le  souvenir  de  nos  vignettes  du  xviii'=  siècle  et  des  dessins  de 
Raffet,  deviennent  de  page  en  page,  de  volume  en  volume, 
plus  libres,  plus  animées,  plus  vives,  plus  hardies,  et,  sans 
grandiloquence,  par  le  seul  prestige  de  la  vérité  et  d'une 
composition  dramatique  et  nerveuse,  aboutissent  à  une 
évocation  à  ce  point  saisissante  de  l'histoire  de  Frédéric  et 
de  son  temps,  qu'on  la  dirait  due  au  plus  observateur  et  au 
plus  psychologue  des  contemporains.  Conçus  avec  une 
entente  admirable  des  noirs  et  des  blancs,  ces  tableaux  minus- 
cules eurent  la  chance  d'être  traduits  en  perfection,  avec 
fidélité  et  souplesse,  par  des  graveurs  sur  bois  que  dirigea 
Menzei  lui-même,  et  marquent  le  renouvellement  de  cet  art 
en  Allemagne.  Le  succès  en  fut  immense  près  des  raffinés 
comme  près  du  public  et  répandit  son  nom  dans  toute  l'Europe. 


LES   ARTS 


Menzel  devait  encore  aller  plus  haut  dans  rillustration  des 
Œuvres  de  Frédéric  le  Grand,  commandée  par  le  roi  Fré- 
déric-Guillaume IV  et  exécutée  de  1843  à  184g.  Oblis;é  de 
restreindre  ses  compositions  à  douze  centimètres  de  largeur, 
il  se  pique  au  jeu  et,  acceptant  la  difficulté  comme  une 
gageure,  s'amuse  à  déployer  en  quelques  traits  des  paysages 
immenses,  à  y  faire  évoluer  des  régiments  eniiers.  Il  ne 
manquera  pas,  d'ailleurs,  lorsque  plus  ttrd,  en  1882,  le 
libraire  Wagner  tirera  de  cet  ouvrage  et  des  Unijormes  de 
l'armée  du  Grand  Frédéric  (non  mis  d'abord  dans  le  com- 
merce) une  édition  de  luxe  accessible  au  public,  de  se  railler 
de  la  contrainte  jadis  imposée,  en  représentant  en  tète  du 
livre  un  petit  génie  enserré  entre  les  deux  branches  d'un 
compas, avec  cette  inscription  :  «  /2  centimètres  maximum. 
Hic,  hic  salta!  » 

Les  Uniformes  de  l'armée  du  Grand  Frédéric,  trente-deux 
compositions,  avec  texte  de  Ed.  Lange,  publiées  par  l'édi- 
eur  de  VHistoire  de  Frédéric  qu'elles  complétaient  en 
quelque  sorte  ^i 843-1 852),  et  Au  temps  du  roi  Frédéric, 
douze  portraits  à  micorps  de  Frédéric  II  et  de  ses  généraux 
(i85o-i855),  édités  chez  Duncker,  montrent  à  son  apogée  le 
souci  d'exactitude  de  Menzel  (qui  prit  soin  de  dessiner 
minutieusement  chaque  uniforme,  chaque  pièce  de  costume, 
même  les  patrons  avec  les  mesuresi  et  décèlent  une  maitrise 
d'exécution  de  plus  en  plus  grande.  Elle  s'accentue  encore 
dans  les  illustrations  si  savoureuses  pour  la  comédie  La 
Cruche  cassée  de  Heinrich  von  Kleist  (1876-1877)  et  pour  la 
Germania  de  Scherr,  où  se  trouve  l'effigie  la  plus  saisis- 
sante que  Menzel  ait  jamais  donnée  de  Frédéric. 

Ayant  vécu  si  longtemps  en  compagnie  du  «  vieux  Friiz  », 
Menzel  devait  être  tenté  de  retracer  en  de  plus  vastes  com- 
positions quelques  scènes  principales  de  la  vie  de  son  héros. 

Dès  1837,  il  s'était  essayé  à  la  peinture  à  l'huile  avec  un 
épisode  de  mœurs  xviis- siècle  intitulé  Le  Conseil  de  famille. 
puis,  en  i83y,  avait  peint  une  scène  de  tribunal  assez  mélo- 
dramatique: «  Audiatur  et  altéra  pars.  »  Les  tableaux  qui 
vont  compléter  son  «  cycle  du  Grand  Frédéric  •>  sont  bien 
meilleurs.  C'est,  en  1849,  Le  Placet  :  le  roi  se  promenant  à 
cheval  dans  la  campagne  et  un  couple  de  paysans  se  préparant 
à  l'aborder  au  détour  du  chemin;  en  i85o,  la  fameuse  Table 
ronde  à  Sans- Souci  en  ij5o,  qui  réunit  autour  de  Frédéric, 
avec  des  généraux  et  des  hommes  d'État,  Voltaire,  La  Met- 
trie  et  le  marquis  d'Argens,  et  où  l'impression  de  causerie 
légère  entre  gens  d'esprit,  de  vie  élégante  et  gaie  dans  la 
splendeur  du  beau  jour  d'été  dont  la  lumière  entre  par  la 
porte  ouverte  de  la  terrasse,  est  si  admirablement  rendue; 
en  i852,  le  non  moins  célèbre  Concert  de  flûte  (aujour- 
d'hui, comme  le  tableau  précédent,  à  la  Nationalgalerie  de 
Berlin)  :  dans  la  salle  de  concert  de  Sans-Souci,  sous  la  lueur 
des  lus'res,  le  monarque  préludant  sur  la  flûte,  au  milieu 
de  l'attention  générale,  dont  Menzel  a  finement  rendu  les 
nuances  diverses  sur  le  visage  des  auditeurs;  en  1854,  Fré- 
déric le  Grand  en  voyage  promettant  des  secours  aux  popu- 
lations ruinées  par  la  guerre;  en  i856,  Frédéric  II  et  les 
siens  à  Hochkirch  (qui  figura  à  l'Exposition  universelle 
de  1867),  scène  nocturne  de  bataille,  éclairée  par  la  lueur  de 
l'incendie  et  du  feu  des  mousquets.  «  Ce  fut  un  tableau  difficile 
à  peindre,  disait  Menzel  ;  chaque  fois  que  j'entendais  le 
tocsm  la  nuit,  je  courais  à  l'endroit  du  sinistre  pour  étudier 
les  effets  de  lumière  de  l'incendies);  en  1857,  VEntrevue 
de  Frédéric  et  de  Joseph  II  à  Neisse,  puis  deux  tableaux 


restés  inachevés  :  le  «  Bonsoir.  Messieurs  !  »  de  Frédéric  sur- 
prenant les  ofliciers  autrichiens  à  Lissa,  et  l'Allocution 
de  Frédéric  le  Grand  à  ses  généraux  avant  la  bataille  de 
Leuthen. 

Toutes  ces  oeuvres  'auxquelles  il  faut  y  ajouter  quatre 
gouaches  ayant  pour  sujets  des  épisodes  de  la  vie  de  Fré- 
déric encore  kronprinz  à  Rheinsberg)  sont  nourries,  on  le 
sent,  du  suc  d'une  forte  documentation,  mais,  au  point  de 
vue  de  la  facture,  manquent  un  peu  de  solidité  et  n'ont  pas 
la  séduisante  spontanéité  des  illustrations  précédemment 
admirées. 

L'histoire  contemporaine,  après  cela,  séduit  cet  esprit 
amoureux  d'observation  directe,  et  Menzel  retrace  des  épi- 
sodes de  l'histoire  de  Frédéric-Guillaume  IV,  puis  du  règne 
de  Guillaume  I".  De  cette  série,  la  toile  capitale  est  le 
Couronnement  du  roi  Guillaume  à  Kœnigsberg,  le  /tV  oc- 
tobre 18H1 ,  immense  tableau  dont  l'artiste,  dans  une  lettre 
fort  intéressante  où  se  peint  son  constant  souci  d'exactitude, 
a  raconté  l'histoire  depuis  le  jour  de  la  commande,  une 
semaine  avant  l'événement,  jusqu'à  l'achèvement,  le  16  dé- 
cembre i865.  Cette  composition  comprend  plus  d'une  cen- 
taine de  portraits  jiour  la  plupart  desquels  Menzel  exécuta 
des  études  préliminaires  très  achevées,  au  crayon,  au  pastel, 
au  lavis,  à  l'aquarelle,  qui  sont  autant  de  merveilles  et  dépas- 
sent encore  en  intérêt  artistique  le  tableau  lui-même.  Son 
accent  de  vérité,  cependant  (dont  bien  des  dames  et  même, 
parait-il,  quelques  hauts  fonctionnaires  se  montrèrent  peu 
satisfaits),  et  son  heureux  effet  de  lumière  et  de  coloration  le 
sauvent  de  l'ennui  inhérent  à  ces  grandes  images  officielles 
et  en  font  une  œuvre  remarquable  où  s'allient  toutes  les 
recherches  de  Menzel.  Plus  prime-sautier  et,  par  suite,  plus 
intéressant  encore,  malgré  l'importance  moindre  de  l'œuvre, 
est  le  Départ  du  roi  Guillaume  pour  l'armée,  le  3i  juillet 
l'S'-o,  où  tout  vit,  respire,  palpite. 

Dès  1848,  d'ailleurs,  Menzel  jetait  sur  la  toile  l'impres- 
sion d'un  semblable  moment  de  vie  nationale  populaire  avec 
les  Obsèques  des  victimes  de  la  révolution  de  mars,  et  plus  il 
avance  dans  cette  voie,  plus  il  est  lui-même.  Aussi  les  tableaux 
que  lui  inspirent  les  spectacles  de  la  vie  ambiante  sont-ils 
les  meilleurs  de  son  (i-uvre.  Ses  voyages  à  Paris,  en  i83  5 
(quinze  jours  qu'il  y  passa  en  compagnie  de  son  ami  le  peintre 
Magnusetqui  lui  inspirèrent  ce  Souvenir  du  théâtre  duGym- 
nase,  si  juste  d'observation  et  de  couleur  qu'on  ne  croirait 
jamais  à  un  tableau  peint  de  mémoire  l'année  suivante  .  puis 
en  1867  (où  il  visita  l'Exposition  universelle  en  compagnie 
de  Meissonier  et  de  Stevens),  et  encore  en  1868,  en  le 
mettant  en  contact  avec  l'art  français,  eurent  une  influence 
capitale  et  décisive  sur  l'achèvement  de  son  évolution  et 
raffinement  de  sa  vision  et  de  son  métier.  Grisé  par  le  mou- 
vement, l'atmosphère  subtile  de  Paris,  il  met  une  ardeur 
infatigable  à  noter  les  divers  aspects  de  la  grande  cité,  pour 
les  résumer,  une  fois  de  retour  à  Berlin,  dans  des  toiles 
ou  des  gouaches  frémissantes  de  mouvement  et  de  lumière  : 
Après-midi  au  jardin  des  Tuileries,  Un  Lourde  se/naine  à 
Paris.  Souvenir  du  jardin  du  Luxembourg.  Un  Restaurant  à 
l'Exposition  universelle,  si  étonnant  comme  rendu  du  four- 
millement de  la  foule  bariolée,  et  ce  curieux  tableau  Au  Jar- 
din des  Plantes,  où  la  sensation  de  l'énorme  et  de  l'étrange 
est  si  bien  mise  en  évidence.  Il  v  met  tous  ses  dons  de 
vériste  impeccable,  de  peintre  de  plein-air  juste  observateur 
des  valeurs  (tel  que  l'avaient  déjà  montré  dès  1846  et  1847  le 


Jardin  du  palais  du  prince  Albrecht  et  le  Chemin  de  Jer  de 
Berlin  à  Potsdam,  puis,  en  i865,  cette  gouache  aussi  «  impres- 
sionniste »  qu'un  Liebermann  :  Enfants  se  baignant  dans  la 
Saale),  de  coloriste  amoureux  des  tons  riches  et  vibrants. 


De  voyages  en  Tyrol,  en  Bavière  et  en  Italie  il  avait 
aussi  rapportcet  devait  rapporter  encore  quantité  de  paysages 
et  de  tableaux  pittoresques  où  s'accuse  particulièrement  son 
sens  de  la  vie,  de  la  lumière  et  de  la  couleur,  la  plupart 


l'hoto  Ginlave  Sctitiuer. 


MENZEL.  —  AU  jAnnix  des  planies.  —  Coitaihe  (I8C.3) 
(Appartient  à  M.  te  consul  général  Ed.-L.  Behrsns.  à  Hambourg 


traités  à  l'aquarelle  ou  à  la  gouache  avec  une  maîtrise  de 
facture  incomparable.  C'est  la  Vallée  de  Gastein,  toute  baignée 
de  vapeurs  légères,  avec  son  fin  clocher  au  premier  plan;  la 
Procession  à  Hof- Gastein,  le  Théâtre  rustique  à  Ku/stein,  le 
Prêche  en  plein  air  à  Knsen,  merveille  de  sous-bois  (i8ô5). 
Dix  minutes  d'arrêt.  Le  Promeneur,  les  diverses  scènes 
notées  aux  eaux  de  Kissingcn,  l'immense  tableau,  brossé  avec 
tant  de  liberté,  La  Pia^^a  dell'  Erbe  à  Vérone,  toute  grouil- 
lante et  vibrante  de  l'animation  de  son  marché  dans  le  plein 
soleil  (1884),  etc.;  puis  ces  intérieurs  d'églises  xviir  siècle 
pris  à  Ettal,  à  Munich,  à  Salzbourg,  à  Innsbruck,  surtout 
l'étonnant  Maitreautel  de  l'église  Saint-Pierre  à  Sal:{bourg, 
où  son  pinceau  rivalise  de  verve  étourdissante  avec  les  com- 
plications intinies  du  décor  rococo,  les  mille  jeux  de  la 
lumière  parmi  le  fouillis  des  sculptures  et  sur  les  dorures; 
là,  plus  qu'ailleurs,  Menzel  a  donné  la  mesure  de  son 
extraordinaire  virtuosité. 

Il  se  montre  au  contraire  (et  c'est  ici  qu'apparaissent  son 
intelligence  et  sa  souplesse  de  grand  artiste)  simple  et 
ingénu,  comme  il  fallait,  dans  une  suite  de  quarante-trois 
aquarelles  gouachées  groupées  sou.s  le  titre  :  Album  pour 
enfants,    exécutées   pour   son    neveu    et    que    la    National- 


galerie  de  Berlin  a  eu  le  bon  goût  d'acquérir.  Sauf  quel- 
ques-unes, qui  montrent  des  paysages  quelconques,  elles 
représentent  des  coins  du  Jardin  zoologique  de  Berlin  pris 
par  leur  côté  le  plus  pittoresque,  comme  l'eut  fait  un  Japonais, 
et  où  les  animaux  sont  rendus  avec  une  sincérité  et  une 
intuition  qui  arrivent  à  faire  transparaître  en  ces  images 
leur  âme  obscure.  Les  onze  aquarelles  de  cette  suite  qui 
figuraient  Télé  dernier  à  Dùsseldorf  étaient  un  des  plus  vifs 
attraits  de  cette  exposition  d'ensemble  :  après  les  feux  d'ar- 
tifice de  la  série  précédente  et  de  la  suivante,  elles  étaient 
comme  une  oasis  délicieuse  de  calme  reposant. 

Cette  observation  amusée  et  pénétrante  de  la  nature, 
Menzel  la  porte  aussi  dans  les  salons  et  à  la  Cour,  et  voici  ces 
gouaches  ou  peintures  :  Repos  entre  les  danses  (1870  ,  Cercle 
(1879),  Souper  après  le  bal '^i8-g),  Causerie  (1884),  Au  bal 
(1888),  Sortie  d'une  fête  de  Coî/r  (1889),  etc.,  merveilles  de 
fine  et  narquoise  vision,  de  métier  pimpant  et  pétillant,  ici 
encore  tout  à  fait  adéquat  au  sujet,  où  cent  détails  saisis  sur 
!e  vif  montrent  sans  pitié  sous  les  brillants  dehors  et  les 
mines  guindées  les  mensonges,  les  tares  et  les  ridicules,  avec 
une  franchise  qui  fait  de  ces  œuvres  de  véritables  documents 
psychologiques  et  sociaux. 


ADOLF  VON  MENZEL 


i5 


Mais  c'est  dans  la  peinture  de  la  vie  quotidienne  que  se 
manifeste  avec  le  plus  d'ampleur  et  de  profondeur  sa  puis- 
sance d'observation  et  de  traduction.  Rt-vélée  déjà  pleine- 
ment dans  les  peintures  inspirées  par  le  séjour  à  Paris, 
puis  dans  la  gouache,  si  éloquente  dans  sa  simplicité,  Sur 
la  bâtisse  fiSjS),  cette  puissance  atteint  dans  le  célèbre 
tableau  :  Les  Cyclopes  modernes  ou  La  Forge  (1875,  exposé 
à  Paris  en  1878)  à  une  grandeur  épique.  Cette  composition 
si  heureusement  ordonnée,  où,  dans  la  lueur  des  blocs  de 
métal  incandescent,  parmi  les  machines  géantes  aux  rigides 


armatures,  se  meut  tout  un  peuple  d'ouvriers,  est,  dans  sa 
synthèse  vigoureuse  et  sa  vérité,  un  des  hymnes  les  plus 
magnifiques  qui  aient  jamais  été  chantés  à  la  force  et  à 
la  noblesse  du  labeur  humain.  C'est  le  plus  haut  sommet 
où  Menzel  soit  parvenu  en  peinture. 


Bien  d'autres  œuvres  seraient  encore  à  citer;  il  y  aurait  à 
parler  notamment  des  nombreux  diplômes,  adresses,  pro- 
grammes de  fêtes  et  autres  compositions  du  même  genre 


MENZEl^.  —  SOL'VBMR    DU  THKATRB  DU    OYMNASB    (18Ô6) 

i Appartient  à  M.  A.  Rothermund,  Dresde f 


commandés  à  l'artiste  :  toute  sa  fantaisie  créatrice  s'est 
déployée  sur  ces  vélins  avec  une  fougue,  un  brio  indescrip- 
tibles ;  il  s'y  joue,  tel  un  gnome  heureux,  parmi  les  mille 
détails  amusants,  les  banderoles,  les  attributs,  grisé  de  mou- 
vement et  de  couleur,  y  faisant  chatoyer  (parfois  un  peu  bru- 
talement, il  est  vrai)  les  tons  les  plus  éclatants. 

Mais  c'est  surtout  aux  dessins  qu'il  faut  revenir,  en  termi- 
nant, pour  comprendre  et  admirer  le  plein,  le  vrai  génie  de 
Men/el.  Ce  sont  des  œuvres  achevées  de  tous  points.  On 
peut  leur  préférer  les  crayons,  plus  incisifs  dans  leur 
sobriété,  de  notre  Degas  ^auquel  l'apparcntaient  cependant 


son  humeur  caustique,  ses  trouvailles  de  «  mots*  à  rem- 
porte-pièce) ;  on  ne  peut  se  défendre  de  les  admirercommedes 
créations  parfaites.  L'abandon,  qui  manque  parfois  dans 
les  peintures  de  Mcnzel,  est  ici  complet  ;  l'homme  et  Tar- 
tiste  s'y  montrent  pris  tout  entiers  parle  spectacle  du  monde 
et  de  la  vie.  s'y  livrent  sans  réserve,  serviteurs  fidèles,  incor- 
ruptibles, de  la  seule  vérité.  L'école  allemande  tout  entière 
doit  être  reconnaissante  à  Menzel  de  cette  fortifiante 
leçon. 

AUGUSTE  M.\RGUILL1ER. 


A.  WILLETTE.  —  parck  domine  .. 


LES    SALONS    DE    1905 

Société  nationale  des  Beaux=Arts 


A  Sociétéf  nationale  des  Beaux -Arts  devra 
marquer  d'une  pierre  blanche  l'année  i  qoS. 
Depuis  longtemps  elle  ne  nous  avait  offert 
un  tel  ensemble  d'œuvres  sérieuses  ou 
charmantes  où  la  diversité  des  tendances 
laisse  un  plus  libre  jeu  aux  talents  indivi- 
duels. Un  Salon  qui  contient  des  choses 
d'éternelle  beauté  comme  les  créations  de  Rodin  et  de 
Carrière,  une  toile  décorative  où  s'exalte  l'imagination  puis- 
sante et  agile  de  Besnard,  des  poèmes  délicieux  de  can- 
deur comme  ceux  de  Maurice  Denis,  la  brillante  peinture 
de  mœurs  de  L.  Simon,  l'Espagne  pittoresque  et  âpre  de 
Cottet,  et,  sans  sortir  de  France,  les  toiles  délicates  de 
Ch.  Guérin  et  de  Milcendeau,  de  Maurice  Lobre  et  de 
Madame  Lisbeth-Delvolvé,  de  R.  Besnard  et  de  B.  Boutet 
de  Monvel,  un  tel  Salon  ne  trahit  pas  une  diminution 
de  vitalité.  Il  affirme,  au  contraire,  que  la  sève  circule 
activement  dans  les  branches;  il  annonce  le  renouveau, 
non  la  décrépitude. 

S'il  me  fallait  définir  d'un  mot  le  sens  de  l'évolution 
actuelle,  je  dirais  que  la  raison  tend  à  reprendre  ses  droits. 
Les  peintres-littérateurs,  dramaturges  et  arrangeurs  d'anec- 
dotes, avaient  tellement  abusé  de  l'esprit,  que  l'on  en  vint 
un  jour,  par  réaction,  à  le  proscrire  de  l'art.  Peindre  comme 
une  brute,  être  une  force  de  la  nature,  devint  vwi  pro- 
gramme et  un  mot  d'ordre.  On  ne  parla  plus  que  de  tem- 
pérament, pâte  et  de  patte.  La  "sensation  pure  prit  sa 
revanche  sur  le  sentiment   et  sur  l'idée,  et  le  peintre,  du 


haut  de  sa  technique,  fut  plein  de  mépris  pour  l'écrivain 
qui  pataugeait  dans  les  termes  spéciaux.  Il  fut  décidé  que 
les  Lettres  expliquaient  les  Arts  sans  les  comprendre.  On 
oubliait  simplement  que  l'œuvre  plastique  est  au  même  titre 
qu'un  poème  et  qu'une  symphonie,  l'expression  d'une  intel- 
ligence émue  et  consciente  :  à  ne  considérer  que  les  procé- 
dés particuliers  à  chaque  art,  on  perdit  de  vue  l'unité  fon- 
cière de  l'art.  Ce  mouvement  réaliste  ne  fut  pas  inutile, 
sans  doute,  pour  déblayer  le  terrain.  Il  sera  toujours  bon  de 
rappeler  que  les  plus  fines  intentions,  les  conceptions  les 
plus  belles  restent  à  l'état  de  lettre  morte,  si  elles  ne  par- 
viennent pas  à  se  créer  leur  expression  plastique.  Ce  qu'on 
appelle  instinct,  don,  génie,  sensibilité  visuelle,  intuition 
du  caractère  des  formes,  reste  à  la  base  de  tout,  fondement 
indispensable  d'une  création  viable.  Mais  qu'un  artiste  ne 
puisse,  par  les  moyens  qui  lui  sont  propres,  manifester  la 
profondeur  et  la  finesse  de  son  esprit,  c'est  contre  quoi  pro- 
testent les  maîtres  du  passé,  Giotto  et  Vinci,  Raphaël  et 
Michel-Ange,  Durer  et  Rembrandt.  Ne  confondons  pas  les 
moyens  avec  la  fin,  rendons  à  l'idée  ce  qui  appartient  à 
l'idée,  affirmons  que  la  dignité  de  l'art,  comme  celle  de 
l'homme,  consiste  d'abord  à  bien  penser.  L'art  est  une  pen- 
sée ordonnée  qui  se  sert  d'éléments  empruntés  à  la  nature 
pour  exprimer  l'émotion  ressentie  et  l'idée  conçue  par 
un  homme.  Au  fond  de  toute  belle  œuvre  vous  trouverez 
un  jugement  ferme  et  fin,  un  principe  rationnel,  solide 
armature  que  recouvre  la  grâce  animée  et  charmante  des 
formes.  La  beauté  n'est,  en  dernière  analyse,  qu'une  logique 


LES  SALONS   DE    kjoS.  —  SOCIÉTÉ  NATIONALE  DES  BEAUX-ARTS 


«7 


passionndc  ;  elle  est  la  vérité  rendue  sensible  au  cœur  par 
l'intermédiaire  des  sens.  Si  la  critique  veiit  être  un  juge- 
ment raisonné,  non  une  opinion  sentimentale,  elle  doit 
remonter  jusqu'à  ce  principe  interne. 


Peut-on  concevoir  un  artiste  dont  l'esprit  resterait  inactif 
et  dont  la  main  seule  travaillerait?  S'il  existe,  il  ne  sera 
jamais  qu'un  manœuvre;  Mais  l'être  sensible,  qui  prend  de 
jour  en  jour  une  conscience  plus  entière  et  plus  profonde  de 


i.  BOLDINI.  —  PORTRAIT  DE  >!■•  T.  B... 


LES  ARTS 


ses  rapports  avec  le  monde,  avec  ses  semblables,  mettra 
tous  les  jours  aussi  dans  son  œuvre  plus  de  vérité'  et  plus 
d'émotion.  C'est  en  ce  sens  que  la  vie  lui  enseigne  l'art  et 


1.    ZULOAGA.    —   LE    TORKADOR  «    EL  BL.NOLEUO 


que  son  art  résume  la  vie.  Comment  cette  vie  pourrait-elle 
lui  sembler  vulgaire,  puisqu'elle  n'est  que  sa  propre  con- 
science, son  admiration  et  son  amour  projetés  sur  les  êtres 

et  sur  les  choses?  ReHété  dans  le 
miroir  ardent  de  son  àme,  tout 
se  transfigure,  le  vêtement  gros- 
sier se  consume  et  les  réalités 
profondes  apparaissent.  Vulga- 
rité n'est  qii'apparence  :  si  votre 
regard  est  assez  appuyé,  votre 
divination  assez  tendre  pour  re- 
trouver sous  l'écorce  la  dignité 
humaine,  la  vérité  générale  et  la 
ressemblance  avec  vous-même, 
des  choses  les  plus  ordinaires 
vous  ferez  du  sublime,  comme 
un  Millet  ou  comme  un  Car- 
rière. 

Pourquoi  le  double  portrait 
exposé  par  ce  grand  artiste  exerce- 
t-il  sur  notre  esprit  une  séduc- 
tion si  durable  et  si  profonde? 
Comment  expliquer  l'incantation 
qui  nous  retient  devant  cette 
œuvre  dédaigneuse  des  agréments 
superficiels,  héroïque  par  la  sim- 
plicité des  moyens?  Quelle  est 
cette  mystérieuse  puissance  d'un 
art  qui  nous  intéresse  à  des  in- 
connus, les  fait  plus  vivants  que 
des  vivants,  les  inscrit  dans  notre 
souvenir  en  traits  inetfaçables  ? 
Est-ce  seulement  la  richesse  de 
l'harmonie,  la  plénitude  du  mo- 
delé, la  beauté  des  plans  et  la 
souplesse  des  passages  qui  nous 
enchantent?  Si.  dans  la  suite  des 
temps,  j'en  ai  la  certitude,  on 
doit  dire  la  Mère  et  le  Fils  de 
Carrière  comme  on  dit  la  Fiancée 
juive  de  Rembrandt,  c'est  sans 
doute  que  l'artiste  a  pénétré 
jusqu'à  la  vérité  permanente  et 
générale,  jusqu'à  l'humanité 
d'hier  et  de  demain,  et  qu'en 
nous  parlant  des  autres  il  nous 
a  parlé  de  nous-mêmes.  Cette 
lemme  âgée,  robuste  et  saine,  pla- 
cidement installée  dans  la  paix 
confortable  de  l'intérieur  où  s'é- 
coula sa  vie,  où  son  esprit  régna, 
dont  les  yeux  clignotants  ont  tant 
de  finesse,  la  physionomie  re- 
posée tant  de  certitude,  dont  la 
main  presse  doucement  la  main 
de  son  fils  déjà  mûr,  et  lui,  un 
peu  en  arrière,  rapproché  d'elle, 
la  main  droite  relevée  près  des 
lèvres,  et  poursuivant,  dans  la 
sécurité  du  refuge  et  le  calme 
de   l'heure,   un   rêve  inquiet  où 


LES  SALONS  DE  igoS.  —  SOCIÉTÉ  NATIONALE  DES  BEAUX-ARTS 


»9 


en.  COTTET.  —  AVI1.A  (Espagne) 


la  douceur  du  présent  se  trouble  des  incertitudes  de  l'avenir, 
n'est-ce  pas  l'image  de  nos  destinées  et  l'admirable  symbole 
des  forces  qui  incitent  et  modèrent  la  vie  humaine?  Du  rap- 


prochement de  ces  deux  êtres,  si  fortement  liés  l'un  à 
l'autre  par  la  simple  pesée  d'un  geste,  mieux  liés  encore 
par   l'unité   et   le   mouvement  visible  de  l'atmosphère  qui. 


Photo  C)tv<iHr. 


r.H.   COTTET.  —  SALAVANqtlB  (CATIlKnilALR) 


20 


LES   ARTS 


modelant  prestigieusement  la  tête  de  l'homme,  effleure  ses 
doigts  replie's,  rejoint  les  cheveux  gris  et  le  front  de  la  mère, 
Carrière  a  fait  un  prodigieux  drame  sans  paroles.  Ce  drame 
est  celui  de  toute  existence  ;  c'est  le  débat  intérieur  et  muet 
entre  le  respect  tendre  du  passé  et  la  sollicitation  pressante 
de  l'avenir,  entre  la  pérennité  des  traditions  et  l'appel  impé- 
rieux de  la  vie.  Avec  une  force  sûre  et  discrète,  avec  un  tact 
admirable,  l'affection  qui  rapproche  et  la  nécessité  qui 
sépare,  le  fatal  essor  qui  emporte  la  couvée  loin  du  nid,  sont 
dits  et  suggérés  dans  ce  poème  psychologique,  le  plus  pathé- 
tique et  le  plus  complexe  que  Carrière  ait  écrit.  Vérité 
morale  et  vérité  pittoresque  ne  font  qu'un.  La  science  du 
peintre  s'inféode  à  sa  pensée  qui  pénètre  la  raison  des 
choses,  et,  par  l'étude  approfondie  des  individus,  révèle  la 
logique  immuable  de  la  vie.  Cette  œuvre  émouvante  est 
encore  une  œuvre  exemplaire.  Ce  qui  lui  donne  l'équilibre 
et  le  nombre,  le  rythme  et  l'harmonie,  c'est  l'architecture 
musicale  des  valeurs.  Nul,  de  nos  jours,  n'a  mieux  compris, 
mieux  senti,  mieux  démontré  que  Carrière,  qu'un  tableau 
se  construit  non  sur  des  zones  d'objets,  mais  sur  des  zones 
de  valeurs;  que  les  choses  doivent  être  définies  et  mises  en 


lumière  selon  leur  proportion  d'intérêt  pour  que,  dans  cet 
ensemble  ordonné,  l'œil  et  l'esprit  soient  amenés  logique- 
ment à  ce  qui  exprime  par  l'autorité  d'une  raison  embellie 
de  passion. 

Avec  une  esquisse  peinte  qui  peut  nous  donner  une  idée 
de  l'ensemble,  A.  Besnard  expose  un  fragment  du  plafond 
destiné  au  Théâtre- Français.  Ce  panneau  représente  Apollon 
et  les  vingt-quatre  heures.  Le  dieu,  sur  son  char,  escalade 
les  hautenrs  du  ciel  d'où  ses  rayons  éclairent  nos  grands 
poètes  dramatiques.  Il  se  détache  sur  un  disque  h\anc,  foyer 
pur  des  rayons  primitifs,  où  le  prisme  se  recompose;  par- 
tant de  là,  les  ondes  lumineuses  tournoient  en  cercles  con- 
centriques; les  jaunes,  les  orangés  passent  insensiblement 
aux  violets  crépusculaires,  aux  bleus  nocturnes  dont  s'assom- 
brit le  revers  des  nuages  déferlant  et  rebondissant  en  volutes 
immenses  sous  les  pieds  des  chevaux  divins.  L'allégorie 
traditionnelle  se  renouvelle  et  se  transforme  en  un  poème 
cosmique  dont  les  puissances  primitives  sont  les  éternels 
acteurs  :  ces  nuages,  haussant  de  monstrueuses  épaules, 
semblent  des  Titans  révoltés  contre  le  souverain  dispensa- 
teur des  clartés  qui  les  discipline  à  sa  loi  et  fait  concourir 

leurs  sombres  masses  à  son 
triomphe.  Dans  ce  conflit  d'élé- 
ments, la  figure  humaine  est  ré- 
duite à  un  rôle  secondaire  ;  les 
heures  élancées  ou  retombantes, 
les  heures  dorées,  les  heures 
roses,  les  heures  rouges  ou 
mauves,  qui  volent  parmi  les 
lueurs  ou  reposent  sur  les  nuées, 
sont  comme  des  papillons  de 
jour  ou  de  crépuscule  empor- 
tés dans  le  tourbillon  orageux 
des  rayons  et  des  ombres.  Peut- 
être  l'artiste,  en  déterminant 
l'échelle  des  grandeurs,  n'a-t-il 
pas  assez  tenu  compte  de  la  hau- 
teur où  sa  toile  sera  placée;  à 
cette  distance,  les  figures  seront 
des  taches  un  peu  minces  dans 
l'immensité  de  l'cther.  L'objec- 
tion tombe  si  l'on  accepte 
l'œuvre  comme  une  cosmogonie 
poétique  racontant  la  lutte  de  la 
Nuit  et  du  Jour  dans  un  magni- 
fique paysage  de  ciel. 

De  l'esquisse  peinte,  où  tout 
ne  me  plait  pas  également,  je 
retiendrai  le  groupe  par  lequel 
Besnard  a  symbolisé  le  Théâtre 
d'une  manière  ingénieuse  et  pro- 
fonde. Adam  et  Eve,  au  pied 
de  l'arbre,  reçoivent  des  mains 
du  tentateur  le  fruit  d'où  sor- 
tira, avec  la  science  du  bien  et 
du  mal,  la  floraison  touffue  des 
passions  et  des  vices.  Deux  per- 
sonnages écoulent  les  propos  du 
maître  sophiste  et  de  ses  dupes 
éternelles.  La  Comédie  se  rit  de 
la  sottise,  mère  du  ridicule;  le 


E.  CARRIERE.  —  portraits 


LES  SALONS  DE   i<,<)5. 


SOCIETE  NATIONALE  DES  liEAUX-ARTS 


31 


poète  tragique  découvre  un  sens  patht'tique  à  ces  mômes 
^propos.  Le  vice  ei  la  passion  sortent  d'une  même  erreur 
initiale  ;  l'odieux  et  le  risible,  le  pitoyable  et  le  grotesque  ne 
sont  que  deux  aspects  de  même  orgueil  humain.  Selon 
l'esprit   qui  les    envisage,    Harpagon   peut   être   terrible   et 


Ndron  comique  ;  c'est  ce  que  Tartiste  a  voulu  dire  sous 
la  forme  de  ce  mythe  chrétien,  joliment  tcinic'  de  plato- 
nisme. 

Je    goûte    infiniment    les   décors   intimes    délicatement 
conçus  et  savamment  ordonnés  par  Maurice  Denis.  Sous  la 


E.  DINET.  —  LK  rniNTEups  des  coit-ns 


Ani  lui    4  U.  AUfà. 

•  \ja  brsnch»  el  l«*  bru  «'«Btrclanal 
au  souffle  du  priattaip*.  > 


22 


LES    ARTS 


lumière  blonde  dont  les  auréole  une  lampe  posée  à  terre, 
la  Vierge  presque  enfant,  endormie  sur  la  paille  près  du 
tout  petit  dont  les  bras  repliés  ont  un  geste  si  vrai,  un  vieux 
Mage   souriant   et  paterne,  sur  le  pas  de  la  porte  par  où 


pénètre  une  bouffée  de  nuit  et  de  ciel  bleuâtre,  la  silhouette 
de  bronze  vert  d'un  cheval  et  d'un  page;  à  gauche,  dans 
la  pénombre,  saint  Joseph ,  et  tout  au  fond,  un  rappel 
de    lumière   atténuée  ;  l'heureuse    distribution  des  valeurs 


Coptjright  tU05  by  3.  Béraud. 


J.     BERAUD.    —    LB    DKFILK 


d'ombre  et  de  lumière  donne  à  ce  tableau  une  sonorité 
voilée  et  profonde,  fait  de  cette  Adoration  des  Mages,  le 
plus  naïf  et  le  plus  tendre  des  poèmes  qu'ait  chantés  ce 
beau  conteur  de  légendes.  Son  mysticisme  ingénu  excelle  à 
dire  le  charme  pur  d'une  enfance  divine.  J'aime,  dans  le  Por- 
trait de  Madame  de  L...  et  de  ses  enfants,  la  Vierge  et  l'En- 
fant, le  paysage  de  la  plus  belle  harmonie;  j'aime  moins  les 
figures  modernes  d'une  naïveté  trop  voulue.  Dans  VHom- 
mage  à  l'Enfant  Jésus,  la  tiédeur  de  l'automne  riant  sur 
la  treille,  dans  le  ciel  apaisé  et  limpide,  d'un  bleu  vert  si 
chantant  et  fleuri  de  .'nuages,  accompagne  la  promenade  de 
l'Enfant  bien  sage  que  la  Vierge  et  sainte  Elisabeth  adorent, 
et  que  suit  le  regard  émerveillé  de  trois  fillettes.  Un  même 
sentiment  d'innocence  pare  cet  autre- automne  plus  païen  où 
triomphe  la  tendre  beauté  de  la  chair  épanouie  comme  les 


grappes  gonflées  de  sève  qui  pendent  à  la  Treille  d'or. 
Dans  cet  art  subtil  et  qui  reste  ingénu,  les  souvenirs  du 
passé  s'harmonisent  au  sentiment  présent  de  la  vie.  Maurice 
Denis,  qui  est  un  peintre  réfléchi,  affirme  son  droit  de  mêler 
ses  émotions  d'art  à  celles  qui  lui  viennent  de  la  nature;  si 
la  place  ne  m'était  comptée,  j'aimerais  à  discuter  une  théorie 
qui  me  semble  fort  juste  sur  certains  points,  fort  aventurée 
sur  d'autres. 

Avec  deux  scènes  de  moisson,  fortes  de  dessin,  justes  de 
couleur,  le  probe  historien  des  travaux  campagnards,  Lher- 
mitte,  expose  une  œuvre  plus  imaginée,  où  son  réalisme 
délicat  se  relève  de  tendresse  lyrique.  Le  Christ  est  descendu 
C/;e;j  les  humbles.  Dans  un  intérieur  misérable,  à  l'heure  qui 
groupe  jeunes  et  vieux  autour  du  maigre  repas,  où  le  père, 
attardé  à  l'ouvrage,  rentre  portant  un  marmot  dans  ses  bras, 


LES  SALONS  DE   irjoS.  —  SOCIÉTÉ  NATIONALE  DES  BEAUX-ARTS 


23 


il  est  apparu,  comme  venu  de  l'au-delà,  indécis  et  flottant 
dans  sa  robe  blanche,  messager  de  consolation  et  de  paix 


pour  les  pauvres  gens  que  sa  main  levée  s'apprête  à  bénir. 

Je  me  hâte  de  dire  que  Lhermitte  n'a  jamais  crée  de  per- 
sonnages plus  vrais,  mieux  observés, 
mieux  sentis,  plus  typiques  et  plus  soli- 
dement peints.  Et  je  n'ai  pas  d'objection 
de  principe  contre  cette  manière  d'in- 
terpréter l'Evangile  en  le  mêlant  à  des 
figures  d'aujourd'hui.  Allemands,  Fla- 
mands, Hollandais,  l'ont  fait  jadis  de 
façon  fort  touchante  ;  plus  récemment, 
l'Allemand  Uhde  l'a  tenté,  non  sans 
succès.  Il  y  aurait  fort  à  dire  sur  la 
différence  des  époques  ou  des  milieux, 
et  sur  les  conditions  nécessaires  pour 
qu'une  telle  interprétation  soit  parfaite- 
ment sincère  et  convaincante.  La  pre- 
mière, c'est  que  la  composition  s'ex- 
plique d'elle-même,  c'est  qu'elle  garde, 
dans  l'idéal,  la  vraisemblance  et  la 
logique  de  la  vie.  Il  faut,  en  pareille 
matière,  que  le  rapport  de  l'humain  au 
divin  soit  établi  clairement.  Dès  qu'il 
parait,  le  Christ  doit  ramener  à  lui  tous 
les  sentiments;  il  doit  être  le  foyer 
d'attraction,  le  centre  autour  duquel 
tout  s'ordonne.  Or  ici,  plastiqucment 
et  moralement,  il  est  la  figure  la  plus 
faible.  La  raison  de  sa  présence  reste 
indécise,  son  lien  avec  les  autres  per- 
sonnages mal  déterminé.  Vient-il 
prendre  part,  comme  Jupiter  chez 
Baucis,  au  repas  de  ses  humbles  hôtes? 
Va-t-il  s'évanouir  brusquement  comme 
il  est  venu?  Pourquoi  la  mère,  qui 
allaite,  est-elle  si  peu  émue  de  sa  pré- 
sence? L'homme  le  salue,  les  enfants 
éprouvent  devant  lui  gêne  ou  curiosité, 
comme  devant  un  personnage  de  la 
ville.  Et,  comme  eux,  nous  ne  savons 
trop  que  penser.  L'action  reste  flottante, 
parce  que  l'idée  est  inconsistante.  Le 
mysticisme,  pas  plus  que  le  lyrisme,  ne 
se  commande  ni  ne  s'improvise.  C'est 
une  forme  d'émotion  qui  s'impose.  Je 
crois  que  l'artiste  a  eu  tort  de  traduire 
sous  forme  concrète  un  sentiment  qui 
devait  rester  intérieur.  Que  n"a-t-il 
représenté,  sans  fiction  mal  expliquée, 
la  forte  résignation,  l'union  des  cœurs, 
la  sainteté  du  travail  et  de  la  famille? 
Que  n'a-t-il  fait  apparaître  comme  un 
reflet,  sur  le  visage  de  ces  braves  gens, 
l'invisible  présence  de  celui  qui  a  dii 
que  partout  où  se  réuniraient  des 
hommes  de  bonne  volonté  il  serait  avec 
^  r.  \ 

Je  ne  suis  pas  moins  embarrassé 
devant  le  grand  panneau  décoratif  de 
M.  Roll,  les  Joies  de  la  vie.  L'œuvre 
est  tumultueuse  et  me  déconcerte  par 
sa   logique  capricantc.   A  gauche,   un 


A.  DE  LA  GANDARA.  —  portrait  dk  ji-«  o,. 


LES   ARTS 


large  chemin  contourne  un  bassin  d'où  jaillit  un  jet  d'eau  ; 
des  cavaliers  en  habit  rouge  galopent  sur  cette  route  qui 
mène  à  la  colonnade  brisée  d'un  temple;  au  delà  s'estompent, 
dans  la  brume  irisée  des  architectures  grecques  ou  byzan- 
tines (antiquité,  vie  moderne  et  sports?);  à  droite,  un  artiste 
étreint  les  genoux  d'une  statue  d'or,  des  ouvriers  charrient 
des  pierres,  des  peintres  décorent  un  portique;  on  aperçoit 
le  portail  d'une  cathédrale  gothique.  Ces  éléments  disparates 
sont  rassemblés  au  hasard,  sans  que  l'on  saisisse  la  pensée 
qui  les  unit  ou  le  rythme  sensible  qui  les  relie.  Reste  que  cela 
est  brossé  avec  une  belle  fougue.  D'autres  expliqueront  sans 
doute  mieux  que  moi  l'énigme  que  l'artiste  nous  pose. 

La  Lorraine  protectrice  des  Arts  et  des  Sciences,  plafond 
destiné  à  la  préfecture  de  Meurthe-et-Moselle,  fait  le  plus 
grand  honneur  à  M.  Priant.  Les  personnes  qui  meublent 
le  bas  de  la  toile  ne  me  plaisent  guère,  mais  les  figures 
volantes  sont  d'une  invention  originale,  d'un  dessin  souple 
et  fort,  d'une  couleur  qui,  sans  être  très  riche,  est  fort  har- 


monieuse. Je  constate  avec  plaisir  un  réel  épanouissement 
dans  le  talent  d'un  artiste  qui  a  tendance  à  faire  trop  menu. 
La  Joie  de  vivre,  panneau  décoratif  de  M.  Prouvé,  est 
animée  d'une  vie  étrange.  Sous  l'action  de  la  sève  printa- 
nière,  les  figures  sont  emportées  dans  un  tourbillon.  Les 
gestes  s'exaltent,  les  attitudes  s'exagèrent.  Les  couleurs 
mêmes  ne  se  contiennent  plus  et  chantent  à  lue-tète  ;  trop 
de  violets  et  d'orangés  ;  trop  de  colorations  extérieures;  pas 
assez  d'harmonie  réelle. 

Sur  une  ter/asse  méridionale,  au-devant  d'un  paysage 
d'eaux  bleues  et  de  rochers  violets,  M.  Auburtin  fait  défiler 
deux  Nymphes  dansantes  et  dresse  le  torse  d'un  Centaure 
barbu  comme  le  dieu  Pan  et  qui  joue  de  la  cornemuse. 
M.  Auburiin  a  le  sens  délicat  des  rythmes;  il  renouvelle 
heureusement  le  symbolisme  naturel  de  l'antiquité;  mais  ne 
craint-il  pas  que  le  torse  démesuré  de  son  homme-cheval 
n'entraine  le  corps  de  la  bête? 

M.  Lucien  Simon  nous  ramène  en  pleine  réalité  avec  sa 
Soirée  dans  un  Atelier.  Depuis 
longtemps,  cet  esprit  fin  et  vigou- 
reux n'avait  produit  une  auvre 
aussi  franche,  aussi  piquante  d'ettèt, 
aussi  vraie  de  couleur,  aussi  juste 
d'expression  morale.  A  la  sobriété 
nerveuse,  à  la  propriété  des  termes, 
qui  sont  les  qualités  propres  de 
M.  Simon,  s'ajoute  cette  fois  une 
vivacité  plus  fleurie  d'impression. 
Les  personnages  se  groupent  très 
naiurellement  avec  le  laisser-aller 
d'une  réunion  d'amis.  On  recon- 
naît la  ligure  pensive  et  fine  de 
Desvallières,  le  profil  décidé  et 
flaireur  de  Coitet,  la  rondeur  pai- 
sible de  René  Ménard.  Les  femmes 
sont  charmantes  de  grâce  simple, 
affable,  bien  française.  Celle  qui 
est  vue  de  dos,  en  trois  quarts 
perdu,  dans  sa  robe  gris  lumineux 
aux  demi-teintes  rosâtres,  est  par- 
faite de  vérité  et  d'allure  ;  la 
fillette  blonde,  au  premier  plan,  la 
femme  assise  à  droite,  avec  son 
corsage  nué  d'aurore,  sa  jupe  aux 
^^  reflets  lilas  et  mauves  ;  surtout  la 

^^_j,  '    .         blonde  aux  cheveux  d'or  pâle,  à  la 

^[^^■■■■^fl         robe  bleu  clair  qui  est  le  sourire  de 
^^^^^^^^1 1       la  toile,  tout  cela  forme  une  ara- 
^^^^^1         besque    de    tons    clairs    et    chan- 
^^^^H         tants,    soutenue    par    des   valeurs 
^^1         plus   sombres.   Et  l'artiste  a  bien 
'I       rendu    l'atmosphère   de    cordialité 
fine  et    d'aménité  intelligente   qui 
plane   sur    cette    heureuse   soirée. 
L'œuvre,  enlevée  avec  verve,  con- 
duite   par   une    volonté  sûre,    qui 
saisit    l'esprit     des    choses    sans 
appuyer,    desarmerait   la    critique 
s'il  ne  restait  quelques  sécheresses 
dans  le  modelé,  et  dans  le  coloris 
des    sonorités    un    peu    grêles.    Je 


Coi>'jn(jht  t90j  btj  Manzi,  Jot/ant  ^  Co. 


L.    CniALIVA,    —    LE    VENT     (UEROÊRE) 


LES  SALONS  DE   i(jo5. 


SOCIETE  NATIONALE  DES  BEAUX-ARTS 


23 


signalerai  aussi  une  k'gcrc  erreur  de  composiiion.  Si,  sur  la 
paroi  du  fond,  l'artisic  avait  mis  une  note  sombre  à  la 
place  du  lableau  clair  qui  est  au  centre,  il  aurait  mieux 
ramasse  et  relié  les  forces  de  son  tableau,  qui  prendrait  ainsi 
plus  d'unité  et 
de  charme  mu- 
sical. 

Inlidèle  pour 
une  fois  à  ses 
Bretons,  Cottet 
a  rapporté 
d'Iîspagne  des 
(t  u  V  r  e  s  du 
plus  vigoureux 
accent.  Ces 
paysages  de 
villes  ont  une 
grandeur  héroï- 
que, une  saveur 
âpre  et  sauvage. 
La  facture  en  est 
un  peu  lourde, 
ils  semblent 
presque  plus 
sculptés  que 
peints  ;  mais  ils 
évoquent  forte- 
ment le  carac- 
tère d'une  con- 
trée et  l'âme 
d'une  race. Tout 
prend  un  aspect 
de  rigidité  sé- 
pulcrale. L'é- 
motion d'his- 
toire s'ajoute  à 
l'impression  de 
nature.  Tantôt 
sur  un  ciel 
brouillé,  tantôt 
sur  un  ciel  de 
turquoise,  la 
cathédrale  de 
Ségovie  dresse 
ses  murs  et  ses 
tours,  sa  masse 
calcinée  et  tor- 
ride,  parfois 
rougeoyante  au 
soleilcouchani, 
écrasant  la  cité 
gisante  à  ses 
pieds.  Cein- 
turée par  ses 
rcmpuns,  Avila 
semble  uns.'  nO- 
cropoie  sur  sa 
colline  aux  tons 
morts,  aux  gris 
éteints,  aux 
rousseurs    fau- 


M>>«  L.  C.  BRESU^C.  —  l'isiaoe  dahs  la  olaci 


vcs;  à  peine  si,  hors  des  murs,  quelques  bâtiments  réveillent 
de  leurs  blancheurs  neuves  cet  aspect  funéraire.  Tout  est 
morne,  étouffé,  pesant,  dans  ces  paysages  de  pierre  qu'ha- 
bite l'âme  du  passé  et  qui  font  songer  au  vers  de  Hugo  : 

"  Sur  les  froids 
Espagnols  mu- 
rés dans  leurs 
maisons.  »  Ce 
n'est  qu'une 
part  de  la  vérité, 
mais  une  part 
bien  fortement 
saisie. 

Quelques 
fantaisistes  : 
Willette  expose 
le  Parce  Do- 
mine, qui  fut  le 
plus  bel  orne- 
ment du  Chat 
Noir.  J'en  ai 
parlé  longue- 
ment jadis  et  ne 
veux  pas  me  ré- 
péter. Je  dirai 
seulement  que 
celte  toile  con- 
tenait en  puis- 
sance tout  le 
talent  de  Wil- 
lette, qui  est  un 
des  plus  char- 
mants poètes, 
undesplusforts 
dessinateurs  de 
ce  temps,  un 
vraipetit-maiire 
que  la  postérité 
n'oubliera  pas. 
Jean  Vebcr 
conte  très  plai- 
samment, pour 
les  ftetiis  et  les 
grands  enfants, 
l'histoire  de 
l'oiseau  bleu  et 
de  la  méchante 
Truitonne.  Son 
ironie  me  sem- 
ble appuyer  un 
peu  trop  dans 
le  Casino  de 
frontière  :  il 
est  peintre  de 
mœurs  et  pein- 
tre dans  le  Pe- 
sage. Par  une 
toile  d'observa- 
tion pénétrante 
et  spirituelle 
commcle  Dè/ilè 


26 


LES  ARTS 


Jean  Béraud  nous  fait  penser  que  s'il  avait  toujours  auiant 
le  souci  de  bien  peindre  que  de  bien  voir,  il  pourrait  éire  le 
Jan  Stecn  de  la  come'die  parisienne.  Les  fantaisies  amou- 
reuses de  La  Touche,  l'Alerte^  la  Bourrasque,  la  Petite 
Marquise,  sont  toujours  enlevées  avec  une  chaude  verve, 
dans  un  mouvement  endiablé. 

M.  Dinet  s'est-il  fait  musulman  comme  BonncvalPIl 
connaît  les  mœurs  et  les  légendes  de  l'Islam  comme  s'il 
avait  appris  à  lire  dans  le  Coran.  Tristesses,  le  Prin- 
temps des  Cœurs,  sont  des  toiles  très  expressives,  qui 
nous  font  retrouver  l'humanité  sous  le  voile  exotique.  Le 
Malin    est    de    plus    une    très   délicate    étude    de    lumière. 


L'Orient  de  M.  Aublet,  moins  fortement  caractérisé,  est 
d'une  vérité  aimable.  Courtois  est  un  savant  peintre  de  nus. 
Son  tableau,  Daphnis  et  Chloé,  soulève  quelques  objections, 
.le  ne  puis  reconnaître  en  cette  fillette  sentimentale  et 
souffreteuse  l'héroïne  innocente  et  saine  de  Longus. 

Parmi  les  portraits,  quelques-uns  seulement  sont  con- 
struits comme  des  tableaux  et  présentent  un  intérêt  plus 
général  que  la  ressemblance  du  modèle.  Dagnan-Bouveret 
expose  un  très  fin  portrait  de  Jeune  Vénitienne.  G.  Du- 
bufe  a  peint  avec  une  simplicité  gracieuse,  dans  la  manière 
élégante  et  fleurie  du  xviii=  siècle,  les  Portraits  de  Madame 
et  Mademoiselle  D..,  M.  R.  Woog  a  mis  une  réelle  pénétra- 


P.   LAGARDE.  —  SOIR  UE  guerre 


tion  psychologique,  une  rare  souplesse  de  métier,  dans 
celui  de  Madame  J.  C...  Mademoiselle  Delasalle  a  de  la 
vigueur  dans  le  Portrait  de  J.  Adlcr,  et  M.  Weerts  de 
l'exactitude  dans  ceux  de  personnages  connus.  MM.  Sain  et 
Rosset-Granger  se  montrent  amis  des  vérités  aimables  dans 
les  effigies  de  Madame  **'  et  de  Mademoiselle  Renée  Du 
Minil.  Deux  portraits  de  Gervex,  son  portrait  par  lui-même 
et  celui  de  Madame  S...,  seront  également  appréciés  pour 
la  souplesse  de  la  facture  et  la  finesse  de  la  vision.  Carolus- 
Duran,  qui  se  montre  aussi  Jeune  que  jamais  dans  sa  toile 
de  Volupté,  est  plein  d'autorité  en  deux  portraits  de  femme. 
Caro-Delvaille,  beau  peintre,  artiste  intelligent  et  sensible, 
dans  le  Portrait  de  Mademoiselle  Jeanne  Rolly,  énergique 


et  pénétrant  dans  une  effigie  d'homme,  plus  maniéré  dans 
celle  de  Madame  Rostand,  parait  indécis  et  flottant  dans  une 
idylle  antique.  Septembre.  Une  grande  délicatesse  de  vision, 
une  grâce  fine  et  déjà  sûre  en  certaines  parties,  distinguent 
les  œuvres  de  M.  Robert  Besnard,  Portrait  de  Madame 
G.  L...  et  la  Tasse  de  thé,  oia  la  nature  morte  est  un  mor- 
ceau achevé. 

Voici  les  peintres  de  mœ'urs,  ceux  qui  racontent  nos 
habitudes  d'esprit,  des  nuances  neuves  de  sentiments  ou  les 
aspects  extérieurs  de  la  vie  moderne.  Jeanniot  est  un  des 
plus  pénétrants  avec  la  Musique,  Saglio  délicatement  intime 
avec  le  Divan.  Morisset  décrit,  d'un  pinceau  qui  a  des 
fraîcheurs  un  peu  molles,   le    repos  du  Modèle,  la    plage 


LES  SALONS  DE    i(jo5.   —  SOCIÉTÉ  NATIONALE  DES  BEAUX-ARTS 


W.-G.  DE  GLEHN.  —  portrait  de  m"»'  cvinness 


28 


LFS ARTS 


blonde  de  Trouville  ou  l'animation  d'un  Bal.  Milcendeau 
revient  à  sa  Vendée  avec  une  palette  enrichie,  un  goût  des 
tons  étofTés  et  des  harmonies  profondes.  Le  Repas  de 
paysans  (intérieur  maraicliin)  est  une  peinture  forte  et  opu- 
lente. Lebasque,  avec  un  portrait  vigoureux,  un  peu  triste, 
expose  des  œuvres  inégales,  parmi  lesquelles  je  distingue 
des  Débardeurs,  d'une  sensation  visuelle  singulièrement 
juste  et  fine.  Hochard,  qui  sait  bien  la  province,  groupe 
plaisamment  les  Musiciens  du  chef-lieu  sous  l'œil  des  auto- 
rités municipales.  Avec  des  études  d'enfants,  qui  sont  de  tout 
point  charmantes,  Guiguet  expose  un  Portrait  déjeune 
fille  un  peu  fluet  de  modelé.  Delachaux  a  des  intérieurs  bien 
recLicillis,  bien  enveloppés  et  d'une  jolie  simplicité  de  senti- 
ment. 

Ch.  Guérin  s'est  déjà  fait  sa  place.  J'ai,   dès  longtemps, 
signalé  ses  interprétations    personnelles  et  poétiques  de  la 


(."/ii/Wj*!  imrt  h:j  Bmmi,  Clémenl  ^  Co 


DAGNAN-BOUVERET.  —  a  la  fontaine 


nature.  U Allégorie,  la  Toilette,  sont  les  productions  libres 
et  charmantes  d'un  talent  original. 

Le  Canadien  Morrice  me  parait  si  francisé  que  je  le 
range  parmi  les  nôtres.  Pour  la  franchise  et  la  fermeté  du 
ton,  la  riciiesse  de  l'harmonie,  la  Corrida,  le  Cirque,  sont 
de  pures  merveilles.  Le  Qjiai  des  Grands- Augustins,  par  un 
temps  de  neige,  est  une  chose  faite  de  rien  et  délicieuse  de 
valeurs  chantantes. 

La  plupart  des  peintres  étrangers  gardent  une  saveur  de 
terroir  et  ne  renient  pas  leur  origine.  L'Espagne  de  Zuloaga 
ne  sera  pas  confondue  avec  une  autre.  Prise  en  son  carac- 
tère le  plus  étrange,  en  ses  types  les  plus  marqués,  elle  attire 
par  l'évidence  un  peu  crue  de  la  ressemblance  autant  que 
par  la  crâne  virtuosité  du  métier.  Mes  Cousines,  le  Toréador 
tragi-comique,  le  Maire  de  Torquemada ,  sont  de  fortes 
étuJes    réalistes    du   plus   vif    accent    local.    Le    Portrait 

équestre  du  roi  d'Espagne,  par 
M.  Casas, estune  des bonnestoiles 
du  Salon.  Malgré  certaines  fai- 
blesses, mollesse  du  paysage  qui, 
tout  en  restant  vaste  et  nu  pou- 
vait être  mieux  écrit,  modelé  trop 
mince  du  cheval,  l'œuvre  est  char- 
mante et  d'une  extrême  distinction. 
L'allure  aristocratique  du  jeune 
roi,  sa  pose  relevée  et  fière,  sou- 
plement liée  à  la  monture,  la 
figure  si  bien  dans  l'air,  l'arran- 
gement heureux  du  plaid  et  le 
coloris  délicieux  dans  les  notes 
sourdes,  tout  cela  fait  penser  au 
grand  goût  sobre  et  royal  du 
maître  des  maîtres.  Velasquez 
comme  W  h  i  s  1 1  e  r  auraient 
approuvé,  j'imagine,  l'élégance 
hautaine  de  la  silhouette,  le  mo- 
delé juste  et  succinct,  la  physio- 
nomie si  bien  écrite,  sans  insis- 
tance; eussent-ils  autant  aimé 
l'étrier  luisant  comme  un  miroir 
à  alouettes  ? 

L'Angleterre  nous  apporte,  à 
son  ordinaire,  ses  portraitistes 
distingués,  qui  sont  aussi  de  beaux 
peintres.  L'Ecossais  Guthrie 
expose  un  bon  portrait  de  fillette, 
d'une  peinture  sobre,  généreuse, 
d'un  art  cordial.  Lavery,  après  sa 
symphonie  de  blancs,  un  peu 
creuse,  de  l'an  dernier,  donne  une 
symphonie  de  noirs,  plus  nourrie. 
Austen  Brown,  avec  des  qualités 
de  coloriste,  n'a  pas  toujours  un 
m.odelé  très  sûr.  De  Glehn  a  un 
bon  portrait,  physionomie  très 
vivante,  peinture  fluide.  L'Amé- 
ricain Sargent  expose  un  portrait 
de  grande  allure,  la  Duchesse 
de  G...,  se  promenant  dans  un 
parc;  grand  et  beau  dessin,  coloris 
un  peu  vif  à  mon  gré.  Deux  petites 


3o 


LES  ARTS 


toiles,  d'un  joli  suniimcni,  d'un  niclicr  souple  et  distingue, 
Consolation  et  Portrait  (esquisse),  feront  connaître  le  nom 
de  Madame  B.  How.  On  remarquera  les  toiles  de  Maurer, 
fortes  de  couleur  et  piquantes  d'effet. 

La  Suisse,  profondément  religieuse  et  piétiste,  est  repré- 
sentée par  une  grande  toile  de  M.  Burnand,  la  Voie  doulou- 
reuse, œuvre  vigoureusement  peinte,  mais  d'une  manière 
trop  égale  et  qui  exprime  manifestement  la  conviction  d'un 
homme,  l.a  Convalescente,  les  portraits  d'enfants,  si  vivants 
de  regards,  si  nuancés  d'expression,  de  Mademoiselle  Bres- 
lau,  montrent  un  art  sensitif  et  nerveu.x,  une  sûreté  et  une 
souplesse  d'exécution. 

Et  voici,  d'une  femme  encore,  des  portraits  admirable- 
ment sentis,  écrits  sans  insistance,  dans  une  matière  fluide 
et  légère  qui  laisse  transparaître  l'esprit  des  modèles;  des 
portraits  exquis  de  féminité,  non  sans  parenté  avec  ceux  de 
Bcnhe  Morizot  :  les  portraits  de    Mademoiselle  Olga  Boz- 


CopijrOjhl  VM'i,  bij  J,-,\.  Miiriiier. 


nauska.  L'œuvre  d'un  peintre  russe,  Moussatof,  m'a  frappé 
par  une  expression  de  mélancolie  douce  et  plaintive;  Au 
Bassin  est  une  toile  un  peu  grande,  un  peu  vide,  mais  har- 
monieuse et  d'un  sentiment  très  pénétrant. 

Les  peintres  belges  sont  les  hôtes  toujours  bienvenus  de 
la  Société  nationale.  Bœrison  manque  cette  année  à  l'appel. 
Mais  Versiraete,  Gilsoul,  Barvvolf,  Van  Cauvelacrt,  Claus, 
sont  présents  avec  de  bonnes  toiles.  Buyssc  a  de  très 
fins  paysages,  et  surtout  cette  Matinée  de  septembre,  une 
voile  qui  palpite  dans  un  matin  violet  et  gris  traversé  de 
lueurs  argentées;  des  modulations  fluides  et  errantes.  Bas- 
tien  et  Wagemans  exposent  des  portraits  robustes  et  fins  : 
l'un  le  Peintre  Albert  Pinot,  l'autre  le  Poète  Fallcii.  L'ap- 
port de  l'Italie  est  intéressant;  on  n'oubliera  ni  le  Por- 
trait de  M.  W...,  ni  deux  portraits  de  femme  où  se  joue  la 
verve  de  Boldini,  ni  les  paysages  animés  de  figures  par 
Chialiva,    Surprise   et    le    Vent. 

Parmi  les  paysagistes,  les  uns 
sont  plus  soumis  au  réel,  les 
autres  le  transforment  au  gré 
d'une  émotion  lyrique.  René 
Ménard  n'a  jamais  voulu  croire 
que  le  grand  Pan  soit  mort.  La 
nature  est  pour  lui  le  jardin 
enchante  de  la  mythologie,  un 
Parc  ordonné  par  un  Apollon- 
Lc  Notre,  suivant  l'eurythmie 
chère  au.\  Hellènes,  pour  le  plai- 
sir des  yeux  et  de  l'esprit.  Les 
Nymphes  y  sont  chez  elles  dans 
l'apaisement  des  beaux  soirs  ou 
dans  l'allégresse  des  matins.  Les 
masses  de  feuillages  sont  caden- 
cées comme  de  belles  strophes, 
les  monts  sont  les  temples  de 
Zeus  et  chantent  la  gloire  de 
l'éther  omniprésent.  Plus  familier, 
noble  encore,  Dauchez  aime  aussi 
les  grandes  courbes  calmes  des 
collines  et  des  rivières,  baignées 
d'une  atmosphère  limpide.  Dans 
la  Grand'route,i\  rend  avec  force 
l'éclat  aveuglant  de  certaines  jour- 
nées où  la  clarté  diffuse,  à  travers 
l'ouate  des  nuages,  blesse  les 
yeux.  Dans  cette  forme  de  pavsagc, 
qui  est  une  confidence  de  l'esprit 
autant  qu'une  description,  l'in- 
Huence  de  Cazin  est  persistante. 
F;n  exposant  quelques-unes  de  ses 
toiles,  la  Société  nationale  a 
rendu  justice  à  cet  artiste  délicat 
et  profond  dont  l'œuvre  aurait  du 
être  réunie,  après  sa  mort,  à 
l'Ecole  des  Beaux-Arts.  11  ne  me 
reste  que  la  place  de  citer  les  cré- 
puscules de  Meslé,  parés  de  halos 
lumineux;  les  harmonies  calmes 
de  Moullé,  les  buées  matinales 
de  Costeau,  les  marines  mouve- 
mentées de  Gillot  et  les  marines 


J.-A.  MUI^NIER.   —   LE  lïKTOUR  DE  L*ENFANT  PRODIOUB 


LES  SALONS  DE   i<i(>5.  —  SOCIÉTÉ  NATIONALE  DES  BEAUX-ARTS 


calmes  de  Stengelin.  celles  de  Dauphin  et  celles  de  Cheva- 
lier; les  paysages  de  Braquaval,  de  Prunier,  de  l^rins,  de 
Chudant,  de  Gasperi,  de  Le  Pan  de  Ligny  et  dcDavid-Nillet, 
de  Le  Sidaner  et  des  Duhem.  Les  paysages  de  Raffaelli 
annoncent  un  renouvellement,  un  tMargissement  de  sa 
manière. 

Il  faudrait  des  pages  pour  dire  comme  il  convient  la 
beau  tt;  des  œuvres  qu'expose  l^odin  ;  ce  Buste  de  M.Cuillauiiie, 
si  large  et  si  précis,  si  concentré  d'expression,  d'une  si  belle 
ciselure,  et  ces  deux  corps  de  femme,  d'une  ampleur  souve- 
raine, si  émouvants,  si  reliés  par  la  palpitation  de  leurs 
formes  à  la  vie  universelle,  qui  sont  la  théologie  de  la  sculp- 
ture, qui  sont  la  sculpture  même. 

Deux  bronzes,  un  Mineur,  un  buste  de  Philosaplic, 
représentent  l'art  puissant  et  délicat  de  Constantin  Meunier, 
le  maître  belge  qui  vient  de  mourir.  Un  autre  statuaire 
beige,  Ilombaux,  expose  un  groupe  en  plaire,  Eilles  de 
Satan,  très  heureux  de  composition  et  modelé  par  un  pctit- 
Hls  de  Rubens.  Adam  et  Eve,  de  Bartholomé,  est  une  œuvre 
sévère,  d'une  noblesse  un  peu  lourde,  mais  raOinée  de  pen- 
sée et  de  sentiment,  ['n  masque  de  bronze  de  Bourdelle, 
Pallas  Atliéné,  est  une  chose  d'une  fierté,  d'une  pureté 
exquise.  Les  portraits  d'enfants  de  L.  Schnegg  et  ses  sta- 
lueiies  de  femmes  sont  d'un  art  délicatement  amoureux;  et 
la  Saplio  de  Michel-Malherbe  a  la  plénitude  et  la  souplesse. 
C'est  encore  une  leuvrc  de  prix  que    la  Ecmmc  à  l'arc  de 


Desbois;  mais  pourquoi  les  extrémités  sotit-cllcs  si  lâches  et 
sf  lourdes  quand  l'action  du  corps  est  si  nerveusement 
exprimée  ?  pourquoi  la  vie  languit-elle  là  où  elle  devrait 
s'exalter  ?  Pierre  Roche  prouve  qu'on  peut  avoir  de  l'esprit 
sans  cesser  d'être  sculpteur;  son  idée  n'est  pas  serve  de  la 
matière,  mais  ne  s'impose  pas  indiscrciemcnt  ;  elle  crée 
l'expression  plastique.  Il  expose  un  portique  où  les  Sept 
Péchés  capitaux  sont  Hgurés  en  bas-relief  d'une  facture 
grasse,  agile  et  souple,  en  symboles  peut-cire  un  peu  trop 
faciles;  au  centre,  il  place  une  tôte  fine,  nerveuse  et  souf- 
frante, les  veux  fermés  et  les  lèvres  serrées,  et  se  bouchant 
les  oreilles  :  pour  échapper  au  mal,  il  ne  faut  rien  voir,  rien 
dire,  rien  entendre.  Peut-être  cette  défense  toute  passive 
est-elle  insuffisante?  En  tout  cas  l'idée  ingénieuse  est  bien 
finement  exprimée.  Et  voici  des  bustes  remarquables  :  celui 
de  Mademoiselle  D.  C...  par  Devillez,  si  fin,  si  personnel; 
le  buste  de  Madame  C...,  par  Jean-René  Carrière,  qui  s'im 
pose  par  la  belle  distribution  des  volumes;  le  buste  de 
Madame  Jacques-Marie,  par  C.  Lefèvre,  et  celui  de  Ma- 
dame Carrioso,  par  Marcel-Jacques;  celui  d'//i/<i/éfr/,  par 
Gras,  et  la  Tète  de  vieux  philosophe,  par  Halou.  Autour 
d'un  vase  de  marbre,  Injalbert,  avec  sa  verve  savante,  en- 
roule un  Satyre  et  des  Nymphes.  Mademoiselle  de  Frume- 
rie  fait  rire  aux  éclats  trois  commères  en  un  groupe  très 
vivant  qu'elle  appelle  le  Grain  de  sel. 

MAURICE  HAMEL. 


II.-W.    MESDAG.   —     LS   UATI.X    (DROIILLAIID) 


XRIBUME     DKS     ARXS 

Le  Retable  du  Parlement  de  Paris 


L'impartialité  nous  fait  encore  un  devoir  d'insérer,  telle  qu'elle  nous  parvient,   la   réponse  suivante 
enniite  le  débat  comme  définitivement  clos. 


Depuis  que  la  revue  les  Arts  a  ouvert  la 
discussion  sur  le  Retable  du  Parlement,  les 
conservateurs  du  Musée  du  Louvre  ont  dé- 
placé le  Retable.  Ils  Font  mis  entre  deux 
œuvres  importantes  de  Jean  Fouquet  :  le  por- 
trait de  Juvénal  des  Ursins  et  le  portrait  du 
Très-Victorieux  Roy  de  France  Charles  Sep- 
lième.  En  outre,  depuis  un  mois  environ, 
deux  miniatures  de  Jean  Fouquet  ont  été  pla- 
cées, dans  une  vitrine,  au-dessous  du  Retable. 
Dans  l'une  de  ces  miniatures  (celle  qui  est  à 
f;auche  dans  la  vitrinei,  le  roi  Charles  VII, 
vêtu  de  bleu  et  monté  sur  un  cheval  gris- 
blanc,  rentre  dans  un  palais  que  je  crois  être 
le  Louvre,  c'est-à-dire  dans  son  palais,  en 
face  lequel  est  la  tour  de  Nesle,  sur  l'autre 
côté  du  fleuve.  Le  Roi  remet  son  épée  au 
fourreau  :  un  pauvre  l'aborde  pour  lui  deman- 
der l'aumône,  mains  jointes.  Le  Roi  le  laisse 
approcher.  Une  partie  de  l'escorte  royale  a 
déjà  passé  ;  l'autre  suit.  Au-dessous  de  cette 
scène,  on  voit  deux  anges  véius  de  rouge. 
L'ange  de  gauche  lient  une  banderole  sur 
laquelle  on  lit  une  phrase  latine,  signiliant  : 

Heureux  celui  qui  n'a  fait  tort  à  personne 
( . . .  qui  niilli  nocuit/. 

L'ange  de  droite  tient  une  banderole  sur 
laquelle  on  lit  : 

Heureux  celui  qui  donne  secours  à  tous 
(...  qui  cunctis  providit) . 

Au  milieu  :  une  lettre  ornée  O  et  un  cœur 
ardent  suspendu  au-dessus  de  deux  branches 
croisées  l'une  sur  l'autre  et  de  deux  bouquets 
de  roses. 

Au  bas,  en  lettres  d'or  :  Maisire  Estienne 
Chevalier. 

La  miniature  placée  à  droite  dans  la  vi- 
trine est  celle  qui  représente  le  Roi  en  rouge, 
sur  un  cheval  blanc  tout  caparaçonné  d'or.  Il 
y  a,  derrière  lui,  cinq  cavaliers  dont  l'un  tient 
la  lance  royale.  A  droite,  un  château  royal. 
Sur  le  premier  plan,  cinq  gardeuses  de  bre- 
bis, dont  deux  sont  debout.  L'une  des  femmes 
debout  file  une  quenouille,  l'rès  d'elles,  six 
moutons. 

Ces  miniatures  ont  été  placées  là,  je  pense, 
pour  servir  de  point  de  comparaison.  Celui 
qui  les  a  peintes  a  peint  aussi  le  Juvénal  des 
Ursins  aux  mains  jointes,  devant  un  pupiire 
bien  caractéristique,  et  que  l'on  retrouve, 
absolument  semblable,  dans  la  Vierge  au  Do- 
nateur. 

Si  les  conservateurs  du  Louvre  voulaient 
bien,  pendant  quelques  semaines,  replacer 
cette  Vierge  au  Donateur  (autrefois  placée 
dans  le  Salon  Carré)  dans  la  salle  des  Fou- 
quet et  permettre  qu'elle  puisse  être  examinée 
et  comparée  au  Juvénal  des  Ursins,  je  remer- 
cierais le  Musée  du  Louvre  de  vouloir  bien 
permettre  cette  comparaison,  sans  laquelle  il 
est  difficile  de  se  faire  une  opinion  motivée. 

En  attendant,  la  revue  les  Arts,  ,ayant 
déclaré  que  les  rêveries  étaient  permises  à 
propos  de  ce  tableau,  continuons  à  dis- 
cuter : 

J'ai  dit  que  le  roi  représenté  à  la  droite 
du  Père  éiait  Charles  VII,  roi  de   France,  en 


même  temps  qu'était  aussi  roi  de  France 
Henri  V  d'Angleterre. 

J'ai  dit  que  le  contraste  était  voulu  par 
l'auteur  du  tableau  entre  le  roi  de  France 
Charles  VII,  esseniiellement  pacifique,  et 
l'autre  roi  qui  lui  est  opposé,  le  roi  anglo- 
français,  essentiellement  guerrier  et  guerrier 
très  cruel. 

Continuons  l'examen  des  détails  qui  peu- 
vent nous  éclairer  à  ce  sujet  : 

Le  roi  de  France  (à  la  droite  du  Père),  que 
j'affirme  êire  Charles  VII,  tient,  dans  sa  main 
droite,  un  sceptre,  symbole  de  douceur  paci- 
fique. Ce  sceptre,  bien  reconnaissable,  parce 
que  le  peintre  l'a  peint  fidèlement  d'après  na- 
ture, comme  tout  le  reste  du  tableau,  est  le 
sceptre  des  rois  de  France,  que  le  Musée  du 
Louvre  possède  encore  aujourd'hui,  qui  est 
exposé  dans  la  Galerie  d'Apollon,  et  qui  est 
catalogué  dans  une  vitrine  de  cette  galerie. 

Ce  sceptre  emblématique  est  parfaitement 
reconnaissable  sur  le  tableau  du  Retable  du 
Parlement  de  Paris.  11  est  de  forme  spéciale 
et  orné  de  pierreries  encore  aujourd'hui  exis- 
tantes, d'une  rare  grosseur,  et  qu'on  ne  peut 
confondre  avec  d'autres.  Ces  pierreries  sont  : 
rubis,  émeraude.  et  perle  au  sommet  du 
sceptre  dans  le  tableau  :  le  Retable  du  Parle- 
ment). 

Or  le  sceptre  en  question  est  catalogué, 
dans  la  vitrine  de  la  Galerie  d'Apollon,  comme 
objet  d'orfèvrerie  du  xiv=  siècle. 

Comment  donc,  si  ce  sceptre  a  été  fabriqué 
au  xiv>=  siècle,  serait-il  dans  la  main  d'un  saint 
Louis  ?  Au  contraire,  dans  la  main  droite 
d'un  Charles  VI F,  il  est  très  bien  à  sa  place. 

Je  remarque  seulement  que,  dans  le  Re- 
table du  Parlement  de  Paris,  le  sceptre  du  roi 
de  France,  datant,  dit  l'étiquette  du  Louvre, 
du  xiv=  siècle,  est  surmonté  d'une  pierre 
blanche,  une  grosse  perle,  pierre  qui  se 
répète  sur  la  couronne  royale  qui  ceint  le 
front  du  Charles  VII.  Cette  couronne  est 
ornée  de  fleurs  de  lis  d'or  surmontées  de 
perles  ;  chaque  fleur  de  lis  est  surmontée 
d'une  perle. 

J'en  conclus  qu'au  temps  de  Charles  VII, 
le  sceptre  des  rois  de  France  n'avait  pas  en- 
core, à  son  extrémité,  la  figure  emblématique 
d'un  roi  assis  qui  l'orne  aujourd'hui.  Cette 
statuette  a  dû  être  surajoutée.  A  quelle  épo- 
que? C'est  aux  orfèvres  de  le  dire.  J'attends 
leur  avis  sur  ce  point  important. 

Quant  au  sceptre  que  nous  voyons  aujour- 
d'hui (sauf  la  statuette  d'or  de  roi  assis  dans 
un  trône  qui  le  surmonte),  il  est  parfaitement 
reconnaissable  en  ses  parties  essentielles. 
L'auteur  du  Retable  l'a  peint  exactement  tel 
(sauf  la  statuette  d'or)  que  nous  le  voyons 
aujourd'hui.  On  j  revoit  l'un  des  gros  rubis 
qui  l'ornent  encore. 

Voilà  pour  le  roi  de  France  Charles  VII, 
celui  qui  est  debout  à  la  droite  du  Père,  por- 
tant au  côté  l'aumônière  de  velours  bleu, 
ornée  de  fleurs  de  lis  d'or  et  de  sept  perles 
blanches. 

Au  contraire,  le  roi  debout  à  la  gauche  du 


de  M.  Amédée  Pigeon;  mais   nous  considérerons 

N.  D.  L.  R. 

Père  (roi  anglo-français  selon  moi)  a,  dans  la 
main  droite,  un  glaive  anglais  bien  reconnais- 
sable tant  à  sa  forme  qu'à  la  pierre  jaune,  une 
grosse  topaze,  qui  est  incrustée  dans  le  pom- 
meau de  ce  glaive.  Ce  glaive  fait  partie  de  la 
collection  des  armures  anglaises  et  a  été  gravé 
avec  sa  topaze,  bien  reconnaissable.  J'en  ai 
vu  la  reproduction  en  couleurs  dans  l'un  des 
recueils  anglais  de  la  Bibliothèque  nationale, 
grâce  à  l'obligeance  de  M.  Bouchot  et  de 
M.  P. -A.  Lemoisne,  qui  m'ont  communiqué 
le  recueil  deSioihard.  C'est  là  que  se  trouve  le 
glaive  en  question. 

Je  ne  pense  pas  que  cette  démonstration 
par  des  faits,  que  tous  sont  en  mesure  de  con- 
tredire, si  le  cœur  leur  en  dit,  puisse  être  trai- 
tée de  rêverie. 

Qui  rêve  en  cette  matière  ? 

Serait-ce  ceux  qui,  avant  donné  à  un 
tableau  d'importance  capitale  pour  l'histoire 
française,  une  mauvaise  attribution  quant  aux 
personnages  représentés,  la  maintiennent  avec 
obstination  et  contre  toute  vraisemblance,  ou 
celui  qui,  ayant  contrôlé  ce  que  chacun  peut 
contrôler  à  son  tour,  est  arrivé  à  une  attribu- 
tion plus  exacte  et  a  eu  le  courage  de  le  dire  ? 

Je  prie  l'impartiale  revue  les  Arts  de  me 
donner  son  avis,  si  elle  en  a  un,  à  ce  sujet. 

Quant  à  la  Vierge  au  Donateur,  voici  ce 
que  j'en  puis  dire  encore  : 

On  a  remarqué  fort  justement  que  «  le 
Donateur  »  prie  dans  un  oratoire  ou  chapelle 
qui  est  du  plus  pur  style  roman. 

L'architecture  de  la  chapelle  pourra,  je 
crois,  servir  un  jour  à  identifier  la  ville  qui  se 
voit  dans  le  fond  du  paysage. 

Les  histoires  de  Charles  Vli  disent  qu'en 
1441,  Charles  VII  fit  un  voyage  en  Guvcnne 
pour  battre  les  .\nglais,  qui  assiégeaient  Tar- 
las  ;  qu'en  1442,  le  Roi  soumit  Marmande  et 
la  Réole  en  Bazadois. 

Ne  serait-ce  pas  l'une  de  ces  villes  qui 
serait  là  représentée,  ou  est-ce  Lyon,  comme 
on  l'a  dit  déjà  ? 

Le  Donateur  est,  pour  moi,  très  certaine- 
ment Charles  VII.  La  meilleure  raison  que  je 
puisse  donner  de  cette  attribution,  c'est  que  le 
très  grand  personnage  peint  dans  ce  tableau, 
à  genoux,  les  mains  jointes,  ressemble  beau- 
coup et  au  Charles  VII  encore  jeune  du  Retable 
du  Parlement  et  au  Très-Victorieux  Roi  de 
France  Charles  Septième,  qui  est  pour  moi 
une  image  du  roi  déjà  vieux  et  usé,  tandis  que 
le  Donateur  serait  le  roi  Charles  VII  en 
pleine  force  et  en  pleine  santé,  c'est-à-dire 
précisément  vers  1441  ou  1442,  en  ces  années 
de  succès. 

Le  portrait  fut-il  fait  dans  quelqu'une  de 
ces  villes  du  Midi  Tartas,  Marmande  ou  la 
Réole  en  Bazadois  ?  Fut-il  fait  à  Lyon,  et 
dans  la  vieille  église  de  Fourvières?  Où  le 
peintre  le  peignit-il  ?  Je  l'ignore. 

Je  prie  ceux  qui  connaissent  bien  ces  di- 
verses villes,  et  leur  aspect  vu  d'une  hauteur, 
d'examiner  très  sérieusement  la  question.  Des 
hauteurs  de  Lyon,  par  un  temps  très  clair,  on 
aperçoit  la  chaîne  des  montagnes  blanches  du 
Dauphiné. 


TRIBUNE  DES  ARTS 


33 


Une  chaîne  de  montagnes  hlaiiclies  est 
très  visible  au  fond  du  tableau. 

Des  trois  tableaux  en  possession  du  Louvre 
qui  me  semblent  devoir  être  attribues  à  Fou- 
quet  Jean),  le  premier  serait  le  Retable  du 
Parlement  de  Paris  (peint  vers  l'an  1439),  le 
second  serait  la  Vierge  au  Donateur,  repré- 
sentant Charles  VII  en  pleine  force,  vers  1441 
ou  1442;  le  troisième  serait  le  portrait  si 
célèbre  du  Très-Victorieux  Roy  Charles  Sep- 
tième (vers  1450). 

Cette  question  m"a  paru  intéressante, 
d'abord  pour  les  historiens  français,  à  qui  il 
ne  peut  pas  être  indirt'érent  que  Jean  Fou- 
quet  ait  peint,  par  trois  fois  au  moins,  le  roi 
Charles  VII. 

Elle  ne  doit  pas  être  indilférenie  non  plus, 
me  scmble-t-il,  à  ceux  qui,  ayant  en  estime  le 
très  grand  peintre  de  portraits  Jean  Fouquct, 
trouveraient,  dans  ces  trois  œuvres,  des  points 
de  comparaison  utiles. 

Personne  de  ceux  qui  ont  étudié  Jean 
b'ouquet  n'a  mis  en  doute  qu'il  ait  illustré 
la  Bible  de  Charles  Vil  et  les  Anliquitcs  de 
Jo.séphe  (1). 

Après  avoir  exécuté  ces  remarquables 
œuvres  de  miniaturiste,  Jean  Fouquet  se  serait 
attaqué,  dans  la  Vierge  au  Donateur,  à  la 
représentation  du  roi  de  France  lui-même,  du 
roi  déjà  victorieux  et  dans  toute  sa  force. 
C'est  après  avoir  exercé  son  a'il  à  peindre  les 
minutieuses  et  larges  images  de  la  Bible  et  du 
Josèphe  que  Jean  Fouquet,  devenu  un  peintre 
d'une  puissance  peu  comtnune,  aurait  exécuté 
ce  merveilleux  portrait  du  roi  Charles  Vil,  à 
la  l'ois  minutieux  et  large,  et  ces  mains 
royales  admirables  que  je  vois  dans  la  Vierge 
au  Donateur  du  Musée  du  Louvre. 

Ce  tableau,  peint,  dans  ma  pensée,  pour 
un  connaisseur  en  peinture,  serait  presque  le 
chef-d'œuvre  de  Jean  Fouquet,  s'il  ne  fallait 
aussi  nommer  chcf-d'(i;uvre  (c'était  l'avis  de 
Fantin-Latouri,  l'admirable  portrait  du  Roi, 
coiffé  d'un  chapeau  bleu,  qui  s'appelle  le 
Très-Victorieux  Roy  de  France  Charles  Sep- 
tième. 

J'ai  voulu  appeler  sur  ces  trois  <euvres, 
entre  lesquelles  je  vois  une  parenté,  l'attention 
de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'art,  afin  que 
l'on  m'aidât  à  débrouiller  le  problème. 

J'ai  même  été  heureu.x  de  voir  qu'un  des 
grands  connaisseurs  de  toute  l'œuvre  de  Jean 
Fouquet  ne  m'a  pas  donné  tort,  et  serait 
même,  m'a-t-il  dit,  assez  porté  à  me  donner 
raison. 

Je  conclus  donc  que  la  question  est  tou- 
jours intéressante,  qu'elle  mérite  une  discus- 
sion exempte  de  passion,  et  j'attends  les  argu- 
ments qui  me  prouveront  péremptoirement 
que  j'ai  tort. 

Quant  au  roi  placé  à  la  gauche  du  Père 
dans  le  Retable,  roi  en  qui  je  vois  un  roi 
anglais  (alors  que  d'autres  y  retrouvent  soit 
(2harlemagne,soit  Sigismond,  empereur  d'Al- 
lemagne), voici  les  raisons  qui  me  font  penser 
que  c'est  Henri  V  d'.\ngleterre  : 

Le  glaive  qui  est  nu  dans  la  main  du  roi, 
tenant  de  l'autre  main  un  globe,  est  anglais, 
de  même  que  la  cuirasse  qui  rhabille,  sous  le 
manteau   bleu,    est   anglaise.  J'ai   retrouvé  le 


(l>  M.  lloucliol  .iJmct  en  principo  que  Jean  Fouquet  eux  JiHc- 
rcnics  manières  de  peinJre,  puisqu'il  a  trouve  de  notables  dilTé- 
rences  de  facture  enire  les  portraits  de  Juvcnal  des  Ursins 
(portrnits  avec  fond  doré  cl  arm?»  symboliques  ;  les  ours  des 
Ursinsi  et  le  portrait  sévère  et  dune  si'  grande  mailris-,  portrait 
sur  fond  vert,  du  Ires- Victorieux  Roy  de  Krance  Charles  Sep- 
tième. ' 


glaive  et  la  cuirasse  :  le  glaive  dans  Stothard 
(Bibliothèque  nationale.  Cabinet  des  Estam- 
pes), la  cuirasse  dans  la  série  des  portraits  des 
rois  anglais. 

Voilà  pour  les  preuves  matérielles. 

Quant  aux  preuves  morales,  les  voici  : 
Shakespeare,  très  bien  renseigné,  à  mon  avis, 
et  très  fidèle  historien,  a,  dafis  son  Henri  V, 
dépeint  un  personnage  absolument  semblable, 
de  tous  points,  à  celui  du  Retable. 

Ni  «  le  peu  tentant  visage  »,  ce  visage  qui 
effraye  les  dames  quand  le  Roi  leur  fait  la 
cour,  ni  le  cérémonial,  ni  le  globe  dans  la 
main  du  Roi,  ni  l'homme  qui  parle  de  con- 
quérir une  dame  au  cheval  fondu  ou  en  sau- 
tant en  selle  avec  son  armure  sur  le  dos,  ni  le 
sentiment  qu'a  Henri  V  d'être  un  fléau,  Shake- 
speare n'a  rien  omis  dans  son  portrait  du 
célèbre  personnage  qui  se  plaisait  à  ravager  la 
«  fertile  France  ». 

Je  retrouve  la  même  préoccupation  d'exac- 
titude dans  le  personnage  presque  terrible 
que  nous  montre  le  Retable;  on  l'y  voit  en- 
touré d'ossements  de  morts,  de  sang  répandu 
à  terre,  de  bourreaux  occupés  à  supplicier  un 
condamné. 

On  me  dit  que  l'évêque  habillé  de  vert  et 
tenant  dans  ses  mains  sa  tète,  qui  avoisine  le 
personnage  royal,  est  saint  Denis,  qu'on  re- 
trouve dans  le  paysage  une  architecture  de 
Coiistaniinople.  Admettons  que  ce  person- 
nage vêtu  de  vert  soit  saint  Denis. 

Précisément,  le  Henri  V  de  Shakespeare 
parle  (acte  V,  scène  11),  de  saint  Denys  et  de 
saint  Georges.  Il  propose  à  Catherine  de  faire 
avec  lui  un  enfant  qui  ira  à  Constaniinople  et 
tirera  le  Turc  par  la  barbe.  «  Cet  enfant  sera, 
dit-il,  moitié  Français,  moitié  Anglais.  » 

Le  terrible  personnage  du  Retable  me 
paraît  ressembler  au  Henri  V  tel  que  l'a  revu 
dans  sa  pensée  et  tel  que  l'a  dépeint  Shake- 
speare. 

Sur  ce  point  encore,  je  conserve  ma  con- 
viction, qui  me  semble  très  proche  de  la  vé- 
rité, attendant  que  de  meilleures  raisons  me 
persuadent.  Celles  de  mes  contradicteurs,  je 
l'avoue,  ne  m'ont  pas  encore  convaincu. 

AMÉDÉE    PIGEON. 


MoNsiRi  R  LE  Directeur, 

Un  long  voyage  en  Russie  ne  m'a  permis 
que  tout  récemment  de  prendre  connaissance 
de  l'article  de  M.  Claude  Dullot  paru  en  mars, 
en  réponse  à  mon  étude  sur  le  Retable  du  Parle- 
ment de  Paris.  Vous  me  permettrez  de  négliger 
les  allusions  désormais  trop  fréquentes  à  la 
tiare  de  Saïiapharnès,  comme  si  les  Conser- 
vateurs du  Louvre  seuls,  à  l'exclusion  des 
Académies  intéressées  et  des  autres  savants 
de  France,  avaient  été  partisans  de  l'acquisi- 
tion, ou  comme  si,  seuls,  ces  fonctionnaires 
étaient  coupables  d'erreurs  que  ne  connaî- 
traient ni  les  magistrats,  ni  les  ingénieurs,  ni 
les  otliciers  de  marine,  dont  les  fautes  sont 
pourtant  plus  graves  ou  plus  coûteuses.  Je  ne 
suivrai  pas  non  plus  votre  collaborateur  dans 
sa  dissertation  sur  le  droit  de  revendication 
que  la  loi  donne  à  l'Etat,  cela  me  parait  être 
tout  à  fait  en  dehors  de  la  question.  Est-il  bien 
nécessaire  de  discuter  les  conditions  de  sécu- 
rité et  de  conservation  des  objets  exposés  au 
Louvre?  Nous  sommes  tous  unanimes  à  de- 
mander qu'elles  soient  accrues,  et  il  me  serait 


trop  facile,  d'autre  part,  d'oppo.^cr  à  une  taba- 
tière volée,  les  scandales  du  musée  de  Lille,  les 
méfaits  de  celui  de  Cacn,  relevés  par  M.  F. 
Engerand,  les  incendies  de  ccu.x  de  Verdun  et 
de  Bordeaux,  les  vols  des  musses  de  Lyon,  de 
Rouen  et  de  Nimes,  etc..  sans  parler  des  ventes 
illégales  d'objets  appartenant  à  des  municipa- 
lités; mais  cela  n'avancerait  pas  beaucoup  la 
discussion. 

Il  est  cependant  deux  points  sur  lesquels  je 

.  voudrais  répondre  à  M.    Duflot,  et  où  je  ne 

î  puis  renoncer  à  mes  conclusions  : 

j         Si  le  retable  avait  été  bien  exposé  au  Palais 

j  de  Justice,  à  portée  de  la  vue,  et  des  objectifs 
photographiques,  peut-être  en  eût-on  demandé 
le  prêt  à  une  exposition  pour  faciliter  les 
rapprochements,  les  comparaisons,  l'étude, 
comme  on  a  demandé  la  communication  pro- 
visoire de  tableaux  à  des  musées  ou  à  des  col- 
lections très  libéralement  accessibles;  maison 
aurait  sans  doute  renvoyé  le  tableau  à  sa  place, 
non  parce  que  la  Cour  en  était  propriétaire, 
puisque,  n'étant  pas  personnalité  civile,  elle 
ne  peut  posséder,  et  que  l'œuvre  appartient 
indubitablement  à  l'État,  mais  parce  que,  étant 
là  convenablement  exposée,  il  n'y  avait  pas 
plus  lieu  d'intervenir  que.  par  exemple,  pour  le 
tableau  de  Pcrugin  de  l'église  Saini-Gervais 
ou  le  Watteau  de  Saint-Médard  à  Paris.  La 
très  mauvaise  place  qu'on  lui  avait  assignée  à 
la  Première  Chambre,  l'impossibilité  de  pou- 
voir l'étudier,  l'examiner,  le  photographier 
môme,  ont  été  pour  beaucoup  dans  les  récla- 
mations en  faveur  du  Louvre  où  il  avait  été, 
ne  l'oublions  pas,  autrefois  déjà  exposé.  Pour 
faciliter  l'étude  de  notre  histoire,  il  a  été  rap- 
proché de  peintures  du  même  temps  et  du  même 
pays.  On  peut  le  voir  aujourd'hui  aussi  bien 

;  que  possible  et  des  milliers  de  personnes  le 
contemplent  de  près  chaque  jour:  si  vraiment 
ceux  qui  regrettent  son  départ  du  Palais  de 
Justice  savent  l'apprécier  et  le  comprendre,  ils 
ne  peuvent  qu'applaudir  à  sa  mise  en  valeur. 
En  outre,  M.  Duflot  nous  cite  un  exemple 

,  vieux  de  quarante-cinq  ans.  où  des  monuments 
célèbres  ont  été  défendus  en  province  contre 
leur  départ  pour  l'étranger.  C'est  là  un  senti- 
ment très  louable  dont  votre  correspondant 
aurait  pu,  sans  trop  de  peine,  trouver  peut-être 
des  exemples  moins  anciens.  Encore  ne  se- 
raient-ils qu'assez  exceptionnels  :  trop  défaits 
prouvent  l'indifférence  coupable  des  munici- 

!  palités  ou  des  fabriques  pour  les  «cuvres  d'an, 
mobilières  ou  immobilières,  confiées  à  leurs 
soins.  Faut-il  citer  les  remparts  d'Avignon, 
les  alignements  de  Karnack,  détruits  systéma- 
tiquement, les  ventes  clandestines  empêchées 
par  hasard  dubaiser de paixdeNicc.de la  Picia 
de  Nantua.de  l'armure  du  musée  de  Draguignan 
et  tant  d'au  très  aliénai  ions  scandaleuses  dont  les 
dossiers  encombrent  les  carions  des  bureaux 
des  monuments  historiques?  Lalisteest  longue 
et  navrante,  et  chaque  jour  on  signale  de  nou- 
veaux méfaiis  semblables! 

L'inventaire  des  richesses  d'art  de  la  France, 
si  malencontreusement  négligé,  devait  donner 
des  éclaircissements  précis  et  arrêter  ce  gas- 

i  pillage;  on  semble,  par  un  projet  de  loi.  vou- 
loir se  soucier  de  cette  question.  Elle  mérite, 
certes,  qu'on  l'éiudic!... 

Mais  j'ai  déjà  bien  abusé  de  votre  patience. 
Veuillez  agréer,  je  vous  prie.  Monsieur  le  Di- 
recteur, l'expression  de  mes  seniimenis  très 
distingués. 

JE.\N  GLIFFREY. 


Diii'ehiir  :   M.  M  V\ZI 


Imprimoric  M.\:ni,  Jotast  &  C».  A»«lrr««. 


Lie  limmt  :  Ci.  BLONDIS. 


Collection  BLANQUET  DE  FULDE 


DaUBIONY. —  I  A  Tr:nmssr;  d'amirksy 


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MODERNES 


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JULES  DUl'ltli.  —  i.A  l'A-si  III  1  I  I 

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Claude  Monet,  Gustave  Moreau,  Ribot,  Sisley,  Tassaert,  Ziem,  etc.,  etc. 


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Entxée     jsai-     la,     i-u.e     d.e     la     G-r-airLS-e-Batelièi-e 


LES  ARTS 


N"  42 

PARIS    —    LONDRES    — 

-    BERLIN    — 

NEW-YORK 

Juin   190») 

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SIR  TH.  LAWRENCE.  —  portrait  dk  sir  thomas  bkll 
Exposition  de  VArt  anglais  à  Bagatelle.  —  Collection  de  Camille  Groult 


Un  Musée  à   Bagatelle 


ARis  possède  depuis  peu  de  jours  une  magni- 
fîqLie  promesse  de  musde. 

Il  semble  qu'il  y  ait  contradiction  entre 
ces  mots  :  posséder  une  promesse  ;  mais 
il  est,  vraiment,  des  promesses  que  l'on 
possède  plus  que  d'autres  :  celles  qui  ont 
reçu  un  commencement  d'exécuiion  ;  etsi  ce  n'est  pasposséder 
un  musée  proprement  dit  que  d'être  possesscurde  deux  palais 
situés  dans  un  cadre  merveilleux  et  propres  à  faire  un  musée 
charmant,  puis,  de  deux  œuvres  d'art  d'une  grande  valeur, 
amorce  des  collections  futures,  enfin  d'espérances  justifiées 
par  certains  précédents  et  d'un  fort  ingénieux  système  pour 
ajouter  beaucoup  de  trésors  à  cet  engageant  commencement, 
c'est  du  moins  tenir  quelque  chose  de  mieux  qu'un  billet  à 
La  Châtre  et,  dans  la  circonstance,  si  ce  n'est  pas  encore 
tout  à  fait  un  «  tiens  »,  c'est  déjà  beaucoup  mieux  que  deux 
«  tu  l'auras  ». 

Déjà  un  résuliat  important  est  acquis  :  Bagatelle  est 
sauvée  d'une  destination  aniiariistique,  ou  du  morcellement 
que  la  spéculation  pouvait  lui  infliger.  Lorsque  la  Ville  de 
Paris  acquit  le  domaine  illustré  par  les  noms  du  comte 
d'Ariois,  de  lord  Hcrtford  et  de  sir  Richard  Wallacc,  quelques 
conseillers,  et  en  tête  M.  Paul  Escudier,  soutinrent  cette 
thèse  contre  des  collègues  un  peu  bien  utilitaires,  que,  dans 
une  ville  comme  la  nôtre,  la  beauté  est  dans  plus  d'une  occa- 
sion Futilité  suprême.  Ils  eurent  gain  de  cause,  grâce  à  la 
louable  ardeur  qu'ils  dépensèrent  au  service  de  cette  cause 
de  désintéressement  et  d'idéal. 

Restait  à  trouver  l'affectation  de  Bagatelle,  et,  étant  don- 
nées la  valeur  et  la  séduction  de  l'écrin,  ce  n'était  pas  chose 
commode  que  de  découvrir  le  bijou  approprié.  Heureuse- 
ment, à  Paris,  si  les  idées  sont  lentes  à  prendre  parfois,  elles 
sont  promptes  à  naître,  et  un  projet  très  artistique,  très  ori- 
ginal et  riche  en  beaux  espoirs,  vint  fort  à  propos  tirer  les 
esprits  d'embarras.  Le  projet  émanait  d'un  grand  collection- 
neur, d  un  homme  de  beaucoup  de  finesse  et  de  passion, 
d'un  amateur  ardent  qui  est  célèbre  et  qui  mérite  de  l'être, 
qui,  se  dissimulant  (plutôt  mal)  derrière  le  titre  d'  «  un  Pari- 
sien de  Paris  »,  exige  qu'on  ne  le  nomme  pas,  mais  est 
nommé  si  bien  par  tout  le  monde  qu'enfreindre  sa  volonté 
serait  superflu. 

Ce  grand  amoureux  de  l'art  français  et  anglais  du 
xvni=  siècle  a  su  conquérir,  par  quantités  et  qualités  surpre- 
nantes, des  Watteau,  alors  que  le  Louvre,  sans  l'apport  pro- 
videntiel de  La  Caze,  en  posséderait  tout  juste  un  seul,  et  des 
Turner,  tandis  que  l'on  croyait  qu'en  dehors  des  grands 
musées  anglais,  il  n'en  était  plus  au  monde.  Gainsborough 
et  Boucher,  Romney  et  Fragonard,  Constable  et  Hubert 
Robert,  voisinent  chez  lui  superbement  et,  depuis  longteiTips, 
ont  réalisé  d'une  façon  idéale  le  problème  de  1'  «  entente  » 
cordiale.  Que  dire  enfin,  il  est  tout  à  fait  de  la  famille  des 
grands  collectionneurs  français  d'autrefois,  et  il  leur  res- 
semble par  l'opulence  et  par  l'intarissable  bonne  humeur, 


féconde  en  anecdotes,  en  traiis  imprévus  et  en  bons  mots. 

Le  «  groupe  d'amateurs  et  de  Parisiens  de  Paris  »  qu'il 
forma  en  vue  de  la  création  du  futur  musée  de  Bagatelle  et 
qui  comprend  déjà  comme  membres  M.  Félix  Doistau  et 
M.  Camille  Groult  (notez  que  je  n'ai  pas  dit  que  c'est  de  ce 
dernier  qu'il  s'agit),  imagina  donc  et  proposa  à  la  Ville  de 
Paris  le  système  suivant  qui  fut  approuvé  et  accepté  avec 
enthousiasme,  ce  dont  personne  ne  s'étonnera. 

De  grands  collectionneurs  prêteraient,  pour  remplir  le 
pavillon  du  comte  d'Artois  et  celui  du  marquis  d'Heriford, 
les  chefs-d'œuvre  de  leurs  galeries,  de  façon  à  former  de 
radieuses,  de  sensationnelles  expositions  temporaires.  La 
Ville  de  Paris  percevrait  les  entrées  et  avec  le  produit  achète- 
rait successivement  des  œuvres  d'art  (en  l'espèce  et  dans  l'es- 
prit du  «  Parisien  de  Paris  »,  il  s'agirait  exclusivement  de 
chefs-d'œuvre  de  l'Ecole  anglaise)  et,  à  mesure  qu'une 
œuvre  deviendrait  la  propriété  du  futur  musée,  elle  pren- 
drait la  place  d'une  de  celles  qui  auraient  été  si  libérale- 
ment prêtées.  Plus  tard,  il  serait  plus  que  probable  que, 
gagnés  par  la  glorieuse  contagion  de  l'exemple,  d'autres 
Mécènes  ne  se  contenteraient  pas  de  prêter,  mais  que,  comme 
Duiuit  pour  le  Petit  Palais,  ils  seraient  séduits  par  l'idée 
d'assurer  à  ce  qui  fit  la  passion  et  la  joie  de  leur  vie,  le  cadre 
enchanteur  de  Bagatelle,  si  approprié  aux  plus  délicates 
jouissances  de  l'art. 

Tel  était  le  projet,  et  les  chances  de  le  voir  aboutir  ont  été 
jugées  si  certaines  que  la  municipalité  et  le  Préfet  de  la  Seine, 
M.  de  Selves,  toujours  ouvert  aux  belles  idées  artistiques,  le 
ratifièrent  immédiatement,  et  que,  pour  entrée  de  jeu,  nous 
avons  eu  l'exposition  de  cinquante  des  plus  précieuses  toiles 
de  l'École  anglaise  que  possède  M...,  le  «  Parisien  de  Paris  » 
enfin,  et  que,  pour  ne  pas  demeurer  en  reste  de  libéralité 
avec  cet  anonyme,  un  autre  anonyme  encore  (étant  anonyme, 
c'est  peut-être  le  même),  a  offert  au  musée  une  œuvre 
magique  de  Turner,  la  Vue  du  Pont-Neuf,  que  l'on  avait 
encore,  par  une  étrange  coïncidence,  admirée  quelques  jours 
auparavant  chez  M.  Camille  Groult. 

Cette  exposition  qui  d'emblée  a  remporté  un  grand  suc- 
cès, fut  marquée  aussi  par  l'acquisition  d'une  autre  œuvre  de 
l'École  anglaise,  le  Portrait  de  Mrs.  Forsler  par  Lawrence, 
morceau  d'une  riche  couleur  et  d'un  beau  caractère  que  l'on 
verra  reproduit  ici.  Enfin  l'on  publia  des  chiffres  relatifs  aux 
recettes  des  premiers  jours  qui  donnent  tout  lieu  d'espérer 
que  la  série  des  conquêtes  et  des  surprises  n'est  pas  close. 

Les  visiteurs  de  l'exposition  des  maîtres  anglais  reçurent 
à  l'entrée  un  l'ac-similé  parfaitement  exécuté  d'une  fort 
curieuse  lettre  de  Géricault  débordant  d'une  légitime  admi- 
ration à  l'égard  de  l'École  anglaise  et  indiquant ,  avec 
Horace  Vernet  pour  prétexte,  le  profit  que  l'École  française 
pouvait  tirer  de  l'étude  de  sa  voisine.  Mais  si  d'autres  témoi- 
gnages que  celui  de  Géricault  étaient  encore  utiles,  on  pour- 
rait ajouter  celui,  éclatant  entre  tous,  de  Delacroix. 

Celui-ci  fut  positivement  hanté  par  les  maîtres  anglais.  Il 


UN  MUSÉE  A   BAGATELLE 

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HOPPNER.    —    PORTRAIT 

Exposition  de  l'Art  anglais  à  Bagatelle.  —  Collection  de  M.  Camille  Groult 

LES    ARTS 


parlait  toujours  avec  un  nouvel  enthousiasme  du  «  ravissant  d'une  manière  incroyable  à  fréquenter  ce  luron-là  »,  et  pour 

Gainsborougli  »  ;  il  disait  de  Bonington  «  qu'il  avait  gagné  un  des  plus  grands  de  tous,  d'un  robuste  et  simple  et  varié, 


TH.  GAINSEOROUGH.  —  le  menace 
Exposition  de  l'Art  anglais  à  Bagatelle,  —   Collection  de  M,  Camille  Groult 


et  étincelant  poète  de  la  nature,   il  laissait  échapper  cette  N'est-elle  pas  à  citer  aussi  cette  enthousiaste  lettre  de  Dela- 

éloquente  exclamation  :  «  Ce  Constable  me  fait  grand  bien  !  »  croix  à  Théophile  Silvestre  :  «  Constable,  homme  admirable, 


UN  MUSEE  A   BAGATELLE 


HOPPNKR.  PORTRAIT 

Exposilion  de  l'Art  anglais  à  Bagatelle.  —  Collection  de  M.  Camille  Groult 


LES  ARTS 


est  une  des  gloires  de  l'École  anglaise.  Je  vous  en  ai  déjà 
parlé,  et  de  l'impression  qu'il  m'avait  produite  au  moment 
où  Je  peignais  le  Massacre  de  Scio.  Lui  et  Turner  sont  de 
véritables  réformateurs.  Ils  sont  sortis  de  l'ornière  des  pay- 
sagistes anciens.  »  Et  avec  quelle  vive  sympathie  il  parle 
de  Grand,  de  Leslie,  de  Williie,  et-  de  l'école  préraphaélite 
naissante,  de  sa  «  bonne  foi,  de  son  sentiment  de  vérité  réel 
et  tout  à  fait  local  ».  Enfin,  ce  petit  portrait  en  trois  lignes 
lorsqu'il  apprend  la  mort  de  Turner,  portrait  qui  fera,  s'il 
ne  le  connait  déjà,  la  joie  de  l'amateur  passionné  qui  a 
acheté  les  lunettes  de  l'auteur  d'Ulysse  raUlcitit  Polyphcme, 
et  jusqu'au  garde-boue  sur  lequel,  à  l'entrée  de  sa  maison, 
il  grattait  ses  chaussures  distraitement,  pendant  d'inter- 
minables minutes,  ne  pouvant  pendant  ce  temps  détacher 
son  regard  des  miraculeuses  fantasmagories  du  ciel  londo- 
nien :  «  Je  me  rappelle  avoir  reçu  Turner  chez  moi  une 
seule  fois,  quand  je  demeurais  au  quai  Voltaire;  il  me  fît  une 
médiocre  impression  ;  il  avait  l'air  d'un  fermier  anglais  : 
habit  noir  assez  grossier,  gros  souliers  et  mine  dure  et 
froide.  »  Turner  chez  Delacroix!... 

Mais  nous  ne  saurions  entreprendre  ici  une  apologie  de 
l'École  anglaise  pendant  que  les  œuvres  exposées  à  Bagatelle 
parlent  si  éloquemment  pour  elle,  et  qu'elles  achèvent  une 
démonstration  commencée  par  les  diverses  expositions  de 
chez  Sedelmeyer,  démonstration  à  laquelle  le  Louvre  a 
malheureusement  peu  contribué.  C'est  justement  pour 
combler  cette  lacune  que  notre  musée  laisse  encore  trop 
large,  malgré  l'acquisition  de  certains  bons  morceaux  et 
d'autres  beaucoup  moins 
heureux  (on  devine  assez 
desquels  je  veux  parler),  que 
le  musée  anglais  de  Baga- 
telle viendrait  fort  à  propos. 
11  formerait  la  contre- 
partie, ou  plus  exactement 
la  correspondance  avec  le 
merveilleux  musée  qu'est 
la  collection  Wallace,  et 
ainsi  l'œuvre  entreprise 
serait  harmonieuse  à  tous 
les  points  de  vue. 

En  effet,  on  a  regretté 
tout  d'abord  et  on  avait 
hélas  de  bonnes  raisons 
pour  cela,  que  la  maladresse 
administrative  et,  il  faut  le 
dire  aussi,  un  accès  intem- 
pestivement  frondeur  du 
public  parisien,  ait  détourné 
naguère  Sir  Richard  Wal- 
lace de  donner  à  Paris  les 
chefs-d'œuvre  de  l'art  fran- 
çais qui  rayonnent  à  Man- 
chester Square.  Mais,  tout 
compte  fait,  c'est  pour  nous 
une  privation  devenue  glo- 


SIR  TH.  LAWRENCE    —  mrs.  fohster 
Exposition  de  l'Art  anglais  à  Bagatelle 


rieuse,  car  c'est  une  des  plus  belles  conquêtes  que  l'art  et  la 
pensée  de  France  aient  jamais  faites  que  l'implantation  au 
cœur  même  de  Londres,  des  Watteau  et  des  Fragonard  que 
l'on  sait. 

Toutefois,  pour  que  les  choses  soient  complètes,  il  serait 
bon  que,  de  même  que  nos  maîtres  triomphent  à  Londres,  les 
maîtres  anglais  resplendissent  à  Paris;  c'est  en  cela  que  la 
pensée  du...  groupe  d'amateurs  parisiens  est  spiriuielle  et 
noble,  et  qu'il  faut  souhaiter  sa  réalisation  prompte.  Est-ce 
impossible  ?  Sans  doute,  à  première  vue,  cela  parait  extrême- 
ment difficile.  A  supposer  que  le  musée  de  Bagatelle  s'enri- 
chisse, comme  cette  année,  de  deux  ou  trois  œuvres  par 
saison,  cela  ferait  encore  longtemps  avant  qu'il  fût  véritable- 
ment un  musée.  Puis,  les  belles  œuvres  de  l'École  anglaise 
sont  devenues,  sinon  introuvables,  du  moins  hors  des  prix 
abordables  pour  un  État  ;  il  n'est  plus  que  les  particuliers 
milliardaires  qui  les  puissent  conquérir,  et  ils  ne  les  laissent 
point  échapper,  en  étant  des  plus  friands...  Sans  doute,  nous 
savons  tout  cela,  mais  ce  sont  les  arguments  des  sceptiques 
et  des  découragés,  c'est-à-dire  de  ceux  précisément  en  dehors 
de  qui  s'accomplissent  infailliblement  les  belles  tâches, 
quand  elles  ont,  comme  celle-ci,  leur  nécessité. 

Même  en  matière  d'École  anglaise,  le  précepte  :  «  Cher- 
chez et  vous  trouverez  »  peut  encore  trouver  d'heureuses 
applications.  Puis  il  est  des  générosités  sur  lesquelles  on 
peut  compter,  d'autant  plus  qu'elles  sont  inaccessibles  à 
toute  autre  considération  que  la  générosité  elle-même. 

Nous  assistions  avant  l'ouverture  de  Bagatelle  à  une  bien 

curieuse  conversation  sur  ce 
propos,  entre  un  conseiller 
que  je  crois  avoir  nommé  et 
un  collectionneur  que  je 
crois  n'avoir  pas  nommé.  Le 
premier  faisait  un  siège  en 
règle  et  s'efforçait  d'arracher 
la  promesse  que,  si  libéral 
qu'on  etjt  été,  on  le  serait 
davantage  encore.  Et  il 
faisait  valoir  que  la  Ville 
donnerait  à  la  salle  ou  au 
musée,  le  nom  de  celui  qui 
aurait  rempli  ce  musée  ou 
cette  salle,  des  œuvres 
qu'on  y  allait  admirer. 
L'amateur  poussa  un  véri- 
table rugissement  :  «  Si  je 
savais  qu'on  donnât  mon 
nom  à  une  salle  où  j'aurais 
laissé  des  œuvres  que  je 
possède,  j'aimerais  mieux 
qu'elles  fussent  brûlées...  à 
ma  mort  I  »  Nous  ne  savons 
dans  quel  sens  il  faut  inter- 
préter cette  parole,  mais 
nous  affirmons  que  le  geste 
qui  l'accompagna  fut  beau. 


LES    ARTS 


TH.   (iAIN'SBOROUGII.  —  ceoriu:  mi 
Exposition  de  l'An  anglais  à  Bagatelle,  —  Colleetion  de  M.    Camille  Groult 


Nous  ne  voulons  pas  même  tenter  ici  une  description  des 
œuvres  exposées  à  Bagatelle,  car  ce  serait  tronquer  la  mono- 
graphie qui  s'impose  d'une  collection  considérable.  Au 
reste,  quelques-uns  des  plus  beaux  morceaux  sont  reproduits 
ici  :  les  ravissants  Portraits  de  Femmes  d'Hoppner;  le  por- 
trait de  Sir  Thomas  Bell,  de  Lawrence;  la  charmante  scène 


dans  un  jardin,  le  Menasse,  où  Gainsborough  à  la  fois 
rappelle  et  fait  oublier  Hogarth  ;  deux  des  prestigieux 
Turner,  une  Vue  de  Venise,  et  cette  Ancient  Italy,  qui 
provoqua  naguère,  exposé  chez  Sedelmeyer,  de  bien 
curieuses  polémiques,  oubliées  aujourd'hui  devant  la  splen- 
deur de  celte  peinture,  etc.,  etc. 


UN   MUSEE    A   BAGATELLE 


Les  portraits  de  Reynolds,  de  Gainsborough,  d'Hoppner, 
sont  tous  de  premier  ordre,  et  si  Constabic  est  relativement 
peu  représente-,  «  ce  grand  Constabie  ■>,  qui  faisait  «  tant  de 
bien  «  à  Delacroix,  comme  le  musc'e  de  Bagatelle  n'est  pas  à 


la  veille  de  fermer,  et  comme  d'autres  surprises  se  produi- 
ront sans  doute,  maintenantquc  lasérieacommencé.on  peut, 
au  lieu  de  formuler  un  regret,  escompter  de  nouvelles  joies. 

ARSKNE  ALEXANDRE. 


HOPPN'En     —  POBTUMT 

HxposUicn  dt  l'Art  aiigtait  à  Bmgmitlle,  —  Collection  à*  M.  CmmiUt  Cmnil 


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B.    COLI.IN.    —  ÉVOrATIO!»  PAIBSWB 


LES   SALONS    DE    1905 

Société   des   Artistes  français 


U     SflSv/ 


I,  y  a  d'excellentes  choses,  vraiment  belles 
et  délicates  dans  ce  Salon;  il  faut  les  cher- 
cher dans  le  fatras  des  historiettes  agran- 
dies et  des  petites  idées  boursouflées.  Mais 
on  est  payé  de  sa  peine.  A  la  peinture 
comme  à  la  sculpture,  on  trouvera  des 
œuvres  que  l'on  peut  revoir  avec  une  joie 
d'esprit  toujours  accrue.  Pour  mon  compte  j'en  citerai  plu- 
sieurs qui  ont  laissé  dans  mon  esprit  un  souvenir  profond  et 
durable  :  le  Vcrtumiie  et Pomnite,  lic  Mademoiselle  Claudel; 
le  Rêve  iie  Jeunes.se,  d'Alexandre  Roche;  la  Pastorale,  de 
Henri  Martin;  un  portrait  de  femme,  d'Ernest  Laurent. 

Mais  commençons  cette  revue  rapide  par  les  talents  con- 
sacrés. La  toile  décorative  d'Edouard  Détaille  est  destinée  au 
Panthéon.  L'artiste  déroule,  sur  trois  panneaux  séparés  par 
le  relief  des  piliers,  la  Chevauchée  Je  /d  G/o/;-<?.' des  cavaliers 
du  premier  Empire  chargésd'étendardscnnemis.  L'arabesque 
tournoyante  de  cette  galopade  monte  vers  la  nue,  du  haut  de 
laquelle  une  Gloire  ailée  leur  tend  des  couronnes.  Tout  en 
admirant  la  verve  et  la  science  du  dessinateur  on  reconnaî- 
tra que  les  formes  se  découpent  un  peu  sèchement  dans 
l'atmosphère  et  que  le  modelé  de  l'ensemble  manque  d'unité. 
Dans  le  Désastre,  J.-P.  Laurcns  nous  raconte  le  dernier 
chapitre  de  l'Epopée.  La  «  morne  plaine  »  de  Waterloo 
s'étend  sous  les  rayons  indécis  de  la  lune  voilée  de  nuages; 
coupée  à  gauche  par  la  tranchée  (mais  n'était-ce  pas  un 
chemin  creux  ?l  où  vint  s'abîmer  la  charge  suprême.  A  droite, 
au  bout  du  champ  de  bataille,  un  tout  petit  Napoléon  s'en 
va  furtif  sur  un  cheval  blanc.  J.  Lefebvre  met  en  prières  la 
pudique  TmJi'  Godiva,  dont  il  nous  a  conté  jadis  l'héroïque 
sacrifice. 

On   appréciera  dans   l'Évocation  paUcnne,   de   Raphaël 
Collin,  la  science  attentive  du  modelé  et  la  douceur  cares- 


sante de  la  lumière  qui  baigne  un  beau  corps  de  femme 
mollement  étendu  dans  une  clairière.  Le  Lever  de  l'ouvrière, 
de  Robert-Fleury,  a  des  qualités  analogues  de  réserve  et  de 
délicatesse.  La  transparence  de  la  demi-teinte  et  l'intimiié 
discrète  de  l'effet  donnent  à  cette  œuvre  un  cachet  particu- 
lier de  distinction.  La  Toilette,  d'A\\\eue,  est  une  savante  et 
vigoureuse  étude  de  nu.  Les  Noces  de  Psyché,  de  Gorguet, 
carton  de  tapisserie  pour  la  manufacture  des  Gobelins, 
plaisent  par  l'arrangement  ingénieux  et  la  finesse  gracieuse 
des  figures. 

L'unité  et  la  beauté  du  sentiment,  l'art  de  nous  rendre 
présente,  sous  la  fleur  des  apparences,  Tàme  invisible  des 
choses,  c'est  ce  qui  me  charme  dans  l'œuvre  de  Henri 
Martin,  et  tout  particulièrement  dans  ce  Panneau  décoratif 
destiné  à  la  maison  de  E.  Rostand.  Pouvait-on  mieux  orner' 
la  retraite  d'un  poète?  Je  reconnais  celte  douce  vallée,  ses 
peupliers  frissonnants  et  fins,  sa  petite  rivière  encaissée  et  le 
chemin  creux  que  suivent  deux  amoureux  rustiques.  Elle 
nous  est  familière  et  accueillante.  L'imagination,  qui 
dispose  et  manie  librement  les  éléments  de  force  et  de 
grâce  empruntés  au  réel,  ne  se  joue  pas  moins  heureuse- 
ment dans  l'tcuvre  d'une  autre  artiste.  Associer  au  rythme 
d'un  paysage  le  rythme  des  mouvements  et  des  poses, 
évoquer  une  nature  toujours  en  fête  qui  semble  encourager 
l'homme  à  déployer  ses  énergies,  telle  est  la  vision  de  Made- 
moiselle Dufau.  Il  y  a  comme  une  animalité  saine  et  vigou- 
reuse dans  ces  corps  mollement  couchés,  ou  tendus  par 
l'effort.  Il  y  a  le  sens  de  la  Jeunesse,  et  si  l'on  peut  dire  le 
sens  idéal  des  sports.  La  femme,  au  premier  plan,  ramassée 
dans  une  pose  si  souple  et  si  vraie,  est  le  plus  beau  morceau 
que  l'artiste  ait  encore  peint. 

Le  Rcve  de  jeunesse,   du   peintre   écossais  Alexandre 
Roche,  est  le  portrait  d'une  jeune  fille  assise,  en  plein  air  au 


revers  d'un  talus.  Sous  le  grand  ciel  voilé  de  nuées  blondes 
et  grises,  au-devant  de  collines  lointaines  doucement  viola- 
cées, elle  rêve  un  instant,  elle  écoute  son  cœur.  C'est  le  plus 
délicieux/ut'/îH^'-,  un  charme  innocent,  une  vérité  naturelle, 
sans  aucune  sensiblerie,  un  art  délicat,  fort,  traditionnel, 
mais  renouvelé  par  la  sincérité  de  l'esprit  et  par  le  vif 
sentiment  de  l'heure  présente.  Je  voudrais  trouver  dans 
notre  école  beaucoup  de  portraits  qui  nous  parlent  un  lan- 


gage aussi  humain,  aussi  direct,  qui  nous  fassent  oublier 
l'art,  qui  nous  dévoilent  avec  autant  de  tact  et  de  poétique 
délicatesse,  ce  qu'il  y  a  de  plus  intime  et  de  meilleur  dans 
une  personne  humaine.  Il  me  semble  que  trop  souvent  nos 
artistes  s'en  tiennent  à  la  vérité  superficielle  du  costume,  du 
métier,  de  la  condition  sociale;  qu'ils  ne  nous  montrent  que 
la  façade  et  l'apparence  intérieure  de  la  personne  humaine 
qui  a  posé  devant  eux;   et  ce  qu'elle  croit  ou  ce  qu'elle  veut 


H.  HARPIGNIES.  —  soleil  (:ou( 
(Appartient  à 

être  plutôt  que  ce  qu'elle  est  en  réalité.  Et  l'on  a  souvent  aussi 
la  sensation  que  le  modèle  se  tient  sur  la  défensive,  s'orne 
d'un  sourire  de  convention  ou  s'arme  d'une  gravité  factice  ; 
refuse  de  livrer  son  secret  et  de  nous  faire  l'heureuse  confi- 
dence qui  attacherait  nos  yeux  à  ses  yeux.  Peintre  et  modèle, 
ils  ont  trop  l'air  en  vérité  de  penser  surtout  au  public  et  de 
ne  vivre  ou  de  ne  travailler  que  pour  lui. 

Il  y  a  cependant  de  remarquables  portraits  au  Salon  des 
Artistes  français.  Une  des  œuvresles  plus  distinguées  de  ce 
Salon  est  le  portrait  de  jeune  femme  en  blanc,  par  Ernest 
Laurent,   excellent  de  geste,   d'attitude,   de  grâce   fine  et 


■.HANT   SL'R    LKS  lîORns   l>R  LA    RIVIKRIÎ   L  Al\ 

MM.  Arnold  et  Tripp' 

sérieuse,  de  lumière  argentine.  Du  même  artiste,  un  portrait 
de  Jeune  homme  n'est  pas  moins  remarquable  par  l'expres- 
sion de  la  vie  intérieure,  et  de  l'atmosphère  intellectuelle. 
L'art  de  M.  G.  Ferrier  est  plus  sévère;  son  dessin  fort  et 
serré  s'attache  au  caractère  et  le  met  en  relief.  Le  portrait 
de  M.  Ribot,  énergiquement  écrit,  bien  senti  d'ensemble, 
est  des  plus  convaincants.  La  pensée  soucieuse  de  l'homme 
et  son  énergie  morale  ne  pouvaient  être  mieux  exprimées.  Il 
n'y  a  pas  moins  de  loyauté,  et  le  plus  charmant  naturel  dans 
le  portrait  de  la  comtesse  de  la  Rochefoucauld  par  le  même 
auteur.  Dans  ces   deux  œuvres,  les  mains  sont  remarqua- 


14 


LES   ARTS 


blement  belles,  vivantes,  expressives.  Le  portrait  de 
M.  G.  Menier,  par  L.  Bonnat,  est  encore  une  œuvre  soli- 
dement construite,  d'une  vérité  saisissante,  plutôt  que 
nuancée,  mais  où  le  caractère  dominant  est  bien  marqué. 
M.  Humbert  a  toujours  le  tort,  à  mon  sens,  de  séparer 
ses  figures  du  paysage  qui  les  entoure  par  une  différence 
d'exécution,  ici  large  et  libre,  là  minutieuse  et  un  peu  froide. 
Les  portraits  de  femme,   de  Flameng,   sont  toujours   très 


élégants  d'allure  mais  un  peu  tendus  et  lisses  d'exécution.. le 
trouve  au  contraire  une  grâce  animée,  un  juste  accord  de  la 
figure  et  du  fond,  un  métier  souple  et  large  dans  un  portrait 
de  femme  par  Madame  Le  Roy  d'Étiollcs;  un  joli  sourire, 
une  harmonie  calme  dans  un  portrait  de  jeune  femme  par 
M.  Cazaban;  un  modelé  très  suivi,  une  vérité  physiono- 
mique  dans  un  portrait  de  vieille  dame  par  Duvocelic.  Le 
portrait  de  jeune  femme  en  bleu,  par  M.  Baschet,  et  celui 


M.  BASCHET.  — 


de  Madame  et  M.  J.  Bail,  par  P.  Chabas,  sont  des  œuvres 
agréables,  d'une  exécution  libre  et  coulante  et  d'une  adroite 
présentation. 

Le  vieux  maître  Hébert  est  doublement  présent,  à  ce 
Salon,  par  l'effigie  forte  et  vraiment  émouvante  qu'a  tracée 
de  lui  Aimé  Morot,  et  par  deux  portraits  de  femmes,  que 
son  imagination  romantique  a  poétiquement  rêvés.  Pour  être 
juste,  citons  encore  les  portraits  de  Bordes,  de  Guinier,  la 
famille  espagnole  de  Zo,  un  portrait  d'homme  de  Déchenaùd, 
d'une  couleur  harmonieuse  et  forte,  mais  où  la  justesse 
des  volumes  est  quelque  peu  sacrifiée  à  la  qualité  du  ton. 


PORTRAIT  DE  M™"  V... 


La  peinture  de  la  vie  moderne  tend  de  plus  en  plus  à 
remplacer,  même  au  Salon  des  Artistes  français,  les  drames 
ou  les  comédies  de  l'histoire. 

Le  changement  de  sujets  ne  sera  pas  un  gain  très  sérieux 
si  l'on  reste  dans  l'anecdote  sans  généralité.  Ici  encore 
l'intérêt  humain  doit  l'emporter  sur  la  singularité  des  mœurs 
et  descostumes.  Il  y  a  un  agrément  de  couleur  et  d'harmonie 
dans  un  tableau  de  M.  Hortbauer  iSiir  les  toits)  qui  repré- 
sente des  fashionables  d'Amérique  soupant  dans  la  nuit 
claire  sur  une  terrasse  qui  domine  quelque  cité  et  ses 
maisons   à  vingt   étages.    Le   Marché,    que    nous    conte 


LES   SALONS  DE  njoS.    —  SOCIÉTÉ  DES  ARTISTES  FRANÇAIS 


13 


U.    MARTIM.   —  l'AX.XEAU   DKCORXTIF  POLH   LA  UAISOM    DU    PoicTE  EDMOKO  ROSTAND 


M.  Ddclicnaiid,  est  fort  bien  observé.  Dans  une  salle  d'au- 
berge, un  maquignon  madré  propose  une  afîaireà  un  paysan 
qui  rumine,  accoudé,  tandis  qu'un  tiers  le  regarde  en  souf- 
flant la  fumée  de  son  cigare.  C'est  bien  observé,  bien  dit,  mais 
dans  un  format  trop  grand  pour  l'intérêt  de  la  chose,  .fe  ferai 
le  môme  reproche  à  M.  Cjrau  :  ses  deux  tableaux,  les  Halles 
d'Ypres  et  les  Chevaux  de  lialage  sont  bravement  et  forte- 
ment peints,  lourdement  aussi  et  sans  valeur  principale  d'in- 
térêt. Le  Conter,  de  M.  Avy;  les  Confidences,  de  M.  Eiche- 
vcrry;  le  Doux  Repos,  de  M.  Cayron,  sont  des  toiles  pleines 
de  mérite,  mais  ressemblent  trop  à  des  illustrations  agran- 
dies. On  appréciera  aussi  les  Petites  Filles  de  l'ile  Markcn, 
d'un  effet  piquant  de  lumière  et  de  costumes,  par  J.  Bail. 
M.  Devambez  sait  concentrer  l'iniérct,  construire  un  tableau 
d'une  fas'on  piquante  par  le  jeu  des  lumières  et  des  ombres. 
Il  appuie  trop;  son  comique  est  forcé,  sa  lumière  rougeàtrc, 
ses  personnages  entassés.  Son  théâtre  serait  cependant  une 
chose  bien  venue  si  les  fonds  étaient  plus  fuyants.  Espagnols 
et  Bretons  sont  de  plus  en  plus  à  la  mode.  Ici  nous  avons 
l'Espagne  de  Sorolla,  ruisselante  de  soleil,  de  soleil  un  peu 
trop  vrai;  celle  de  Berges;  très  piquante  de  motif  et  de  cou- 
leurs, cette  Mercedes  bouffie  et  barbare,  entrevue  dans  une 
maison  de  danses,  à  côté  de  la  duègne  sa  grand'mèrc  et  de 
sa  naïve  petite  sœur.  Le  Taureau  de  feu  et  le  zigzag  de  ses 
fusées  dans  la  nuit  éclairée  d'une  fête,  est  une  petite  chose 
fort  originale.  Avec  la  marchande  d'oranges  de  M.  Zo,  voici 
la  Catalane  d'Arreau  de  M.  Dupuy.  Passons  en  Bretagne. 
Les  Bretonnes  de  M.  Fauconnier  assises  M/-V-t',s- /w  Vcprcsi 
sur  la  lande  au-dessus  de  l'esiuaire,  ont  un  charme  de  sim- 
plicité et  de  naturel.  La  Foj  bretonne,  de  M.  Bellemont,  plait 
par  l'expression  concentrée  des  bonnes  femmes  qu'il  age- 
nouille à  la  file  dans  une  église,  comme  les  donatrices  des 
anciens  tableaux.  .l'aime  surtout  le  Baptême  breton,  de 
d'Esiienne,  riche  de  couleur,  modelé  avec  une  prudence 
attentive  et  d'un  beau  sentiment  humain,  et  je  préfère 
encore,  du  môme  artiste,  une  œuvre  très  délicatement  émue 
qu'il  intitule  :  Après  le  bain.  M.  Bcsson  a  bien  observé, 
bien  délicatement  peint  les  petites  filles  qui  dansent  (la  Ca- 
pucine), et  M.  Fougerat,  qui  nous  intéresse  à  l'entretien  de 


deux  amoureux,  aurait  dû  laisser  de  côté  le  troisième  per- 
sonnage, la  mère,  qui  divise  l'intérôi  et  coupe  en  deux  le 
tableau.  J'aime  dans  les  Feuilles  d'automne,  de  M.  Ride!,  la 
délicate  harmonie  qui  relie  la  grâce  pensive  d'une  jeune 
femme  à  la  douceur  attristée  du  jour.  Que  n'a-t-il  supprimé 
aussi  l'autre  personnage  si  lourdement  dessiné  et  peint? 
Je  suis  sûr  qu'il  y  a  des  choses  très  délicates  de  couleur  et 
de  sentiment  dans  un  petit  tableau  de  M.  Syna\e,  Répétition 
cliCy  MimiPinson.  Pourquoi  l'a-t-on  juché  si  haut?  Pourquoi 
aussi  a-ton  reculé  des  yeux  une  toile  de  Madame  Tongue, 
un  Moment  heureux,  et  un  Portrait  en  plein  air.  de  L.  Félix, 
deux  (L'uvres  distinguées  que  leur  voisinage  dans  les  airs  ne 
console  pas  ?  La  Croisière  de  du  Gardier  est  un  tableau 
remarquable  par  la  finesse  des  tons  et  la  justesse  des  valeurs, 
un  peu  grand  à  mon  avis  et  d'un  effet  moins  mordant  qu'i 
l'ordinaire.  Je  préfère  ses  eaux-fortes  en  couleurs,  originales 
et  piquantes. 

Le  paysage  français  est  ici  plutôt  traditionnel;  à  part 
quelques  exceptions  il  s'inspire  peu  de  l'impressionnisme. 
Cependant  on  trouve  des  colorations  plus  claires  et  la 
recherche  des  lumières  diffuses  est  assez  sensible,  il  con- 
vient d'abord  de  rendre  hommage  aux  vieux  maîtres  qui  se 
rattachent  directement  à  l'école  de  i83o.  Le  Soleil  couchant 
sur  les  bords  de  la  rivière  l'Ain  est  une  œuvre  magistrale- 
ment composée  par  Harpignics,  une  œuvre  d'assiette  solide 
et  d'une  belle  ampleur.  Les  Prés  communaux  et  le  Sentier 
des  Monts,  de  Pointelin,  captivent  par  la  beauté  des  plans 
horizontaux,  évoquent  le  silence  vaste  des  crépuscules.  Le 
Novembre,  de  Louvrier  de  Lajolais,  rappelle,  par  le  nerf  du 
dessin,  certaines  toiles  de  Théodore  Rousseau.  Le  Soir 
d'Octobre  et  VAg^réable  Matinée,  de  Morlot,  ont  gardé 
quelque  chose  de  la  grâce  et  de  la  poésie  de  Corot.  Foreau, 
dont  nous  avons  souvent  loué  la  fine  sensibilité  visuelle,  a 
trouvé,  dans  le  Dac  de  Soubise,  un  motif  des  plus  heureux, 
et  toutes  ses  qualités  se  résument  dans  cette  grande  toile 
lumineuse  et  calme. 

Rarement  aussi  j'ai  mieux  goûté  la  force  et  la  grâce  de 
Gosselin  qu'en  cette  Fin  d'un  jour  d'automne,  où  les  effets 
sont  si  bien  distribués,  les  sonorités  si  justes,  la  poésie  de  la 


i6 


LES   ARTS 


nature  si  présente.  Son  élève,  Jacques  Marie,  a  les  mêmes 
qualités  de  finesse  et  d'ampleur.  Le  Vieux  Moret  et  le  Cal- 
vaire de  Notre-Dame  de  flsle  sont  de  très  douces  harmonies, 
et  disent  éloquemment  le  mystère  charmant  de  l'heure  qui 
plaisait  tant  à  Cazin.  Une  Marine  de  Jacques  Simon  est 
tout  à  fait  exquise  et  chantante.  Le  Linge,  du  même  artiste, 
est  bien  juste  aussi  de  plans  et  de  lumière.  Voici  les  peintres 


de  la  nuit  :  Cachoud  et  son  Village  endormi,  sous  le  regard 
ami  de  la  lune,  près  du  groupe  sombre  des  arbres;  Hareux 
et  son  Lever  de  brouillard  par  une  nuit  d'été,  très  singulier, 
très  vrai,  très  émouvant,  et  sa  Fin  du  jour  sur  les  quais  de 
Grenoble,  d'une  impression  grande  et  juste.  La  Hague,  le 
Village  d'Omonville,  de  Moteley,  nous  font  sentir  l'humi- 
dité salubredes  brises  marines;  et  dans  la  Chaumière  isolée, 
de  G.  Lefebvre,  on  sent  passer  les  frissons  annon- 
ciateurs de  l'hiver. 

En  vérité,  l'on  ne  rend  pas  assez  justice  à  tous 
ces  bons  paysagistes  qui,  bon  an,  mal  an,  pro- 
duisent sans  tapage  tant  d'œuvres  distinguées,  qui 
aiment  sincèrement  la  nature,  qui  expriment  avec 
délicatesse  ses  formes  changeantes  et  ses  aspects 
éternels.  La  place  me  manquerait  s'il  me  fallait  les 
étudier  en  détail.  Je  suis  donc  réduit  à  citer  en  bloc 
les  nomsde  Maillaud,  Dulac,  Dupont,  Diéterle,  Cos- 
son,Chigot,  Charmaison,  Rémond,  Rameau,  Marret, 
Cauvy,  Paulin  Bertrand,  Bcauverie,  Ruffe,  Quost, 
Debon,  Décanis,  Marcel  Bain,  Bouché,  Thiérot. 

Le  paysage  anglo-saxon  est  fort  bien  représenté 
aussi  par  Spenlove-Spenlove,  Mosiyn,  Hugues- 
Stanton,  James  Kay,  Hill.  Onconnait  leur  manière 
large,  émouvante,  parfois  dramatique,  d'interpréter 
la  nature. 

A  la  sculpture,  vous  trouverez  un  chef-d'œuvre, 
le  Vertumne  et  Pomone  de  Mademoiselle  Claudel. 
Sentiment  passionné,  goût  exquis,  exécution  serrée, 
large  et  forte  oij  l'on  reconnaît,  non  le  ciseau  du 
praticien,  mais  la  main  de  l'artiste,  tout  concourt  à 
faire  de  ce  groupe  une  chose  admirable  autant  qu'é- 
mouvante. Que  cela  est  chaste  et  passionné,  puisé 
aux  sources  mêmes  de  la  vie  !  c'est  de  l'art  le  plus 
délicat,  et  l'on  ne  pense  plus  à  l'art. 

M.  Sicard  a  représenté  avec  goût,  avec  intelli- 
gence la  George  Sand  des  premiers  jours,  la  Lélia 
rêveuse  et  romantique.  Le  Soir  de  M.  Jacquot,  une 
paysanne  qui  se  recoiffe  à  la  fin  du  jour,  doit  son 
charme  à  la  beauté  du  geste,  à  l'inteHigente  simpli- 
fication du  modelé.  Et  de  même  la  Consolation  de 
P.  David  plaira  par  une  douceur  un  peu  continue. 
La  grâce  d'arrangement,  le  goùtdélicat  ne  manquent 
ni  à  la  Nymphe  de  Levasseur,  ni  à  la  Bacchante  de 
P.  Charpentier;  une  auxve  Bacchante,  de  Mac-Mon- 
niès,  est  bien  vivante  et  bien  bondissante  ;  un  nu 
de  l'Anglais  Ayton,  Morte  était  l'Espérance,  est 
bien  senti  d'ensemble,  modelé  avec  souplesse  et 
largeur;  un  groupe  de  Blay  y  Fabréga,  VEclosion, 
me  plaît  par  la  justesse  du  sentiment.  C'est  dans  la 
petite  sculpture  que  l'on  trouverait  encore  le  plus 
de  vie,  de  jugement  et  de  goût  :  la  Musique  et  les 
Tritons  de  Gustave  Michel,  ÏEsclave  de  Loiseau- 
Rousseau,  V Etude  de  Loysel,  les  Bavardes  de 
Laporte-Blairsy,  la  Vendangeuse  de  Gauquié;  les 
petits  groupes  d'animaux  de  Valton,  de  Gardet,  de 
Harry  Perrault,  les  spirituelles  statuettes  de  Gou- 
veia,  de  Gréber  et  de  Blondat,  sont  des  œuvres 
fines,  savantes  ou  fortes. 

MAURICE  HAMEL. 


Cùpi/riiinl  ivub  by  t.  Huben-tiettry. 

T.  ROBERT-FLEURY.  -  le  lever  de  l'ouvrière 


nA»IÎ  D'AIITRL  POHTATIP.  —  ÂMAIL  CIIAMPLEvi.    —  ART  RniKAIf,  XII»  «IRCLI 


LA  COLLECTION  DE  M.  G.  CHALANDON 


IL  en  est  des 
collections 
comme  des 
individus,  cer- 
laines  vous  sont 
svmpathiques, 
d'autres  antipa- 
thiques. D'ail- 
leurs, ne  retlè- 
t  e  n  t  -  e  11  e  s  pas 
souvent  le  carac- 
tère de  ceux  qui 
les  ont  formées  ? 
n'y  sent-on  pas 
leur  curiosité' 
d'crudits,  sen- 
sibles à  rintc'rèt 
arclic'ologique 
des  choses;  leur 
passion  d'artistes 
qu'c'meuvent  de 
belles  formes  ou 
de  belles  matiè- 
res ;  ou  simple- 
ment leur  sno- 
bisme, tout  de 
suite  attiré  par 
ce  qui  est  à  la 
mode,  par  ce  qui 
fait  les  plus  gros 
prix  dans  les 
ventes  retentis- 
santes, par  ce  qui 
fe  ra  .  l' e  n  c  h  è  r  e 
sensationnelle, 
dont  parleront  le 
1  e  n  d  e  m  a  i  n  les 
gazettes,  et  qui 
aura  été  l'objet 
d'un  beau  geste? 
M.  Georges 
Chalandon  ap- 
partient, n'en 
doutez  pas,  au 
premier  groupe, 
dont  on   aurait 


1t 


f^ 


'^:     ti 


II 


CADRK  RBUQl'AIRi:  EN  Cl'IVRK  DORK,  —  Mil'  SIKCLI 

(CotUction  ChataiiilùH) 


d'ailleurs  très 
vite  fait  le  tour. 
Et  c'est  plaisir 
de  causer  avec 
lui  de  ces  choses, 
car  on  se  sent 
out  de  suite 
intéressé  par  les 
mêmes  ques- 
tions, aussi  bien 
d'ordre  artis- 
tique que  d'ordre 
historique.  Il 
n'est  pas  un  des 
objets  qui  sont 
entrés  chez  lui, 
auquel  il  ait 
demandé  une 
jouissance  d'art 
sans  longuement 
l'inierroger  et  le 
presser  de  lui 
livrer  tous  ses 
secrets. 

Mais  avec  un 
esprit  ainsi  fait, 
on  ne  constitue 
plus  de  collec- 
tions nombreu- 
ses, parce  que 
l'objet  nécessaire 
devient  de  plus 
en  plus  rare. 
Commencée  par 
M.  Chalandon 
père,  un  Lyon- 
nais qui  fut  de  la 
génération  de 
Carrand,  la  col- 
lection s'enrichit 
d'objets  du 
moyen  âge  tout 
à  fait  impor- 
tants, dans  les 
grandes  ventes 
des    vingt    der- 


i8 


LES  ARTS 


nières  années,  que  M.  Georges  Chalandon  suivit  de  sang- 
froid,  et  où  il  manqua  rarement  la  pièce  jque  lui  conseillait 
son  instinct  très  sûr  et  son  goût  délicat.  Telle  qu'elle  se 
présente  aujourd'hui,  elle  est  parfaite,  et  si  pas  un  objet  n'y  est 
indifférent,  quelques-uns  sont  même  d'un  intérêt  considérable. 


Il  nous  faut,  ainsi  que  nous  l'avons  tou- 
jours fait,  parler  tout  d'abord  de  la  peinture, 
que  nous  trouverons  ici  limitée  à  deux 
écoles  et  à  deux  époques,  le  quattrocento 
italien  et  la  période  primitive  flamande  du 
xv=  siècle. 

Dans  l'impossibilité  de  nous  étendre, 
nous  avons  dû  nous  borner  à  ne  parler  que 
des  pièces  principales  ;  mais  que  de  mor- 
ceaux savoureux  ou  délicats  nous  avons  dû 
passer  sous  silence,  qui  feraient  encore  la 
joie  d'amateurs  moins  fortunés  ! 

Le  Memling  de  la  collection  Chalandon 


de  saint  Jean  dans  une  niche,  au-dessus  d'une  armoirie  de 
la  famille  des  Gondi,  un  écusson  chargé  de  deux  masses  en 
sautoir  liées  par  une  chaîne,  surmonté  d'un  casque  dont  le 
cimier  se  fleurit  de  grands  panaches  en  rinceaux.  Ce  qui 
indique  bien  à  l'œuvre  un  état  de  possession  italien;  la 
famille  des  Gondi,  d'origine  florentine, 
ayant  sans  doute  commandé  l'œuvre  en 
Flandre,  par  un  de  ces  intermédiaires  si 
nombreux  alors  à  Bruges,  qui  entretenaient 
avec  Florence  des  relations  suivies.  Le  tri- 
ptyque d'Hugo  Van  der  Gocs,  aux  Uffizi,  en 
est  la  preuve  la  plus  notable.  Le  panneau 
de  revers  s'étant  fendu,  a  occasionné  dans 
la  figure  un  léger  accident  à  l'œil  droit. 

Ce  panneau  de  sainte  Catherine,  tout  à 
fait  charmant  et  tout  pénétré  du  sentiment 
angêlique  de  Memling,  a  appartenu  jadis  à 
M.  Brun  Dalbanne,  conservateur  du  musée 
de  Troyes.  C'est  à  la  vente  Odiot  que 
l'acquit,   en    i88g,    M.    Chalandon. 


es  ■'■  ^. 


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^  ■    "~  U   f-    sK 


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(p.  2  5)  est  célèbre;  je  ne  crois  pas  qu'en 
dehors  des  collections  Rodolphe  Kann  ou 
Goldschmidt,  on  rencontre  actuellement  à 
Paris  d'autre  œuvre  du  divin  maître.  C'est  le 
volet  d'un  triptyque  dont  les  deux  autres  par- 
ties sont  à  retrouver,  si  les  hasards  des  temps 
ne  les  ont  pas  fait  disparaître  à  jamais.  On  y 
voit  représentée  une  figure  debout  de  sainte 
Catherine,  dont  la  roue  gît  brisée  à  ses 
pieds.  Elle  est  appuyée  de  la  main  droite 
sur  un  glaive,  et  tient  de  la  main  gauche  un 
sceptre.  Sa  tête,  au  masque  large,  au  grand 
front  bombé  (type  caractéristique  du  maître), 
porte  une  couronne  constellée  de  perles 
qui  repose  sur  des  cheveux  d'un  blond  très 
fin  tombant  en  nappes  bouclées  sur  ses 
épaules.  Elle  est  vêtue  d'une  robe  de  velours 
rouge,  fourrée  d'hermine,  et  retient,  prêt  à 
glisser  de  ses  hanches,  un  grand  manteau  de 
brocart  génois  ou  vénitien  décoré  de  grandes 
fleurs  à  l'orientale.  Derrière  elle  s'aperçoit 
un  charmant  paysage  de  rivière  et  de  côtes 
accidentées  semées  d'églises  et  de  châteaux, 
tels  que  les  Flamands  aimaient  à  les  donner 
comme  fonds  à  leurs  figures.  —  Le  revers 
de  ce  volet  est  peint  en  grisaille  d'une  figure 


«      i 


CROIX  KX  K.MAUX  r.n.\MPLEvi':s 
Limoges.  —  xin«  siècle 
{Collection  Chalandon) 


.-.■'.:  c 


L'École  flamande  est  encore  représentée, 
par  un  excellent  petit  tableau  représentant  la 
Vierge  tenant  dans  ses  bras  l'Enfant  Jésus, 
dont  la  bouche  cherche  la  sienne  (p.  24). 
Il  y  a,  dans  ce  baiser  que  la  Vierge  semble 
donner  avec  une  si  profonde  expression  de 
tristesse,  quelque  chose  de  dramatique, 
comme  une  vision  rapide  de  sa  destinée.  La 
qualité  de  ce  morceau  de  peinture,  où  le 
modelé  accompli  des  figures  se  complète  par 
la  beauté  de  ton  du  superbe  manteau  rouge, 
la  précision  avec  laquelle  sont  représentés 
les  fleurs  et  les  fruits  parsemés  sur  cette 
table  devant  la  Vierge,  font  de  cette  œuvre 
quelque  chose  de  parfait  en  son  genre. 

Il  y  a  lieu  de  la  rapprocher  d'une  œuvre 
qui  lui  est  étroitement  parente,  que  les  Arts 
ont  donnée  dans  la  livraison  du  mois  de 
juillet  dernier  (n°  3i,  p.  6),  dans  la  collec- 
tion Carrand,  au  Bargello  de  Florence,  et  que 
M.  Gerspach  a  attribuée  à  Hugo  Van  der 
Goes.  J'y  verrais  plus  volontiers,  dans  un  cas 
comme  dans  l'autre,  une  œuvre  de  Thierry 
Bouts,  attribution  que  rendent  plus  vrai- 
semblable la  nuance  de  l'expression,  de 
même  qu'une  certaine  àpreté  d'exécution. 


20 


LES    ARTS 


L'art  italien  triomphe  ici  avec  une  suite  de  six  panneaux 
delà  plus  grande  importance,  représentant  des  scènes 
de  la  vie  de  saint  François  (p.  26,  27),  dont  la  délica- 
tesse et  la  grâce  naïve,  de  même  que  la  couleur  suave 
des  ors  assourdis  s'accordant  si  bien  avec  les  roses 
tins,  sont  un  pur  enchantement  pour  les  yeux.   Une 
comparaison  attentive  a  permis  de  rapprocher  de  ces 
six   panneaux   deux   autres   qui   en    ont  été 
séparés  etappartienncnt  actuellement, l'un  au 
musée  Condé,  à  Chantilly,  l'autre  à  M.  le 
comte  de  Martel,  au  château  de  Beaumont, 
près  de  Blois.  Dans  le  Manuel  de  la  Peinture 
italienne,     de     M.     Lafenestre,    se    trouve 
reproduit    seulement,    sans   d'ailleurs    être 
commenté,  le   panneau  du  musée,  de  Chantilly,   le 
Mariage  mystique  de  saint   P'rançois  et   de  la  Pau- 
vreté, attribué  par  lui  à  un  artiste  siennois  du  début 
du  xv=  siècle,  Sano  di  Pietro.  Depuis  lors,  M.  Bercn- 
son,  dans    une  longue    élude 
parue    dans    le    Burlington 
Magasine   de   septembre, 
octobre    et    novembre     1903, 
s'est     occupé     de     l'ensemble 
total    de    cette    œuvre   admi- 
rable, où    il   a   cru    retrouver 
toute  l'expression  sentimentale 

et  dramatique,  et  la  délicatesse  d'un  autre  artiste 
siennois,  Stefano  di  Giovanni,  dit  le  Sassetta,  qui 
mourut  en   1450. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'est  pas  contestable  que 
nous  avons  là  un  ensemble  de  peintures  sicnnoises 
du  plus  grand  intérêt,  toutes  pénétrées  du  sentiment 


gothique  dont  l'École  siennoise,  à  l'aube  du   quattrocento, 
était  out  imprégnée.  Nous  n'avons  pu  reproduire  de 
cette  suite  que  deux  des  panneaux  les  plus  intéres- 
sants. L'un  nous  raconte  les  débuts   de  la  vocation 
de    saint    François  quand,    aux    portes    d'Assise,    il 
donne  son  manteau  à  un  passant,  alors  qu'un  second 
épisode  se  passe  dans  un  coin  de  la  composition  : 
l'ange  venant   presser    saint    François, 
endormi,  de  prendre   l'étendard  de  la   Foi. 
L'autre  panneau   nous    représente    le   pape 
Honorius,    au    milieu     de    ses    cardinaux, 
sanctionnant   la  fondation   de   l'ordre  dont 
saint  François,  suivi  de  ses  frères,  lui  apporte 
les  statuts. 
Les  sujets  des  autres  panneaux,  qui,  tous  réunis  à 
l'Exposition    rétrospective    organisée   à    Sienne    au 
cours    de  l'été    1904,  y   avaient    fait   la  plus  grande 
impression,    sont    les    suivants  : 

Saint  F'rançois  renonçant 
à  son  héritage  et  accompagné 
de  deux  frères  en  religion, 
venant  naïvement,  après  s'être 
dépouillé  de  ses  vêtements, 
se  réfugier  nu  dans  les  plis 
du  manteau  du  Pape. 

Saint  F'rançois  devant  le 
Sultan,  qui,  comme  plusieurs  autres  sujets  de  la 
légende,  fut  également  traité  par  Giotto  à  Assise  et 
à  Santa  Croce  de  Florence. 

Saint  François  recevant  les  stigmates,  agenouillé 
et  les  mains  levées  vers  l'ange  qui  descend  du  ciel. 

El,  enfin,  la  Mort  de  saint  François,  étendu 
dans  son  tombeau,  entouré  de  ses  frères  en  larmes, 
scène  que  Giotio  avait  traitée  ailleurs  avec  un  sen- 
timent si  simple  et  si  poignant. 

Le  panneau  qui  se  trouve  en  la  possession  de 
M.  le  comte  de  Martel,  au  château  de  Beaumont, 
représente  l'épisode  de  saint  François  d'Assise  et  du 
loup  de  Gubbio. 

L'art  ombrien  a  produit  ce  panneau  cintré  où  le 
Christ,  ponant  au  flanc  la  blessure  sanglante,  est 
soutenu  par  deux  anges  dont  le  visage  rond,  les  yeux 


RELIQUAIRE  DÉCORÉ  d'ÉmAUX   CHAMPLEVIÎS 

Art  nioi^an.  —  Fin  du  xil-  siùclo 


CROIX  EX  liUAUX  CMAMI'LEVKS 

LimogL'S.   —    Via   du    xin»  siéclo 
I  Collection  Chalandon) 


COLOMBE   EUCHARISTIQUE 

Limoges.  —  XIV»  siècle 


LA   COLLECTION  DE  M.    G.   CHALANDON 


21 


largemo'nt  fendus,  cl  les  blonds  cheveux  touHus  cl  l'risds 
auréolant  la  figure,  rappellent  certainement  le  grand  tableau 
d'autel,  de  la  Madone  et  des  Saints,  que  Giovanni  Boccati 


da  Camerino  peignit  en  1445  pour  une  confrérie  fmuséc  de 
Pérouse).   ' 

Enfin,  l'art  florentin  revendiquerait  certainement  comme 


PLAQtlK    D*illAtl.    PKtNT,   PAR    MOIfTAKM!»! 

Limoges.   —   xv»  siècle 
fVolUi'tion  Chirionitnmt 


sien  ce  fragment  de  fresque  rentoilée  où  une  jeune  tille  apparaît 
debout  sur  un  chien  qui  lève  vers  elle  de  bons  yeux  fidèles 
(p.  28).  Ce  morceau,  d'un  charme  très  prenant,  qui  fit  jadis 


partie  d'une  grande  décoration,  d'un  art  d'ailleurs  assez  cou- 
rant, où  se  trouvaient  représentées  toutes  les  Venus,  appariini 
à  la  collection  Leclanché.où  M.  Chalandon  l'acquit  en  1894. 


22 


LES   ARTS 


J'ai  dû  faire  trop 
rapidement  le  tour  de 
la  petite  galerie  de 
peinture  de  M .  Cha- 
landon,  exclusivement 
composée  d'œuvres 
anciennes.  Que  de 
raisons  nous  aurions 
eues  de  nous  y  arrêter 
plus  longuement,  et  ne 
nous  contentant  pas 
des  tableaux  qui  se 
trouvent    à   Paris, 


■ 

9b 

ni 

\ 

— «^ -^  1 

d'interroger  les  toiles 
demeurées  en  pro- 
vince, achetées  par 
M.  Chalandon  père  au 
milieu  du  siècle,  et 
qui  forment  un  consi- 
dérable ensemble  que 
la  patience  la  plus 
obstinée  ne  parvien- 
drait plus  à  former. 


La  collection  d'ob- 


PLAQUE  n'ivoine'.  —  FinuRRs  d'orantbb 
Art  copte.  —  v'-vi"  sicclc.  —  (Cnllerlion  Chalandon) 


PLAQUE  D  IVOIRE.  —  NATIVITE 

Alt  bjzantiu.  —  vi"-vii«  siècle.  —  (Collection  Chalandon) 


jets  d'art  de  M.  Chalandon 
est  connue  en  partie,  par 
quelques-uns  de  ses  monu- 
ments les  plus  considérables, 
grâce  à  deux  [expositions 
rétrospectives  qui  les  ont  mis 
en  lumière,  une  première 
fois  à  Lyon  en  1887,  la 
seconde  fois  au  Petit  Palais 
en  1900.  Elle  est  de  tout  pre- 
mier ordre,  et  il  est  tel  de 
ses  oi?jeis,  d'une  rareté  telle- 
ment insigne,  qu'il  n'est  pas 
un  ouvrage  d'archéologie  qui 
ne  doive  le  citer  et  l'inter- 
roger. 

Le  monument  le  plus 
fameux,  que  nous  nous 
sommes  dispensés  de  repro- 
duire ici,  parce  qu'il  fut  déjà 
fréquemment  publié,  est  ce 


bel  ange  d'ivoire  qu'on  crut 
pouvoir  rapprocher,  à  l'Ex- 
position rétrospective  de 
1900,  de  l'admirable  Vierge 
de  la  collection  Paul  Garnier, 
avec  laquelle  il  composait 
une  Annonciation,  et  qui, 
pour  la  noblesse  du  geste, 
la  dignité  de  l'attitude  et  la 
grande  allure  du  drapé, 
ne  le  cède  en  rien  aux  plus 
belles  sculptures  de  notre 
statuaire  monumentale  du 
xiii=  siècle  (i). 

Les  deux  séries  qui  ont 
particulièrement  intéressé 
M.  Chalandon,  et  dont  il 
a    poursuivi    la    suite     avec 


(l)  Voir  l'Exposition  rétrospective  de 
igoo  au  Petit  Palais,  par  G.  MlGEoN.  — 
Manzi,  Jovant  et  C'«,  Editeurs. 


PVXIDE   EN   IVOIRE 

Art  latin  ou  copte.  —  v«-vie  siècle 
(Collection  Chalandon) 


LA    COLLECTION   DE  M.    G.  CHALANDON 


23 


obstination,    sont    les    ivoires    et    l'orfèvrerie    religieuse. 

Les  deux  pièces  les  plus  anciennes  de  la  sdrie  des  ivoires 
sont  une  pyxide  et  une  petite  plaque  de  coffret  que  je 
rapproche  à  dessein  (p.  22). 

La  pyxide,  qui  n'existe  qu'à  l'état  fragmentaire,  fendue 
par  la  moiiid,  représentait  une  série  de  sujets  successifs 
dont  deux  sont  ici  visibles  :  une  Annonciation,  avec  cette 
particularité  que  la  Vierge  reçoit  la  nouvelle  de  l'ange 
assise  sur  un  escabeau  et  tenant  de  la  main  gauche  une 
quenouille  qu'elle  était  occupée  à  filer,  représentation  très 
rare  de  ce  thème  iconographique,  et  une  Entrée  à  Jérusalem 
avec  les  porteurs  de  palmes. 

La  plaque  de  coffret  représente,  dans  des  médaillons 
séparés  par  un  entrelacs,  deux  figures  d'orantes,  les  bras 
étendus  et  les  mains  ouvertes  les  paumes  en  dehors,  coiffées 
d'un  bonnet  à  la  grecque.  D'un  côté  se  lit  S.  Marga  (reta), 
de  l'autre  S...  ANA? 

La  classification  généralement  adoptée  autoriserait  à 
rattacher  à  l'art  latin  du  v«  ou  vi"=  siècle  la  pyxide,  et  à 
l'art  byzantin  primitif  de  la  même  époque  la  plaque  de 
coffret.  Mais  les  recherches  si  intéressantes,  poursuivies 
depuis  plusieurs  années  par  M.  Strygowski,  professeur  à 
l'université  de  Gratz  (Siyrie),  tendent  à  ramener  à  un 
centre  commun  les   ivoires  de  ces  époques,  à  en  unifier 


LB  cnnisT  rr  i.ks  apotiib» 
Ivoiro   alleiuand.  —    x'   sirrio 
(CoUtctinn  Chatandon) 


D*PO»mO!«   D«  CROIX 

Ivoire  bTitanlin.  —  x*-ti«  «ièele 
iC.'Uertioa  ClutUtmtUml 

l'origine  et  à  les  rattacher  aux  ateliers  coptes,  si  florissants,  de 
l'Egypte  alexandrine.  Dans  tous  les  cas,  il  y  a  lieu  de  constater 
sur  ces  deux  monuments  deux  influences  bien  distinctes  :  l'in- 
fluence de  l'art  romain  arrivé  au  dernier  terme  de  sa  décadence 
dans  la  pyxide,  et  l'influence  de  l'art  byzantin,  qui  bégaie  encore 
et  qui  n'a  pas  trouvé  ses  formules  définitives,  dans  le  fragment  de 
coffret.  Cette  constatation  n'est  pas,  d'ailleurs,  faite  pour  m'éloi- 
gner  de  l'avis  de  M.  Strygowski,  ayant  été  amené  moi-même. 
quand  je  me  suis  occupé  de  l'Histoire  du  Tissu  décoré,  à 
dégager  ces  deux  influences  directes  et  manifestes  dans  les  tissus 
coptes  de  la  Basse-Egypte. 

Deux  ivoires  d'art  byzantin,  d'âges  très  différents,  nous  per- 
mettent de  constater  le  chemin  parcouru  dans  un  inien-alle  de 
quatre  ou  cinq  siècles.  Une  grande  plaque,  qui  fil  jadis  partie 
d'un  coffret,  nous  offre  une  représentation  intéressante  de  la 
Nativité  :  la  Vierge  est  étendue  et  endormie  sur  une  sorte  de  lit 
ou  plutôt  de  siège  très  incliné,  saint  Joseph,  assis  sur  un  escabeau, 
veille  à  son  chevet;  à  ses  pieds  est  assise  une  femme  qui  som- 
meille, le  menton  dans  sa  main,  et  qui  doit  être  une  sage-femme, 
représentation  très  rare  dans  les  Nativités  de  cette  époque  et  que, 
dans  une  étude  si  intéressante,  parue  dans  la  Ga\ette  des  Beaux- 


24 


LES   ARTS 


Arts  il  y  a  quelques  mois,  M.  Emile  Mâle  constatait  dans 
riconogiaphie  de  nos  xiV  et  xv=  siècles  français.  D'autres 
détails  intéressants  sont  à  noter  dans  la  plaque  d'ivoire  qui 
nous  occupe  :  l'Enfant  Jésus  est  endormi,  non  pas  sur  les 
genoux  de  sa  Mère,  ni  dans  un  berceau  auprès  d'elle,  mais 
au-dessus  d'un  four  à  cuire  le  pain,  à  l'oritice  duquel  appa- 
raissent deux  colombes,  et  le  bœuf,  en  levant  le  museau, 
vient  lécher  la  tète  de  l'Enfant.  Enfin,  derrière  saint  Joseph 


THIERRY  BOUTS  (atlribiic  n|.  —  madone,  xv  siècle 
(Collection  Chalandoiif 

s'éiagent  des  édicules  hexagonaux  et  circulaires  à  coupoles, 
très  caractéristiques,  de  l'architecture  byzantine.  En  dehors 
de  ces  détails,  d'une  naïveté  et  d'un  sentiment  très  touchants, 
l'art  de  cet  ivoire  est  grossier,  les  personnages  sont  mal 
bâtis,  la  composition  mal  agencée  ;  mais  tout  y  est  significatif 
de  l'art  byzantin  encore  tout  pénétré  des  formules  romaines, 
et  n'ayant  pu  prendre  encore  son  libre  essor.  Nous  sommes 
certainement  alors  à  une  époque  antérieure  au  viii''  siècle, 
date  à  laquelle  la  querelle  des  Iconoclastes  imprima  à  l'art 
bvzantin  des  directions  nouvelles. 

Avec  la  belle  plaque  provenant  de  la  collection  Spitzer, 
représentant  la  Descente  de  Croix  sous  un  édicule  finement 
ajouré  (p.  23),  que  nous  voici  loin  des  maladresses  et  de  la 
lourdeur  de  la  plaque  précédente!  Ici,  tout  s'ennoblit,  s'élève 
en  beauté  plastique  comme  en  beauté  expressive.  Le  saint 
Joseph  d'Arimathie  se  dresse  pour  recevoir  le  corps  du 
Christ  dans  un  mouvement  d'élan  et  d'amour,  pendant  que 


SAINT  jiîAN,  —  ivoinK.  —  France,  xiv«  siècle 
(Collection  Chalandon) 


LA   COLLECTION  DE  M.   G.    CHALANDON 


25 


la  Vierge,  drapde  dans  ses  longs  vêtements  et  la  main  recou- 
verte de  son  voile,  tient  pressée  la  main  pendante  du  Sau- 
veur. Avec  quelle  justesse  de  mouvement  et  quelle  précision 
de  modelé  ce  jeune  homme  à  demi  courbé,  le  marteau  levé, 
cherche  à  arracher  les  clous  qui  ont  percé  les  pieds  du 
Christ!  Comme  la  science  du  drapé,  devenue  véritablement 
sculpturale,  faisant  décrire  aux  plis  des  vêtements  des  mou- 
vements souples  et  harmonieux,  nous  amène  très  près  de  ce 
qui  va  faire  la  gloire  de  nos  ouvriers  gothiques!  Nous 
sommes  là,  à  n'en  pas  douter,  à  la  belle  époque  de  l'art 
byzantin  arrivée  la  pleine  maturité  de  ses  moyens  d'expres- 
sion, le  x'^  ouïe  XI'  siècle. 

Une  plaque 
représentant  le 
Christ  debout, 
tenant  un  livre 
de  la  main 
gauche  et 
bénissant  de 
la  main  droite, 
entouré  des 
figures  en  bus- 
tes des  douze 
apôtres,  exé- 
cutés en  très 
fort  relief  et 
détachant 
leurs  têtes 
presque  en 
ronde  bossedu 
fond  de  la  pla- 
que p.  23),  me 
semble  pou- 
voir être  uiile- 
m  e  n i  rap- 
prochée d'un 
ivoire  à  date 
certaine,  qui 
nous  four- 
nira  en  même 
temps  une 
communauté 
d'origine. C'est 
la  belle  plaque 
conservée  dans 
la  collection 
du  marquis 
Tri vulzio,  à 
Milan, où  sont 
représentés  le 
roi  Othon  et 
sa  famille 
aux  pieds  du 
Christ,  où  se 
retrouvent 
exactement  ces 
profils  durs  et 
brutaux,  ces 
barbes  en 
pointe,  ces 
cheveux    cou- 

MEMLINti.  —    SAINTE  r.ATIIERIN£ 

(CoUeclinn  Chalandon) 


pés  en  rond  autour  des  têtes  et  formant  comme  une  sorte  de 
calotte,  tous  caractères  très  frappants  dans  ces  figures  des 
apôtres  de  la  plaque  de  la  collection  Chalandon.  Nous 
pouvons  donc,  sans  hésitation,  l'attribuer  à  l'art  allemand, 
à  l'époque  des  Othon,  c'est-à-dire  au  x'  siècle. 

Il  nous  reste  enfin  à  citer  un  dernier  ivoire,  bien  français, 
de  notre  xiv°  siècle.  C'est  une  délicieuse  figure  de  saint  Jean, 
debout  et  souriante,  dont  le  bras  droit  retient  le  manteau 
relevé  et  décrivant  ainsi  la  plus  harmonieuse  des  courbes. 
Les  cheveux  sont  légèrement  enroulés  autour  de  la  tête  et 
sur  le  front,  et  la  figure  est  appuyée  sur  la  main  gauche 
levée  (p.  24J.  Cette  statuette,  si  élégante  et  si  fine,  se  trouvait 
anciennement 
dans  la  coUec- 
tiondeM. Des- 
mottes, avec 
une  figure  de 
Vierge  qui  a 
étéacquisepar 
Mademoiselle 
Marg  u  eri  t  e 
Hache. 


La  série  de 
monumen  ts 
d'orfèvrerie 
religieuse  et 
d'émailleriede 
M.  Chalandon 
ne  le  cède  nul- 
I e  m  c  n  t  en 
intérêt  aux 
ivoires  que 
nous  venons 
d'analyser. 

Nous  y 
trouverons, 
éminemment 
représentées, 
les  deux  gran- 
des  écoles 
d'émaillerie 
quiont  illustré 
le  moyen  âge, 
l'École  rhé- 
nane et  l'École 
limousine. 

D'un  grand 
autel  portatif, 
dontellesdéco- 
raient  la  base, 
proviennent 
certainement 
ces  six  plaques 
cintrées  repré- 
sentant des 
prophètes 
assis  sur  des 
sièges  bas,  les 
pieds    posés 


oRisMiLC  —  mm*  oc  tolct  DCSAiTrcc^Tmann 


i6 


LES  ARTS 


sur  un  tabouret,  Moïse  seul  tenant  les  tables  de  la  Loi,  les 
cinq  autres  tenant,  déroulés  devant  eux,  des  phylactères  por- 


tant leurs  noms  (p.  17].  Les  types  rudes  et  sauvages,  les  barbes 
hirsutes,  les  grands  yeux  dilatés,  tout  cela,  ainsi  que  la  tonalité 

des  émaux,  ne  permet  pas  de 
chercher  d'autre  origine  que  les 
bords  du  Rhin,  dans  la  région 
colonaise. 

De  même  origine  et  du 
xii<^  siècle  également,  sont  deux 
petites  plaques  d'autels  portatifs 
d'une  extrême  rareté,  et  dont 
l'une  offre  un  dessin  d'un  carac- 
tère admirable  (p.  19).  Le  sujet  qui 
s'y  trouve  représenté  est  celui  du 
Serpent  d'airain,  dont  la  forme 
symbolique  se  lord  sur  une 
colonne  au  centre  de  la  compo- 
sition. D'un  côté  se  tient  Moïse 
debout,  déroulant  un  phylactère 
sur  lequel  se  lit  :  Moïses  miste- 
riiim  crticis  serpens ;  de  l'autre 
côté,  deux  personnages,  vêius 
de  costumes  verts  rehaussés  de 
jaune,  dont  les  beaux  émaux, 
puissants  de  ton,  se  détachent 
sur  le  fond  réservé.  Leur  attitude 
et  leurs  mouvements,  tout  à  fait 
exempts  de  raideur,  sont  d'un 
art  distingué  arrivé  à  ses  moyens 
absolus  d'expression. 

L'autre  plaque  représente  le 
Sacrifice  d'Abraham,  dont  l'ange 
vient  arrêter  le  bras  au  moment 
où  il  s'apprêtait  à  frapper  le  jeune 
Isaac.  Cette  plaque,  qui  faisait 
partie  de  la  collection  Spiizer, 
est  un  parfait  spécimen  de 
l'émaillerie  rhénane  à  l'époque 
romane. 

Un  très  beau  et  très  rare 
monument  d'émaillerie  champ- 
levée  est  ce  reliquaire  polylobé 
dans  lequel  quatre  anges,  repré- 
sentant les  Venus  théologales, 
alternant  avec  des  lobes  de 
pierres  cabochons  enchâssés, 
encadrent  un  grand  médaillon 
ovale  où  la  Vierge  assise,  cou- 
ronnée et  portant  le  sceptre,  tient 
sur  son  bras  gauche  l'Enfant  por- 
tant en  ses  mains  le  Globe  (p.  19). 
Le  caractère  des  figures,  et  sur- 
tout la  coloration  des  émaux, 
apparentent  ce  très  beau  reli- 
quaire aux  monuments  très 
connus  qui  virent  le  jour  dans 
la  vallée  de  la  Meuse  et  régions 
voisines,  où  de  grandes  abbayes, 
telles  que  celles  de  Stavelot, 
entretinrent  des  ateliers  dont 
l'activité  fut  extrêmement  grande 
à  la  fin  du  xii=  et  du  xni«  siècle. 


SASSETTA  (attribué  au).  —  lkcende  de  saint  François  d'assise 

Art  sîennoîs.  —  l'«  moitié  du  xve  siècle 

(Collection  Chalandon) 


LA    COLLECTION   DE  M.    G.   CHALANDON 


27 


M.  von  Falke,  dans  le  beau 
livre  qu'il  a  consacre  l'an  der- 
nier à  l'Histoire  de  l'émaillerie 
rhénane,  a  clairement  délimité 
le  champ  d'action  de  cesdivers 
ateliers,  et  la  part  considérable 
qu'avaient  prise  au  développe- 
ment de  cet  art  les  ateliers  de 
la  Meuse.  Ce  reliquaire,  qui 
est  une  pièce  capitale  et  fit 
jadis  partie  de  la  collection  de 
la  comtesse  de  Robiano,  fut 
acquis  par  M.  Chalandon  à  la 
vente  Ducatel. 

L'objet  d'orfèvrerie  de  la 
rareté  la  plus  exceptionnelle 
de  la  collection  (on  pourrait 
dire  unique)  est  un  cadre  reli- 
quaire en  cuivre  doré  du 
X 1 1 1  ■=  siècle,  d'un  intérêt 
archéologique  incontestable. 
Il  fut  publié  déjà  par  Giraud 
(Album  de  l'Exposition  rétro- 
spective de  Lyon,  18--, 
pi.  XIV),  et  par  le  comte  Riant 
(Mémoires  de  la  Société  des 
Antiquaires  de  France, 
tome  XL).  C'est  un  cadre  de 
42  centimètres  sur  3o,  pré- 
sentant au  centre  une  croix 
creuse  à. double  traverse,  ornée 
de  filigranes  et  de  pierres,  des- 
tinéeà  contenir  un  fragment  de 
la  vraie  croix  (p.  17).  Tout 
autour  sont  disposés,  six  à  six 
sur  cinq  rangs,  trente  loculi 
à  reliques  encadrés  de  losanges 
à  inscriptions  gravées  en  creux, 
destinés  tous  à  des  reliques 
d'Orient  :  vêtements,  cheveux 
de  la  Vierge,  bois  de  lance  du 
Christ,  reliques  des  saints.  Au 
bord  rectangulaire  du  cadre 
court  une  longue  inscription 
(dont  la  lecture  a  été  donnée 
par  M .  Riant  dans  son 
Mémoire),  sorte  de  récit  anec- 
doiique  dans  le  goût  des  mora- 
listes de  l'époque  goihiqii_\ 
racontant  l'ijdvssée  d'un  préire 
ayant  volé  un  morceau  de  la 
vraie  croix,  le  rapportant  en 
Europe,  étant  atteint  de  la 
peste  à  bord  du  voilier,  vovant 
en  apparition  la  N'icrge  lui 
promenant  guérison  s'il  res- 
titue son  larcin,  mourant  après 
en  avoir  seulement  versé  le 
prix  aux  Templiers  ;  son  corps 
est  jeté  à  la  mer,  et  ses  compa- 
gnons   rapportent   à   Brindes, 


SASSBTTA  (attribué  au).  —  LKatKDK  DK  sxixt  Fnjk.tçois  d'assis! 

Arl  sionnois.  —  l™  moitié  ilii  xv»  sirde 

(CotUcliom  Chataniloml 


28 


LES   ARTS 


où   ils  débarquent,  la  vraie  croix,    trouvée   auprès   de  lui. 

Il  s'agit  sans  doute  ici  d'une  relique  rapportée  à  la  suite 
de  la  4=  croisade  (l'inscription  in  fine  donne  la  date  de  février 
12 14)  et  montée  dans  un  reliquaire  en  Italie  (Brindes  est 
indiquée  dans  l'inscription)  ou  en  Allemagne  (où  il  demeura, 
à  la  cathédrale  de  Cologne,  jusqu'à  son  entrée  chez  M.  Cha- 
landon). 

Les  travaux  de  nos  ateliers  limousins,  qui  rivalisèrent 
quand  ils  ne  les  dépassèrent  pas  avec  ceux  d'outre-Rhin,  aux 
xiii'etxiv=  siècles,  ne  sont  pas  moins  bien  représentés  que  ces 
derniers  dans  la  collection  Chalandon.  La  grande  croix  du 
xiii=  siècle,  où  le 
Christ  est  repré- 
senté en  réserve 
gravée,  la  tète 
seule  étant  en 
relief,  rapportée 
sur  un  fond 
d'émail  des  deux 
bleus,  bleu  foncé 
et  bleu  turquoise, 
est  une  pièce  mer- 
veilleuse par  la 
puissance  et  la 
grandeur  (p.  18). 
Je  ne  crois  pas 
qu'il  soit  possible 
de  trou  ver  plus 
beau  comme  réus- 
site d'émail. 

Peut-être  un 
peu  moins  an- 
cienne est  une 
plus  petite  croix  à 
doubles  bras,  dont 
le  revers  surtout 
est  tout  à  fait 
excellent, le  Christ 
bénissant  étant 
représenté  dans 
le  médaillon  supé- 
rieur et  l'Agneau 
portant  la  croix 
dans  le  médaillon 
central  (p.  20).  La 
tige  et  les  deux 
bras  étant  occupés 
par  de  petits  mé- 
daillons avec  des 
bustes  danges  ai- 
lés gravés  en  ré- 
serve, les  têtes 
rapportées. 

Une  grande 
plaque  de  l'an- 
cienne collection 
ToUin,  provenant 
d'une  châsse, 
d'une  grande 
beauté  de  cou- 
leur,   nous  offre 


UNE  VEBTU   TIIliOLOOALE 

Art  iloreDtin.  —  Milieu  du  xv"  siècle 
(Collection  Chalandon) 


une  disposition  assez  curieuse,  la  composition  étant  divisée 
en  deux  compositions  indépendantes  :  à  gauche,  la  Cruci- 
fixion, entre  la  'Vierge  et  saint  Jean  ;  à  droite,  le  sujet  si 
fréquent  dans  les  émaux  de  Limoges,  le  martyre  de  Tho- 
mas Becket,  sa  décollation  devant  l'autel,  les  personnages 
étant  réservés  et  gravés  sur  un  fond  d'un  admirable  bleu 
foncé  semé  de  petits  disques  jaunes. 

Parmi  les  beaux  objets  sortis  des  ateliers  de  Limoges, 
la  collection  Chalandon  peut  encore  montrer  deux  très 
beaux  gémellions,  bassins  à  recevoir  l'eau  versée  des 
aiguières,   où    les   sujets    se   détachent   en    réserve   sur   de 

beaux  fonds  émail- 
lés,  et  toute  une 
très  curieuse  col- 
lection de  mors 
de  chapes  du 
xiv  siècle,  sur 
lesquels  se  voient 
l'Annonciation, 
la  Crucifixion,  la 
Vierge,  la  Vierge 
et  deux  anges  por- 
tant des  cierges, 
la  Vierge  accostée 
de  deux  évéques, 
et  trois  figures 
d'apôtres  en  relief 
sur  un  fond 
émaiUé.  Puis 
une  très  belle 
crosse,  dont  le 
crosseron  enve- 
loppe dans  sa 
volute  une  très 
intéressante  repré- 
sentât! on  de  la 
lapidation  desaint 
Éiienne,  sujet  très 
rare  dans  les 
crosses  émaillées, 
dont  les  sujets 
sontgénéralement 
peu  variés. 

Enfin  la  char- 
mante colombe 
émaillée,  sur  son 
plateau  de  cuivre 
doré,  destinée  à  la 
réserve  eucharis- 
tique, est  un  objet 
qui  est  devenu 
d'une  extrême  ra- 
reté (p.  20).  Nous 
avons  publié  celle 
de  la  collection 
Martin  Le  Roy, 
qui  était  destinée 
à  être  suspendue, 
et  nous  pouvons 
citer  deux  pièces 
analogues  conser- 


LA    COLLECTION    DE  M.   G.   CHALANDON 


29 


vées  dans  la  collection  Chandon  de  Briailles  et  dans  une 
collection  anglaise,  celle  de  M.  Taylor,  qui  voulut  bien 
la  prêter  à  l'Exposition  re'trospective  de  igoo.  Une  seule  de 
ces  colombes  eucharistiques  a  conservé  sa  primitive  desti- 
nation, suspendue  toujours  à  son  ancienne  place,  au-dessus 
de  l'autel  de  la  petite  église  de  Laguennc,  dans  la  Corrèze. 


Nous  nous  sommes  contenté  de  choisir,  dans  une  vitrine 
composée  de  remarquables  spécimens  d'émaux   peints 
limousins,  la  pièce  la  plus  curieuse  qui,  par  la  rudesse 
de   son   accent,   son    caractère   barbare    et   la    tonalité 


sourde  de  ses  colorations,  laisse  un  souvenir  durable.  C'est 
une  plaque  de  cet  artiste  mystérieux  qui  signait  Monvaerni 
des  émaux  dont  les  sujets  étaient  généralement  inspirés  par 
des  estampes  allemandes  p,  21). 

Son  identité  relative  car  on  ignore  tout  de  sa  personne 
et  de  sa  vie)  a  pu  être  établie  par  la  lecture  de  la  signature 
Monvaer  sur  un  émail  de  la  collection  Dzialinska.  et  de  la 
signature  Monvaerni  sur  un  très  important  triptyque,  qui 
Ht  partie  de  la  célèbre  collection  d'Ernest  Odiot  avant  de 
passer  dans  celle  de  M.  Cotiereau.  Il  est,  d'ailleurs, 
permis  de  se  demander  si  nous  avons  là  une  signature 
^     bien  correcte.  Néanmf)ins,  ces  deux  objets  ont  servi  de 


^:-j 


I,K  l'.tIRIHT    S<h:TK.\L*    par    I.Kft  ANOKS 

Art  omltricn.  —  Milieu  du  xv*  sit*cle 
(Collection  Chalandan) 


centres  à  un  groupement  de  tous  les  émaux  analogues,  qui 
forment  ainsi  un  groupe  bien  détini,  sur  lequel  on  est  bien 
d'accord  aujourd'hui. 

Ce  n'est  pas  que  ces  œuvres  soient  très  habiles,  ni  d'un 
beau  style.  Les  ateliers  limousins  auront,  un  demi-siècle 
plus  tard,  de  plus  belles  réussites  avec  les  familles  des  Péni- 
caud  et  des  Limosin.  Mais  si,  malgré  leur  dessin  maladroit 
et  rude  et  la  pénible  application  de  leur  facture,  ces  émaux 
sont  si  fort  recherchés  de  nos  jours  et  sont  les  objets  de 
si  folles  enchères,  cela  s'explique  par  l'intérêt  archéologique 
qui  s'attache  à  eux  et  l'étape  qu'ils  marquent  dans  l'histoire 
de  l'émaillerie  peinte  dans  notre  pays. 

La  plaque  qui  nous  occupe  est  une  Mise  au  tombeau  où 


tous  les  personnages,  dune  iconographie  courante,  réunis 
autour  du  Christ,  présentent,  dans  leurs  vêtements,  ces  har- 
monies un  peu  tristes  de  bleus  palis  et  de  violets  mauves, 
et  ces  bordures  de  perles  d'émail  en  relief,  si  caractéristiques 
de  la  manière  de  l'artiste. 


La  collection  de  M.  Georges  Chalandonest  une  des  der- 
nières collections  de  Paris  auxquelles  doit  être  épargnée  la 
frivolité  des  banales  visites:  elle  garde  la  dignité  d'un  beau 
sanctuaire  d'étude. 

GASTON   MIGEON. 


ipiSODI   MILITAIRE,   PAR   NICOLO 

Dessin.  —  Musée  du  Louvre 


Les  Origines  de  la  Peinture  française 


{>i 


i 

1 

IV'   PARTIE.    SUITE    DE    L  ECOLE    DE    FONTAINEBLEAU    Jl'SQU  A 

LA    MORT    DE    NICOLO 

L  faut  maintenant  définir  recelé  de  Fon- 
tainebleau. C'est  un  mot  dont  tout  le 
monde  se  sert,  et  dont  le  sens  n'a  pour- 
tant pas  reçu  pour  le  public  tout  l'éclair- 
cissement qu'il  faudrait. 

On  la  fait  commencer  dès  le  début  de 
l'entreprise,  avec  le  Rosso  et  le  Primatice. 
Quelques  auteurs  y  joignent  Cellini,  sans  songer  que  des 
artistes  d'origine  si  diverse  et  qui  venaient  en  France  tout 
formés,  ne  peuvent  être  réputés  partie  d'une  même  école, 
si  l'on  entend  sous  ce  nom  une  ressemblance  de  style.  De 
fait,  la  différence  entre  ces  maîtres  est  très  grande.  Ecole  si 
l'on  veut,  à  condition  de  ne  signifier  rien  de  plus  qu'un 
atelier  où  se  mêlaient  leurs  travaux.  De  ce  mélange  devait 
naître,  il  est  vrai,  un  style  dont  les  traits  uniformes  justifient 
l'usage  du  nom  d'école  ;  mais  ce  ne  fut  que  plus  tard,  et  par 
l'effet  d'une  seconde  génération,  en  qui  se  confondirent  les 
divers  enseignements  des  maîtres.  C'étaient  principalement 
le  Primatice  et  le  Rosso  ;  pourtant  il  n'y  faut  pas  omettre 
l'influence  de  l'école  romaine,  transmise  par  Lucas  Penni, 
et  surtout  par  cette  grande  quantité  de  tapisseries  de  Jules 
Romain,  que  François  I"  commandait. 

(l)  Voir  les  Arts,  n"  Sy,  p.  17,  39,  p.   19  et  40,  p.   18. 


L'école  de  Fontainebleau,  entendue  dans  ce  sens,  ne  com- 
mence qu'avec  Henri  II  (monté  sur  le  trône  en  1547).  L'ac- 
tion du  Primatice,  toujours  vivant,  et  dont  l'cEuvrene  cessait 
de  s'augmenter,  y  domine  naturellement  dans  la  peinture. 

Il  poursuivait  alors  dans  Fontainebleau  l'immense  tra- 
vail de  la  galerie  d'Ulysse,  et  bientôt  mit  la  première  main 
à  cette  célèbre  salle  de  Bal  de  Henri  II,  nommée  mainte- 
nant galerie,  on  ne  sait  pourquoi,  que  tous  les  visiteurs  du 
palais  connaissent  pour  le  plus  important  morceau  de  cette 
époque. 

En  elle  s'achevait  magnifiquement  la  distribution  de 
la  demeure  royale,  et  se  couronnait  la  carrière  du  maître. 
Quoiqu'on  ait  pu  reprocher  à  cette  décoration  une  surabon- 
dance de  figures  et  l'indigence  extrême  d'ornements  de  relief, 
il  faut  avouer  que  ce  reproche  ne  touche  pas  les  tableaux 
mêmes.  Il  est  vrai  seulement  que  ces  tableaux,  repeints  en 
grande  partie  sur  d'informes  estampes,  ne  méritent  plus 
aujourd'hui  qu'on  en  parle.  Tout  le  prix  de  cet  ouvrage  se 
renferme  dans  les  dessins  originaux,  conservés  en  partie  dans 
les  collections.  Neuf  grandes  compositions  peintes  au  long 
des  murailles,  et  cinquante-quatre  petites  dans  les  embrasures 
des  fenêtres  et  aux  côtés  de  la  cheminée,  y  forment  un,  en- 
semble à  quelque  égard  unique.  L'étendue  des  surfaces 
peintes  en  fait  un  des  premiers  monuments  de  ce  genre. 
Rien  de  pareil  ne  s'était  vu  et  ne  devait  se  voir  de  longtemps 


LES  ORIGINES  DE  LA    PEINTURE  FRANÇAISE 


3i 


en  France.  Ce  qu'on  exécuta  sous  le  règne  de  Louis  XIV  ne 
l'a  qu'à  peine  dépassé.  Voici  le  sujet  des  grandes  composi- 
tions :  un  P'estin  de  Bacchus  et  d'Ariane,  Apollon  sur  le 
Parnasse,  une  Danse  de  Déesses,  la  Discorde  aux  Noces  de 
Théiis  et  de  Pelée,  Pliilémon  et  Raucis,  Phaéton  suppliant 
le  Soleil,  Vulcain  forgeant  les  traits  de  l'Amour,  Cérès  et  la 
Moisson,  enfin  un  Concert  au-dessus  de  la  tribune  des  musi- 
ciens. Les  petits  sujets  offraient  une  variété  de  divinités  de 
l'Olympe,  de  nymphes  de  fontaine,  de  héros  et  de  figures 
allégoriques  ingénieusement  inventées,  et  dessinées  d'après 
nature  avec  un  art  et  dans  un  goût  parfait. 


Tels  sont  les  ouvrages  d'importance  que  le  nouveau  règne 
vit  éclore  de  l'invention  toujours  féconde  du  maître.  Cette 
importance  ne  doit  pas  dissimuler  une  légère  éclipse  de  la 
peinture  dans  les  commandes  royales  d'alors.  La  cause  en 
fut  au  moindre  goût  que  le  nouveau  roi  eut  pour  Fontaine- 
bleau. Quoiqu'il  n'eût  pas  entièrement  abandonné  ce  châ- 
teau, Henri  II  ne  laissait  pas  de  porter  ailleurs  ses  préfé- 
rences, chez  Diane  de  Poitiers,  à  Anet,  que  cette  maîtresse 
royale  faisait  alors  construire.  Le  célèbre  Philibert  Delorme, 
chargé  d'en  diriger  le  tout,  appliquait  dans  ce  château  un 
genre   de    décoration   différent   de   ce   qui    s'était  pratiqué 


APOLLON  8UR    LK  PARNASHI,  PAR  LB  PRIVATIOS 

Dessin  origioal  pour  la  Salte  de  bal  (repeinte)  à  Footaioclilcau 
Musée  Britannique  (Lrndretf 


jusque-là.  Des  boiseries  au.x  murailles  et  des  cheminées  de 
marbre  ne  laissaient  plus  de  place  aux  stucateurs,  et  rédui- 
saient presque  à  rien  celle  des  peintres. 

Le  Roi  avait  nommé  Delorme  son  directeur  des  Bâti- 
ments, de  sorte  que  ce  style  tendit  à  s'imposer  partout. 
Cette  importance  rivale  d'un  architecte  eût  peut-être  extrê- 
mement gêné  l'infiuence  grandissante  du  peintre,  si  la  faveur 
des  Guises,  dont  le  crédit  et  les  richesses  jetaient  déjà  tout 
leur  éclat,  ne  l'eût  sauvé  de  cet  amoindrissement. 

Ils  lui  donnèrent  d'abord  ;i55o)  à  diriger  l'entreprise  du 


tombeau  du  duc  Claude,  leur  père,  à  Joinviile,  premier 
ouvrage  de  marbre  dont  il  eût  pris  le  soin,  puis  (i55a)  celle 
du  château  de  Meudon,  nommé  la  Grotte,  que  l'archevêque 
de  Reims,  depuis  cardinal  de  Lorraine,  commençait.  Il  est 
certain  que  ce  château  fut  une  des  choses  les  plus  magnifiques 
du  temps.  Cependant  le  détail  nous  en  manque.  Il  faut  se 
contenter  de  savoir  qu'une  grotte  au  rez-de-chaussée  contenait 
des  émaux,  des  arabesques  de  stuc,  des  mosaïques,  et  qu'une 
chambre  au-dessus  était  peinte  à  la  voûte,  dans  de  nombreux 
caissons  compartis,  de  raccourcis  exquis  et  admirables. 


32 


LES  ARTS 


ANOR   TENAMT   LA  CROIX,    PAR  MCOLO 

Di'ssin  oi-iginal  pour  les  (finaux  dits  de  la  Sainlc-Chapcllc  au  Musée  du  Louvre 
CoLUctioH  de  M.  Vattan 

Ces  travaux  continuaient  de  soutenir  glorieusement  la 
carrière  du  Primatice.  Autre  chose  en  marque  la  constance. 
C'est  le  recrutement  qui  continuait  de  se  taire  autour  de  lui 
d'artistes  italiens  pour  la  cour  de  France.  Moins  nombreux 
qu'au  temps  où  l'atelier  de  Fontainebleau,  entassant  chambres 
sur  galeries,  commençait  et  poussait  vingt  ouvrages  à  la  fois, 
ces  nouveaux  venus  l'emportent  certainement  par  l'impor- 
tance. Ce  sont  Salviati  Florentin,  le  Vénitien  Paris  Bordone, 
Ruggeri,  qu'on  appela  Roger  de  Rogery,  de  Bologne. 

Le  premier  ne  resta  que  deux  ans  en  France.  Le  cardinal 
de  Lorraine  l'employa  et  lui  ht  peindre  son  château  de  Dam- 
pierre,  près  Chevreuse.  Ces  ouvrages  ont  péri,  et  tout  ce 
qu'on  possède  d'attestations  de  son  passage  ne  consiste  qu'en 
deux  tableaux  :  une  Incrédulité  de  saint  Thomas,  recueillie 
au  Louvre  et  qu'il  peignit  à  Lyon,  une  Descente  de  croix, 
faite  pour  les  Célestins,  et  qu'on  peut  voir  aujourd'hui  à 
Paris,  dans  l'église  Sainte-Marguerite. 

Paris  Bordone  parut  vers  le  même  temps.  Il  avait  peint 
aussi  pour  les  Guises.  Enfin  Roger  de  Rogery  s'établit  peu 
avant  i55j  dans  notre  pays,  qu'il  ne  devait  plus  quitter. 
Il  servit  d'abord  d'aide  aux  entreprises  du  Primatice.  C'est 


ANGE   TF.XANT   LA   i;ui:iU(.\.\E   I>i:iIM:s,    i ., 

Dessin  original  pour  les  émaux  dits  de  la  Sainte-Chapelle  au  Musée  du  Louvre 
Collection  de  M.  Vallon 

vers  ce  temps-là  qu'on  peut  croire  que  celui-ci  avait  entière- 
ment abandonné  l'exécution  de  la  fresque,  et  n'en  donnait 
plus  que  les  dessins.  Plus  que  jamais  sa  grande  fortune 
devait  l'engager  dans  une  pratique  de  l'art  où  des  auxi- 
liaires plus  habiles  étaient  requis  pour  le  suppléer. 

Ce  r51e  fut  tenu  principalement  par  un  homme  dont  le 
nom  demeure  dans  toutes  les  mémoires,  à  l'égal  du  Prima- 
tice lui-même  et  du  Rosso,  c'est  Nicolas  dell'  Abbate,  dit 
Nicolo. 

Il  vint  en  France  en  i552,  la  cinquième  année  du  règne 
de  Henri  II.  Il  était  de  Modcne,  et  sans  doute  apportait  de 
cette  ville  quelque  imitation  du  Corrège,  auquel  le  Prima- 
tice lui-même  dut  une  si  grande  partie  de  ses  talents.  Cela 
peut-être  fit  qu'il  montra  tout  de  suite  une  parfaite  docilité 
aux  enseignements  de  ce  dernier. 

On  l'en  a  regardé  comme  l'auxiliaire  unique  et  universel, 
et  il  est  vrai  que  telle  fut  la  collaboration  d'où  sont  sorties 
quelques-unes  des  plus  célèbres  peintures  de  Fontainebleau. 
Mais  il  faut  remarquer  premièrement  que  de  la  part  du 
Primatice  cette  pratique  n'était  pas  nouvelle,  que  déjà  sous 
le    précédent    règne  il   se   faisait  aider   pour  la   fresque,  et 


LES    ORIGINES    DE    LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


33 


ANGi;  TK.NAM    LKS  CLOUS,    t'All    MCOLO 

l)ossin  orij^iual  pour  les  émaux  dits  do  la  Saiatc-Chapolle  au  Miis<W'  du  Louvre 
Colleclion  de  M.  Vallon 

que  tout  ce  que  Nicolo  eut  de  plus  que  ces  premiers  auxi- 
liaires est  une  contiance  plus  entière  du  maître,  fondée  sur 
l'excellence  de  ses  talents.  N'omettons  pas  en  second  lieu 
que  tout  ce  qu'on  a  mentionné  d'ouvrages  au  précédent  cha- 
pitre, et  qui  fait  le  plus  gros  de  l'œuvre  du  Primatice, 
échappe  par  sa  date  à  la  collaboration  de  Nicolo.  C'est 
diminuer  notablement  celle-ci,  et  rendre  évident  que  la  car- 
rière du  disciple  n'a  pu  se  résumer,  comme  on  aime  à  le 
dire,  dans  ce  rôle  d'interprète  et  d'artiste  en  second.  Nul 
doute  qu'il  y  ait  eu  de  Nicolo  des  œuvres  originales  en  grand 
nombre.  La  quantité  de  dessins  qui  subsiste  de  sa  main 
en  est  une  preuve  suilisante,  à  défaut  de  témoignages  écrits, 
qui  manquent  presque  entièrement. 

On  le  mil  d'abord  à  la  galerie  d'Ulysse,  dont  Vasari 
assure  qu'il  exécuta  toute  l'histoire  sur  les  murailles,  puis  à 
la  salle  de  Hal.  (^uani  à  celle-ci,  on  a  la  preuve  qu'il  y  prit 
un  peu  plus  qu'une  part  d'exécution.  Le  Primatice  ne  faisait 
que  les  éludes  et  point  de  dessin  arrêté,  des  petits  sujets  des 
embrasures;  tout  l'accessoire  mythologique  y  était  ajouté 
sur  la  fresque,  et  de  l'invention  de  Nicolo. 

C'est  vers  le  mcmc  temps  que  sur  ses  propres  dessins,  ce 


ANOB   TP.XANT    LA  COLONNR    DE    LA   FLAOKLL ATIOIV.    PAR   XIrolO 

Dessin  original  pour  les  émaux  diis  de  la  Satnle-Clup«Ue  an  .Masév  ea  Loarrv 
Catlectiom  <U  M.  rmtbm 

dernier  dut  peindre  la  chapelle  du  château  de  Flcury-en- 
Rière,  près  Fontainebleau.  Je  ne  lui  attribue  cet  ouvrage  ^uc 
sur  la  considération  du  style,  malgré  la  lettre  d'estampes 
postérieures  qui  le  donnent  au  Primatice.  Depuis  longtemps 
l'Enlèvement  de  Proserpine  de  la  collection  d'Orléans,  main- 
tenant à  Stafford-House  de  Londres,  est  regardée  comme 
l'ituvre  de  Nicolo.  Il  faut  y  joindre,  sur  le  même  indice  du 
style,  une  Continence  de  Scipion  au  Louvre,  et  Achille  chez 
les  filles  de  Lycomède,  à  Wilton-House  en  .\ngleterre.  A 
coté  de  ces  pièces  subsistantes  se  placent  quelques  ouvrages 
perdus  :  le  tableau  peint  par  lui  sur  la  cheminée  de  la 
chambre  du  Roi  au  pavillon  des  Poêles,  et  quatre  grands 
paysages  dans  la  chambre  du  Trésor,  dite  cabinet  des  Bagues, 
au  second  étage  du  pavillon  de  Saint-Louis. 

Dans  tout  ce  qui  reste  de  ces  leuvrcs.  on  trouve  une 
grande  facilité  de  main,  une  composition  consommée,  un 
beau  choix  de  formes  et  d'attitudes,  l'exécution  brillante  et 
vivement  touchée,  avec  ces  décolorations  dans  les  lumières 
que  l'Italie  pratiquait  depuis  un  demi-siècle  et  qui  fait  un  des 
traits  notables  de  l'école.  11  faut  ajouter  chez  Nicolo  un  talent 
pour  le  paysage,  qu'il  tirait,  comme  tout  le  monde  alors,  de 


34 


LES    ARTS 


rimitaiioii  des  Vénitiens.  Toutes  ces  qualités  cependant  ne 
rélèvent  pas  au  niveau  du  Primatice  et  du  Rosso.  Son  inven- 
tion est  moins  rare  que  la  leur,  et  son  dessin  manque  des 
vertus  précieuses  que  communique  l'étude  assidue  de  la 
nature.  Au  reste,  tout  ce  qui  convient  à  de  grandes  entre- 
prises décoratives  et  à  des  applications  industrielles,  se 
rencontre  chez  Nicolo.  Personne  comme  lui  ne  mérite  dans 
l'école  le  nom  de  vulgarisateur.  Par  lui  peut-être  plus  encore 
que  par  leur  prestige  original,  les  inventions  et  le  style  du 
Primatice  s'emparèrent  de  toute  la  France;  de  lui,  de  son 


style  particulier  vint  surtout  l'unification  dans  les  produits 
de  l'école  de  Fontainebleau. 

En  voici  quelques  traits  du  coté  de  l'industrie.  La  tapisserie 
de  Cybèle,  aux  Gobelins,  eut  ses  poncifs  tracés  par  Nicolo. 
Un  dessin  de  tapisserie  pareillement,  représentant  Mercure,  au 
Louvre,  est  certainement  de  sa  façon.  La  Mort  de  Joab,  aux 
Gobelins,  montre  son  influence  évidente.  Quant  aux  émaux, 
il  a  fourni  le  dessin  des  célèbres  pièces  de  la  Sainte-Chapelle, 
exposées  dans  la  galerie  d'Apollon,  qui  datent  des  premiers 
temps  de  son  séjour  en  France. 


LB   PKRlî   liTlîRNKI,   ANNONÇANT  LA   NAISSANCE   DU    SAUVEUR,    PAR   LE   PRIMATICE 

Dessin  origÎDal  pour  la  voi"itc  de  la  chapeUe  de  Guise  (détruite)  à  Paris 
Musée  du  Louvre 


Il  est  certain  que  cette  espèce  d'ouvrages  est  plus  capable 
encore  que  les  tableaux  de  transformer  le  goût  public.  Ajou- 
tons les  décorations  de  fête,  les  figurations,  les  mascarades 
auxquelles  prend  part  le  Primatice  lui-même. 

Au  lendemain  de  la  mort  de,  Henri  II ,  on  voit  que 
celui-ci  dessina  pour  Chenonceaux-lès  costumes  et  l'architec- 
ture des  triomphes  ou  entrée  solennelle  de  Catherine  et  du 
jeune  roi.  A  une  époque  qu'on  ne  peut  déterminer,  se  placent 
pour  une  fête  du  même  genre,  des  dessins  de  sa  main  qu'on 
conserve  à  Stockholm.  Disciple  du  Primatice  en  ceci  comme 


dans  le  reste,  Nicolo  allait  bientôt  donner  ceux  de  l'entrée  de 
Charles  IX  et  d'Elisabeth  sa  femme  à  Paris,  gravés  au  recueil 
imprimé  de  cette  solennité. 

Il  faut  dire  maintenant  quelles  imitations  tant  d'exemples 
de  divers  genres  suscitaient  parmi  les  Français. 

Dès  les  dernières  années  du  règne  de  François  l",  on  voit 
les  comptes  désigner  nommément  plusieurs  des  besognes  que 
les  peintres  de  notre  nation  exécutaient  sous  le  Primatice. 
D'autres  s'emploient  aux  tapisseries.  Badouin,  déjà  nommé 
au  chapitre  précédent,  Carmoy,  Musnier,  Rochetel,  sont  les 


LES    ORIGINES   DE   LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


35 


noms  qu'il  convient  de  retenir.  Hors  de  Fontainebleau  d'autres 
se  font  connaître. 

C'est    premièrement    Geoffroy    Dumoûtier   de    Rouen, 


souche  d'une  famille  célèbre  de  peintres,  et  dont  plusieurs 
eaux-fortes  font  connaître  les  talents.  La  dernière  est  datée  de 
1547.  Un  dessin  tracé  pour  un  vitrail,  au  Louvre,  est  la  seule 


LA  aOXTl.YBNCS    DE    SCIPIO.V,    P.VII  MICOLO 

Mutit  du  Louvre 


36 


LES    ARTS 


pièce  de  cette  espèce  qu'on  ait  de  lui.  Il  a  beaucoup  de  feu 
et  d'adresse,  mais  peu  de  science.  Son  modèle  principal  est  le 
Rosso. 

Jean  Cousin,  qu'on  croit  avoir  fleuri  principalement 
sous  Henri  II,  ne  saurait  conserver  aux  yeux  de  l'iiisioricn, 
le  premier  rang  que  d'anciens  biographes  lui  ont  assigné 
dans  la  Renaissance  française.  On  ne  le  trouve  pourvu 
d'aucun  poste  de  choix;  nul  protecteur  de  marque  ne  le  fait 
travailler.  Ce  qu'on  a  de  lui  n'est  que  quelques  estampes  et  le 
tableau  du  Jugement  dernier  du  Louvre.  Il  a  fait  aussi  un 
livre  de  perspective.  La  seule  tradition  lui  attribue  des 
vitraux.  Il  était  né  à  Sens,  et  mourut,  à  ce  qu'on  croit,  fort 
âgé,  en  i5()6.  Son  style  est  emprunté  du   Primatice  surtout. 

Enfin  Antoine  Caron  de  Beauvais,  quoique  de  petit  mérite, 
ne  peut  s'omettre.  Il  travaillait  à  F'ontainebleau  aux  environs 
de  i55o.  La  part  qu'il  prit  au  recueil  des  dessins  de  l'Histoire 
d'Artémise  a  fait  sa  renommée.  Ce  recueil  parut  en  i562. 
Plusieurs  mains  v  ont  travaillé,  toutes  de  pareille  médiocrité. 

C'était  le  niveau  commun  de  l'école  en  dehors  des  maitres 
directeurs,  confirmé  par  la  foule  des  ouvrages  anonymes. 
Plusieurs  cheminées  peintes  au  château  d'Ecouen,  à  Oyron 
la  galerie  de  l'Enéide,  quelques  tableaux  dans  les  églises  de 
Troyes  et  aux  environs  de  Sens,  en  sont  de  suffisants  exemples, 
aussi  bien  que  la  Diane  chasseresse  du  Louvre.  Ajoutons 
l'Actéon  de  Rouen,  en  dépit  d'uii  tour  agréable  et  des  sou- 
venirs de  l'école  vénitienne  qui  en  relèvent  l'aspect  d'une 
manière  imprévue.  Une  seule  exception  doit  être  faite  à  ce 
jugement  peu  favorable  :  c'est  la  célèbre  chambre  des  Arts  du 
château  d'Ancy-le-Franc  en  Bourgogne. 

J'ai  cru  cette  chambre  l'œuvre  du  Primatice.  Le  témoi- 
gnage d'un  dessin  conservé  et  la  comparaison  des  tableaux 
depuis  reconnus  de  ce  dernier,  obligent  de  le  donner  à  quelque 
autre,  que  je  ne  crois  pas  être  Nicolo.  Cet  anonyme,  dont 
quelques  dessins  pour  d'autres  décorations  subsistent,  mérite, 
un  peu  au-dessous  de  ce  dernier,  un  rang  distingué  dans  cette 
histoire.  On  ne  peut  deviner  s'il  fut  Italien  ou  Français.  Son 
œuvre  peint  consiste  en  huit  ovales  couchés,  environnés 
d'arabesques  refaites,  qui  représentent  les  Sept  Ans  libéraux, 
et  les  Muses  dans  le  huitième.  L'exécution  en  est  très  bonne  ; 
la  fresque  bien  conservée  est  fraîche  et  délicieuse. 

Ainsi  les  nouveautés  introduites  par  la  cour  se  faisaient 
agréer  partout.  Elles  s'étendirent  jusqu'à  la  miniature,  propre 
domaine  de  nos  écoles  primitives.  J'ai  remarqué  en  son 
temps  la  soudaine  décadence  de  cet  art.  L'introduction  des 
livres  imprimés  devait  en  précipiter  la  chute.  Cependant 
l'usage  se  maintenait  chez  les  grands  de  faire  peindre,  outre 
des  livres  d'Heures,  quelques  manuscrits  d'ordre  profane,  de 
sorte  que  cette  branche  de  l'art  mérite  encoi'e  une  mention. 
On  assure  communément  qu'elle  a  pâti  de  l'italianisme.  Rien 
n'est  moins  justifié  que  cela.  Au  contraire,  une  critique  atten- 
tive reconnaît  dans  les  Heures  de  Henri  II,  dans  celles  de 
Dinteville,  au  Cabinet  des  Manuscrits,  dans  celles  du  conné- 
table de  Montmorency  à  Chantilly,  autant  d'ouvrages  beau- 
coup meilleurs  que  ce  qui  parut  depuis  Fouquet  et  fut  exécuté 
même  pour  la  reine  Anne.  Il  convient  d'ajouter  les  gouaches 
rehaussées,  les  dessins  lavés  sur  parchemin,  nombre  de  pièces 
même  à  la  plume  seule,  qui  dans  cette  époque  avancée  de  nos 
arts,  renouvellent  le  souvenir  des  anciens  manuscrits  «  his- 
toriés d'encre  »  de  Charles  V. 

En  ce  genre  brille  Etienne  Dclaune,  universellement 
fameux  pour  le  mérite  de  ses  petites  estampes.  Agé  de  qua- 


rante ans  quand  Henri  II  mourut,  il  dut  fournir  vers  ce 
temps-là  le  premier  éclat  d'une  carrière  dont  ses  gravures  ne 
datent  que  les  dernières  années.  Il  est  à  croire  que  le  manus- 
crit des  Troades,  gardé  à  Chantilly,  est  illustré  de  sa  main. 
Les  grisailles  incontestées  abondent.  Elles  sont  parfaites 
d'invention  et  de  stvle,  et  d'une  exécution  qui  enchante.  Seul 
parmi  les  Français  d'alors,  Delaune  mérite  le  nom  d'un  grand 
maître.  Une  fois  de  plus,  la  dernière  il  est  vrai,  il  faut  que 
l'historien  de  l'art  français  réserve  ce  nom  à  l'auteur  d'aussi 
petits  ouvrages. 

Depuis  la  mort  de  Henri  II,  survenue  en  iSJq,  l'activité 
du  Primatice,  déjà  ralentie  dans  le  domaine  de  la  peinture, 
semble  s'y  etfàcer  tout  à  fait.  Son  dernier  grand  ouvrage  en 
ce  genre  doit  être  placé  sur  cette  limite.  C'est  la  chapelle  de 
l'hôtel  de  Guise,  depuis  de  Soubise,  à  Paris.  Elle  a  subsisté 
jusqu'au  début  du  siècle  écoulé,  et  on  peut  encore  l'étudier 
dans  quelques  dessins  et  copies  que  les  descriptions  anciennes 
ont  permis  de  reconnaître.  Elle  comportait  un  ensemble  où 
la  voûte,  le  dessus  d'autel  et  les  frises  formaient  une  seule 
composition.  Le  cortège  varié  des  rois  mages  dans  celles-ci 
s'avançait  vers  la  crèche  du  Sauveur,  sous  une  gloire  d'anges 
ei  quelques  apparitions  célestes,  que  la  figure  du  Père  Éternel 
dominait. 

Depuis  lors  on  ne  connaît  aucune  peinture  du  maître, 
que  deux  tableaux  à  fresque  dans  la  chambre  de  Madame 
d'Etampes  à  Fontainebleau,  exécutés  dix  ans  plus  tard  à  la 
place  de  deux  fenêtres  murées  à  cette  époque.  L'un  repré- 
sente Alexandre  entretenant  une  femme  nue.  l'autre  ce  héros 
faisant  serrer  les  ouvrages  d'Homère. 

Cette  abstention  définitive  s'explique  par  des  raisons 
diverses,  où  le  soin  que  donnait  au  Primatice  sa  nouvelle 
charge  de  directeur  des  Bâtiments  du  roi,  tient  la  princi- 
pale place.  Il  l'eut  en  remplacement  de  Delorme,  dans  les 
premiers  jours  du  nouveau  règne.  Peu  après,  la  reine  mère 
Catherine  de  Médicis,  devenue  toute-puissante  sous  des 
princes  enfants,  y  ajouta  la  direction  de  ses  bâtiments  parti- 
culiers. Une  autre  diversion  de  son  activité  fut  la  sépulture 
de  Henri  II,  et  des  monuments  de  bronze  et  de  marbre  exé- 
cutés dans  l'atelier  de  Nesle,  pour  contenir  le  cceur  des  feux 
rois.  Dans  ce  nouvel  emploi  de  ces  talents,  le  Primatice  ne 
laisse  pas  de  soutenir  avec  plus  de  résultat  que  jamais, 
l'influence  de  son  école. 

En  i56i,  Nicolo  le  remplace  tout  à  fait  aux  peintures  de 
la  galerie  d'Ulysse,  dont  une  grande  partie  d'ornement  res- 
tait à  faire.  On  peut  croire  que  Roger  de  Rogery  entreprit 
alors  dans  une  des  salles  hautes  du  pavillon  des  Poêles  la 
suite  détruite  de  l'Histoire  d'Hercule.  A  l'étage  au-dessous, 
Catherine  augmente  les  appartements  commencés  par  son 
mari.  Elle  bâtit  dans  le  jardin  la  Laiterie  ou  Mi-voie.  Des 
peintres  de  peu  de  renom,  Mazery,  Renout  dit  Fondet,  tra- 
vaillent à  ces  divers  ouvrages,  les  derniers  qu'on  ait  vus  avant 
que  la  Saint-Barthélemv  (1572!,  en  portant  à  son  comble  le 
trouble  des  guerres  civiles,  eut  achevé  de  nover  l'autorité 
royale. 

Charles  IX  n'v  devait  survivre  que  deux  ans.  Peu  avant 
cette  fin  de  règne  s'achève  la  carrière  du  Primatice  et  celle 
de  Nicolo.  On  a  vu  les  effets  de  celles-ci  pour  la  France;  il 
convient  d'ajouter  maintenant  ce  que  l'Europe  en  recueillit. 

Vasari  conte  qu'après  la  mort  du  Rosso,  on  vit  paraître 
en  Italie  un  grand  nombre  de  gravures  de  l'école  de  Fon- 
tainebleau. C'était  comme  un  retour  que  cette  école  rendait 


LES    ORIGINES   DE   LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


37 


à  la  nation  dcjni  on  la  vit  sortir.  Cependant  tout  porte  à 
croire  que  l'influence  qu'elles  eurent  ne  dépassa  pas  le 
domaine  de  l'ornement.  Du  côte  des  Flandres  au  contraire, 
cette  influence  s'dtendit  à  tout. 

La  cause  n'en  est  pas  seulement  dans  les  estampes  et 
dans  les  dessins  qu'on  transportait,  mais  dans  les  voyages 
bientôt  multiplies  des  artistes  qui  venaient  étudier  en  France. 
Le  prestige  de  l'Iialie  les  attirait  depuis  un  demi-siècle,  et 


sous  l'influence  de  celle-ci,  l'art  des  Pays-Bas  avait  renouvelé 
entièrement  ses  méthodes  et  ses  aptitudes.  La  longueur  du 
voyage  fut  cause  qu'on  saisit  bientôt  l'occasion  de  recueillir 
d'un  lieu  plus  rapproché,  ces  enseignements.  Ce  que  le  Rosso 
et  le  Primatice  avaient  mis  de  fameux  modèles  à  portée  du 
nord  de  l'Europe,  pouvait  jusqu'à  un  certain  point  tenir  la 
place  de  l'Italie  même.  Si  l'on  y  joint  l'attrait  de  la  nou- 
veauté, on  ne  s'étonnera  pas  de  ce  que  dit  M.  Hymans,  qu'en 


L   SNLKVKUE.NT      DK     PROSKnpIXK,     PAR     XICOLO 

Collection  du  duc  de  Suthertand  t  Londresi 


ce  temps-là  Fontainebleau  fut  l'Italie  des  Flandres.  Tout  ce 
qui  ne  voulut  ou  ne  put  aller  plus  loin,  s'alimenta  de  cette  école. 
Léonard  Thiry,  qui  travailla  sous  le  Rosso,  était  retourné 
à  Anvers,  où  il  mourut  en  i55o.  Nul  doute  que  (le  premier 
peut-être)  il  n'ait  rapporté  chez  ses  compatriotes  quelque 
chose  des  les'ons  d'un  si  excellent  maître,  dont  plusieurs 


estampes  de  sa  main  le  montrent  plein.  L,e  célèbre  Stradan 
vint  en  France  aux  environs  de  1548.  et  Spranger  peu  après 
i565.  Lambert  Lombard,  .■Vdam  Verburcht  visitèrent  aussi 
notre  pays.  Adrien  Crabeth  y  mourut  à  Autun.  en  i353.  Le 
vieux  Breughel,  Pierre  VIerick  y  parurent  également.  En  1 566 
on  voit  Aper   Fransen,  Jérôme  Franck,  Jean   Demaeyer, 


38 


LES   ARTS 


Denis  d'Utrecht  et  Corneille  Kétel,  séjourner  pour  le  soin 
de  l'e'tude  à  Fontainebleau.  A  Jérôme  Franck,  qui  se  fixa 
chez  nous,  il  faut  joindre  alors  son  frère  Ambroise,  et  Cor- 
neille Floris,  neveu  de  Frank-Flore,  envoyé  expressément  à 
Paris  pour  le  même  effet.  Les  visites  que  Lucas  De  Heere 
faisait  à  la  résidence  royale  sont  mentionnées  par  Van 
Mander;  Thierry  Aertsen,  fils  de  Long  Pierre  d'Amsterdam, 
y  vint  comme  étudiant,  avant  d'y  être  comme  peintre. 

L'effet  de  ces  rapports  fréquents  se  reconnaît  dans  les 
œuvres.  De  quelque  manière  qu'elles  se  soient  exercées,  les 
influences  de  Fontainebleau  sont  parfaitement  sensibles  chez 
Frank-Flore.  Spranger  et  son  élève  Van  Aak  portèrent  aux 


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extrémités  de  l'Europe  et  jusque  dans  le  xvii=  siècle,  une  imi- 
tation que  les  estampes  de  Goltzius  prolongèrent  et  éten- 
dirent encore.  Corneille  de  Harlem,  Lambert  Van  Noort, 
Van  Hemessen,  le  graveur  Wierix,  tiennent  plus  ou  moins 
du  même  style.  Ainsi,  on  ne  doit  pas  s'étonner  si  ce  qui  devait 
reparaître  à  Fontainebleau  d'une  école  italianisante  sous 
Henri  IV,  fut  en  grande  partie  soutenu  par  les  Flamands. 
Sous-colonie  de  l'école  dont  j'achève  l'histoire,  le  rameau  des 
Flandres,  nourri  d'une  meilleure  sève,  allait  bientôt  nous 
être  rapporté,  et  servir  à  ce  renouveau. 

En  Angleterre  la  même  action  se  fait  sentir.  De  grandes 
décorations  de  stuc  commecelles  qu'on  voit  à  Hardwick-Hall, 


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Photo  Giraudon 


LA      OÉOMKTRIB,      PAR     KTIENNB      DELAUNE 

Dessin.  —  Musée  Condc  tChaniillyi 


sont  un  effet  de  l'importation  directe  des  exemples  du  Prima- 
tice.  Un  dessin  de  décoration  pareille  se  trouve  dans  les  car- 
tons du  Louvre,  avec  la  rose  de  Lancastre  et  la  devise  Honni 
soit  qui  mal  y  pense.  Lucas  Penni,  quand  il  quitta  la  France, 
s'en  alla  travailler,  dit-on,  pour  les  graveurs  en  Angleterre. 
En  1 566,  on  voit  que  Gilles  Godet,  imprimeur  français,  faisait 
à  Londres  commerce  d'estampes  du  genre  de  celles  que  la  rue 
Montorgueil  mettait  en  vente,  dans  le  style  de  Fontainebleau. 
Ainsi  cette  école,  à  peine  fondée,  se  répandait  partout  au 
dehors.  La  mode  imposait  ses  exernples  en  différents  points 
de  l'étranger.  Ce  qu'elle  eut  d'effet  en  sculpture  n'a  pas  sa 
place  ici.  Ce  que  dès  l'origine  Jean  Goujon  tint  d'elle,  ce 


qu'un  Germain  Pilon,  ce  que  l'atelier  de  Nesle  recueillit  de 
son  dessin  et  de  son  style,  appartient  à  d'autres  ouvrages. 
On  ne  doit  pourtant  pas  l'oublier,  quand  on  traite  de  son 
importance.  L'influence  sur  les  autres  arts,  qui  sous  le  Pri- 
matice  revenait  à  la  peinture,  est  cause  que  le  sujet  s'étend 
bien  au  delà  des  bornes  de  cette  histoire. 

Il  faut  avouer  que  quelque  chose  de  tant  d'éloge  doit  être 
rapporté  à  la  France.  Quoiqu'elle  n'ait  pas  donné  naissance 
aux  maîtres  auteurs  de  cette  école,  ils  n'ont  travaillé  que  pour 
lui  plaire,  et  cette  direction  de  leurs  talents  eut  pour  effet 
de  mêler  quelque  chose  du  génie  français  dans  leurs  œuvres. 
Des  historiens   de    l'art  primitif  remarquent   volontiers   la 


LES    ORIGINES   DE    LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


39 


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rho(o  Btiiitrt.  Clrmiitl  el  Cit. 


UI.Y3SH   l'.VSKVBLISS.VNT  LES   PHKTRNDANT»,    PAR  LE  PRIUATICK 

Oossia  ori}j;iDal  pour  la  Galeriu  d'I'lysso  (détruite)  à  Footaioebleau 
Collection  Àlhertiiit  (Vienne) 


md'mc  chose  de  Bcauncveu  et  des  Limbourg,  qu'ils  vont 
là-dessus  jusqu'à  tenir  pour  Frani;ais.  Sans  accorder  au  Pri- 
maticc  non  plus  qu'à  eux  cette  qualitti,  n'oublions  pas  que 
ce  maître  vdcut  quarante  ans  en  France,  que  les  suffrages  de 
nos  compatriotes  ont  bàii  toute  sa  renommée  et  inspiré  tous 
ses  efl'orts,  que  de  chez  nous  rayonna  le  foyer  qu'il  allumait, 

et  que  l'autorité  et  le  prestige  ' 

de  son  œuvre  ne  sauraient  être 
distingués  de  ceux  que  prenait 
le  goût  français  dans  le  monde. 
D'autres  Italiens,  venus  plus 
tard,  ne  purent  que  s'y  ranger 
et  prêter  leur  concours.  Ce 
qu'ils  apportèrent  de  chez  eux 
se  confondait  dans  cette  déri- 
vation désormais  indépendante 
de  l'art  italien.  Ainsi,  quoique 
étrangère  de  race,  l'école  de 
Fontainebleau  se  francisait  d'a- 
doption, autant  qu'avait  pu  le 
faire  celle  des  vieux  enlumi- 
neurs de  Flandre.  La  France 
n'a  pas  plus  le  droit  de  rejeter 
l'uneque  l'autre.  Quant  à  l'hon- 
neur qu'elle  tire  d'un  pareil 
patronage,  il  était  cette  fois  au- 
dessus  de  tout  ce  qu'on  avait 
jamais  vu. 


APOLliiN    IXNS    I  (  »IO^F    DC  IION.  PAR    IR  PRIUATICI 

Oossin  original  pour  la  '•  compartiment  do  1*  \oiU«  de  la  Galorio  d'Ulvase  (détraita) 

à  FonlaÎDcbleau 
CeiUttlio»  Àlherline  (rU»n»> 


Le  Primatice  s'était  accoTumodé  en  France  au  point  de 
n'y  plus  même  passer  pour  étranger.  Il  y  vivait  sur  un  grand 
pied,  dans  l'incessante  fréquentation  de  la  cour.  Un  de  ses 
neveux  s'y  maria  et  fit  de  son  nom,  anobli  par  le  roi,  le  nom 
d'un  baron  français,  dont  la  descendance  s'éteignit  bientôt  il 
est  vrai.  Le  maître  lui-même  mourut  en   1570,  à  l'âge  de 

soixante-cinq  ans.    Nicolo  le 

suivit  l'année  d'après  dans  la 
tombe.  C'était  la  fin  de  ce  qu'on 
doit  appeler  la  première  école 
de  Fontainebleau. 

On  ignore  qui  recueillit  du 
côtédc  la  peinture  le  poidsd'un 
siéclaiani  héritage.  Une  menue 
descendance  de  peintres  de- 
meurait pourfournir  aux  com- 
mandes de  la  cour.  Le  désordre 
aigu  des  guerres  civiles  ne  les 
éteignit  pas  tout  à  fait.  Mais 
avant  de  passer  au  détail  de  ce 
qui  suivit  ce  grand  changement, 
il  faut  retourner  en  arrière,  et 
joindre,  pour  le  temps  qu'on 
vient  de  parcourir,  l'histoire 
d'une  école  différente,  que  sa 
gloire  plus  réduite  n'cmpèche 
pas  de  mériter  toute  Tattention 
des  connaisseurs. 

L.  DIMIER. 
iA  suivre.) 


HOUDON    ANIMALIER 


HoinoN  a-t-il  été  animalier?  Dans  une  brochure  ré- 
cente, intitulée:  Un  Lévrier,  terre  cuite  originale 
de  Jean-Antoine  Hoiidon,  M.  Georges  Giacometti, 
statuaire-expert,  s'est  posé  cette  question  et  l'a 
résolue  avec  un  luxe  de  démonstration  peut-être  un  peu  inu- 
tile, puisqu'il  eût  suffi  de  relever  la  mention  de  «  plusieurs 
animaux  en  marbre  »  exposes  par  Houdon  au  Salon  de  1777, 
le  curieux  passage  (déjà  cité  par  Montaiglon)  de  la  Corres- 
pondance de  Grimm  relatif  à  une  certaine  grive  sur  laquelle 
nous  allons  revenir  tout  à  l'heure,  enfin  les  indications  des 
ventes  faites  par  Houdon  en  i  795  ou  par  ses  héritiers  en  1828, 
dans  lesquelles  figurent,  outre  la  fameuse  grive,  deux  oiseaux 
morts,  un  cerf  et  un 
chien. 

A  ces  textes  sou- 
vent cités,  nous  en 
pouvons  ajouter 
quelques  autres  qui 
sont  inédits  ou  à  peu 
près,  M.  Délerotles 
ayant  utilisés  mais 
non  publiés  com- 
plètement   dans   sa 
notice   parue   en 
i856.  Ils  sont  tirés 
d'une   liste  manus- 
crite  d'œuvres   de 
Houdon  rédigée  par 
lui-même  et  que 
nous    publierons 
bientôt  in  extenso. 
Le  no  28  porte  :  un 
Petit  Chien   en 
marbre.    Le 
n»  3o,  lin  Serin 
couché  sur  un 
tombeau     en 
marbre.  —  Une 
Perdrix     e n 
marbre. 

Qu'est-ce  que  ce 
petit  chien  ?  Serait- 
ceceluidontM. Gia- 
cometti a  remarqué 
très  ingénieusement 
une  image  parmi  les 
bustes,  urnes  ou  mé- 
daillons dont  s'en- 
combre l'atelier  de 
Houdon  dans  le  cu- 
rieux tableau  de 
Boilly  de  la  collec- 
tion Emile  Peyre? 
Cela  est  possible. 
Nous  ne  savons  rien 
delà  perdrix;  quant 
au  serin,  nous  ne 
pouvons  nous  em- 
pêcher de  songer  en 
lisant  la  mention  de 
son  tombeau,  à  ce 
curieux  petit  céno- 
taphe en  terre  cuite 
exposé  au  Musée  de  Cluny,  où  se  lit  l'inscription  :  Cy-git 
Fiji,  et  sur  le  sommet  duquel  trois  serins  singent  si  drolati- 
quement  la  pantomime  macabre  des  tombeaux  classiques 
à  la  manière  de  Slodtz  ou  de  Pigalle.  L'exécution  seulement 
un  peu  froide  et  sèche  des  animaux,  dans  la  terre  cuite  de 


HOUDON.  — 
Appartient  à  M.  le 


Cluriy,  ne  nous  permet  pas  de  la  donner  sans  hésitation  à 
Houdon,  étant  donné  surtout  que  nous  avons  ici  le  point  de 
comparaison  indiscutable  qui  faisait  défaut  à  M.  Giacometti 
pour  étayer  la  laborieuse,  plausible,  mais  malgré  tout  un  peu 
vaine  attribution  de  son  lévrier  au  maître  sculpteur. 

La  grive,  en  etfet,  la  fameuse  grive  qui  faisait  l'admiration 
de  Grimm,  qu'il  déclarait  «  d'un  effet  prodigieux  »,  au  sujet 
de  laquelle  il  citait  des  mots  d'enfant,  demandant  «  si  l'on 
faisait  des  plumes  avec  du  marbre  »  et  que  M.  Giacometti 
invoquait  sans  la  connaître,  elle  existe  et  la  preuve  en  est 
dans  la  reproduction  que  nous  pouvons  mettre  ici  sous  les 
yeux  des  lecteurs  des  Arts,  grâce  à  la  très  courtoise  auto- 
risation de  M.  le 
comte  Gabriel  de 
Castries  qui  la  pos- 
sède aujourd'hui  et 
qui  nous  a  permis, 
il  y  a  déjà  long- 
temps, de  l'étudier 
chez  lui  à  loisir. 
C'est  bien  «  l'oiseau 
mort,lespaitesatta- 
chées  à  un  clou  » 
que  désigne,  sans 
indication  de  ma- 
tière, le  catalogue 
de  1828.  M.  de  Cas- 
tries croit  que  l'ob- 
jet était  bien  avant 
i828danssafami]le. 
Il  est  possible,  en  ce 
cas, que  Houdonait 
gardé  dans  son  ate- 
lier une  répétition 
en  marbre,  une  terre 
cuite,  peut-être  le 
plâtre  original  et 
que  nous  ayons  ici 
le  marbre  même  du 
Salon  de  1777. 

Il  est  signé  seu- 
lement Houdon.  f. 
en  caractères  cur- 
sifs,  dont  l'allure 
bien  reconnais- 
sable,  ne  laisse  au- 
cun doute  sur  la 
qualité  de  l'inscrip- 
tion. Quant  au  mé- 
rite du  morceau  en 
lui-même, ilesi  frap- 
pant et  parle  à  nos 
yeux  ainsi  qu'à  ceux 
de  l'enfant  dont 
Grimm  invoquait  le 
témoignage  comme 
<i  plus  flatteur  pour 
l'artiste  que  les 
éloges  exagérés  des 
connaisseurs  ».  Il 
prouve  surtout,  du 
reste,  à  côté  de  la 
passion  de  réalisme 
innée  chez  Houdon,  son  extraordinaire  virtuosité;  c'est  un 
tour  de  force,  une  sorte  de  chef-d'œuvre  dans  le  traitement 
du  marbre  que  le  bon  ouvrier  a  prétendu,  sans  doute,  exé- 
cuter dans  ce  morceau  savoureux  et  caressé  à  plaisir. 

PAUL  VITRY. 


LA  nmvR  i  marbre) 
comte  Gabriel  de  Castries 


TRIBUNE  DES   ARTS 


De  Francesco  Laurana 


(I) 


Londres,  le  l>>  juin,  1905. 

Monsieur  le  Directevr, 

Vos  anciens  abonnés  ne  peuvent  manquer 
de  se  souvenir  de  la  controverse  si  intéressante 
qui  se  poursuivit,  en  1902,  dans  les  pages  de 
votre  revue,  au  sujet  des  œuvres  attribuées 
par  M.  Bode  à  Francesco  Laurana. 

En  mars  1902,  vous  reproduisîtes  par  la 
photographie,  ce  merveilleux  buste  d'une  prin- 
cesse de  Naples,  qui  est'une  des  gloires  du 
Musée  royal  de  Berlin. 

Deux  mois  plus  tard,  vous  avez  publié  de 
remarquables  lettres  traitant  le  même  sujet  et 
émanant  d'autorités  apparemment  fort  compé- 
tentes, qui  se  prononçaient  contre  la  »  manie 
attributive  »  de  M.  Bode. 

Voir  I.CS  Arts,  n"*   2,  4  et   12. 


Quoi  qu'il  en  soit,  il  me  parait  intéressant 
de  vous  signaler  ma  découverte,  en  Angle- 
terre, d'un  autre  chef-d'œuvre  de  Laurana, 
qui  est  une  des  perles  de  la  collection  d'un 
amateur  éclairé,  lecteur  assidu  de  votre  jour- 
nal. Il  s'agit  d'un  autre  masque  de  marbre 
blanc,  aussi  parfait  que  ceux  à  Berlin  et  à 
Villeneuve-lez-Avignon.  Ce  masque  de  femme, 
aux  yeux  à  moitié  fermés,  a  bien  la  pureté  de 
lignes,  la  génialité,  la  profondeur  du  senti- 
ment et  de  l'expression,  avec  un  sens  juste 
de  la  vérité  dont  parlait  un  de  vos  correspon- 
dants. 

Je  ne  sais  si  la  publicité  que  vous  pourrez 
donner  à  ma  note  fera  quelque  chose  pour 
hâter  la  solution  du  problème  de  la  paternité 
des  œuvres  que  l'éminent  M.  Bode  attribue  à 
Francesco  Laurana,  mais  il  m'a  paru  juste  de 
faire  connaitre  à  vos  lecteurs  l'existence  d'une 
autre  de  ces  exquises  effigies,  aux  yeux  baissés, 
que   tous  —  maîtres   et  profanes  —  peuvent 


admirer  sans  réserve  et  louer  sans  arrière- 
pensée. 

Veuillez   agréer,  .Vionsieur   le    Directeur, 
l'assurance  de  ma  haute  considération. 

GEORGE  FERRIER. 


MA8UUB  UK  FKMMK  (inarbrv  blanc) 
Attribue  a  FRANCESCO  LAURANA 


Le  Retable  du  Parlement  " 

Monsieur  le  Directeur, 

Je  n'ai  pas  qualité  pour  intervenir,  au  point 
de  vue  de  l'œuvre  elle-même,  dans  le  débat 
que  vous  avez  institué  au  sujet  du  Retable  du 
Parlement  de  Paris.  La  logique  des  déductions 
de  M.  Amédée  Pigeon  ne  m'est  d'ailleurs  pas 
apparue  clairement. 

Je  ne  relèverai  qu'un  point  de  détail.  Pour 
donner  plus  de  force  à  sa  démonstration  et 
établir  l'identité  du  sceptre  que  tient  le  Roi 
dans  le  retable,  avec  le  sceptre  du  couronne- 
ment des  rois  de  France  qui  se  trouve  exposa 
dans  la  galerie  d'.Apollon,  M.  .\médée  Pigeon 
suppose  que  la  statuette  d'or  qui  le  surmonte, 
et  qui  ne  se  trouve  pas  dans  le  sceptre  du 
retable,  est  une  addition  postérieure  au 
xiv=  siècle.  .Affirmons  une  fois  de  plus  que, 
dans  l'étude  des  œuvres  d'art,  de  bons  yeux 
valent  mieux  que  la  plus  serrée  des  dialec- 
tiques. La  figure  du  patron  de  Charles  V  qui 
surmonte  le  sceptre,  ce  Charlemagne,d'attitude 
si  noble  et  si  grande,  dont  le  manteau  tombe 
avec  de  si  beaux  plis,  porte  le  caractère  formel 
des  plus  belles  œuvres  peintes  ou  sculptées  de 
la  deuxième  moitié  du  xiv  siècle. 

Le  sceptre  de  Charles  V  est  resté  intact,  tel 
qu'il  était  au  xiv  siècle,  si  l'on  veut  bien  se 
reporter  aux  termes  de  l'inventaire  des  joyaux 
du  trésor  de  l'abbaye  de  Saint-Denis,  dressé 
en  i38o. 

GASTON  MIGEON. 

m  Voir  Us  Arit.  n—  .''7.  ?<(  cl  41. 


Chronique  des  Ventes 


Depuis  ma  dernière  chronique,  nous  avons 
traversé  la  grande  saison  des  ventes.  Aussi  les 
vacations  importantes  se  sont  elles  succédé 
sans  interruptions,  amenant  cet  encombre- 
ment, ce  surmenage  annuel  de  deux  mois, 
contre  lequel  on  tente  vainement  de  réagir. 

.\u  début  d'avril.  MM.  Lair-Dubreuil  et 
Bing  vendent  les  antiquités  de  la  collection 
Philip  qui  donnent  190,000  francs  comme 
résultat.  Un  buste  d'homme  en  prime  d'éme- 
raude  de  la  i8«  dynastie  égyptienne  est  adjugé 
1 5,000  francs;  une  tète  colossale  d'.Mexandre 
le  Grand,  en  marbre  de  Paros,  monte  à 
19,300  francs.  Une  tcte  de  Sérapis  et  une  tète 
de  Dvonisos  en  marbre  font  14,700  francs 
et  1 3,700  francs,  et  un  bronze  représentant 
un  griffon  ailé,  travail  du  iv«  siècle,  est  poussé 
à  1 3,000  francs.  Entre  temps  on  opère  la 
vente  de  la  bibliothèque  Daguin  où  un 
libraire  de  Londres  se  fait  adjuger  33.800  fr. 
un  exemplaire  de  l'édition  originale  du  Cid, 
daté  de  1637.  MM.  Delesire  et  Durel 
obtiennent  là  un  total  de  près  de  3oo,ooo  fr. 


42 


CHRONIQUE  DES   VENTES 


Au  milieu  d'avril,  une  vente,  dirigée  par 
M=  Chevallier  et  MM.  Mannheim  et  Ferai,  et 
compose'e  d'objets  d'art  et  tableaux  provenant 
de  diverses  collections,  donne  un  chiffre  de 
43  r, 000  francs.  Les  tapisseries  plus  en  vogue 
que  jamais  se  payent  cher.  Un  panneau  d'Au- 
busson  du  xviii=  siècle  représentant  le  Colin- 
Maillard,  d'une  qualité  rare  comme  compo- 
sition et  coloris,  est  poussé  à  33,(3oo  francs, 
doublant  la  demande.  Un  salon  en  tapisserie 
de  la  fin  du  xvni=  siècle  grimpe  à  3  i  ,600  francs, 
et  un  autre  en  Beauvais  à  médaillons  de  fleurs 
à  23,000  francs.  Trois  tapisseries  verdures  du 
xvi<^  siècle,  de  la  fabrique  de  Bruxelles,  sont 
enlevées  à  19,500  francs.  Un  pastel.  Portrait 
de  Mademoiselle  Huqiiier,  par  Perronneau, 
est  adjugé  19,000  francs. 

Les  amateurs  du  xv!!!"-'  siècle  se  trouvent 
réunis  à  la  fin  d'avril,  à  la  salle  Petit,  où 
M=  Chevallier  et  M.  Mannheim  dispersent  la 
collection  Guttierez  de  Estrada  qui  produit 
487,000  fr.  en  deux  vacations.  La  moyenne 
des  prix  est  excellente.  Une  surprise  se  pro- 
duitavecune  petite  pendule  époque  LouisXVI, 
en  marbre  blanc  et  bronze  doré,  qu'un  mar- 
chand enlève  de  haute  lutte  au  prix  de 
32,000  francs,  sur  une  estimation  de  6,000  fr., 
et  contre  le  prix  de  i  1,000  francs  à  la  vente 
Marquis  en  1889.  On  adjuge  à  20,5oo  francs 
deux  tapisseries  flamandes  époque  Louis  XIV 
et  19,500  francs  deux  autres  analogues.  Les 
porcelaines  anciennes  de  Chine  voient  chaque 
jour  leur  prix  augmenter.  C'est  ainsi  que  l'on 
pave  27,000  fr.  un  pot  de  la  famille  verte  à 
réserves  fleuries,  et  20,5oo  francs  deux  poti- 
ches de  la  même  famille,  décorées  de  réserves 
sur  fond  bleu  soufflé. 

Quelques  jours  avant,  à  la  vente  de  la  col- 
lection de  feu  le  peintre  Giacomelli,  avait  passé 
un  très  beau  portrait,  par  Madame  Vigée- 
LeBrun,  représentant  Madame  de  Gourbillon, 
qu'un  amateur  a  fait  monter  à  23, 000  francs 
sur  une  demande  de  la  moitié.  A  cette  même 
vacation,  un  dessin  par  Millet  a  atteint 
12,100  francs. 

Avec  le  mois  de  mai,  commence  la  grande 
poussée  et  l'on  ne  connaît  plus  ni  trêve  ni 
repos.  La  vente  de  la  collection  de  feu  M.  Ro- 
chard  ouvre  la  série.  Les  gros  prix  sont  là 
pour  des  tapisseries.  On  acquiert  pour 
33,000  francs  ■  une  tenture  flamande  du 
xvii=  siècle  tissée  de  métal. 

Vient  ensuite  la  collection  de  Madame 
Warneck  qui  produit  202,000  francs  et  donne 
de  beaux  prix  pour  des  bronzes  italiens  des 
xv=  et  xvi=  siècles.  Le  principal  est  une  sta- 
tuette d'Arion  enlevé  par  un  cheval  marin, 
travail  vénitien  du  xv" siècle,  qu'un  antiquaire 
paye  21 ,200  francs. 

Dans  le  même  temps,  M'^  Lair-Dubreuil 
adjuge  52,200  francs  une  suite  de  sept  belles 
tapisseries  d'Aubusson  du  xvin«  siècle  a 
sujets  chinois,   d'après   Leprince. 

Mais  le  grand  événement  de  la  saison  est  la 
vente  de  la  collection  Michel  Boy  qui  occupe 
la  salle  Petit  pendant  neuf  jours  et  fournit  un 
total  de  1,407,000  francs,  sous  la  direction  de 
M«  Chevallier  assisté  de  M.  Mannheim.  Cette 
vente  est  une  sorte  de  répétition  de  la  vente 
Lelong,  celui  qui  forma  cette  réunion  d'objets 
étant  lui  aussi  un  ancien  antiquaire.  Jamais, 
de  mémoire  d'amateur,  on  ne  vit  pareil  em- 
ballement pour  les  objets  d'art  des  époques 
gothique  et  Renaissance.  Le  moindre  bibelot 
se  paye  cher  et  quant  aux  pièces  de  qualité 
rare  on  ne  connaît  plus  pour  elles  aucune 
limite.     Le    premier    jour   on    s'arrache    les 


faïences  orientales  et  italiennes.  Un  plat  de 
Valence  du  xv=  siècle  atteint  9,000  francs;  un 
bassin  hispano-mauresque,  7,200  francs  et  une 
coupe  de  Faenza,  8,000  francs. 

Pour  les  ivoires,  les  émaux  champlevés  et 
peints,  la  verrerie,  etc.,  on  fait  des  folies. 
Dans  les  ivoires,  un  autel  portatif  en  forme  de 
coffret,  travail  arabe  du  xv=  siècle,  est  adjugé 
40,000  francs  à  un  antiquaire  de  Florence  sur 
une  estimation  de  20,000  francs.  Grande 
bataille  aussi  pour  un  groupe  du  xiv«  siècle, 
La  Vierge  au  berceau,  que  l'on  pousse  à 
62,500  francs,  le  double  de  la  demande.  Pour 
les  émaux  champlevés,  la  lutte  est  aussi  vive. 
On  fait  monter  à  37,25o  francs  une  chasse  du 
xn«  siècle  décorée  de  personnages  en  relief,  et 
à  18,000  francs  une  petite  boiie  aux  saintes 
huiles  du  xni=  siècle.  On  paye  1  5, 000  francs 
une  petite  châsse  du  xni=  siècle  et  2o,5oo  fr. 
cinq  plaques  de  ceintures  en  émail  cloisonné, 
de  travail  hispano-mauresque  du  xv^  siècle. 
Même  ardeur  pour  les  émaux  peints  dans 
lesquels  un  triptyque,  par  Nardon  Pénicaud, 
représentant  la  Crucifixion,  est  poussé  à 
64,000  francs.  Une  plaque,  par  Monvaerni,  le 
Baiser  de  Judas,  atteint  27,600  francs;  une 
autre,  par  Léonard  Limosin,  25,5oo  francs,  et 
une  autre,  par  Jean  Pénicaud,  20,000  francs. 
La  verrerie  offre  une  pièce  remarquable  sous 
la  forme  d'une  aiguière  en  verre  bleu  émaillé, 
de  travail  vénitien  du  w"  siècle,  qu'un  de  nos 
grands  antiquaires  parisiens  paye  53,2oofr. 
Dans  les  bronzes,  le  numéro  de  vedette  est  une 
statuette  de  saint  Sébastien  en  bronze  alle- 
mand du  commencement  du  xvi'  siècle,  que 
l'on  paye  61,000  francs  sur  une  estimation 
de  40.000  francs.  Comme  tapisseries,  deux 
grandes  tentures  du  xvi=  siècle  à  grands  per- 
sonnages sont  enlevées  à  24.000  francs  et 
32,000  francs. 

Le  25  mai,  passe,  sous  le  marteau  de 
M=  Chevallier,  la  collection  de  tableaux  an- 
ciens de  M.  Edwards.  On  obtient  un  produit 
de  194,000  francs  et  des  adjudications  dépas- 
sant les  demandes  de  l'expert,  M.  Ferai.  On 
donne  là  27,500  francs  pour  une  nature 
morte  de  Chardin.  La  Soupière  d'argent,  qui 
avait  été  payée  2,35o  francs  en  1869.  Un  por- 
trait de  Largillière.  par  lui-même,  atteint 
18,200  francs  ;  un  petit  tableau,  par  Wouwer- 
man,  le  Maréchal  ferrant,  fait  18,000  francs: 
un  portrait  de  jeune  homme,  par  Reynolds. 
1 3,200  francs;  un  grand  portrait  d'homme, 
par  Goya,  16,100  francs  et  deux  scènes  de 
courses  de  taureaux,  par  le  même,  14,000  et 
1 1,000  francs. 

Le  peintre  espagnol  Goya  est  en  ce  mo- 
ment grand  favori  et  ses  œuvres  sont  très  recher- 
chées. Aussi,  dans  une  vente  qui  avait  lieu,  le 
27  mai,  à  l'Hôtel  Drouot,  on  a  vu  la  sensa- 
tionnelle enchère  de  77,000  francs  pour  un 
Portrait  présumé  de  la  duchesse  d'Albe,  par 
Gova,  dont  l'expert,  M.  Paulme,  avait 
demandé  3o,ooo  francs.  A  cette  même  vaca- 
tion, un  pastel,  Portrait  de  femme,  par  Ro- 
salba  Carriera,  a  atteint  2 5, 000  francs. 

Plusieurs  ventes  de  tableaux  modernes  se 
sont  aussi  produites  en  mai,  celles  des  collec- 
tions Pasquier,  Madame  S...,  Bérard,  Heugel, 
et  Blanquet  de  Fulde,  toutes  dirigées  par 
M=  Chevallier,  assisté  dans  une  de  M=  Lair- 
Dubreuil  et  avec  le  concours  des  experts 
Georges  Petit,  Haro  et  Bernheim  jeune. 

A  la  vente  Pasquier,  l'œuvre  principale  est 
la  Danse  de  l'Aimée,  par  Fantin-Latour,  qui 
monte  à  2 i,3oo  francs.  Parmi  plusieurs  Ziem, 
un    fait   14,700    francs,    tandis    qu'un    Corot 


atteint  io,5oo  francs   et  un    pastel  de  Lher- 
mitte,  10, 100  francs. 

La  vente  de  la  collection  de  Madame  S... 
donne  un  total  de  211,000  francs.  Une  toile 
importante  de  Jacque,  la  Bergerie,  n'atteint 
pas  la  demande  avec  48,000  francs.  Des  Ziem 
se  payent  de  6,000  à    10,000    francs. 

Avec  la  collection  Bérard,  l'école  impres- 
sionniste remporte  un  succès,  surtout  en  ce 
qui  concerne  les  œuvres  de  Renoir,  dont  la 
Fête  de  Pan,  fait  i5,ooo  francs;  une  Fillette, 
1 3,200  francs,  et  une  grande  composition, 
l'Après-midi  des  enfants  à  Vargemont, 
14,000  francs.  On  fête  aussi  Claude  Monet  et 
l'on  donne  27,100  francs  pour  la  Débâcle,  et 
i5,5oo  francs  pour  les  Bords  de  l'Epte.  La 
Petite  Cigale,  de  Berihe  Morizot.  trouve 
preneur  à  11,200  francs,  et  deux  Sislev  dé- 
passent 10,000  francs. 

La  collection  Heugel  produit  289,000  fr. 
avec  quelques  tableaux  très  importants  de 
l'école  romantique.  Une  œuvre  maîtresse,  par 
Eug.  Delacroix,  la  Chasse  aux  lions,  est  adju- 
gée 65. 000  francs,  tandis  qu'une  autre,  le 
Christ  en  croix,  reste  à  i5,ooo  francs  sur  une 
demande  de  35, 000  francs.  Un  marchand  de 
New-York  paye  61,000  francs  la  Baigneuse, 
par  Millet,  qui  avait  fait  48,000  francs  à  la 
vente  Saulnier  en  1892;  la  Petite  Gardeuse 
d'Oies,  par  Millet, .  grimpe  à  56, 000  francs 
contre  38, 000  francs  en  1894.  Dans  la  Forêt, 
par  Rousseau,  fait 3o, 000  francs;  un  Paysage 
de  l  Artois,  par  Corot,  32,5oo  francs. 

A  la  vente  Blanquet  de  P'ulde,  le  résultat 
se  chiffre  par  227,000  francs.  Un  paysage,  par 
Daubigny,  la  Terrasse  d'Andresy,  reste  à 
20,000  francs;  la  Rafale,  par  Corot,  demeure 
à  18,000  francs,  et  Mont-de-Marsan,  du 
même,   à    i5,ioo   francs. 

A  Londres,  il  y  a  eu  aussi  des  ventes  im- 
portantes qui  ont  donné  des  adjudications 
sensationnelles  dont  la  principale  a  été  celle 
de  406,875  francs,  obtenue  par  un  biberon  en 
cristal  de  roche  gravé,  ayant  la  forme  d'un 
animal  fantastique  avec  monture  en  or, 
émaillé  de  travail  allemand  du  xvi=  siècle. 
C'est  le  plus  haut  prix  obtenu  par  un  objet 
d'art  en  vente  publique.  La  vente  de  la  col- 
lection Huth  qui  a  produit  plus  de  trois  mil- 
lions avec  des  objets  d'art,  tableaux  et 
estampes.  &  é\é  \q  great  event  de  \&  saison. 

Le  clou  a  été  le  prix  de  147,500  francs 
donné  pour  un  vase  en  ancienne  porcelaine 
de  Chine  a  fond  bleu  décoré  d'une  branche  de 
prunier  fleurie.  Deux  coupes  et  un  vase  en 
vieux  Chine,  fond  vert,  à  feuillages  en  mauve, 
ont  fait  67.500  francs,  et  une  paire  de  vases  à 
fond  bleu  décorés  de  réserves,  48,550  francs. 
Dans  les  tableaux,  un  portrait  du  danseur  Vcs- 
tris,  par  Gainsborough,  a  atteint  119.415  fr.  ; 
un  paysage  par  Crome,  78,000  francs;  un 
tableau  par  Morland,  52, 5oo  francs;  un  Cons- 
table,  44,000  francs;  deux  paysages  par  Corot 
ont  dépassé  5o,ooo  francs  chacun.  Dans 
les  estampes  de  l'école  anglaise,  on  ne  connaît 
plus  de  limite  de  prix,  et  l'on  pave  3i,5oo  fr. 
une  épreuve  de  Lady  Bampjylde,  d'après 
Revnolds,  par  W'atson.  D'autres  épreuves, 
d'après  le  même,  ont  dépassé  20,000  francs. 
Enfin,  dans  les  premiers  jours  de  juin,  à  la 
vente  de  la  collection  Twemouth,  on  a  battu 
tous  les  records  avec  un  prix  de  222,375  francs 
pour  un  Portrait  de  Lady  Raeburn,  par 
Raeburn.  et  celui  de  173.250  francs  pour  un 
Portrait  de  la  comtesse  de  Bellament.  par 
Revnolds. 

A.  FRAPPART. 


Directeur  :  M.  MANZl. 


Impriiueria  Manzi,  Joyant  de  C",  Asoiéres. 


U  ùittaX  :  G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N"  4  3 


PARIS    —    LONDRES    BERLIN     —    NEW-YORK 


Juillet  u)o«s 


^HPI^H 

^^^^^^^.^^    '^         ir«.^^^^^| 

^^^^^^ME^            <^^^^^^^H 

RODIN.   —    nusTE    DE   VICTOR    H l' G o    (itiarbre) 
(Collection  de  M.  Henri  Rochefori) 


p.-?.  PRnD'HOV.  —  1,1!  THinvpnr  nri  arts  /ilessiiil 


LA  COLLECTION  DE  M.  HENRI  ROCHEFORT 


II,  n"v  a  guère  que  deux  espèces  de  colleciionneurs  :  ceux 
qui  achètent  ei  ceux  qui  dénichent.  Si  j'avais  eu  de 
la  fortune,  je  l'aurais  certainement  employc'e  à  acheter, 
mais  comme  je  n'en  avais  pas,  je  me  suis  perfectionné  de 
mon  mieux  dans  l'art  de  dénicher. 

La  chasse  aux  tableaux,  marbres  et  terres  cuites,  est 
d'ailleurs  de  beaucoup  plus  intéressante  que  les  autres,  mais 
elle  est  aussi  inrinimcnt  plus  difficile,  d'autant  qu'on  n'a  ni 
chien  d'arrêt  pour  faire  lever  le  gibier,  ni  chien  courant  pour 
vous  le  rapporter  et  qu'on  est  tenu  de  ne  se  fier  qu'à  son 
coup  d'œil. 

Il  faut  avoir  longtemps  pratiqué  le  sport  artistique  pour 
se  faire  une  idée  des  ruses  d'Indiens  Chacias  auxquelles  un 
amateur  un  peu  passionné  est  obligé  de  se  livrer  pour 
arriver  à  suivre  une  piste  et  finir  par  débusquer  l'ennemi. 

En  principe,  on  peut  admettre  que  sur  cent  toiles  qu'on 
vous  propose,  il  s'en  trouve  à  peine  une  seule  qui  soit  sus- 
ceptible de  vous  séduire,  et  encore  les  toiles  qui  vous 
séduisent  sont  elles  presque  toujours  celles  qu'on  ne  vous 
propose  pas. 

C'est  là  une  école  qu'il  est  indispensable  de  faire  en  per- 
sonne si  on  veut  qu'elle  vous  profite.  A  l'instar  des  photo- 
graphes, on  est  dans  l'obligation  d'opérer  soi-même.  On 
n'apprend  pas  dans  les  livres  à  apprécier  les  tableaux.  On 
doit  reconnaître  la  touche  d'un  peintre  comme  on  reconnaît 
sur  l'enveloppe  d'une  lettre  l'écriture  d'un  ami. 

Toutefois,  avant  de  parvenir  à  cette  science,  encore  bien 


DAVID  TENIEHS.  —  i.i;  itmi-ik 
(Collcctinn   de   M.   Henri  Rocfiffnrt) 


J.-B 


-S.     CHARDIN     —    PIERKOT    EN     PRISON 

(Collection  Je  M.  Henri  Roche/oriJ 


LES  ARTS 


précaire  ei  bien  l'ragiic,  que  d'iiorreiirs  encadrées  ou  non 
vous  ont  passé  sous  les  yeux!  Sans  compter  que  si  le  goût 
du  public  change  souvent,  le  vôtre  se  moditie  aussi.  Les 
mêmes  peintures  qui  m'enthousiasmaient  dans  mon  jeune 
âge  me  portent  aujourd'hui  sur  les  nerfs,  et  j'ai  frôlé  jadis, 
sans  m'y  arrêter,  des  œuvres  qu'il  m'eût  été  loisible  d'obtenir 
pour  presque  rien,  que  je  trouve  superbes  maintenant,  et 
qui,  malgré  mes 
dédains  d'une 
autre  époque, 
sont  montées  à 
des  prix  considé- 
rables. 

Il  m'est  tombé 
dans  les  mains, 
je  m'en  souviens, 
une  superbe  An- 
n  on  dation  d  u 
Greco,  signée  en 
toutes  lettres 
Théo  toc  opuli- 
Greco,  que  j'ai 
donnée  je  ne  sais 
plus  à  qui  et  qui, 
à  l'heure  où  nous 
sommes,  a  une 
valeur  sérieuse. 

Je  me  suis  fait 
adjuger  il  y  a 
bien  près  de  qua- 
rante  ans,  non 
malheureusement 
pour  moi,  mais 
pour  un  ami,  un 
David  et  Saitl  de 
Rembrandt,  pour 
la  somme  alors 
importante  de  dix 
mille  francs.  Il  y 
a  trois  ans,  j'étais 
allé  en  Hollande 
en  ma  qualité  de 
président  du  Co- 
mité Boër  afin  de 
m'entendre  avec 
nosamisduTrans- 
vaal  et  j'ai  retrou- 
vé, au  musée  de 
la  Haye,  où  il  oc- 
cupe une  place 
d'honneur,  à  côté 
de  la  Leçon  d'ana- 
tomie,  mon  David 
et  Saitl,  que  la 
ville  avait  payé 
deux  cent  quinze 


AUG.  PAJOU.  —  iiusTH  ui! 
(Collection  de 


mille  francs.  Habent  sua  fata  libelli.  On  peut  en  dire 
autant  des  tableaux.  David,  qui  fut  à  la  fois  un  très  bon 
peintre  et  un  très  grand  criminel,  ayant  avec  ses  Satines, 
ses  Serments  des  Horaces,  et  ses  pompiers  fait  tomber 
à  rien  les  plus  délicieux  Boucher,  les  plus  exquis  Frago- 
nard  et  les  plus  adorables  Lancret,  a  permis  aux  amateurs 
comme    le    docteur    La    Caze    que    j'ai    beaucoup    connu, 

comme  M.  Mar- 
cille  et  M.  Wal- 
ferdin,  chez  qui 
j'ai  été  rei,-u  dans 
ma  toute  jeu- 
nesse, d'ac- 
quérir à  des  prix 
dérisoires  des 
merveilles  du 
xviii=  siècle. 

Croirait-on 
ijau  la  fameuse 
Servante  de  Hais, 
que  L  a  C  a  z  e  a 
laissée  au  Louvre 
et  qui  se  vendrait 
aujourd'hui  un 
quart  de  million, 
il  l'avait  payée 
trois  cents  francs? 
Les  Baigneu- 
ses, de  Frago- 
n  a  r  d ,  u  n  e  des 
perles  du  Louvre, 
il  les  avait  ache- 
tées trois  mille  fr. 
à  M.  Ferai  père, 
en  1854.  On  se- 
rait, en  1905, heu- 
reux de  les  acqué- 
rir au  centuple. 

Ces  évolu- 
tions de  la  mode 
ont  eu,  du  reste, 
leur  revers.  Des 
maîtres  comme 
Van  der  Wertf, 
comme  le  petit 
Van  Dyck,  comme 
les  M  i  e  r  i  s  qui 
faisaient  prime, 
ont  subi  une  dé- 
gringolade dont 
ils  ne  se  relève- 
ront probable- 
ment jamais. 

Le  flair  de 
l'amaieurconsiste 
précisément  dans 


SON  MouEi.ii  uHDhNAïul-;  (lerrc  cuitei 
Jtf.  Henri  Rochefort) 


■B.-S.    CHARDIN.    —   pierrot  volsur 
(Collection  de  M.  Henri  Rochefort) 


LES  ARTS 


la  prescience  de  l'avenir 
Ce  dont  j'aimerais  le  plus 
des  articles  d'art  qu'il  me 
la  gloire  de  Millet  et  de 
Corot,  alors  méconnus, 
quand  ils  n'étaient  pas  in- 
juriés. J'avais  à  vingt  ans 
occupé  au  n°  lo  de  la 
rue  des  Beaux-Arts,  une 
ciiambre  d'étudiant  con- 
tiguë  à  l'atelier  de  Corot. 
J'y  entrais  quelquefois 
ayant  peine  à  ne  pas  en- 
foncer mes  semelles  dans 
les  toiles  éparpillées  sur 
son  parquet.  Et  il  me  di- 
sait avec  un  rire  mélan- 
colique que  je  ne  compre- 
nais pas  alors  : 

«  Vous  pouvez  en  ra- 
masser tant  que  vous  vou- 
drez :  ça  ne  se  vend  pas.  » 
Je  n'en  avais  pas  moins, 
pour  cet  admirable  maître 
dont  un  paysage  suffit  à 
aérer  une  pièce,  une  sin- 
cère admiration  et  lors- 
qu'un peu  plus  tard  je  fis 
mon  apprentissage  de 
journaliste,  j'écrivis  dans 
le  Figaro,  Je  crois,  cette 
phrase  qui  étonna  les  ar- 
tistes : 

«  Rien  n'est  plus  beau 
qu'un  beau  Corot.  » 

Plus  tard  encore,  je 
me  rencontrai  chez  des 
amis  avec  le  peintre  RoU 
que  je  ne  connaissais  pas, 
et  qui  me  dit  : 

«  Sans  vous  en  douter, 
vous  avez  e.xercé  une  vé- 
ritable influence  sur  moi. 
Vous  avez  écrit  :  «  Rien 
«  n'est  plus  beau  qu'un 
«  beau  Corot.  »  Jusque-là 
j'avais  considéré  sa  pein- 
ture comme  négligeable. 
Je  me  suis  mis  alors  à 
l'étudier  et  j'ai  reconnu 
qu'en  effet  rien  n'était  plus 
beau.  » 

Millet  avait  exposé  le 
tableau  superbe  intitulé  le 
Bûcheron  et  la  Mort. 
Toute  la  presse  élégante 


des  peintres,  morts  ou  vivants, 
à  me  vanter,  c'est  d'avoir,  dans 
serait  facile  de  retrouver,  prédit 


ei  pommadée  avait  poussé  des  hurlements.  Je  fus  presque 
seul  à  prendre  la  défense  de  ce  merveilleux  artiste  qu'on 
peut  appeler  :  le  Prud'hon  des  paysans.   Et  je  formulai  ce 

pronostic  : 

«  Malgré  ces  railleries 
et  ces  attaques,  l'heure  est 
proche  où  les  toiles  de 
Millet  se  couvriront 
d'or.  » 

Et  je  me  trompais  en 
ceci  :  qu'elles  sont  au- 
jourd'hui couvertes  non 
pas  d'or,  mais  de  bank- 
notes  et  de  paquets  de 
billets  de  mille  francs. 

C'est  ma  fierté,  je  l'a- 
voue, de  ne  pas  m'être 
montré  trop  mouton  de 
Panurge.  Toutefois,  mes 
prédilections  m'ont  tou- 
jours porté  vers  les  ta- 
bleaux anciens  à  l'exclu- 
sion des  modernes.  D'a- 
bord parce  qu'il  est  plus 
facile  d'acheter  des  gloires 
toutes  faites,  peu  de  gens 
ayant  le  temps  d'attendre 
qu'elles  se  fassent. 

En  second  lieu,  parce 
que  les  Hollandais,  les 
Italiens,  les  Flamands  et 
les  Français  des  derniers 
siècles  ont  produit  des 
œuvres  réellement  incom- 
parables. Un  Velasquez, 
un  Van  Dyck,  un  Ru- 
bens,  un  Rembrandt  — 
Rembrandt  surtout  — 
vous  donnent  à  première 
vue  ce  qu'on  appelle  «  un 
coup  dans  l'estomac  », 
que  j'ai  bien  rarement 
subi  devant  une  œuvre  de 
nos  jours. 

Il  est  en  outre  une 
considération  à  laquelle 
j'ai  bien  été  obligé  d'obéir  : 
celle  du  manque  d'argent. 
Qui  a  bu,  boira  ;  qui  a 
joué,  jouera;  et  qui  a 
acheté  des  tableaux,  en 
achètera.  Mais  si  on  a 
écrit  la  biographie  du 
gentilhomme  pauvre  et  de 
l'étudiant  pauvre,  celle 
de  l'amateur  pauvre  serait 


AUG.  PAJOU.  —  DlooliMi  (marbre) 
(Collection  de   M.   Heur i  Roc he fo r t) 


J.-H.    FRAGONARD.  —   l'amour  dans   les   roses 
(Collection  de  M.  Henri  Rochefori) 


LES    ARTS 


au  moins  aussi  intéressante.  Comme  le  joueur  décavé 
autour  des  tables  de  roulette,  il  rôde  aux  expositions  de 
l'hôtel  Drouot,  cherchant  le  tableau  faussement  attribué 
dont  il  reconnaît  le  véritable  auteur  et  dont  la  valeur  pour- 
rait échapper  au  public. 

Il  a  le  déboire  quand  l'objet  vous  passe  entre  les  doigts, 
mais  il  y  a  aussi  le  triomphe  quand  il  vous  reste  entre  les 
mains.  J'ai  eu  plus  que  personne  peut-être  de  ces  angoisses 
et  de  ces  joies.  Étant  tout  jeune,  il  m'est  échu  à  la  barbe  du 
plus  gros  enchérisseur,  une  superbe  étude  du  Saint  Siméon 
de  la  Présentation  au   Temple^  de    Rembrandt,  et  que  j'ai 


acquise  pour  cette  chose  d'ailleurs  relative  et  indéterminée 
qui  s'intitule  :  un  morceau  de  pain. 

Mon  vieil  ami  Armand  Fréret,  membre  de  la  Commis- 
sion du  Louvre  et  que  je  considère  comme  le  plus  fort  de 
nos  connaisseurs,  et  moi,  avons  récemment  eu  la  chance  de 
nous  faire  adjuger  une  étonnante  vue  d'un  quartier  de 
Rome,  œuvre  de  Velasqucz,  qui  a  longtemps  voyagé  en 
Italie  et  qui  a  souvent  peint  des  sites  et  des  études  de  villes 
avec  personnages. 

Ce  tableau,  d'une  intensité  extraordinaire  de  ton,  repré- 
sente des  gens  du  peuple  se  lançant  des  boules  de  neige, 5 


A. -F.    CALLET.    —   P[li>.lKT   Dlî   IM.M-'OND 

(Collection  de  M.  Henri  liochefort) 


exercice  assez  rarement  praticable  dans  cette  partie  de 
l'Italie.  Dans  le  lointain,  on  aperçoit  la  silhouette  du  Coli- 
sée.  La  perspective  est,  dans  ce  beau  morceau,  tout  'a  fait 
impressionnante.  Il  était  resté  pendant  plus  de  quarante 
ans  accroché  sous  la  poussière  et  le  chanci  au  chevet  du  lit 
d'un  vieil  Américain  mort  l'an  dernier  à  près  de  quatre- 
vingt-quinze  ans.  L'œuvre  était  intacte  mais  tellement  sale 
qu'il  a  fallu  l'œil  expérimenté  d'Armand  Fréret  pour  en 
diagnostiquer  l'auteur. 

Les  amateurs  sans  fortune  ont  des  satisfactions  que  les 
amateurs  riches  sont  hors  d'état  de  se  procurer.  Acheter  un 


tableau  au  prix  d'estimation  constitue  un  simple  échange 
de  valeurs.  La  chose  amusante,  en  dehors  de  toute  question 
d'économie,  c'est  de  mettre  la  main  sur  ce  qui  a  passé 
inaperçu.  On  éprouve  le  juste  orgueil  de  pouvoir  dire  aux 
concurrents  qui  en  somme  sont  l'ennemi  : 

«  Je  vous  ai  soufflé  ce  Guardi  ou  ce  Tiepolo.  Donc  j'y 
vois  plus  clair  que  vous.  » 

.  La  collection  que  je  me  suis  faite  et  que  les  échanges  ont 
quelque  peu  transformée  —  car  on  se  lasse  quelquefois 
d'avoir  toujours  les  mêmes  tableaux  sous  les  yeux  —  a  été 
ainsi  en  majeure  partie  composée  de  trouvailles  que  sou- 


LA    COLLECTION   DE    M.    HENRI   ROCHEFORT 


I-OUIS      BOILI.Y.     —     PORTRAIT     PRiiSUUé     ou     PKINTRK     PAR     LUI-MÈMB 


(Collection  de  M.  Henri  Roche/ori) 


10 


LES  ARTS 


vent  le  hasard  seul  m'a  procurées.  C'est  celles  auxquelles  je 
tiens  le  plus. 

A  côté  des  déceptions,  on  a  aussi  de  douces  surprises. 
Vous  achetez  une  peinture  ou  une  terre  cuite  dont  l'aspect 
vous  a  séduit.  Une  fois  portée  chez  vous,  un  examen  plus 
minutieux  vous  démontre  que  la  peinture  est  criblée  de 
repeints  et  que.  la  sculpture  est  un  vulgaire  surmoulage. 
Que  celui  qui  n'a  pas  souffert  de  cet  «  entôlage  »  ose  lever 
la  main  ! 

En  revanche,  il  arrive,  ce  qui  m'est  arrivé  il  y  a  quelques 


P.-P.  PnUD'HOX.  —  L'ixxoniixcE  (dossin  au  crayon  noir 
(Collection  de  M,  Henri  Hoche  fort) 


années,  à  savoir  que  sous  des  badigconnages  à  la  détrempe 
ou  au  vernis,  on  voit,  après  un  léger  nettoyage,  surgir 
quelque  beau  portrait  original  dont  les  possesseurs  ont 
confié  la  retouche  à  un  restaurateur  endurci  qui  a  cru 
devoir  remplacer  le  pinceau  du  premier  maître  par  le 
sien. 

J'avais  acheté  sans  conviction,  pour  un  prix  très  doux  et 
surtout  pour  le  plaisir  de  dépenser  mon  argent,  un  portrait 
de  la  Du  Barry,  dont  après  inspection  je  vis  bien  que  la  tête 
était  moderne  et  même  fraîchement  peinte.  Un  peu  d'essence 

de  térébenthine  sur  du 
coton  suffit  à  enlever  tout 
ce  maquillage,  et  la  Du 
Barry  se  transforma  en 
une  vieille  diaconesse  hol- 
landaise coiffée  d'un  serre- 
téte  qui  lui  bridait  les 
rides  du  front. 

Ces  fâcheuses  décou- 
vertes ne  se  produisent 
pas  seulement  dans  les 
peintures  ;  les  marbres  et 
les  terres  cuites  ont  aussi 
leurs  retoucheurs.  J'ai 
rencontré  dans  mesdéam- 
bulations  bibelotières,  un 
petit  groupe  de  Clodion 
représentant  une  «  gim- 
blette  »,  c'est-à-dire  une 
jeune  femme  tenant  entre 
ses  deux  pieds  levés  en 
l'air  un  petit  chien  auquel 
elle  présente  un  masse- 
pain qu'on  appelait  alors 
«  gimblette  ». 

Boucher,  Fragonard, 
Challe,  Baudoin,  ont 
peint  des  gimblettes  et 
les  sculpteurs  de  leur 
époque  s'y  sont  mis  éga- 
lement. On  pourrait  s'é- 
tonner de  tant  de  coïnci- 
dence, si  une  lettre  du 
temps  que  j'ai  eue  sous 
les  yeux  ne  m'avait  appris 
que  c'était  de  la  part  de 
ces  charmants  artistes  un 
acte  de  courtisanerie  à 
l'adresse  de  la  Du  Barry, 
qui  avait  acclimaté  à  la 
cour  de  Louis  XV  cette 
étrange  distraction. 

Ma  gimblette  à  moi 
portant  l'authentique  si- 
gnature de  Clodion,  creu- 
sée   en    pleine  pâte,  était 

rehausse  do  blanc) 


LA  COLLECTION  DE  M.   HESRl  ROCHEFORT 

■ 

^^^^^^^Hii^-                    T  ^^^^^^H 

^^^^^^H 

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^^1 

1 

JEAN    DE    BOLOGNE   («ttribue   à).   —    lucrbck   expirant  ^marbre,  \vi« 

siè>:lc) 

iColleclion  de  M.  Henri  Rochefort) 

12 


LES  ARTS 


recouverte  d'un  enduit  grisâtre  tellement  épais  qu'il  était 
impossible  de  distinguer  les  finesses  ordinaires  de  l'ébau- 
choir  du  maître.  Je  supposai  naturellement  que  cette  croûte 
impénétrable  avait  été  appliquée  sur  mon  groupe  afin  d'en 
cacher  les   brisures  ou    les   réparations.   Pour  en    avoir  le 


cœur  net,  je  me  décidai  à  la  faire  ce  qu'on  appelle  «  décaper  », 
et  j'eus  la  plus  agréable  surprise  en  voyant  après  l'opération 
que  ma  gimblette  n'avait  jamais  subi  la  moindre  avarie  et 
qu'elle  était  aussi  pure  et  complète  que  si  elle  sortait  de 
l'atelier  du   grand  sculpteur. 


CLODION.  —  FAU.Mîssiî  HT  l'iîTiT  FAUNE  (terre  cuite) 
(CnUectioii  de  M.  Henri  Bnchefnrt) 


Probablement,  car  la  bêtise  humaine  est  insondable,  le 
premier  possesseur  de  cette  delicie14.se  figurine  avait-il  voulu 
atténuer  la  nudité  de  la  jeune  femme  en  lui  passant  ce  badi- 
geon sur  le  corps  comme  il  lui  aurait  passé  une  chemise. 


Dans  mes  divers  séjours  en  prison,  ce  dont  je  souffrais 
certainement  le  plus,  c'était  la  privation  complète  de  toute 
récréation  artistique.  Aussi,  dès  mon  arrivée  à  Londres, 
lors  de  mon  dernier  exil,  n'ai-je  pas  perdu  un  moment  pour 


LA   COLLECTION  Dit    M.   HENRI  ROCHEFORT 

li 

aller  me  régaler 

des  trésors  d'art  qui  abondent  en  Angle-           j'ai  di3,    la   mort  dans   l'âme,    me   défaire 

de   cette  perle. 

terre.  La  maison 

Christie,  qui  est  là-bas  l'hôtel  des  ventes.                Mais,  si  jamais  occasion  de  laisser  une   fortune  à   mes               | 

est  celle  où 

héritiers  s'est 

aboutissent 

offerte  à  moi. 

^^^^^^HHI^H^^^^^^^^^^^^^^Hi^^^^^^^^^^^HHillHHHHII^H^^H^H^^HI^I^^^^^H 

presque 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 

c'est    bien 

toutes  les 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 

pendant  mon 

œuvres  sor- 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 

séjour  en  An- 

tant des  gran- 

^^^^^^^^^if^^^^H 

gleterre.    J'ai 

des    collec- 

dans    plu- 

tions.   J'y   ai 

^^^^^^^^^^^^^^H                             ^^^^^^^^^^^^^^^1 

sieurs  articles 

contemple 

^^^^^^^^^H               "^^^^^^^^^H 

publiés     à 

d'admirables 

^^^^^^^m    ^            l^^^^^^H 

Paris    mais 

Reynolds, des 

^^^^^^^H   È         '  I^^^^^^H 

reproduits 

C  0  n  s  t  a  b  1  e 

dans un  grand              { 

impression- 

n o  m  b  r  e  de              ; 

nants, comme 

^^^^^^^■l^  ^m^  ma        ^^^^^^H 

journaux  de 

des  Corot   et 

H^r^^'^H 

Londres,  si               i 

des  Gainsbo- 

ardemment 

rough   res- 

décritetvanté 

plcndissanis. 

^^^^^^  ^^iP"^           -''^'^T^^^H 

les  charmes 

Les    An- 

^^^^     £!v                        ^^H 

de   la  pein- 

glaisontpour 
ainsi  dire  dé- 

^m    m.  .-<r  ^^  H 

ture  anglaise 
que  presque 

couvert  l'Ita- 

^^m          ^^^^              ^\    >fl 

du    jour  au 

lie   d'où   ils 

W               ^r/M 

lendemain. 

ont  rapporié 

les    yeux  des 

les  plus  déli- 

H                             //    V 

Londonniens 

cieuses  vues 

^m                                              /  ^        V 

se  sont  ou- 

de Venise,  de 

W    xs.^     '^^^à.M 

verts   sur  le 

ce  Guardiqui 

mérite    de 

est  pour  moi 

^L.      iJ  \                      ^L.^Bk:!S 

beaucoup  de 

le  Rossini  de 

^^k.  jm     '          ^'"^^^^^i^BfeiH 

leurs  artistes 

la  peinture. 

^^^^4|k                 Vl^^^^^^^l 

dont  la  grande 

A    mon  arri- 

^^^^^^^^HhBié                   ^(^^I^L£_^^^^^^^^^^^h 

valeur  leur 

vée  à  Londres 

^^^^^^^^^^                              ^^^^flHI^^^^^^^^H 

avait  échappé. 

il  se  vendait  à 

^^^^^^^^^^^^^^              -«*^É^^^^^^^^^^^^^^^^^^I 

Je  n'avance 

un    bon  mar- 

^^^^^^^^^^^^^k         ''  ^^^^         .^^^^^^^^^^^1 

rien  là  qui  ne 

ché   relaiif  et 

^^^^^^^^^^^^^^k                            ^^^^^^^^^^^^H 

soit  exact  : 

j'y    ai    acquis 

^^^^^^^^^^^^^^É           '''^ct^^toM^^^^^^^^^^^H 

M.  Woods, 

en    vente  pu- 

^^^^^^^^^^^^^^F     '^«wpâMWl'^^^^^^^^^^^^^^^H 

l'expert    si 

blique    une 
«  Piazzciia  " 

^^^^^^^^^^^Lx^^^^^-^^^^mm^^^^^^^^^^ 

connu  en  .An- 
gleterre, où 

^^^^^^^^^^^^^F^ ^             f^^^^^^^^^^^^H 

dont    j'aurais 

^^^^^^^^^■^^^                  I^^^^^^^^^^^H 

il  a  longtemps 

bien  \'  o  u  1  u 

^^^^^^^^^^Hv          ^   ^  ^   J0^^     ^^^^^^^^^^1 

dirigé   les 

donner  ici 

ventes  les  plus 

u  ne    repro- 

^^^^^^^^^^^^^^m                                       ^^^^^^^^^^^1 

retentissantes 

duction  pour 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H^^^j^^jtjK^                                                ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 

et  à  qui  je  fai- 

les lecteurs 

^^^^^^^^^^^^^^^H|^^^^H|^^^^^|^__|^|^^^^^^^^^^^H 

sais  remar- 

des     .1  ;•  /  .V . 
C'est    peut- 

^^^^^^H^^IB^^^^^^^H 

quer  les  prix 
inabordables 

être    le    plus 
b  e  a  u    tn  o  r- 
ceau    qu'il    y 
ait  à  Paris  du 

HH^^^H^H^I^^Hi^l^H^^I^H 

q  u  '  a  1 1  c  i  - 
gnaicnt  tous 
les  jours  les 
tableaux  de 

cil  \ni  i:s  II,  noi  ii'woi.rTKRHK  (marbre) 
ICotltctlom  i*  M.  Htoti  HtKktfari) 

peintre  de   Veni 

se   «»  la  Rouge  ».  Malheureusement  j'étais          ses  compatriotes,  me  répondit:  «  De  qu( 

)i  vous  plaignez- 

proscrit ,    exposé 

comme   tel  à  toutes    les    vicissitudes  ci           vous  ?  ce  sont  vos  articles  qui  les  ont  fait  n 

lonter.  » 

1 j 

14 


LES   ARTS 


Oui,  j'ai  pu  acheter  chez  M.  Coinaghi,  le  marchand  de 
Trafalgar  Square,  moyennant  quatre  ou  cinq  cents  francs, 
un  Raiburn,  Une  Jeune  Mère  et  sa  Fille,  qui  aujourd'hui  se 
vendrait  couramment  cent  mille. 

Le  même  revirement  s'est  opéré  sur  les  Thomas  Law- 


rence, longtemps  négligés  et  aujourd'hui  avidement  recher- 
chés. Sans  mon  imprudent  emballement,  il  m'eût  été  assez 
facile,  malgré  la  modicité  de  mes  ressources,  de  me  com- 
poser une  importante  collection  de  maîtres  anglais  dont 
j'aurais   ensuite   eu    tout    le    loisir    de    célébrer    le    talent. 


LENAIN.  —  rAMiLi.E  de  i'aysans 
(CoUectinn    de    M,   JJenri  Hochefort) 


Comme  il  arrive   souvent,   j'ai   mis  la   charrue   avant   les 
bœufs. 

Mais  une  de  mes  meilleures  captures  est  celle  de  deux 
superbes  décorations  de  Chardin  représentant  l'histoire  de 
Pierrot,  les  personnages  de  la  comédie  italienne  étant  alors 
très  en  vogue.  Ce  triptyque  —  car  il  contient  trois  toiles 


séparées  dont  l'une  fait  depuis  peu  de  temps  partie  de  la 
collection  de  M.  Henri  de  Rothschild,  —  se  compose  d'un 
Pierrot  profitant  de  l'absence  de  ses  maîtres  pour  voler  dans 
un  bocal  étonnant  de  transparence,  de  beaux  poissons 
rouges  qu'il  se  prépare  à  plonger  vivants  dans  une  poêle  à 
frire  pleine  de  graisse. 


LA    COLLECTION  DE  M.  HENRI  ROCHEFORT 


i5 


Dans  un  auire  cadre,  Pierrot  (c'est  celui  de  la  collection 
Rothschild)  est  à  sa  cuisine,  épluchant  des  oignons  dont  les 
émanations  lui  tirent  des  larmes. 

Enfin,  ayant  été  surpris  au  milieu  de  ses  méfaits.  Pierrot 
est  en  prison,  montant,  auprès  d'un  tonneau,  la  garde  avec 


le  balai  dont  il  vient  de  nettoyer  sa  cellule.  Son  costume 
blanc,  tranchant  sur  le  noir  du  cachot  éclairé  par  une  petite 
fenêtre  grillée,  jette  dans  cette  demi-obscurité  une  lumière 
d'une  finesse  extraordinaire. 

Cette  ravissante  fantaisie  française  m'a  largement  dédom- 


PUGET.    —  KNr.v.NT   coiniiK    (marlircl 
(CoUtclioH  d*  M.  lUitri  Bochtforl) 


mage  des  tableaux  anglais  que  j'avais  eu  la  maladresse  de 
laisser  passer  sans  les  arrêter  en  chemin. 

Ma  passion  artistique  demeure  d'ailleurs  confinée  dans 
les  tableaux  et  les  sculptures.  Je  ne  me  suis  jamais  intéressé 
aux  meubles  anciens,  si  élégants  qu'ils  fussent,  non  plus 
qu'aux  tapisseries  devant  lesquelles  tant  d'amateurs  s'exta- 
sient. J'aime,  dans  une  œuvre  d'art,  sentir  palpiter  l'àme  et 
la  personnalité  de  celui  qui  l'a  créée.  Un  meuble,  même  du 


faire  le  plus  délicat,  a  toujours  nécessité  la  collaboration 
d'un  certain  nombre  d'artisans  qui  y  ont,  chacun  de  son 
côté,  apporté  leur  savoir.  Une  terre  cuite  où  Ton  voit 
encore  le  coup  de  pouce  du  maitre  m'impressionne  bien 
autrement.  J'ai  acquis  chez  un  marchand  de  la  rue  de 
l'Abbaye,  un  Diogène  de  marbre  en  haut  relief,  ponant  au 
revers  cette  mention  gravée  très  profond  :  Inivitlé  et  cont' 
mencé  par  M.  Saly,  sculpteur  ordinaire  du  Roi,  professeur 


i6 


LES  ARTS 


à  son  ancienne  Académie  de  peinture  et  sculpture  en  i~46. 
Fini  par  Pajou,  sculpteur  ordinaire  du  Roi  et  professeur  de 
son  Académie  de  peinture  et  sculpture  en  177g. 

On  reconnaît  tout  de  suite,  dans  cet  intéressant  mor- 
ceau, le  ciseau  si  original  de  Pajou.  II  a  dû  dire  à  Saly  : 
«  Ce  n'est  pas  ça,  laissez-moi  arranger  votre  Diogène  à  ma 
façon.  » 

J'ai  depuis  retrouvé  le  nom  de  Saly  sur  un  buste  d'en- 


fant, mais  on  y  chercherait  en  vain  ce  grand  air  et  cette 
noblesse  de  formes  qui  s'imposent  dans  tous  les  marbres  du 
sculpteur  ordinaire  de  la  Du  Barry. 

Le  Moïse  du  même  Pajou  voisine  dans  mon  cabinet  de 
travail  avec  le  dernier  buste  qui  ait  été  fait  de  Victor  Hugo, 
lequel  est  un  Moïse  aussi,  et  qui  le  représente  à  l'âge  d'en- 
viron quatre-vingts  ans.  Ce  beau  marbre,  signé  Rodin, 
m'est  d'autant  plus  précieux   que   le  statuaire  y  a  travaillé 


CABLE  VAN  LOO.  —  DANAii 
(CoUei^tion  de  M.  Henri  Rochefort} 


sous  mes  yeux.  Victor  Hugo  coniinuellcmcnt  sollicité  de 
prêter  sa  tête  aux  artistes  de  tous  genres  et  de  toutes 
nationalités,  avait  fini  par  leur  refuser  nettement  la  pose. 
Mais  Rodin  qui  ne  tenait  pas  à  avoir  le  poète  immobile 
devant  lui  et  aimait  .beaucoup  mieux  le  surprendre  en 
pleine  vie,  s'était  installé  dans  la  véranda  de  la  maison  et 
saisissait  les  traits  du  maitre  pendant  que  nous  déjeunions 
et  causions  dans  la  salle  à  manger,-  séparée  seulement  par 
une  glace  de  cet  atelier  improvisé. 


Il  en  est  rJsulié  une  image  tellement  frappante  que 
lorsqu'elle  est,  le  soir,  éclairée  par  une  lumière  de  côté  il  me 
semble  que  je  suis  encore  à  table  à  côté  de  lui  et  que  nous 
continuons  la  conversaiion. 

J'ai  été  bien  heureux  le  jour  où  Rodin  a  consenti  à  me 
céder  cette  œuvre  palpitante  qui  est  en  même  temps  pour 
moi  un  touchant  souvenir. 

Seulement  tous  les  amateurs  me  comprendront.  Quand 
on   se   met   à  acheter  on   ne   s'arrête  plus.   J'ai   dans  des 


LA    COLLLECTION   DE    M.  HENRI   ROCHEFORT 


F.      BOUCHER.      —      LE     MARIAGE     DE     LA     VIERGE 

(Collection  de  M.    Henri  Rochefort) 


réserves  et  des  sous-sols  des  tas  de  toiles  qui  m'avaient 
d'abord  séduit,  que  j'ai  remisées  n'importe  où,  puis  oubliées. 
Depuis  même  que  j'ai  écrit  cette  notice,  je  me  suis  adjugé 


AUG.  PAJOU  (attribué  à). —  ckcile  Renault  dans  sa  prison  (terre  cuite) 
(Collection  de  M.  Henri  Roche  fort) 


plusieurs  peintures  qui  ont  actuellement  toute  ma  faveur, 
notamment  un  délicieux  portrait  de  jeune  patricien  de 
Venise,  par  Jean-Baptiste  Tiepolo,  qu'il  faut  se  garder  de 
confondre  avec  Domenico  Tiepolo  son  fils  dit  le  «  Tiepo- 


letio  ».  Le  personnage  est  vu  de  face,  les  doigts  élégamment 
posés  sur  les  cordes  d'une  mandoline  et  il  a  l'œil  noir 
cynique  et  langoureux  de  ces  figures  sceptiques  et  déver- 
gondées dont  on  re- 
trouve les  types  dans 
les  Mémoires  de  Casa- 
nova. 

Je  me  suis  également 
enrichi  d'un  Canaletto, 
une  Vue  de  Venise,  de 
tout  premier  ordre.  Trop 
souvent  le  public  non 
initié  prend  pour  des 
Canaletto  des  tableaux 
de  son  neveu  Belotto, 
qui  a  surtout  laissé  des 
vues  de  Dresde  dont  la 
qualité  est  sensiblement 
inférieure  aux  magis- 
trales peintures  de  son 
oncle. 

La  National  Gallery 
de  Londres  possède  de 
ce  dernier  deux  toiles 
d'une  rare  beauté,  dont 
l'une  est  une  procession 
passant  devant  un  grand 
monument  d'une  touche 
puissante  et  d'une  cou- 
leur rutilante.  Par  une 
erreur  que  j'ai  vue  se 
reproduire  plusieurs 
fois,  le  directeur  du 
musée  anglais  a  écrit  sur 
le  cartouche  adapté  au 
cadre  cette  mention  : 
«  Figures  de  Tiepolo.  » 
J'ai  eu  beau  répéter  aux 
collectionneurs  london- 
niens  que  Canaletto 
peignait  ses  figures  lui- 
même,  qu'il  était  facile 
de  constater  que  celles 
de  la  procession  ciaient 
du  même  pinceau  que  le 
monument,  qu'enfin  on 
n'y  reconnaissait  en  quoi 
que  ce  soit  la  main  de 
Tiepolo,  rien  n'y  a  fait; 
les  Anglais  ont  le  culte 
de  la  tradition  et  la  men- 
tion indiscutablement 
erronée  continue  à  s'épanouir  au  bas  du  cadre. 

Bien  qu'ayant  une  sympathie  restreinte  pour  les  primi- 
tifs allemands  ou  flamands  dont  les  diptyques,  triptyques 
et  panneaux  confinent  à  l'archéologie,  il  m'a  été  impossible 


LA   COLLECTION  DF  M.   HENRI  ROCHEFORT 


«9 


de  passer  indifférent  devant  une  Vierge  ait  donataire  qu'on 
attribuait  à  Lucas  de  Leyde,  mais  dont  je  n'oserais  garantir 
l'auteur,  bien  qu'il  en  porte  la  marque  et  pour  ainsi  dire  la 


signature,  laquelle  se  composait  d'un  paon  faisant  la  roue 
et  de  deux  cygnes  fendant  l'eau  d'un  bassin.  Les  anciens 
remplaçaient  ainsi  souvent  un  monogramme  par  une  figure 


CLODION.  —  LA  aiVRLiiTTE  (terre  cuile) 
(ColUtliom  de  ».  llrmri  Recttrforl) 


de    leur  choix.    Lucas    de    Cranach    signe    d'un   serpent. 
Garofolo  d'une  églantine  blanche,  de  Bresse  d'une  chouette, 


Lucas  de  Leyde  d'un  paon  et  de  deux  cygnes,  mais  en  fait 
d'achat  de  peintures,  il  faut  avoir  l'oeil  défiant,  et  il  est  encore 


20 


LES   ARTS 


plus  facile  d'imiter  un  oiseau  ou  un  reptile  qu'une  signature. 
Les  Arts  veulent  bien  reproduire  de  moi   deux  bustes 
pour  lesquels  j'ai  posé  devant  les  deux  plus  célèbres  sculp- 
teurs de  ce  temps, 


Dalou  et  Rodin. 
Exposés,  l'un  au 
Salon  de  1889, 
l'autre  à  celui  de 
igo3,  où  elles 
eurent  un  gros 
succès,  ces  deux 
œuvres  accusent 
nettement  la  diffé- 
rence, je  ne  dis 
pas  entre  le  talent, 
mais  entre  l'art 
comme  le  com- 
prenaient ces  deux 
maîtres.  Le  buste 
de  Dalou  qui  a 
pour  ainsi  dire 
jouéaveclebronze 
est  fouillé  avec 
une  sûreté  et  une 
puissance  extra- 
ordinaires dans  le 
«  coup  de  pouce  ». 
La  ressemblance 
estaussidelaplus 
scrupuleuse  exac- 
titude.  C'est  le 
simple  journa- 
liste, l'homme 
privé  et  intime. 

Dans  le  bronze 
beaucoup  plus 
grand  que  nature 
dont  Rodin  a  fait 
une  sorte  de  vi- 
sion, apparaît 
plutôt  l'homme 
public.  C'est 
comme  la  syn- 
thèse de  toute  une 
vie  qui  fut  quel- 
que peu  agitée. 
On  sent  là  que  le 
modèle  a  passé 
par  des  chemins 
où  il  y  avait  pas 
mal  de  pierres. 

.le  n'ai  jamais 
donné  dans  les 
dessins,  aujourd'hui  très  courus,  surtout  quand  ils  sont  de 
Watteau  et  qui  ont  atteint  des  prix  peut-être  exagérés,  étant 
donné  qu'ils  ne  traduisent  d'ordinaire  que  la  toute  première 


THEOTOCOPULl  un  LE  GRIXO.  — 
(Collection  de  M. 


pensée  de  l'artiste.  J'en  ai  pourtant  récolté  un  très  petit 
nombre  parmi  lesquels  un  charmant  profil  de  jeune  fille 
au  crayon  blanc  et  noir,  par  ce  Prud'hon,  qui  sait  donner 

à  ses  têtes  de 
femmes  des  lignes 
si  pures  et  des  re- 
gards si  candides. 
J'ai  aussi  de  lui 
un  projet  tracé  sur 
papier  à  décalque 
Ju  Triomphe  des 
Arts,  dont  la 
grande  esquisse 
fait  partie  du  mu- 
sée de  Chantilly 
laissé  par  le  duc 
d'Aumale  à  l'Aca- 
démie française, 
et  c'est  à  peu  près 
tout. 

Les  pastels  ac- 
tuellement plus 
en  vogue  que  ja- 
maisnemetentent 
non  plus  guère. 
Presque  tous  les 
peintres,  sauf  La 
Tour  et  Péron- 
neau,  spécialistes 
de  cet  art  compli- 
qué, y  perdent 
leur  personnalité. 
Il  est  très  difficile, 
à  moinsd'y  décou- 
vrir une  signature, 
de  différencier  un 
pastel  de  Vanloo 
d'un  autre  de  Ma- 
dame Vigée-Le 
Brun.  Or,onaime 
généralement  sa- 
voir à  qui  l'on  a 
affaire. 

A  force  de  s'i- 
nitier aux  procé- 
dés des  grands 
peintres  dont  le 
Louvre  nous 
montre  de  si  bril- 
lants spécimens, 
le  goût  s'épure  et 
on  en  arrive  à  éli- 


S^'.NT    l'IlANÇOIS  !t  ASSISIi  HT    UN   .NOVlCi; 

Henri  Itochefort) 

miner  peu  à  peu 
de  sa  collection  tout  ce  qui  ne  cadre  plus  avec  l'aspect  définitif 
sous  lequel  vous  voyez  la  nature.  Le  rêve  devient  ainsi 
l'assemblage  d'une  vingtaine  de  toiles  choisies  entre  toutes 


LA   COLLECTION   DE    M.    HENRI    ROCHE EORT 


21 


RODIN.     BUSTK     DE     HENRI     ROCHEFORT     ^brODZe) 

(Collection  Je  M.  Henri  Roche/ort) 


et  qu'on   garderait  à  l'exclusion  des  autres   dont   on    s'est 
généralement  encombré.  Malheureusement  à  cette  heure  la 
rage  est  venue  à  tout  le  monde  d'avoir  sa  galerie  et  la  suren- 
chère a  fait 
montera  des 
prix  absolu- 
ment inabor- 
dables et  ou- 
trancters 
toute  œuvre 
un    peu    re- 
marquable. 

Il  yaquel- 
ques  jours, 
j'ai  assisté  à 
l'adjudica- 
tion d'un 
Goya  certai- 
nement sé- 
d  u  i  s  a  n  t , 
quoiqued'un 
dessin  bien 
incertain  et  je 
me  suis  rap- 
pelé qu'il  y 
a  quarante 
ans  un  de 
mes  amis, 
l'ingénieur 
Oudry,  m'a- 
vait prié  d'al- 
ler le  pous- 
ser pour  lui 
à  une  vente 
qui  avait  lieu 
dans  une  des 
salles  du  bas 
de  l'Hôtel 
Drouot.  Le 
tableau  — 
une  jeune 
Espagnole— 
peut-être  la 
d  uc  h  esse 
d'Albe  — 
noncbalam- 
ment  éten- 
due sur  un 
divan  —  fut 
adjugée  je 
crois  quinze 
cents  fr.,  plu- 
tôt moins.  Il 
a  été  récem- 
ment vendu  au  même  hôtel,  mais  dans  une  salle  du  haut, 
soixante-seize  mille  francs  '. 


UALOO.  —  Hcxtii  aocHEroKT  (bmaze) 
(CaUeeOam  de  M.  HemH  Moehtfort) 


Goya,  dont  j'avais  acheté  à  Londres  un  très  intéressant 
portrait  du  toréador  Romero,  le  Frascucllo  de  celte  époque, 
est  certainement  un  peintre  d'une  véritable  orii;ina]iic,  mais 

la  fantaisie 
ne  compense 
pas  toujours 
le  talent  so- 
lide. Orcelui 
de  l'impres- 
sionniste des 
corridas  et 
des  combats 
contre  les 
troupes  fran- 
çaises en  Es- 
pagne man- 
que essen- 
tiellement de 
solidité. 

Seulement 
en  fait  d'art 
il  est  de  plus 
en  plus  ma- 
laiséd'entrer 
dans  la  vie 
avec  une  opi- 
nion  toute 
faite.  On 
commence 
par  suivre 
celle  du  pu- 
blic. Puis, 
après  de 
nombreuses 
écoles  qu'on 
f a  i  t  à  ses 
risques  et  pé- 
rils, on  s'a- 
perçoit que 
le  public  s'est 
trompé  et  on 
se  décide  à 
avoir  une 
opinionàsoi. 
C'est  encore, 
du  reste,  la 
méthode  la 
plus  logique 
à  employer. 
On  s'assure 
d'abord  par 
ses  propres 
yeux  si 
l'œuvre  est 
belle  et  on  s'inquiète  seulement  après  cette  constatation  de 
savoir  de  quel  pinceau  elle  est  sortie. 

HENRI  ROCHEFORT. 


r4i«  j  UvMt  ■•«u  . 


JC*N  DE  JCNL  —  is 


—  t'iinM»!  <èK  •  t'CatenwBfat  4b  Chràt  •.  —  Bm>-    —  «tr  9»>ct> 


JfcM>    ^     l\<>^i|»||îil.  — 


LE    MUSÉE    DE    VALLADOLID 


I! 


vLGRÈ  sa  population  de  75.000  habitants  qui 
essaie  ea  vain  de  lui  donner  quelque  ani- 
mation.  Valtadolid  est  une  ville  morte. 
L'herbe  croit  sur  ses  places  publiques  et 
•  -^  -.-  ■  -lies  rues;  ses  antiques  palacios 
-  !.  rii.i'itès,  ses  tK>tnbreuses  églises 
désertes,  ses  innombrables  couvents  vides. 
Les  nunmiuenis  qu'elle  doit  au  temps  où  elle  «ftait  ta 
capitale  de  l'Espagne,  quoique  intéressants,  sont  loin  d'avv^r 
la  valeur  de  ceux  de  nombre  de  \  et  moins 

impv^rtanies.  Mais  ce  que  Vallado.  .ians  toute 

la  péninsule,  c'est  un  incomparable   musée  de  sculptures 
nationales. 

L'ancien  collcge  de  Santa-Cruz.  autrefois  Tan  îles  six 
principaux  collèges  de  l'Espagne,  fondé  par  le  cardiiMl 
Mendoxa  à  la  tin  du  w*  siècle  et  cditié  dans  le  riche  et  beau 
style  de  la  Renaissance  castillane,  sert  d'écrin  è  œs  îoyaux 
sans  prix.  Le  veiK'rable  édifice,  dont  la  porte  d'entrée  est  sur^ 
monttft  de  l'effigie  de  son  fondateur,  a^cenouillé  devant  une 
statue  de  la  V  tiiquement  des  $culp~ 

turcs:  il  don  Lires  fort  intéressantes 

ntatgrè  leur  c  nous  en  «.^ccuperv»os 

pas  îct.  Il  ce. — c.  ...^ .^c  collection  archév»K>- 

gh^ie    et   la   bibliothèque   proviiKiale   tr^    heoreusement 
aiaèmgtée  dans  de  superbes  s.iî'  ^ 

Les  sculpture*   ra<^<ombL    ~  (    plupart  on 

bois:  il  ne  faut  < 

ont  de  tout  te  m  j.'^        _  .   ^.  ^    ,    a 

pierre  et  au  marbre,  sans  doute  t«  trouvaient-ils  plus  souple. 

ou  peut-être  ■■  ■  •  ■•;  ■-     ■  -'-  ;    ■-       ''      '     '    -  >•  -  -  -   ; 

qui  en  usèi. 
aussi  que.  avec   k 
taches,  qui  dirtèrent     , 


..^-:;:s  ess<accs,leboàpennet  -  i.    .;    .:  -^^  .::.:- 

bien  mieux  que  le  bfooze  et  >q  'bre.  D'aspect  pkn 

l'rairtie,  il  brave  anicvx  les  c4br:  naoms  lomri,  U 

est  dTan  transport  pltts  CKÎle.  >  les 

■luaes  et  par  conséquent  les  mtoia^  <.  .  ai  ks  1 

leurs  résultats  an  pomt  de  vtK  ar        ,  lin.  par  sa 

nature  mime,  il  permet  an  sculptetu-  et  i  l'architecte  des  har- 
diesses <)u'il  n'oserait  pas  avec  la  pierre  ou  le  marbre. 

Sans  remonter  plus  Imim,  le  ansée  de  Valladolid  montre 
quelques  curicnx  bn»-f«licii  du  zr*  siècle,  saas  donae  des 
t  ragnients  de  tetaMes.  D'abord,  nn  Christ  mÊmt,  dTiMi  réa- 
lisme naïf  et  <|neli|ue  peu  excessif,  éacndn  sur  les  gtnnni.  de 
sa  mère,  accompai^iéede  la  Madeleine  ponau  des  womaKi; 
wae  X<a<nrâé  ée  te  ViergK,  dTnn  uMMiafisaBe  loiT  «totem, 
d^un  scncnncm  pins  tcndic,  qui  fciaknt  wyr  nnx  écoles 
rhiâaanes  si  les  tèies  n'ékaieni  pus  ansai  aBonfiées;  enfin,  nne 
£tjH*  Je  BelUétm.  d^»nc  exécution  pfeks  souple  et  pins  fine. 

De  l'aurore  du  xvt*  siècle.  ciHMB  une  lonîjnr  fme  fi^n- 
tant  de  nombreux  pefso«ma|>cs  en  costumes  duicmps^  donc 
«m  pape,  une  reme.  des  jcignenis  et  des  girandcs  dames  d\in 
camciète  puissant  et  un  peu  mnfd.  mas  dwae  rare  macnaMe 
de  vie,  lappriuM  înn|n'à  un  certain  poàm  ftil^ppe  de  Banr- 
|EO|tae;  notons  encore  de  la  même  époque,  une  seconde  Uîae 
représentant  des  entants  nus  iouant  à  la  jjtnerre.  d'une  exécu- 
tion ptns  libre.  Ces  dtiercnts  mocccnni,  sunona  ks  trois  pre- 
micfV  se  tcsscnaent  dTiane 


MA  apparaît  Akmso  BcrrufEiwte.  r< 
maîtres  de  la  Rembsance  française  et  i 
commence  la  Renaissance  caitillanc  d'oà 
tc»|ne  si  or%inai  et  si  pntticnlier. 

De  ce  gmnd  anine.  à  la  fais 
tecte. 


et  avec 
rart 


24 


LES    ARTS 


sculpturales  renfermées  dans  l'ancien  collège  de  Santa-Cruz, 
bien  qu'on  y  trouve  aussi  quelques-unes  de  ses  peintures. 

Ce  sont  pour  la  plupart  des  fragments  du  retable  élevé 
entre  i5  26  et  i528  dans  l'église  du  couvent  de  San  Benito- 
el-Real,  recueillis  par  le  Musée  lors  de  la  désaffectation 
des  maisons  religieuses.  De  ce  magnifique  ensemble,  il  ne 
reste  donc  plus  que  des  parties  isolées,  des  vestiges  n'oc- 
cupant plus  la  place  qui  leur  avait  été  destinée,  et  cela  fait 
encore  davantage  regretter  sa  destruction  ;  mais,  par  eux,  on 
peut  juger  de  la  beauté  de  l'ensemble  et  du  génie  de  l'artiste 
qui  l'éleva. 

Voici  d'abord  une  colossale  statue  de  Saint  Benoit  sous  le 
froc  de  son  ordre,  le  capuchon  rabattu  sur  la  tête,  la  main 
droite  levée  pour  bénir,  la  main  gauche  tenant  le  bâton  pas- 
toral ;  puis  de  nombreuses  statues  plus  petites  que  nature,  de 


saints  et  de  prophètes,  des  bas-reliefs  représentant  des  épi- 
sodes de  la  vie  du  fondateur  de  l'ordre  des  Bénédictins,  des 
miracles  opérés  par  lui  ou  par  son  intercession,  des  scènes 
de  l'Ancien  ou  du  Nouveau  Testament. 

Dans  cette  belle  boiserie,  le  coup  de  ciseau  est  toujours 
ferme  et  voulu,  le  relief  saisissant  et  ressenti,  accrochant  la 
lumière  aux  bons  endroits.  On  pourrait  peut-être  reprocher 
à  l'artiste  quelques  exagérations  dans  les  mouvements  et  les 
musculatures;  mais,  quoi  qu'il  en  soit,  certains  morceaux, 
tels  que  le  Sacrifice  d'Abraham,  Saint  Christophe  portant 
l'Enfant  .lésus  sur  ses  épaules,  Saint  Sébastien,  criblé  de 
flèches,  attaché  à  un  arbre,  sont  parmi  les  œuvres  les  plus 
puissantes  et  les  plus  expressives  que  l'on  puisse  rencontrer, 
tout  à  fait  dignes  du  maître  auquel  est  due  la  moitié  des 
stalles  de  la  cathédrale  de  Tolède. 


Vholo  .1.  hiineitl  (Madrid J. 


PRISES.  —  (Bois).  —  XVI"  siècle 
(Musée  de  Valladnlid) 


A  côté  des  restes  du  retable  se  trouvent  les  stalles  de  San 
Benito-el-Real,  c^ui  peuvent  prendre  rang  parmi  les  plus  par- 
faites des  œuvres  de  ce  genre  que  la  Renaissance  espagnole 
ait  produites.  Elles  ont  longtemps  passé  pour  être,  comme  le 
retable,  d'Alonso  Berruguete  ;  mais  c'était  une  erreur,  car  il 
est  prouvé  aujourd'hui  qu'elles  ont  été  taillées  entre  t522  et 
i528  par  Andrès  de  San-Juan,  plus  connu  sous  le  nom 
d'Andrès  de  Najera. 

Ces  stalles,  les  unes  hautes,  les  autres  basses,  comprennent 
au  centre  un  siège  plus  important  où  devait  s'asseoir  l'évêque 
ou  le  prieur.  Au-dessus  de  chacune  d'elles  se  trouvaient, 
soutenues  par  de  riches  supports,  les  armoiries  coloriées  de 
l'un  des  monastères  soumis  à  la  règle  de  saint  Benoit.  Sur  le 


dossier  des  stalles  hautes,  dans  une  niche,  figure,  taillée  en 
ronde  bosse,  l'effigie  du  fondateur  de  l'un  de  ces  monastères 
ou  d'un  saint  appartenant  à  l'ordre  ;  trois  cependant  font 
exception  et  montrent,  la  première,  la  Vierge,  la  seconde,  le 
roi  Juan  I",  qui  établit  l'abbaye,  et  la  troisième,  le  roi  Juan  II, 
son  ardent  protecteur.  La  stalie  de  l'évêque  ou  de  l'abbé 
mitre  est,  contrairement  à  l'habitude,  peinte  et  dorée.  Le 
panneau  placé  au-dessus  de  la  figure  porte,  au  lieu  de  rin- 
ceaux et  d'arabesques  comme  les  autres  sièges,  deux  vaches 
affrontées  de  carnation  sur  un  fond  d'or  et  séparées  par  une 
crosse  épiscopale.  Les  stalles  basses  représentent  des  sujets 
du  Nouveau  Testament  :  l'Annonciation,  la  Visitation,  la 
Nativité,  le  Massacre  des  Innocents,  la  Purification,  la  Cir- 


LE  MUSEE  DE   VALLADOLID 


l'hutit  J.  /^uiriif  fXtanfiil. 


ALONSO  HERRUGUETE.  —  i.e  sacrifice  o'abraham.  —  saint   Sébastien 
Fragment    d'un    Retable.  —  Bois  provenant   de    t'éi-lisc  San   Bcnito-el-Real.   —   xvi'   siècle 

t. \ fusée  de  WilljJolidl 


26 


LES    ARTS 


concision,  la  Fuite  en  Egypte,  Jésus  enseignant  les  Docteurs 
dans  le  Temple,  les  Noces  de  Cana,  Jésus  et  la  Samaritaine, 
Jésus  et  la  Madeleine,  le  Lavement  des  Pieds,  Jésus  devant 
Pilate,  le  Golgotlia,  le  Crucifiement,  la  Descente  de  Croix, 
la  Résurrection  ;  puis  d'autres  scènes  empruntées  à  l'Ancien 
Testament  et  aux  Évangiles,  telles  que  Adam  et  Eve  chassés 
du  Paradis  terrestre,  la  Parabole  des  Vierges  sages  et  des 
Vierges  folles.  Deux  de  ces  bas-reliefs  sont  traités  avec  un 
caractère  et  un  genre  d'esprit  tout  particuliers.  L'un,  la 
Purification,  montre  au  haut  d'un  escalier  à  vis,  la  Sainte 
Famille  devant  le  grand  prêtre;  l'autre  représente  le  Christ 
en  avant  d'un  édifice  sur  le  toit  duquel  se  démène  un  démon 
qui  essaie  de  le  transpercer  de  sa  lance;  à  côté  du  Fils  de 
Dieu,  une  femme  et  deux  hommes  nus  sortent  d'un  puits,  et 
derrière  eux  une  énorme  tête  de  monstre  s'cntr'ouvre  pour 
les  engloutir.  Au-dessus,  dans  les  nuages,  plane  un  terrible 
diable,  les  ailes  grandes  ouvertes. 

Les  frises  et  les  corniches  sont  capricieusement  décorées 


Vhilo  .1.  Liijiyeitt  (Miuhid]. 

POMPEIO  LEONI,  JUAN  DE  ABFÉ  et  L.  FEhNANDEZ  DF.L  MOI!  Al. - 
Statue  de  bronze  doré,  provenant  de  l'église  San  Pablo.  —  xvi 
{.Musée  de  VaUadolid) 


d'arabesques,  de  rinceaux,  de  figures  d'enfants,  de  feuillages 
et  de  fleurs.  Les  bras  de  sièges,  les  accoudoirs,  les  miséri- 
cordes, les  consoles,  présentent  des  cariatides,  des  enfants, 
des  chimères,  des  chiens,  des  hippogriffes,  des  oiseaux,  des 
feuillages,  des  têtes  d'hommes,  de  femmes,  des  volutes,  etc. 
Ainsi  qu'à  la  cathédrale  de  Burgos,  les  sièges  sont  en  mar- 
queterie composée  de  bois  d'essences  variées. 

Si  d'ordinaire  on  laissait  aux  stalles  la  couleur  naturelle 
du  bois,  il  en  était  autrement  pour  les  retables;  ils  étaient 
presque  toujours  peints  et  dorés,  ainsi  que  les  statues  et  les 
bas-reliefs  qui  les  meublaient,  afin  de  relever  sans  doute  le 
ton  sombre,  triste  et  roux  de  la  matière  qui,  vu  le  peu  de 
lumière   répandu  le  plus   souvent    dans   les   églises   et    les 
chapelles,  aurait  empêché  d'en  discerner  les  détails.  Aussi 
celte  enluminure  n'est-elle,  le  plus  souvent,  que  partielle. 
La  dorure  n'était  pas  davantage  placée  à  plein,  mais  seu- 
lement  aux  endroits  voulus  pour  rehausser  les  bordures  à 
ornements  ou  à  dessins,  faire  saillir  un  accessoire,  surtout 
pour  aider  certaines  parties  à   tour- 
ner, à  sortir  de  l'ombre,  au  besoin 
même    pour   obtenir   une    sorte    de 
coloration  ou  d'effet. 

Ici,  où  ces  retables,  ces  groupes, 
ces  statues,  ces  bas-reliefs  n'occupent 
plus  les  places  pour  lesquelles  ils  ont 
été  conçus,  où  nous  les  voyons  en 
pleine  lumière  quand  ils  avaient  été 
destinés  à  des  jours  mystérieux  et 
adoucis,  leur  aspect  nous  étonne, 
leur  coloriage  nous  froisse  presque, 
mais  la  réflexion  fait  bien  vite  tomber 
nos  préventions. 

Parmi  les  ouvrages  les  plus  dignes 
d'attention  que  renferme  la  collection 
provinciale  de  VaUadolid,  se  trouvent 
les  deux  statues  en  bronze  doré  du 
duc  et  de  la  duchesse  de  Lerme,  pro- 
venant de  leurs  tombeaux  élevés  dans 
l'ancien  couvent  de  San  Pablo.  Tous 
deux  sont  nu-tête,  agenouillés  sur  un 
coussin,  les  mains  croisées,  la  colle- 
rette godronnéc  au  cou,  les  man- 
chettes de  dentelles  aux  poignets,  le 
manteau  d'hermine  sur  les  épaules 
recouvrant  le  costume  d'apparat  de 
la  duchesse  et  l'armure  du  duc,  dont 
le  casque  repose  à  ses  côtés. 

Ces  effigies,  exécutées,  d'après  les 
dessins  et  les  modèles  de  Pompevo 
Leoni,  par  le  fameux  orfèvre  Juan 
de  Arfé  aidé  de  son  gendre  Lesmes 
Fernandez  del  Moral,  et  terminées 
par  ce  dernier  à  la  monde  son  beau- 
père,  témoignent  d'un  puissant  senti- 
ment décoratif,  d'un  grand  sens  du 
modelé  des  formes,  mais  aussi,  hélas! 
de  l'amour  du  théâtral,  de  l'ostenta- 
tion et  du  faste  dont  étaient  impré- 
gnées les  écoles  de  la  décadence  ita- 
lienne. 

Est -il  réellement  de  Pompevo 
Leoni,  le  superbe  Christ  d'ivoire  de 
3o  centimètres  de  hauteur  fixé  à  une 
croix  d'ébène  dont  le  pied  sert  de 
reliquaire?  La  tradition  le  prétend, 
et  l'œuvre  est  assez  belle,  assez  dans 
le   goût   et   le  sentiment    du    maître 

LG  DUC  DE   LGRMB 

-  siècle 


LE   MUSEE    DE    VALLADOLID 


27 


italien  pour   qu'elle  soit  de  lui.  Si  elle  n'est  pas  de  Pom- 
peyo  Leoni,  elle  est  assurément  de  l'un  de  ses  disciples. 

Arrivons  à  Juan  de  Juni,  Gregorio  Fernandez,  Gaspar 
de  Tordesillas  et  Pedro  de  la  Cuadra.  Ces  artistes,  person- 
nels au  suprême  degrd,  envahis  par  une  fougue  involon- 
taire, par  une  sorte  de  fureur  concentrée  qui  les  emporte 
parl'ois  jusqu'à  leur  faire  perdre  tout  goût  et  toute  mesure, 
subjugués  par  une  passion  sensuelle  de  la  vie,  vont  parfois 
jusqu'à  ses  limites  extrêmes,  jusqu'à  son  paroxysme  le  plus 
ardent,  le  plus  absolu.  Ils  ne  cherchent  pas  leur  vision,  elle 
s'impose  au  contraire  à  eux  avec  toutes  ses  outrances.  Aussi, 
dans  leurs  productions  enfiévrées,  dans  leurs  statues  ou 
dans  les  personnages  de  leurs  bas-reliefs  aux  gestes  violents, 
aux  expressions  exagérées  et  contorsionnées,  ils  demeurent 
d'ardents  et  absolus  spiritualistes,  au  sentiment  religieux 
profond  et  austère,  toujours  attirés  par  la  souffrance  et  la 
douleur,  bien  différents  en  cela  des  artistes  italiens  de  la 
même  époque,  élégants  et  voluptueux. 

De  Juan  de  Juni,  probable- 
ment d'origine  flamande  et  ayant 
travaillé  en  France  avant  de  venir 
s'établir  dans  les  Castilles,  le  mu- 
sée possède  une  œuvre  hors  de 
pair  :  c'est  le  groupe  de  l'Enseve- 
lissement du  Christ,  provenant  de 
l'ancien  retable  du  couvent  des 
Franciscains  de  Valladolid  qu'il 
exécuta  en  1 543-44.  Ce  superbe 
travail,  composé  de  figures  plus 
grandes  que  nature,  est  malheu- 
reusement incomplet,  les  deux  sol- 
dats chargés  de  veiller  sur  le  sé- 
pulcre ont  disparu  ;  de  plus,  il  n'est 
plus  réuni  en  un  groupe  compact, 
et  les  différentes  statues  qui  le 
composaient  sont  disséminées.  Le 
principal  morceau,  le  corps  du 
Christ,  est  étendu  sur  la  pierre  du 
tombeau  que  recouvre  un  suaire  ; 
les  épaules  pèsent  sur  un  double 
coussin,  la  tête  inclinée  sur  la 
droite,  un  bras  replié  sur  la  poi- 
trine, l'autre  tombant  inerte  sur  le 
coié.  Il  a  toute  la  rigidité  du 
cadavre  ;  de  la  plaie  qu'il  porte 
au  flanc  s'est  échappé  un  sang 
opaque,  figé  et  noirâtre  ;  le  masque, 
fort  et  puissant,  laisse  une  impres- 
sion inoubliable,  avec  ses  yeux 
tumétiés,  son  nez  pincé,  ses  lèvres 
livides  et  fiasques.  Auprès  du  divin 
supplicié  se  trouvaient  saint  Nico- 
dèmc  à  genoux  et  saint  Pierre 
d'Arimaihie,  prêts  à  l'oindre 
d'huiles  parfumées;  la  Vierge 
éplorée,  soutenue  par  saint  Jean, 
l'apôtre  bien-aimé,  la  Madeleine 
et  Marie  Salomé.  Ces  divers  mor- 
ceaux formaient  certainement, 
quand  ils  étaient  réunis,  un  en- 
semble qui  pouvait  être  mis  au  rang 
des  œuvres  les  plus  énergiques  que 
la  sculpture  ait  produites,  car  ses 
parties  sont  encore  aujourd'hui 
autant  de  chefs-d'œuvre. 

Voici,  de  ce  même  artiste,  un 
Saint  François  d'Assise,  puis  un 


Saint  Bruno.  Celui-ci  est  représenté  debout,  en  véicmenis 
blancs,  le  capuchon  rabattu,  la  icte  inclinée  en  avant,  les 
yeux  fixés  sur  un  crucifix  qu'il  tient  de  la  main  droite, 
un  livre  ouvert  dans  la  main  gauche.  Ce  morceau  de  bois 
donne  réellement  l'illusion  de  la  vie.  Le  sentiment  religieux 
ne  peut  guère  aller  au  delà.  Notons,  toujours  de  cet  artiste 
véritablement  supérieur,  un  Saint  Antoine  de  Padoue  por- 
tant dans  ses  bras  l'Enfant  Jésus  et  tenant  à  la  main  un 
livre  sur  lequel  reposent  les  pieds  de  son  précieux  fardeau. 
Ce  groupe  est  d'une  expression  douce  et  suave,  que  ne 
font  certes  pas  présager  ses  autres  ouvrages. 

A  côté  de  ces  chefs-d'œuvre  de  Juan  de  Juni,  le  musée 
montre  de  nombreuses  productions  de  Gregorio  Fernandez. 
qui  se  distinguent  aussi  par  le  sens  de  la  vie,  la  fermeté 
et  la  vigueur  de  leur  exécution  aussi  bien  que  par  i'enienie 
des  draperies,  mais  qui  sont  néanmoins  d'une  sève  moins 
âpre  et  moins  violente. 

D'abord  une  Sainte  Thérèse,  provenant  de  l'e'glisc  du  cou- 


POMPEIU  LEONI,  Jl'AN  DE  AHFÉ  Et  L   KEBNANDEZ  DEL  MOHaL.  —  la  DOcanM  M  uaa« 

SUtue  d«  broDio  dor4,  provenant  d«  l'ëgliu  San  P*l>lo.  —  XTI*  «Md* 

(Mmsét  à*  TtUuiulUH 


vent  des  Carmélites,  d'une  expression  religieuse  intense  ; 
une  seconde  Sainte  Thérèse  à  genoux,  revêtue  d'un  costume 
brode'  d'or  d'une  richesse  inouïe^  un  crucifix  dans  les  mains, 
la  place  du  cœur  évide'e  et  servant  de  reliquaire  ;  un  Christ 
en  cvo/jT,  jadis  au  monastère  de  San  Beniio-el-Réal,  d'une 
exécution  impeccable,  d'une  impression  poignante  ;  une 
Madeleine,  de  mouvement  quelque  peu  exagéré,  mais  qu'il 
est  difficile  de  juger  en  connaissance  de  cause,  car  elle  fai- 
sait partie  d'un  ensemble  qui  n'existe  plus.  Vient  ersuiie  un 
Saint  Pierre  colossal,  dans  la  pose  et  l'attitude  du  fameux 
bronze  placé  à  l'entrée  de  la  basilique  vaticane.  L'apôtre  est 


l'fi'jt'j  J.  Liitrenl  (Slajnd}, 


assis  dans  un  large  fauteuil  doré  et  orné  de  gros  clous  de 
style  Renaissance.  Revêtu  de  ses  vêtements  sacerdotaux 
décorés  de  sujets  modelés  et  peints  avec  une  conscience  qui 
n'exclut  pas  la  largeur  du  faire,  il  lève  le  bras  droit,  les  pre- 
miers doigts  allongés  pour  bénir.  Sa  tête  à  demi  chauve,  le 
visage  encadré  dans  un  collier  de  barbe  noire  frisée,  exprime 
à  la  fois  la  fermeté,  la  puissance,  la  bonté  et  même  la  bon- 
homie ;  tout  proche  du  chef  de  l'Église,  sur  un  escabeau, 
sont  posées  sa  tiare,  haute  au  moins  d'un  demi-mètre,  et 
ses  clefs,  longues  à  proportion.  Egalement  de  dimensions 
colossales  sont  les  deux  statues  de  Sainte  Monique  et  de 
Sainte  Scholastique,  toutes  deux  de- 
bout, en  vêtements  noirs  lisérés  d'un 
ornement  doré,  un  voile  blanc  sur  la 
tête  retombant  sur  les  épaules,  la  pre- 
mière une  fleur  et  un  mouchoir  dans  la 
main  droite,  la  seconde  un  livre  dans 
la  main  gauche. 

D'autres  ouvrages  de  Gregorio  Fer- 
nandez  sont  tout  au  moins  à  noter  : 
une  Vierge  tenant  sur  ses  genoux  le 
corps  lie  son  fils  mort,  taillé  pour  l'é- 
giiseducouventdeSan  Diego;  un  grand 
et  superbe  bas-relief  du  Baptême  liu 
Christ,  jadis  au  monastère  des  Carmes 
déchaussés  ;  un  autre  bas-relief,  de 
pareilles  dimensions,  représentant 
Saint  Simcon  Stock,  recevant  le  sca- 
pnlaire  des  mains  de  la  Vierge;  enfin, 
un  buste  naturaliste  de  Sainte  Anne,  la 
tête  enveloppée  dans  ses  voiles,  certai- 
nement le  très  fidèle  portrait  d'une 
vieille  Castillane. 

A  coté  de  ces  œuvres  indiscutables 
du  maître,  le  musée  montre  de  curieux 
pasos,  ou  plutôt  des  fragments  de  pasos 
qui  passent  pour  être  sortis  de  ses  mains. 
Si  ces  figures  ne  sont  pas  de  lui,  il  faut 
tout  au  moins  admettre  qu'elles  ont  été 
laites  dans  son  atelier  et  sous  sa  direc- 
tion. 

Le  paso  est  une  production  parti- 
culière et  spéciale  à  la  sculpture  espa- 
gnole. Il  consiste  en  une  suite  de  sta- 
tues  en  bois,  ordinairement  peintes  et 
réchampies  d'or,  représentant,  réunies 
en  groupe,  les  principales  scènes  de  la 
Passion  :  le  Jardin  des  Oliviers,  le 
Jugement  de  Càiplie,  le  Couronnement 
d'épines,  les  Stations  de  la  \'oic  dou- 
loureuse, le  Crucifiement,  la  Mise  au 
Tombeau,  etc.,  que  l'on  faisait  figurer 
dans  les  processions  de  la  Semaine 
sainte.  Il  n'était  pas  de  cathédrale,  d'é- 
glise paroissiale,  de  chapelle,  de  cou- 
vent qui  n'en  possédât  un  et  même  plu- 
sieurs. 

Dans  ces  pasos.  Judas  et  les  bour- 
reaux, sous  leurs  costumes  de  sou- 
dards, de  brigands  de  grand  chemin, 
de  vagabonds  picaresques,  ont  des 
expressions  si  basses  et  si  crapuleuses, 
des  faces  si  impudentes  et  si  patibu- 
laires, que  lors  des  processions,  le 
peuple  cherchait  à  les  mettre  en  pièces 
et  qu'il  était  dithcile  de  les  ramener 
intacts    au   point    de    départ.  On    dut 


GnEGORIO  FEitNANDEZ.  -  i.e  bai-témc  du  cithist 
Haut  relief  bois,  pioveoant  du  monastère  des  Carmes  docliaussés.  —  Fin  du 
(Musée  de  VaUadoUd) 


wi"  siècle 


LE  MUSEE   DE    VALIADOLID 


riiolii  J.  /..iiiroiu  'Shin.l;. 


ALONSO  BERKUCjUliTE.  —  i.e  saint  sacrihcb  et  i^  messe.  —  ladoration  des  rois.  —  un  saint.  —  on  prophèts 

Retable  bois,  provenant  de  l'église  San  Benito-el-Real.  —  xvi«  siècle 

(Musée  de  Valladolid) 


3o 


LES   ARTS 


même,  pour  en  empêcher  la  desiruciion,  se  résigner  à  ne 
plus  les  faire  sortir. 

Ed.  de  Amicis  raconie,  dans  son  livre  sur  l'Espagne,  qu'à 
la  vue  de  ces  statues  il  crut  cire  enirc  dans  un  hagnede  géants. 

Parmi  les  ligures  des  pasos  de  Gregorio  Fernandez  ou  de 
ses  élèves,  il  faut  faire  une  place  au.K  deux  larrons  crucifiés, 
épouvantables  suppliciés  se  tortillant  lamentablement  à  de 
hauts  gibets  à  peine  équarris,  dont  l'un,  le  mauvais  larion 
sans  doute,  à  l'expression  basse  et  ignoble,  à  la  langue 
sanguinolente  et  enflée  sortant  de  lèvres  tombantes,  livides 
et  tuméfiées,  est  véritablement  sinistre  et  repoussant. 

La  peinture  et  la  dorure  de  ces  statues  et  de  ces  groupes 
n'étaient  pas  une  mince  affaire.  Ils  étaient  préalablement  esto- 
l'ados.  Sous  cette  désignation,  qui  n'a  pas  son  équivalent  en 
français,  il  faut  entendre  l'opération  que  l'on  faisait  subir 
au  bois  avant  de  le  recouvrir  de  couleurs  et  de  feuilles  d'or. 
On  y  faisait  adhérer,  sur  toute  sa  surface,  une  toile  plâtrée, 
i^ue  l'on  polissait  ensuite  jusqu'à  lui  donner  l'aspect  de  la 
pierre  ou  du  marbre.  Ce  n'était  qu'après  ce  travail  que  l'on 


Vholii  J.  Lattreid  (MudrltJJ. 


JUAN  ALON'SO  VILLABRU.LE.  —  TlVrE  de  saixt  p 

Bois  provonant  du   cou\cnl  do  San   Pablo.   xvlli» 

(Musée  de  Vatladolid) 


\ui. 
siècle 


procédait  au  coloriage  et  à  la  dorure.  Les  peintres  les  plus 
célèbres  ne  dédaignaient  pas  de  se  livrer  à  cette  occupation, 
et  les  cstofadores  habiles  étaient  fort  appréciés.  Chaque 
sculpteur  avait  son  estofador  de  prédilection.  Celui  de  Gre- 
gorio Fernandez  était  Diego  Valentin  Diaz,  qui  jouissait 
d'une  grande  réputation  à  Valladolid. 

Un  peu  au-dessous  de  Juan  de  Juni  et  de  Gregorio  Fer- 
nandez, il  convient  de  placer  Gaspar  de  Tordesillas,  qui 
vivait  dans  la  seconde  moitié  du  xvi'=  siècle,  dont  le  musée 
possède  une  colossale  statue  de  Saint  Antoine  abbé,  à 
allure  légèrement  tourmentée,  au  geste  emphatique,  prove- 
nant d'un  retable  latéral  de  l'église  San  Benito-el-Real, 
source  d'une  partie  de  cette  galerie  provinciale.  Couverte  à 
profusion  de  peinture,  de  dorure  et  d'ornements  de  toutes 
sortes,  elle  témoigne  d'une  véritable  force  et  d'un  caractère 
michelangelesque  indéniable.  Il  est  à  regretter  que,  placée 
un  peu  trop  haut  et  un  peu  trop  à  l'écart  dans  une  étroite 
galerie,  derrière  une  porte,  on  ne  puisse  l'étudier  comme 
elle   mériterait   de    l'être. 

Dans  le  voisinage  de  ce  Saint 
Antoine  abbé,  des  productions 
d'artistes  ignorés  méritent  d'être 
signalées.  D'abord,  une  très 
noble  Vierge,  en  robe  bleue  re- 
couverte d'un  manteau  rouge,  la 
tête  enveloppée  dans  des  voiles 
blancs  et  gris;  ensuite,  deux  sta- 
tues de  moines,  en  froc  de  bure, 
au\  têies  ascétiques  pleines  de 
caractère,  aux  mains  et  aux  pieds 
d'un  dessin  très  châtié  et  très  pur. 
De  Pedro  de  la  Cuadra,  con- 
temporain de  Gaspar  de  Torde- 
sillas, le  musée  renferme  un  bas- 
relief  représentant  {'Apparition 
de  la  Vierge  à  saint  Pierre  No- 
lasquc,  le  fondateur  de  l'ordre 
pour  le  rachat  des  captifs,  pro- 
venant de  l'église  de  la  Merced 
de  Valladolid,  d'un  beau  ca- 
ractère, quoique  lourd  et  sur- 
chargé. 

Ayons  garde,  quelque  répu- 
gnant que  soit  l'objet,  de  passer 
sous  silence  une  macabre  figura- 
tion de  la  Mort,  au  crâne  vide 
d'yeux,  à  la  bouche  édentée,  une 
lamentable  guenille  autour  des 
reins,  dont  la  peau  flasque  et  par- 
cheminée se  colle  contre  le  sque- 
lette. De  la  main  gauche,  elle 
tient  une  corne  dorée  pour  l'ap- 
pel du  .lugement  dernier.  Détail 
horrible,  des  vers  grouillants  lui 
fouillent  les  entrailles.  Ce  mor- 
ceau, d'une  rare  perfection  de 
rendu,  a  longtemps  été  attribué, 
mais  certainement  à  tort,  à  Gas- 
par Becerra.  Il  provient  du  mo- 
nastère de  San  Pablo. 

Pour  le  faire  oublier,  signa- 
lons vite  une  angélique  ligure  de 
fillette  de  treize  à  quatorze  ans, 
dont  nous  regrettons  de  ne  pas 
connaître  la  légende,  Santa  Li- 
bcrata,  attachée  sur  une  croix, 
la  tête  tombant  sur  les  épaules, 


LE    MU  SI-:  F.    DI-:    VALLADOLin 


3i 


les  cheveux  épandus  sur  le  bois  du  s;ibet,  le  corps  virginal 
recouvert  d'une  longue  robe  blanche  à  ramages  brodés  d'or, 
les  manches  relevées  aux  poigneis,  les  mains  ci  les  pieds 
percés,  laissant  couler  des  filets  de  sang. 

Remarquons  aussi  un  délicat  et  élégant  Saint  François 
d'Assise,  sous  la  robe  de  son  ordre,  à  la  tête  mélancolii.]ue,  à  la 
bouche  légèrement  entr'ouvcrte,  les  mains  et  les  pieds  nus, 
conçu  dans  le  style  d'Alonso  Cano,  ci  peut-être  l'œuvre  de 
son  disciple  Pedro  de  Mena. 

Nombre  d'ouvrages  anonvmcs  mériteraient  encore    l'at- 


tention. Deux  statuettes  de  moines,  l'un  écrivant,  l'autre 
lisant,  aux  visages  attentifs,  aux  mains  vivantes,  que  l'on 
pourrait  croire  arrachées  du  tombeau  de  quelque  Philippe 
Pot  ;  une  petite  Piedad,  d'un  faire  minutieux  ei  délicat. 
occupant  le  centre  d'un  temple  minuscule  à  colonnes  doriques 
et  à  coupole  de  style  romain. 

Du  commencement  du  xviii«  siècle,  le  musée  délient  une 
œuvre  superbe,  d'un  réalisme  puissant  et  d'une  expression  dou- 
loureuse; c'est  une  tête  de  Saint  Pau/,  posée  sur  une  sorte  de 
tablette  inclinée  en  marbre  strié.  Datée  de  Madrid,  —  1 707,  — 


/'/,()/(»  J.  ï,inttf»l  'yaftfiil 


UHEli  )niO  FERVANDEZ.  —  le  rimisr  mort  sur  lis  niNOUX  DS  la  ïiiir.. 
llois  prov'onaut  ilo  l'ogtiso  San  Diego.  —  Pin  du  \vi«  siccle 
IMuicc  dt  Valladdidl 


clieosi  dueà  un  artiste  à  peu  près  inconnu,  Juan  AlonsoVilla- 
brillc.  L'apotre  des  Gentils  est  représenté  agonisant,  le  front 
dénudé,  avec  une  longue  barbe  enroulée,  les  yeux  levés  vers  le 
ciel  et  la  bouche  entr'ouverie.  Ce  beau  tiiorceau,  qui  pro- 
vient du  couvent  de  San  Pablo,  en  a  manifestement  inspiré 
un  autre,  figurant  le  même  sujet,  qui  se  trouve  également  ici. 
Cette  seconde  effigie  de  Saint  Paul,  signée  d'un  certain 
Felipe  Kspinavete  et  modelée  en  i  760,  cinquante  ans  après 
la  première,  est  loin  d'avoir  sa  valeur.  Si  celle  de  Villabrille 
n'existait  pas,  personne  ne  ferait  attention  à  cette  dernière. 


Bien  d'autres  ouvrages  seraient  à  signaler,  dans  ce  riche 
musée  de  Valladolid  :  les  peintures  d'abord,  puis  les  objets 
d'art  décoratif,  qui  s'élèvent  si  souvent  jusqu'au  grand 
an,  dont  il  renferme  de  superbes  spécimens.  Peut-être  les 
passerons-nous  en  revue  plus  tard  :  pour  l'instant,  conten- 
tons-nous de  nommer  une  splendidc  croix  en  cuivre,  d'un 
demi-mètre  de  haut,  sur  laquelle  sont  tîgurcs  des  person- 
nages, des  fleurons  et  des  rinceaux,  et  dont  le  fond  est 
émaillé  de  bleu  turquoise  et  de  bleu  foncé. 

PAUL  LAFOND. 


Chronique   des    Ventes 


Conformément  aux  usages  établis,  la  saison 
des  ventes  s'est  terminée  à  la  fin  du  mois  de 
Juin,  quelques  jours  plus  tôt  cependant  que  les 
années  précédentes,  où  l'on  voyait  des  ventes 
encore  assez  importantes  se  faire  dans  les  pre- 
miers jours  de  juillet.  Cette  fois,  contraire- 
ment à  l'habitude,  on  a  fini  avec  des  vacations 
de  premier  ordre,  puis,  sans  transition  aucune, 
on  est  passé  d'un  mouvement  d'affaires  très 
actif  au  calme  le  plus  complet. 

Les  ventes  qui  ont  eu  lieu  dans  le  courant 
de  juin  et  dont  j'ai  à  rendre  compte  dans  cette 
chronique,  ont  donné,  en  général,  des  résultats 
très  satisfaisants,  bien  que  venant  tard  dans  la 
saison  et  à  une  époque  où,  amateurs  et  mar- 
chands, sont  quelque  peu  encombrés  des 
achats  faits  durant  l'année.  Malgré  cela,  les 
belles  pièces  ont  toujours  trouvé  acquéreurs  à 
des  prix  dépassant  les  prévisions. 

Au  commencement  de  juin,  MM.  Cheval- 
lier, Mannhcim  et  Falkenberg  dispersent  la 
collection  de  Mademoiselle..,,  qui  comprend 
de  magnifiques  bijoux  et  des  tapisseries.  Les 
joyaux  produisent  ySo.ooo  francs  et  les  tapis- 
series près  de  3oo.ooo  francs.  Je  laisserai  de 
côté  les  bijoux  pour  ne  m'occupcr  que  des 
tapisseries  qui  se  vendent  très  cher.  Le  numéro 
de  vedette  est  un  meuble  de  salon  couvert  en 
tapisserie  de  Beauvais  du  temps  de  Louis  XV 
à  sujets  d'amour  et  de  scènes  tirées  des  fables 
de  La  Fontaine.  Misen  vente  sur  une  demande 
de  So.ooo  francs,  il  est  adjugé  78.000  franc  à 
un  grand  antiquaire  parisien.  Dans  les  ten- 
tures se  trouvait  un  panneau  des  Gobelins  de 
la  tenture  des  Dieux,  d'après  Claude  Audran, 
de  la  fin  de  l'époque  Louis  XIV  et  représen- 
tant, sur  fond  Jaune  clair,  la  déesse  .lunon 
assise  sur  des  nuées.  Un  marchand  la  paya 
62.000  francs  sur  une  estimation  de  So.ooo  fr. 
Deux  très  grandes  tapisseries  flamandes  du 
xviii=  siècle,  se  faisant  pendant  et  offrant  des 
sujets  militaires  se  sont  vendues  à  des  prix 
bien  différents  que  l'on  ne  s'explique  pas, 
étant  toutes  deux  de  même  qualité.  Pour  la 
première,  on  donna  35. 000  francs,  tandis  que 
la  seconde  restait  à  ig.Soo  francs.  Cinq  pan- 
neaux d'Aubusson  du  xviii=  siècle  à  sujets  de 
marines  ont  atteint  32. 000  francs,  et  une 
tapisserie  de  Bruxelles  du  xvii<:  siècle  repré- 
sentant une  allégorie  des  parties  du  monde  a 
fait  17.700  francs.  Quelques  Jours  après,  on 
vendait  la  deuxième  partie  de  cette  collection 
comprenant  des  objets  de  vitrine.  Un  bijou  du 
xvi«  siècle  en  or  émaillé  composé  d'un  cen- 
taure formé  d'une  perle  baroque  reposant  sur 
un  motif  ajouré  y  fut  payé  i8.85o  francs  et 
une  boîte  en  or  gravé  et  émaillé  du  xvui«  siècle, 
lo.Soo  francs. 

Le  10  juin,  on  obtint  l'adjudication  sensa- 
tionnelle de  121.000  francs  dans  une  vente  de 
modeste  importance  faite  par  MM.  Boudin  et 
Blée,  pour  un  salon  composé  d'un  canapé  et 
quinze  fauteuils  couverts  en  ancienne  tapis- 
serie très  fine  d'Aubusson  à  corbeilles  de 
fleurs.  L'estimation  était  de  So.ooo  francs  seu- 
lement. Peu  de  temps  après,  un  secrétaire  en 
marqueterie  de  bois  de  couleur  du  temps  de 
Louis  XVI  orné  de  très  nombreux  bronzes 
atteignait  43.000  francs,  bien  que  l'expert, 
M.  Mannheim,  eût  déclaré  qu'il  était  possible 
qu'il  y  ait  eu  des  additions  dans  les  bronzes. 

Au  milieu  du  mois,  M.  Lair-Dubreuil, 
assisté  de  MM.  Sortais  et  Duplan,  vendait  des 
tableaux  et  objets  d'art  provenant  des  succes- 


sions Delahanteetducomte  de  H...  Le  produit 
s'éleva  à  172.000  fr.  avec  des  prix  impor- 
tants. Dans  les  tableaux,  une  grande  com- 
position par  Oudry,  Le  Cerf  aux  abois,  fut 
payée  16.000  francs,  et  deux  grandes  pein- 
tures par  Lépicié,  1 1 .000  et  8.200  francs.  Une 
toile  par  Murillo  monta  à  10.000  francs  et  un 
simple  dessin  rehaussé  d'aquarelle  par  Moreau 
le  Jeune,  représentant  l'enlèvement  d'une 
montgolfière  aux  Tuileries,  atteignit  i2.5<)0  fr. 
Dans  les  objets  d'art,  une  pendule  en  bronze 
ciselé  attribuée  à  Gouthière,  formée  de  deux 
faunes  tenant  un  vase,  trouva  acquéreur  à 
16.000  francs  et  une  paire  de  vases  époque 
Louis  XVI  en  marbre  blanc  et  bronze  doré  à 
9.500  francs.  On  donna  aussi  10.000  francs 
pour  une  boîte  époque  Louis  XVI  en  émail 
vert,  montée  en  or  et  décorée  en  camaïeu  par 
Sauvage. 

Avec  la  vente  de  la  collection  Bayer,  qui 
produisit  i  32. 000  francs,  passèrent  quelques 
tableaux  modernes  d'importance  moyenne.  Le 
prix  principal  fut  celui  de  22.000  francs  donné 
pour  une  toile  de  Corot,  Le  Matin  dans  la 
Vallée,  qui  dépassa  légèrement  la  demande. 
Un  autre  petit  Corot  se  paya  8.000  francs. 
Une  peinture  de  Diaz,  Enfants  turcs  jouant 
aux  Boules,  fit  14.100  francs,  tandis  qu'un 
autre.  Chiens  griffons  en  forêt,  restait  à 
6.100  francs.  On  donna  encore  io.25o  francs 
pour  Dans  le  Désert,  par  Decamps;  i  3. 100  fr. 
pour  un  paysage  par  .Iules  Dupré  et  9. 000  fr. 
pour  une  composition  par  Delacroix,  Ovide 
en  exil  che:{  les  Scythes. 

Trois  ventes  de  tableaux  anciens  de  diverses 
écoles  terminèrent  la  série  des  vacations  artis- 
tiques et,  en  même  temps,  la  saison  de 
MM.  Chevallier  et  Ferai,  qui  les  dirigeaient. 
La  première  se  composait  uniquement  de  trois 
portraits  par  David,  œuvres  de  la  jeunesse  de 
l'artiste,  qui  devait  être  plus  tard  le  peintre 
officiel  de  l'Empire.  On  ne  leur  réserva  pas 
un  accueil  très  favorable,  car  aucun  n'attei- 
gnit le  prix  de  demande.  Le  plus  important, 
Portrait  de  M.  Desmaisons,  (in  payé  40.000  fr. 
Les  deux  autres,  Portraits  de  M.  et  Madame 
Duron,  restèrent  à  6.000  et  à  8.5oo  francs. 

La  seconde  de  ces  ventes  fut  celle  de  la 
collection  Galloiti  qui  donna  un  total  de 
1 12.900  francs.  On  poussa  là  à  25.100  francs, 
sur  une  demande  de  20.000,  un  beau  portrait 
déjeune  fille  par  Van  Ravestein.  Un  portrait 
d'homme,  par  Van  Dyck,  fut  acquis  pour 
6.5oo  francs,  et  un  portrait  de  femme,  par 
Rubens,  pour  6.400  francs.  Dans  l'école  ita- 
lienne, un  panneau  de  l'atelier  de  Carlo  Cri- 
velli  resta  à  7.900  francs  et,  dans  l'école 
anglaise,  on  fit  monter  à  8.100  francs  un  por- 
trait de  jeune  femme  sans  attribution. 

Le  lendemain  passa  aux  enchères  la  collec- 
tion d'Hautpoul  qui,  pour  venir  la  dernière, 
n'en  donna  pas  moins  un  brillant  résultat  et 
un  total  de  248.000  francs.  Tous  les  honneurs 
revinrent  là  à  l'école  française  du  xv!!!"-' siècle. 
Le  goût  du  jour  pour  les  peintures  de  Drouais 
se  manifesta  d'une  façon  éclatante,  puisqu'un 
amateur  paya  41.000  francs  un  portrait  de 
Jeune  femme  par  cet  artiste,  signé  et  daté  de 
1760.  Une  petite  composition  par  Lancret, 
Plaisirs  champêtres,  fut  poussée  à  40.000  fr. 
et  une  fort  jolie  chose  par  FVàgonàrd,  Le 
Confraf,  à  laquelle  pourrait  bien  avoir  colla- 
boré Mademoiselle  Gérard,  trouva  preneur  à 
29.000  francs.  Quatre  dessus  de  portes,  par 


Carie  Van  Loo,  furent  payés  13.700  francs; 
une  tête  de  jeune  fille,  par  Greuzc,  1 1 .000  fr.; 
un  petit  portrait  présumé  de  Louis  XVI,  par 
Duplessis,  8.000  francs,  et  deux  grandes  toiles 
attribuées  à  Rigaud,  7.000  francs  chacune. 
Dans  l'école  flamande-hollandaise,  on  s'est 
vivement  disputé  un  petit  panneau  par  Wou- 
werman,  Le  Camp,  que  l'on  a  mené  ainsi  à 
8.750  francs.  De  même  pour  une  peinture  de 
Ténicrs,  Les  Fumeurs,  et  pour  une  composi- 
tion de  la  jeunesse  de  Metzu  que  l'on  a 
payées  6.o5o  et  6,000  francs.  Moins  heureux, 
un  portrait  présumé  de  Gaspard  de  Crayer, 
par  Van  Dyck,  est  resté  à  6.5o()  francs  au- 
dessous  de  la  demande. 

A  Londres,  il  y  a  eu  un  bon  courant  de 
ventes  chez  Christie,  mais  rien  de  sensa- 
tionnel. Cependant,  des  tableaux  ont  donné 
lieu  à  des  prix  élevés,  surtout  pour  l'école 
anglaise.  C'est  ainsi  qu'un  portrait  de  dame, 
par  Hoppner,  a  atteint  i  52. 25o  francs  ;  un 
portrait  de  Robert  Burns,  par  Nasmyth, 
42.000  l'^rancs;  un  portrait  de  la  comtesse  de 
Minto,  par  Raeburn,  40.675  francs;  un  por- 
trait de  lady  Waldegrave,  par  Reynolds, 
33.325  francs;  un  portrait  de  lady  Garrow, 
par  Opie,  21.875  francs;  un  portrait  de  lady 
Hamilion,  par  Romney,  18.900  francs.  Dans 
les  autres  écoles,  un  portrait  par  Macs  a  fait 
18.900  francs;  un  paysage  par  Ruysdael, 
14.700  francs;  un  portrait  d'homme,  par 
Tournières,  16.000  francs,  et  un  portrait  de 
la  maréchale  de  Luxembourg,  par  Watteau, 
I  5,225  francs.  Pour  les  tableaux  modernes,  la 
vente  Galloway  a  fourni  des  prix  intéres- 
sants. Deux  paysages,  par  Corot,  ont  été 
payés  34.125  et  14.425  francs;  un  paysage, 
par  Troyon,  a  fait  <).i75  francs  ;  une. vue  de 
Saint-Malo,  par  Lhermitie,  14.000  francs,  et 
des  Fantin-Latour,  aux  environs  de  10.000  fr. 
Un  pastel  de  Degas  a  atteint  presque  7.000  fr. 
Avec  la  fin  de  la  vente  Hawkins,  il  y  a  eu 
quelques  prix  pour  des  objets  de  vitrine  et  des 
porcelaines.  Une  tabatière  en  or  ciselé  et 
émaillé,  époque  Louis  XVI,  a  été  adjugée 
27.500  francs  et  d'autres  entre  5. 000  et 
10.000  fraiVcs.  Deux  assiettes  en  ancienne 
porcelaine  de  Chine  coquille  d'œufs  ont  fait 
8.25o  francs  et  six  assiettes  en  ancienne  por- 
celaine tendre  de  Sèvres  à  fond  rose  Du  Barrv 
se  sont  payées  20.000  francs. 

Au  moment  de  mettre  sous  presse,  la  nou- 
velle nous  arrive  de  Londres  que  l'on  vient  de 
vendre  chez  Christie,  la  collection  de  lady 
Ashburton.DeuxportraitsparVan  Dyck,  repré- 
sentant le  roi  Charles  L'i^ et  la  reine  Henrietta- 
Maria,  ont  obtenu  le  prix  sensationnel  de 
442.000  francs,  achetés  par  un  grand  mar- 
chand de  Londres. 

A  F'rancfort,  à  la  vente  de  la  collection  Lut- 
teroth,  un  tableau  par  Schreyer,  L'Attelage 
russe,  aétépoussé  à  38. 600  francs;  un  paysage 
de  Calame  à  i2.3oo  francs,  et  un  autre  par 
Achenbach  à  9.500  francs.  A  .Amsterdam,  dans 
une  vente  de  gravures  anciennes,  on  a  donné 
9.870  francs  d'une  épreuve  de  Jésus  guéris- 
sant les  malades,  pièce  aux  Cent  florins,  par 
Rembrandt,  sur  papierdu  .lapon.  Ine  épreuve 
de  Chaumière  et  Grange  à  foin,  par  le  même, 
a  atteint  plus  de  5. 000  francs.  Une  estampe  en 
couleurs,  de  l'écoleanglaise,  par  Smith,  ^/wc- 
ria,  a  dépassé  4.000  francs.  Enfin,  aux  envi- 
rons de  Lisbonne,  on  a  vendu  dernièrement 
35.000  francs  deux  tapis  anciens  de  la  Perse. 

A.  FRAPPART. 


DincUur  :  M.  MANZI. 


Imprimerie  Manzi,  Joyant  &  C'*,  Asnières. 


Le  Gérant  :  0.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N°  44 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Août  1905 


Pkt>ti^  BraMji,  CUmtml  f  Ci* 


BOTTICELLI  i^attribué  à).  —  i.A  bki.i.k  simonktta 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


U  COLLECTIOH  DE  SIR  FREDEHiCR  COOR,  VISCO*  È  MODSerrale 


.A-   I^icliLirxiozxca. 


LA  vaste  collection  de  tableaux  et  d'objets  d'art  de  Doughty 
House,  Richmond,  près  de  Londres,  a  été  formée  par 
feu  Sir  Francis  Cook,  le  premier  baronnet,  vicomte 
de  Monserrate  en  Portugal.  La  majeure  partie  fut  réunie 
entre  1860  et  1890;  il  y  eut  peu  d'additions  après  cette  date 
et  aucune  depuis  la  mort  de  SirFrancisen  1901.  Depuislors, 
au  contraire,  il  a  été  fait  de  judicieuses  éliminations,  et  l'on 


Pholo  Brou»,  CUmenI  f  Cie 


peut  dire  que  le  propriétaire  actuel,  Sir  Frederick,  possède  la 
collection  particulière  la  plus  nombreuse  et  la  plus  complète 
d'œuvres  des  maîtres  anciens  qui  se  trouve  en  Angleterre. 
D'autres  collections  peuvent  contenir  des  chefs-d'œuvre  plus 
célèbres  ou  des  tableaux  d'une  plus  grande  valeur  historique; 
aucune  ne  représente  aussi  complètement  toutes  les  époques 
de  la  peinture,  —  l'art  moderne  excepté,  —  et  son  caractère 

général,  sévère  et  pondéré,  reflète 
admirablement  les  goûts  et  les 
prédilections  de  son  distingué 
fondateur. 

Le  noyau  de  la  collection  (une 
centaine  de  toiles)  fut  acheté  en 
bloc  à  Sir  J.  Charles  Robinson, 
le  curateur  des  galeries  de  pein- 
ture de  feu  la  reine  Victoria,  dont 
Sir  Francis  Cook  consulta  les 
lumières  et  rechercha  les  avis  dans 
toutes  les  acquisitions  qu'il  fit 
plus  tard.  Il  ne  reste  qu'un  petit 
nombre  de  ces  premiers  tableaux, 
car,  comme  tous  les  collection- 
neurs avisés.  Sir  Francis  amé- 
liorait constamment  l'ensemble 
de  sa  collection  en  se  débarras- 
sant des  œuvres  inférieures  et, 
comme  le  nombre  des  tableaux 
croissait  rapidement,  il  fallait 
faire  de  la  place  en  sacrifiant  ju- 
dicieusement les  moins  précieuses 
des  premières  acquisitions.  Néan- 
moins il  fallut  ajouter  des  gale- 
ries aux  galeries  jusqu'à  ce  que  la 
collection  prit  les  vastes  propor- 
tions qu'elle  a  actuellement  ;  et, 
dans  ces  deux  dernières  années, il 
a  fallu  faire  de  nouvelles  modifi- 
cations, de  façon  à  gagner  de 
l'espace  et  à  permettre  une  dispo- 
sition plus  avantageuse  des  ta- 
bleaux. 

Quelques-uns  des  chefs- 
d'œuvre  de  la  collection  sont  si 
connus  et  ont  été  si  souvent  gra- 
vés dans  les  catalogues  illustrés, 
les  journaux  et  les  revues,  qu'il 
a  paru  plus  intéressant  de  repro- 
duire ici  un  certain  nombre  des 
œuvres  les  moins  connues.  Nous 
citerons,  parmi  les  premiers,  les 
tableaux  célèbres,  tels  que  les 
Trois  Maries  au  Sépulcre,  d'Hu- 
bert Van  Eyck,  la  Madone  à  l'I- 
ris, d'Albert  Durer,  et  la  Femme 
aux  Omelettes,  de  Velasquez. 

11  nous  semble  également 
inutile   de    reproduire    les    trois 


PIERO  DELLA  FRANCESCA.  (attribué  à).  —  portrait  d'une  DAmb 

(CoUection  de  Sir  Frederick  Cook) 


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PtM9  Brmmm,  Oémni  f  Ctê, 

TINTORETTO   (JACOPO  ROBUSTl  dit).  —  portrait  d'un  stNATitR  viMTiK» 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 

LES  ARTS 


Rembrandt,  c'est-à-dire  le  Portrait  de  la  Sœur  de  l'Artiste, 
le  Portrait  d'Alotte  Adriaans  et  l'Intérieur  avec  V Histoire 

de  Tobie.  . 

L'exposition  récente  à  Paris  de  la  Femme  au  Bain 
(Gabrielle  d'Estrées,  peut-être),  par  François  Clouet,  a  fami- 
liarisé le  public  avec  une  remarquable  œuvre  française,  de 
même  que  la  nouvelle  publication  de  l'Arundel  Club  a  fait 
connaître  à  un  grand  nombre  d'amateurs  de  l'art  italien 
l'important  tondo  de  l'Adoration  des  Mages  de  Filippo  Lippi 
et  la  touchante  Pietà  de  Moretto  de  Brescia.  La  petite  pre- 
della  de  Raphaël,  avec  une  scène  de  l'histoire  de  saint 
Nicolas  de  Tolentino,  a  un  intérêt  historique  considérable, 
car  elle  est  (avec  un  fragment  correspondant  à  Lisbonne) 
tout  ce  qui  rrsie  d'un  retable  jadis  fameux,  peint  dans  sa 


Photo  Braun,  Clément  ^  de. 


FBA  FILIPPO    LIPPI.  —    SAINT  BER^ARD  ET  SAINT  MICHEL 

{Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


jeunesse  par  Raphaël  pour  Città  di  Castello.  Elle  a  été  repro- 
duite, il  y  a  quelques  années,  dans  la  Ga:{ette  des  Beaux- Arts. 
On  peut  citer  parmi  les  autres  belles  œuvres  italiennes  de  la 
collection,  la  Sainte  Famille  de  Fra  Bartolommeo,  signée  et 
datée  de  i5i6  qui,  avec  la  Sainte  Famille,  appartenant  au 
comte  Cowper,  représente  dignement  ce  maître  dans  les  gale- 
ries particulières  d'Angleterre,  et  rachète  la  pauvreté  du 
spécimen  que  possède  la  National  Gallery  ;  le  Christ  couronné 
d'Épines  d'Antonello  da  Messina  ou  Solario  ;  le  Mars,  Mer- 
cure et  Bellone  de  Paris  Bordone  et  le  retable  avec  la  Nati- 
vité (signé  et  date  de  i534)  de  Perino  del  Vaga.  De  Signorelli 
il  y  a  deux  admirables  fragments  d'un  Baptême  qui  sont 
supérieurs  à  tout  ce  qu'on  voit  à  la  National  Gallery;  de 
CrivcUi    une    ravissante   Madone    et   d'Ercole    de    Roberti, 

Médée  et  ses  Enfants,  d'un  su- 
perbe coloris  et  d'un  beau  dessin. 
Mais  il  est  temps  d'arriver  aux 
œuvres  reproduites  ici.  Commen- 
çons par  les  Italiens  et  quelques 
peintres    Espagnols  et   P'rançais. 
Les  deux  saints,  Michel  et  Ber- 
nard de   Fra  Filippo    Lippi,   ne 
sont   pas    seulement  des    œuvres 
d'une  grande  beauté;  ils  ont  aussi 
la  plus  haute  valeur  historique.  Il 
est  peu  de  peintures  du  xv=  siècle 
dont  l'authenticité  soit  aussi  par- 
faite, car  nous  possédons  une  lettre 
autographe  de  l'artiste,  adressée 
à  Jean    de    Médicis,   en  date  du 
20  juillet   145-,   dans  laquelle  il 
donne  une  description  et  un  petit 
croquis    de   la   composition   en- 
tière, où  l'on  voit  une  madone  et 
des  anges  entre  ces  deux  saints. 
Il  serait  intéressant  de  retrouver 
la  partie  centrale  et  de  reconsti- 
tuer ce  triptyque  dans  son  cadre 
gothique.    Ces   deux   saints  pro- 
viennent d"une  collection  particu- 
lière de  Madrid  et,  avec  l'impor- 
tant tondo  du  même  peintre,  font 
d'une    visite    à    la   collection    de 
Richmond  un  pèlerinage  obliga- 
toire pour  ceux  qui  étudient  l'art 
de    Fra    Filippo    Lippi   (1).    On 
pourrait  croire  que  Burne-Jones 
a  été  inspiré  par  le  saint  Michel, 
car  il  est  des   œuvres   de  maître 
moderne  qui  présentent  beaucoup 
de    traits    communs    avec  ce  ta- 
bleau au  point  de  vue  du  senti- 
ment artistique  et  même  du  co- 
loris. Quoi  qu'il   en   soit,   on  ne 
peut   nier   que   le   saint    de    Fra 
Filippo  ne  soit  une  des  plus  belles 
créations  de  l'art  florentin. 


(1)  Cependant  M.  Edward  Strutt,  qui  pré- 
tend être  le  dernier  des  biographes  de  l-'ilippo, 
ne  fait  même  pas  mention  de  ces  tableaux. 


LA    COLLECTION  DE    SIR    FREDERICK    COOK 


M.iM  r.Mun,  ri.'nmi  y 


TITIEN  (attribué  au).  —  portrait  d'un  jklnk  chevaukr  de  maltk 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cookj 


LES   ARTS 


Pour  nous  en  tenir  toujours  à  cette  école,  mentionnons 
le  séduisant  portrait  de  femme,  dit^e//a  Simonetta,  attribué 
à  Botticelli.  C'est  incontestablement  un  des  plus  attrayants 
des  portraits  qui  passent  pour  la  représenter;  par  le  coloris 
et  le  sentiment,  il  attire  l'admiration  du  spectateur  comme 
autrefois  celle  de  Laurent  de  Médicis.  Bien  que,  par  les  traits, 
il  diffère  un  peu  du  portrait  de  Chantilly  qui  porte  son  nom, 
il  n'est  pas  impossible  de  concilier  les  deux  effigies  si  l'on 
tient  compte  du  fait  qu'ils  sont  dus  à  deux  artistes  différents, 
et  surtout  si  l'on  se  souvient  de  la  puissante  personnalité  de 
l'être  étrange  que  fut  Piero  di  Cosimo,  lequel  a  dû  commu- 
niquer à  son  modèle  quelque  chose  de  sa  nature  romanesque. 
D'ailleurs,  le  portrait  de  Richmond  est  moins  un  portrait 
qu'une  brillante  improvisation  sur  une  jolie  femme,  jointe  à 
une  allégorie  qui  n'est  pas  facile  à  interpréter. 

On  peut  certainement  affirmer  l'identité  de  la  Dame  de 
Sébastian  del  Piombo  avec  la  fameuse  Foniariua  du  même 


Vhtilo  Bi-rtim,  CUmenI  J*  Cie. 


SEBASTIAN  DEL  PIOMBO.  —  portpait  de 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cookj 


artiste  qui  est  au  Musée  des  Offices.  Même  type  et  même 
attitude  dans  les  deux  tableaux,  bien  que  celui  de  Richmond 
soit  antérieur  à  l'autre  de  quelques  années.  On  en  peut  fixer 
la  date  avec  exactitude  car,  au  point  de  vue  du  coloris  et  de 
l'ordonnance  générale,  cette  dernière  œuvre  se  rapproche  de 
la  Fille  dHérodiade,  prêtée  par  M.  Salting  à  la  National 
Gallery  et  qui  est  datée  de  i5io.  La  Dame  de  Richmond. 
qui  a  l'attitude  d'une  Madeleine,  a  donc  été  peinte  par 
Sébastian  del  Piombo,  alors  qu'il  était  encore  élève  du  Gior- 
gione  à  Venise,  et  ce  tableau  fournit  un  point  de  comparaison 
important  pour  ceux  qui  veulent  se  faire  une  idée  juste  de 
l'art  de  Sébastian  del  Piombo  au  début  de  sa  carrière. 

Le  Sénateur  du  Tintoret  est  un  bel  exemple  de  la  pein- 
ture vénitienne  de  la  fin  du  xvi=  siècle  ;  il  est  plein  de  vigueur 
et  de  caractère.  Il  est  instructif  de  comparer  ce  portrait  d'un 
vieillard,  largement  et  puissamment  traité,  avec  celui  d'un 
faire  plus  guindé,  mais  non  sans  noblesse,  d'un  jeune  patri- 
cien, désigné  sous  le  nom 
de  Chevalier  de  Malte, 
attribué  non  sans  raison 
au  Titien,  bien  que,  en 
réalité,  fort  peu  dans  sa 
manière.  A  la  vérité,  ce 
jeune  noble  vient  de  Flo- 
rence et  non  de  Venise, 
et  malgré  la  signature 
TITIANVS  (évidemment 
ajoutée  après  coup),  il 
faut  chercher  le  peintre 
parmi  les  disciples  du 
Rronzinoetde  Pontormo. 
Il  est  probable  que  nous 
nous  trouvons  en  face 
d'une  œuvre  de  Fran- 
cesco  Salviati,  dont  l'é- 
lève, Giuseppe  Porta, 
surnommé  aussi  Salviati, 
a  fait  de  ce  portrait  une 
réplique  qui  est  au  musée 
de  Berlin.  Van  Dyck  a 
fait  dans  son  album  (au- 
jourd'hui à  Chatsworth) 
un  croquis  de  cette  toile, 
ce  qui  prouve  que  ce  char- 
mant tableau  avait  alors 
pour  les  Flamands  le 
même  attrait  qu'il  a  de 
nos  jours  pour  les  gens 
du  Nord. 

Une  étrange  et  atti- 
rante Télé  du  Christ,  une 
des  plus  émouvantes  et 
des  plus  impressionnantes 
qui  existent,  nous  ramène 
à  Venise.  On  dirait 
presque  que  c'est  un  por- 
trait; peut-être  l'auréole 
qui  l'entoure  a-t-elle  été 
ajoutée  après  coup  pour 
donner  un  caractère  sa- 
cré  à  ce    qui    n'était    à 


rholo  llniuii.CIcmtttt  J(  Cie. 


SODOMA  (GIOV.  ANT.  BAZZI  dii).  —  saint  georcks  kt  le  dragon 
(Collection  de  Sir  Frederick  CookJ 


LES   ARTS 


l'origine  qu'une  simple  ressemblance.  Ce  qui  donne  un  intérêt 
particulier  à  cette  supposition,  c'est  l'analogie  des  traits  du 
modèle  avec  ceux  d'Albert  Durer,  et  ce  problème  devient 
encore  plus  inte'ressant  quand  on  a  constaté  que  l'auteur  de 
cette  tête  est  Jacopo  de  Barbari.  Cela  semble  prouvé  par  un 
mélange  de  styles  du  Nord  et  de  Venise,  et  par  le  caractère 
général  de 
l'œuvre  qui  rap- 
pelle le  maître 
du  Caducée. On 
a  aussi  attribué 
cette  œuvre  à 
Lo  1 1  G  ou  à 
Cima,  et  on  lui 
a  prêté  une  ori- 
gine milanaise, 
mais  il  y  a  de 
puissantes  rai- 
sons pour  com- 
battre ces  opi- 
ni  o  n  s,  et  le 
sentimentgéné- 
ral  confirme 
l'attribution 
qu'on  en  a 
faite  à  Barbari. 
Quant  à  savoir 
s'il  convient 
d'établir  un 
rapport  à  ce 
sujet  entre  le 
nom  de  Durer 
et  celui  de  Bar- 
bari, c'est  une 
énigme  dont  le 
mot  est  encore 
à  trouver. 

Sodoma  est 
représenté  par 
une  belle  pein- 
ture.  Saint 
Georges  et  le 
Dragon,  dans 
laquelle  il  a 
déployé  de 
grandes  quali- 
tés d'imagina- 
tion. Sauf  à 
Sienne,  cet  ar- 
tiste ne  peut 
être  jugé  nulle 
part  mieux  qu'à 
Richmond,  car 

aucune  galerie  européenne  ne  possède  de  lui  une  œuvre  com- 
parable à  celle-ci  pour  la  beauté  du  coloris  et  le  charme  délicat 
du  paysage.  Le  manteau  de  saint  Georges,  d'un  rouge  flam- 
boyant, jette  une  note  éclatante  de. défi  dans  la  composi- 
tion, et  si  le  cheval  paraît  appartenir  à  la  race  porcine,  le 
sujet  n'est-il  pas  du  domaine  de  la  légende  ?  Des  documents 
existants  prouvent  que  ce  tableau  a  été  peint  par  Sodoma 
en  i5i8. 


Photo  Braun,  Clément  ^  Cie. 


JACOPO  DE  BARBABI.  —  tête  du  christ 
{Collection  de  Sir  Frederick  Cookj 


Voici,  par  Césare  da  Sesto  (comme  Sodoma  de  l'école 
milanaise  originairement),  un  retable  qui  est  son  œuvre  la 
plus  considérable  après  le  polyptyque  deMelzi.  Son  art,  mila- 
lais,  vénitien  et  romain,  y  est  résumé  en  éléments  fort  recon- 
naissables  qui  donnent  une  impression,  de  décousu  peu 
agréable.  Césare  da  Sesto  fut  le  premier  des  éclectiques  et  finit 

ses  jours  en  Ita- 
lie   méridio- 
nale,   dans    un 
milieu     con- 
forme à  son  ca- 
ractère. Ce  ta- 
bleau,  comme 
celuideNaples, 
parait  avoir  été 
peint  pour  une 
église  de  Mes- 
sine ;  on    voit 
encore  aujour- 
d'hui,aumusce 
de  Palernie, 
une   curieuse 
transcription 
de   celte    com- 
position.   La 
Vierge  et  l'En- 
fant sont  déri- 
vés de  Léonard 
d  e  V  i  n  c  i  ;  le 
saint  Georges 
est  emprunté  à 
Paris  Bordone, 
et  ensuite  au 
saint  Georges 
de   Castelfran- 
co,   du   Gior- 
gione.  Lesbas- 
reliefsetlesaint 
Jean-Baptiste 
rappellent   Ra- 
phaël et  la  der- 
nière  manière 
des    S  t  a  n  z  e . 
Certes,  il  fallait 
un  génie  supé- 
rieur à  celui  de 
Césare  daScsio 
pour  faire    de 
tous   ces   élé- 
ments dispa- 
ratesuneœuvre 
réussie.    Et 
malgré  tout,  le 
caractère   ambitieux  de  celte    œuvre,  joint  à    une    certaine 
majesté,  à  une  certaine  sobriété  dans  le  coloris,  fait  de  ce 
retable  le  tableau  principal  des  dernières  années  de  l'artiste. 
La  galerie  de  Richmond  renferme  aussi  un  exemple  capital 
de  sa  première  manière,  un  Saint  Jérôme  peint  sous  l'in- 
fluence directe  de  Léonard  de  Vinci. 

L'Inspiration   de  saint  Jérôme,    traitée  d'une  façon    si 
remarquable  et  si  originale,  fait  penser  au  Corrège,  et  c'est 


LA    COLLECTION   DE    .SIR    FREDERICK    COOK 


Pifltft  Bran».  CUi»ent  y  i:î 


LE  PERUGIN  (attribué  au).  —  i.a  flagellation  du  christ 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


comme  étant  de  lui  que  ce  tableau  a  été  gravé  dans  la 
galerie  de  Le  Brun;  il  passa  ensuite  dans  la  collection  de 
Sir  Thomas  Baring,  à  qui  Sir  Francis  Cook  l'acheta,  il  y  a 
bien  des  années.  Il  n'est  guère  douteux  maintenant  que  ce 
tableau  est  l'œuvre  d'un  habile  élève  du  Corrège,  Rondani, 
dont  on  voit  des  peintures  authentiques  à  Parme  et  ailleurs. 
Les  inscriptions  dans  le  coin  et  sur  la  banderole  sont  incom- 
préhensibles et  ont  probablement  été  défigurées  quand  le 
tableau  a  été  restauré. 

Passant  à  l'Italie  centrale,  nous  constatons  que  Signo- 
relli  est  admirablement  représenté  par  deux  fragments  de  ce 
qui  a  dû  être  un  Baptême  du  Christ.  Ces  figures  révèlent  si 
parfaitement  les  meilleures  qualités  de  ce  grand  maître,  qu'on 
doit  préférer  ces  fragments  à  tous  les  exemples  que  possède 
la  National  Gallery.  Nous  en  reproduisons  un  dans  lequel  il 
est  intéressant  de  noter  le  motif  de  l'homme  qui  se  dévêt, 


f'Iiolo  llraun,  Clémtnt  ^  Cie. 

CESAUE  DA  SESTO.  —  la  vieroe  et  l'enfant,  entre  saint  jean-baf 
I  Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


motif  qui  se  retrouve  dans  le  Baptême  du  Christ  de  Piero 
délia  Francesca,  qui  est  à  la  National  Gallery.  Mais  Signorelli 
montre  des  connaissances  anaiomiques  bien  supérieures,  et 
réussit  à  faire,  d'un  incident  banal,  une  chose  d'une  grande 
beauté.  Ces  fragments  sont  fort  bien  conservés  et  ne  sont 
inférieurs  à  aucune  des  œuvres  de  Signorelli. 

Le  Portrait  d'une  Dame,  attribué,  suivant  la  tradition  et 
comme  tous  les  profils  de  cette  époque,  à  Piero  délia  Fran- 
cesca, a  donné  lieu  à  bien  des  hypothèses.  Quelle  est  cette 
femme  à  la  coiffure  bizarre?  Quel  artiste  peignait  de  celte 
façon?  La  difficulté  est  telle  que  les  critiques  ne  peuvent  se 
mettre  d'accord  sur  l'école  à  laquelle  appartient  ce  portrait, 
et  encore  moins  sur  l'identité  du  modèle.  Ce  tableau  est-il 
vénitien,  ombrien,  florentin,  siennois  ?  Chacune  de  ces 
écoles  a  ses  partisans.  Une  chose,  en  tout  cas,  semble  claire, 
c'est  que  ce  n'est  pas  le  portrait  d'Isotta  de  Rimini,  comme  on 

le  désignait  quand  il  figurait  dans 
la  collection  Barker,  et  qu'il  n'est 
pas  l'œuvre  de  Piero  délia  Fran- 
cesca. Et  cette  constatation  néga- 
tive faite,  on  ne  peut  en  dire  autre 
chose  à  présent. 

Pour  finir,  nous  reproduisons, 
parmi  les  œuvres  des  maîtres  ita- 
liens, un  charmant  petit  tableau 
de  l'Italie  centrale,  représentant 
la  Flagellation  du  Christ.  Autre- 
fois, quand  il  figurait  dans  la  col- 
lection Norihwick,  il  passait  pour 
un  Raphaël,  attribution  que  la  cri- 
tique moderne  repousse.  11  est 
malaisé  de  dire  s'il  est  du  Pcrugin 
ou  de  Lo  Spagna.  Le  fait  est  que 
ce  petit  tableau  est  d'une  si  exquise 
facture  que  ces  deux  noms  ne 
nous  satisfont  pas.  Nous  sommes 
en  présence  d'une  autre  énigme 
qui  vaut  la  peine  d'être  devinée. 
La  même  incertitude  plane  sur 
l'Apollon  et  Marsyas,  du  Louvre, 
œuvre  comparable,  sous  bien  des 
rapports,  au  tableau  de  Rich- 
mond  ;  et  si  la  première  de  ces 
œuvres  est,  comme  bien  des  cri- 
tiques l'affirment,  du  Pérugin,  la 
seconde  peut  l'être  également.  Au 
point  de  vue  du  fini  de  l'exécution 
et  de  son  état  de  conservation, 
cette  peinture  est  des  plus  remar- 
quables; elle  attire  par  la  beauté 
du  coloris  beaucoup  plus  qu'on 
ne  pourrait  le  croire  à  la  vue  de 
la  reproduction,  qui  fait  apparaître 
la  pauvreté  du  dessin  de  certaines 
parties. 

Il  va  sans  dire  que  ces  douze 
tableaux  sont  loin  d'épuiser  la 
série  intéressante  d'ituvres  ita- 
liennes que  possède  la  collection 
de  Richmond,  car,  outre  les  neuf 
autres  peintures  importantes  dont 

TISTE  et    saint    GEORGES 


LA    COLLECTION  DE  SIR  FREDERICK  COOK 

II 

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Cit. 

VEl-ASQUEZ.    —    MENIUANT    ESPAGNOL 

(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 

il  a  été  parlé  au  début  de  cet  article  et  que  nous  ne  repro- 
duisons pas  ici  parce  qu'elles  sont  plus  connues  que  celles 
que  représentent  nos  illustrations,  il  serait  facile  d'en  citer 
une  douzaine  d'autres,  qu'une  galerie  moins  importante 
serait  fière  de  posséder.  Telle  est,  par  exemple,  la  jolie 
peinture  de  la  Vierge  et  VEnfant,  entourés  d'anges  musi- 
ciens, attribuée  à  Fra  Angelico,  ou  encore  de  précieux 
exemples  de  l'art  siennois,  parmi  lesquels  sont  la  Madone,  de 
Ceccarelli  (signée  et  datée  de  1347),  et  la  Nativité,  de  Kran- 
cesco  di.  Gior- 
gio. L'école  de 
Ferrare,  aussi, 
est  bien  repré- 
sentée par  des 
oeuvres  authen- 
tiqués de  Marco 
Zoppo  et  de 
Cosimo  Tura, 
ainsi  que  par 
un  grand  re- 
table d'Ercole 
di  Giulio  Gran- 
di, et  une  série 
d'œuvres  de  La- 
nini,  le  Domi- 
niquin,  Palma 
le  jeune,  Ca- 
listo  da  Lodi, 
A  n  n  i  b  a  1  Ca  r- 
r  a  c  h  e ,  C  i  m  a , 
Bassano,  Rocco 
Marconi,  et, 
parmi  les  Mila- 
nais, Liiini  et 
Gianipetrino, 
complète  la 
longue  liste  des 
pein  t  u  re-s  ita- 
liennes. 

Nousallions 
oublier  une  des 
retivrcs  histo- 
riques les  plus 
importantes  de 
la  collection,  le 
portrait  de  Lau- 
ra  de  Dianti  par 
le  Titien,  qui 
maintenant, 
aprèsdclongues 
hésitations,  est  reconnu  pour  l'original  qui  jadis  ornait  les 
galeries  de  Christine  de  Suède  et  de  Philippe  d'Orléans. 
Malheureusement  il  est  dans  un  état  qui  est  loin  d'être  par- 
fait. Cependant  on  peut  établir  que  c'est  bien  là  le  portrait 
peint  par  le  Titien  poiir  Alphonse  de  Ferrare,  vers  i523,  ce 
qui  en  fait  un  document  d'une  grande  importance  au  point 
de  vue  de  la  carrière  du  maître.  En  tout,  la  collection  con- 
tient environ  cent  soixante  tableaux  italiens. 

La  salle  espagnole  renferme  une  cinquantaine  d'œuvres, 
dont  quelques-unes  de  grandes  dimensions  et  d'une  véritable 
importance  au  point  de  vue  de  l'histoire  de  l'art  de  la  pénin- 


l'Iinlo  Bioii.i,  Clément  i'  C, 


JlONDANi  lEcoIo  du  Corrogc).  — 
{Collection  de  Sir 


suie.  A  commencer  par  un  retable  complet  en  vingt-quatre 
panneaux  (chose  unique  hors  d'Espagnei,  presque  tous  les 
meilleurs  artistes  espagnols_^sont  représentes,  et  il  y  a  même 
des  exemples  caractéristiques  de  l'art  de  Valdcs  Leal,  Gran 
Vasco  et  Pedro  Campai'ia. 

Nous  avons  déjà  parlé  du  célèbre  Intcrieur  de  cuisine 
ou  Btuiegone,  de  Velasquez;  il  est  si  connu  que  nous  ne 
le  reproduisons  pas  ici,  malgré  sa  très  grande  importance. 
Deux  autres  tableaux  attribués  à  Velasquez  sont  reproduits 

dans  ce  numé- 
ro ;  le  premier 
est  le  Mendiant 
esyagnol  ;  le  se 
cond  le  portrait 
de  la  reine  Ma- 
rianne d' A  II- 
triche. 

En  ce  qui 
concerne  le  pre- 
mier, les  avis 
sont  partagés, 
et  il  n'est  même 
pas  certain  que 
le  tableau  soit 
d'origine  espa- 
gnole. On  ne 
peut  niercepen- 
dant  que  ce  soit 
uneœuvred'une 
grande  puis- 
sance,quiexciie 
l'admiration  du 
visiteur.  Le  su- 
jet est  un  peu 
obscur  ;  mais  il 
semble  repré- 
senter un  vieux 
mendiant,  dont 
le  seul  plaisir 
est  la  bouteille. 
La  sphère  pour- 
rait rappeler  les 
scènes  de  sa 
jeunesse,  qu'il 
contemple  avec 
un  regret  ému. 
Ce  tableau  est 
venu  d'Espagne 
en  I 8 I 8  ;  les 
analogies  qu'il 
présente  avec  la  première  manière  de  Velasquez  l'ont  fait 
attribuer  à  ce  maître;  bien  des  critiques,  à  commencer  par 
Jusii,  condamnent  celte  attribution,  et  l'on  n'est  pas  encore 
fixé  sur  sa  véritable  origine. 

On  peut  en  dire  autant  d'une  grande  nature  morte,  qui 
est  une  des  plus  remarquables  qui  existent.  Il  est  au  moins 
singulier  qu'on  l'attribue  traditionnellement  à  Velasquez, 
et  si  réellement  elle  est  de  lui,  c'est  incontestablement  son 
chef-d'œuvre  en  ce  genre. 

La  Marianne  d'Autriche  est  regardée  comme  le  premier 
en  date  des  portraits  existants  de  la  petite  reine;  il  fut  peint 


l'inspiration    de   saint  JKHOUi: 

Frederick  Cook) 


LA    COLLECTION  DE  SIR   FREDERICK  COOK 


VKLASQUEZ 


PORTRAIT    HE    MARIANNE    I)  AUTRICHE,    EPOISK    DK    PHII  IPPE    IV,    ROI    D  ESPAGNE 

{Collection  de  Sir  Frederick  Cookj 


H 


LES   ARTS 


par  Velasquez  au  moment  où  la  princesse  se  rendait  à 
Madrid,  en  1649.  Elle  est  encore  coiffée  à  la  mode  autri- 
chienne et  porte  dans  les  cheveux  la  perle  historique. 

La  collection  de  Richmond  possède  aussi   un  portrait  de 


Photo  Draun.  Cément  J"  Cie. 


SIGNORELLI.  —  LB  BAPTÊME  DU  ciiRisT  (fragment) 
(Colle et itin  de  Sir  Frederick  Cookj 


la  même  princesse  par  Carrciio;  elle  a  revêtu  un  costume 
de  religieuse  à  la  suite  de  la  mort  du  vieux  roi  Phi- 
lippe IV.  Un  tableau  du  même  artiste  représente  leur  fils 
Charles    II,  peint    en    pied. 

Parmi  les  autres  peintures 
espagnoles  de  la  collection  de 
Richmond,  on  peut  citer  une 
belle  œuvre  de  Valdes  Leal,  re- 
présentant le  chanoine  Bona- 
ventura  ressuscité  des  morts  et 
écrivant  les  mémoires  de  saint 
François;  deux  spécimens  du 
Greco,  dont  l'un,  le  Christ  chas- 
sant les  marchands  du  Temple, 
est  très  lisiblement  signé  ;  un  re- 
table de  l'Assomption  de  la 
Vierge,  qui  est  probablement  le 
chef-d'œuvre  d'Alonso  Cano  ; 
plusieurs  beaux  Murillo,  parmi 
lesquels  le  portrait  de  l'artiste, 
et  quelques  tableaux  primitifs 
espagnols  et  portugais,  y  com- 
pris un  triptyque  par  le  légen- 
daire Gran  Vasco,  qui  est  signé 
Vasco  Fernandez. 

Il  n'existe  nulle  part,  en 
dehors  de  l'Espagne,  une  série 
aussi  complète  d'exemples  de 
l'art  espagnol,  quoique  bien  des 
collections  publiques  possèdent 
des  œuvres  plus  importantes  de 
Velasquez,  Zurbaran  et  Ribera. 
La  section  française  contient 
environ  vingt-cinq  tableaux.  Le 
plus  ancien  est  un  Saint  Pierre, 
de  l'école  de  Nicolas  Froment,  et 
qui,  par  le  style,  se  rapproche 
beaucoup  du  Miracle  de  Saint 
A/ î"/;v,  récemment  exposé  à  Paris. 
A  la  même  exposition,  on  voyait 
le  prétendu  Portrait  de  Diane 
de  Poitiers  par  François  Clouet, 
document  de  la  plus  grande  va- 
leur pour  les  amateurs  de  l'art 
français  du  xvi«  siècle,  qui  est 
reconnu  comme  l'original  de 
plusieurs  répliques  et  copies  qui 
se  trouvent  à  Chantilly,  à  Ver- 
sailles et  ailleurs.  Le  modèle 
n'est  certainement  pas  Diane, 
mais  c'est  probablement  Ga- 
brielled'Estrées;  et  MM.  L.  Di- 
mier  et  Durand-Gréville  sont 
d'accord  pour  voir  dans  cette 
œuvre  la  main  de  François 
Clouet.  Il  y  a,  d'une  époque 
moins  lointaine,  quatre  Poussin 
de  premier  ordre,  dont  un,  de 
grandes  dimensions,  est  repro- 
duit ici.  Il  était  autrefois  dans 
la  collection  Borghèse  et  Sir 


i6 


LES   ARTS 


Francis  Cook  l'acheta  à  lord  Beaunîîxit.  Le  grand  artiste 
français  apparaît  ici  dans  toute  la  perfection  de  son  génie 
classique,  s'inspirantde  Raphaël  et  de  Jules  Romain  comme, 


dans  un  beau  Mariage  de  Sainte  Catherine,  également  à 
Richmond,  il  s'inspire  du  Titien.  iS Enlèvement  des  Satines 
et  la  Peste  d'Asdod  sont  des  œuvres  qui  brillent  par  le  dessin 


l'hotu  ISraun,  CIthficnt  y  Cic. 


W.    HOGARTH.    -    sahaii    malcolm 
(Collection  de  Sir  frederick  Cook) 


LA    COLLECTION  DH  SIR  FREDERICK  COOK 

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J.  RKYNOI.nS.  —  ("inspiration  de  saint  jean 

(Collection  de  Sir  Frederick  Cookj 

20 


LES  ARTS 


et  font  ressortir  les  grandes  qualités  de  Poussin  autant  que 
n'importe  quel  chef-d'œuvre  du  Louvre  ou  de  Dulwich.  En 
réalité,  les  sept  tableaux  de  Nicolas  Poussin  que  renferme 
la  galerie  de  Richmond,  présentent  un  résumé  de  son  art 
dont  il  serait  difficile  de  trouver  l'équivalent  en  dehors  des 
collections  publiques  de  l'Europe. 

Les  autres  tableaux  français  comprennent  quatre  bons 
Claude  Lorrain,  deux  petits  Chardin,  un  Le  Nain,  deux 
Greuze  et  un  J. -François  Millet  de  premier  ordre.  Le  mérite 
de  ce  dernier  sera  plus  complètement  reconnu  quand  le 
progrès  du  goût  fera  rendre  justice  à  ceux  qui  ont  cherché  à 
faire  renaître  l'art  classique  en  France,  en  Italie  et  ailleurs. 

Telles  sont,  en  peu  de  mots,  les  sections  italienne,  espa- 
gnole et  française  de  la  galerie  de  Richmond.  Passons  main- 
tenant aux  écoles  anglaise,  allemande,  flamande  et  hollan- 
daise, chacune  desquelles  est  bien  représentée  dans  cette 
grande  collection. 

Sur  vingt-cinq  tableaux  anglais,  six  sont  reproduits  ici, 


PhoU'  Brmm.  Oiment  ^  Ci, 


G.  nOMNEY.    —  VIEILLE  RAME  PRISANT 

(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


la  première  place  étant  attribuée  au  Moulin  à  vent  et  écluse 
de  Turncr.  Ce  tableau,  peint  en  1806,  montre  que  Turner  a 
vu  et  étudié  le  fameux  Moulin  à  vent  de  Rembrandt,  actuel- 
lement à  Bowood.  Un  tableau  antérieur,  la  Cinquième 
Plaie  d'Egypte,  peint  pour  M.  Beckford  en  1800,  montre 
l'amusante  idée  que  Turner  se  faisait  de  la  grande  pyramide 
qu'il  n'a  Jamais  vue;  mais  comme  œuvre  d'imagination  dra- 
matique et  même  tragique,  cette  peinture  a  un  grand  mérite 
et,  sans  ses  dimensions,  n'aurait  probablement  pas  quitté  la 
collection  du  marquis  de  Westminster  pour  passer  dans  celle 
de  Richmond. 

Plusieurs  beaux  W'ilson  et  un  paysage  de  la  première 
manière  de  Gainsborough  représentent  cette  phase  de  l'art 
anglais  ;  les  portraitistes  sont  représentés  par  la  Sarah 
Malcolm  d'Hogarth,  la  Vieille  Dame  prisant,  de  Romney  et 
la  jolie  Dame  en  bonnet  de  Reynolds.  Les  deux  premières  de 
ces  toiles  sont  reproduites,  ainsi  que  flnspiration  de 
Saint  Jean,  par  Reynolds. 

Le  Portrait  de  Sarah  Malcolm, 
un  des  chefs-d'œuvre  d'Hogarth, 
a  été  peint  peu  de  temps  avant 
l'exécution  de  cette  célèbre  crimi- 
nelle. Il  a  appartenu  à  Horace 
Walpole  >Stra\vberrv  Hill';  par  la 
spontanéité  et  l'éclat  de  la  tech- 
nique, il  met  Hogarth  au  pre- 
mier rang  des  portraitistes  de 
toutes  les  époques.  Cette  femme 
impérieuse  qui  assassina  sa  mai- 
tresseet  les  domestiques,  ses  com- 
pagnes, ne  méritait  guère  ces 
honneurs  posthumes,  et  cependant 
Hogarih  a  immortalisé  ses  traits. 
La  Vieille  Dame  prisant,  de 
Romney,  est  remplie  de  charme. 
L'artiste  a  su  faire  ressortir  la  per- 
sonnalité de  cette  vieille  femme 
dont  la  dignité  et  la  foncière 
bonhomie  s'allient  heureusement 
à  une  gaieté  tranquille.  Très  An- 
glaises, les  Sœurs,  peintes  par 
William  (Jwen,  de  l'Académie 
royale;  ce  sont  des  femmes  raf- 
finées et  aimables,  dont  l'identité 
n'est  pas  établie,  mais  qui  méri- 
teraient que  leurs  noms  fussent 
connus.  On  a  cru  un  moment  que 
ce  tableau  était  de  Hoppner,  dont 
il  a  le  stvlc. 

L'Inspiration  de  Saint  Jean 
appartient  à  un  genre  peu  com- 
mun dans  l'œuvre  de  Reynolds  et 
il  en  existe  un  croquis  dans  la 
collection  Wallace.  Il  n'en  est  pas 
moins  fort  authentique,  de  même 
que  le  Portrait  d'une  femme  en 
bonnet  exposé  récemment  au  Bur- 
lington Fine  Arts  Club. 

Avant  de  quitter  la  section  an- 
glaise, il  est  bon  de  faire  remar- 
quer   que    Sir   Francis  Cook   n'a 


LA    COLLECTION   DE    SIR    EREDERICK   COOK 


21 


Pkolo  Brauti,  Ctt^menl  {  Cit. 


WILLIAM    OWKN.    —    i.ks   sœurs 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


22 


LES  ARTS 


jamais  été  disposé  à  acheter  des  Reynolds,  des  Gainsbo- 
rough  ou  des  Romney  de  dix  mille  livres,  ni  tenté  d'acquérir 
à  des  prix  de  fantaisie  des  Van  Dyck  en  pied.  Les  achats 
judicieux  faits  il  y  a  quarante  ans  ont  leur  récompense 
aujourd'hui  dans  la  plus-value  considérable  des  œuvres  bien 
choisies,  et  il  est  peu  douteux  que,  bien  que  la  collection  de 
Richmond  ne  doive  pas  être  mise  en  vente,  sa  valeur  mai  = 
chande  a  triplé  ou  quadruplé. 

Si  nous  passons  maintenant  à  l'École  allemande,  nous 


trouvons  deux  tableaux  qui  l'emportent  sur  tous  les  autres. 
L'un  d'eux,  la  Madone  à  l'Iris^  d'Albert  Durer,  dont  il  a  été 
question  au  début  de  cet  article  comme  étant  un  des  chefs- 
d'œuvre  de  la  collection,  est  trop  connu  pour  que  nous  en 
donnions  une  reproduction.  Il  n'est  cependant  pas  inutile  de 
faire  remarquer  que  l'opinion  hostile  qu'a  exprimée  à  son 
sujet  M.  Sturge  Moore  dans  son  livre  sur  Albert  Durer  n'est 
appuyée  par  aucun  de  ceux  qui  (y  compris  des  critiques 
autorisés  comme  M.  Campbell  Dodgson  et  M.  Lionel  Cust) 


rholo  Braun,  LUnml  f  Cit. 


ECOLE  FLAMANUE.  —  l'auoration  uiîs  magks  itnpt^qiiej 
I Collection  de  Sir  Frederick  Ccckj 


ont  vu  le  tableau  de  Prague  qui  est  incontestablement  une 
copie  de  l'original  de  Richmond.  La  société  Durer  a  publié 
ce  dernier  tableau  et  en  a  donné  une  description  complète, 
amsi  que  de  l'autre  Durer  de  la  collection,  la  Montée  au 
Calvaire,  que  M.  Sturge  Moore  lui-même  appelle  «  le 
superbe  original  d'après  lequel  la  copie  plus  connue  de 
Dresde  a  été  faite  ».  C'est  certainement  le  chef-d'.euvre 
monochrome  de  Durer,  peint  en  grisaille  à  l'huile.  Il  porte 
une  longue  inscription  avec  signature  et  est  daté  de  1527. 
Les^recherches  des  critiques  modernes  ont  fait  découvrir  à 
Berlin  un  dessin  à  la  plume  dans  lequel  se  trouve  la  partie 
gauche  de  la  composition  et  dans  la  collection  des  Offices 


un  autre  dessin  indiquant  comment  Durer  a  modifié  la 
disposition  des  personnages  en  exécutant  son  tableau.  Ce 
petit  trésor  appartenait  au  duc  de  Saldanha,  de  Lisbonne,  à 
qui  Sir  Francis  Cook  l'a  acheté  en  1871;  mais  on  ne  sait 
comment  il  arriva  en  Portugal.  Aujourd'hui  que  l'on  se 
plaint  souvent  que  les  quelques  tableaux  authentiques  de 
Durer  possédés  par  les  Anglais  ont  été  enlevés  par  les 
Allemands,  il  est  satisfaisant  de  savoir  que  la  galerie  de 
Richmond  renferme  encore  deux  œuvres  importantes  dues 
à  son  pinceau  qui,  avec  le  portrait  d'Hampton  Court  et  le 
portrait  si  discuté  de  la  National  Gallery,  le  représentent 
assez  bien  en  Angleterre. 


LA    COLLECTION   DE    SIR    FREDERICK   COOK 


HANS   HOLBEIN.  —  portrait  d'homme 
(Collection  de  Sir  Frederick  CookJ 


24 


LES  ARTS 


Après  avoir  vu  une  grande  Bataille  de  Pavie,  par  Jan 
Vermeycn,  et  plusieurs  portraits  par  Aldegrever,  Hans 
Von  Scliwaz  et  autres,  on  arrive  à  un  autre  chef-d'œuvre, 
un  Portrait  d'Homme  d'Holbein,  dont  nous  donnons  une 
reproduction. 

Celte  œuvre  superbe  est  remarquable  par  son  faire  exquis 
et  son  parfait  état  de  conservation.  Elle  attire  principale- 
ment par  sa  surface  unie,  son  coloris  riche  et  harmonieux 
où  les  tons  de  chair  et  le  fond  de  marbre  se  fondent  si 
heureusement.  Le  modek'  de  la  main  est  bizarre  et  certains 
autres  détails  ont  amené  de  bons  juges  à  voir  dans  ce 
tableau  l'ouvrage,  non 
d'Holbein,  mais  de 
Mabuse,  et  il  y  a  beau- 
coup à  dire  en  faveur 
de  ce  point  de  vue. 
Ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'il  est  l'œuvre 
d'un  maître  et  digne 
d'Holbein  ou  de  Ma- 
buse. Une  tradition 
dont  l'origine  n'a  pu 
être  établie,  veut  que 
ce  portrait  soit  celui 
d'un  des  Fugger,  les 
grands  banquiers 
d'Augsbourg. 

Ce  portrait  fait  une 
transition  naturelle 
entre  les  écoles  alle- 
mande et  flamande. 
Celle-ci  est  représen- 
tée à  Richmond  par 
un  chef-d'œuvre  au 
moins  :  c'est,  cela  va 
sans  dire, les  fameuses 
Tjois  Maries  au  Sé- 
pulcre d'Hubert  Van 
Eyck,  tableau  qui, 
dans  ces  d  e  r  r. i  ères 
années,  a  été  très  dis- 
cuté et  sur  lequel  on 
a  écrit  un  volume. 

Il  est  encore  trop 
connu  pour  que  nous 
le  reproduisions  ou 
que  nous  discutions 
les  questions  d'his- 
toire, de  topographie, 
de  botanique  et  de  cri- 
tique auxquelles  il  a 
donné  lieu.  Qu'il  suf- 
fise de  dire  que  les 
inscriptionsen  hébreu 
sur  les  vêtements  ont 
été  récemment  déchif- 
frées comme  suit  :  Jésus,  l'homme' d'Ephrata,  Messie, 
Pierre  le  premier...,  apôtre  Jean  ici,  dans  la  terre  d'Israël 
en  l'an  de...  ce  qui  semble  confirmer  la  théorie  d'un  critique 
qui  croit  que  Van  Eyck  a  peint  cette  vue  de  Jérusalem 
et  le  Saint  Sépulcre  en  Terre  Sainte.   S'il  en  est  ainsi,    ce 


l'hijiif  liraun.  Clément  ^  (lie. 

MAITitE  DE  FLÉMALLE  (atlribué  : 
{ CoUection  de  Sir 


serait  le  pavsage  le  plus  ancien   du   monde,  puisqu'il  date 
d'avant  1426. 

Le  grand  triptvque  de  Sainte  Catherine  a  été  attribué 
jadis  à  Mabuse,  puis  à  Meisys,  puis  à  un  maître  flamand 
inconnu.  C'est  une  grande  et  importante  peinture  et  quoique 
personne  à  Bruges  n'ait  pu  en  fixer  la  paternité,  il  est 
certain  qu'un  jour  on  arrivera  à  la  connaître.  On  peut  en 
dire  autant  d'un  délicat  petit  triptyque  de  l'Adoration  des 
Mages  également  atlribué  autrcfois'à  Mabuse,  mais  qui  est 
certainement  d'un  autre.  Il  vient  de  Lisbonne  et  peut  être 
reconnu  plus  tard  comme  l'ct'uvrc  d'un   Espagnol  ou  d'un 

Flamand  travaillant 
en  Espagne.  Il  est 
d'un  fini  très  poussé, 
les  détails  sont  comme 
ceux  d'une  miniature, 
le  coloris  en  est  riche 
et  harmonieux,  et  il 
est  parfaitement  con- 
servé. 

Parmi  les  autres 
ijeuvres  de  cette  école, 
on  peut  citer  un  bon 
exemple  de  Mabuse 
de  l'époque  de  l'Adam 
et  Eve  d'Hampton 
Court.  C'est  un  petit 
tableau  représentant 
Hercule  et  Omphale, 
daté  de  1  5  1  7  et 
très  caractéristique. 
N'ienncnt  ensuite  une 
belle  variante  du  petit 
retable  de  Roger  Van 
d  e  r  W  e  y  d  e  n ,  de 
Francfort,  connu 
sous  le  nom  de  retable 
de  Médicis,  et  une 
autre  et  plus  récente 
variante  d'une  cu- 
rieuse Madone  habil- 
lant l'Enfant  Jésus  à 
Saint-Pétersbourg, 
qui  parait  être  du 
Maître  de  Flémalle  ; 
puis  une  jolie  petite 
Madone  d'Iscnbrandt 
et  une  belle  trans- 
cription de  la  Madone 
aux  Cerises,  annbuée 
aussi  à  Mabuse;  un 
beau  Lambert  Lom- 
bard, la  Cène,  daté 
de  i53i,  dont  il 
existe  des  répliques  a 
Bruxelles,  Liège,  Nu- 
remberg et  au  château  de  Belvoir,  et  enfin  un  grand 
panneau,  peint  des  deux  côtés,  par  Henri  Met  de  Blés, 
dont  la  signature,  un  hibou,  se  voit  dans  un  coin.  Le 
sujet,  le  Choix  de  Saint  Joseph,  comme  prétendant  à  la 
main  de  la  Vierge  Marie,  est  assez  rare  en  peinture. 


iu)  .    —    VIERC.E  HABILLAKT  Lli^FA^T 

Frederick  Cotik) 


26 


LES  ARTS 


Il  est  temps  maintenant  de  nous  occuper  des  Hollandais, 
représentés  par  i  5o  tableaux  dont  nous  ne  pouvons  donner 
que  quelques  reproductions.  Avant  tout  il  faut  citer,  de 
Rubens,  le  Portrait  de  son  frère  Philippe. 


Cette  majestueuse  image  d'un  gentilhomme  à  large 
fraise,  assis  devant  une  riche  tenture,  donne  une  bonne 
idée  du  mérite  de  Rubens  comme  portraitiste.  S'il  e.xisie 
de  plus  beaux  portraits  de  ce  maître,  il  n'en  est  aucun  t)ui 


Vlwlo  Bvau»,  Clément  ^  Cie. 


VAN  DYCK.  —  PORTRAITS  DU    FAMILLE 

I  Collection  de  Sir  Frederick  Cookj 


surpasse  celui-ci  en  vérité  ou  qui  soit  plus  sobre  et 
indique  moins  d'exagération  et  de  fougue.  C'est  essentielle- 
ment un  portrait  de  famille  et  non  une  œuvre  de  parade. 
Cette  galerie  renferme  encore  un  profil  du  Bourgmestre 


Nicolas  Rockox  qu'il  est  de  mode  maintenuiu  d'attribuer  à 
Van  Dyck  à  l'époque  où  il  peignait  à  la  manière  de  Rubens, 
ainsi  qu'une  brillante  ébauche  d'une  Chasse  au  Sanglier  et 
quelques    autres    oeuvres    de  valeur.    Mais   celles-ci    sont 


■^    "^ 


28 


LES  ARTS 


cependant  moins  importantes  que  les  tableaux  de  Van  Dyck, 
dont  la  collection  possède  plusieurs  belles  œuvres  de  sa  pre- 
mière manière,  au  premier  rang  desquelles  est  la  superbe 
élude  sur  la  Trahison  du  Christ,  dont  le  tableau  achevé  est  à 
Madrid.  Comme  cela  arrive  souvent,  l'étude  a  une  puissance 
et  un  éclat  qui  manquent  à  l'œuvre  définitive.  Elle  jaillit  des 


mains  de  l'artiste  et  a  toute  l'inspiration,  tout  le  brio  d'une 
création  originale.  Les  Portraits  de  famille,  dont  nous 
donnons  une  reproduction,  ne  lui  sont  pas  inférieurs.  On 
lésa  longtemps  attribués  à  .lordaens  et  même  à  Cornélius  de 
Vos,  mais  il  est  hors  de  doute  que  c'est  une  œuvre  superbe 
du  commencement  de  la  carrière  de  Van  Dyck.  Ces  portraits 


rhfu>  itrfiM]>.  arment  y  cif. 


GABRIEL  METSU.  —  d.vme   jouaxt  db  l'iîpiniîtth 
(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


plaisent  à  l'artiste  comme  au  simple  curieux;  l'attitude  des 
enfants  est  naturelle  et  l'exécution -magistrale.  Il  y  a  des 
groupes  d'un  charme  égal  à  Munich,  à  Cassel  et  à  Saint- 
Pétersbourg  —  des  portraits  de  famille,  évidemment,  mais 
dont  l'identité  n'est  pas  certaine. 

Un  autre  groupe   beaucoup   plus  grand  est   celui   que 


présente  le  tableau  de  Cuyp,  le  Bourgmestre  et  les  Con- 
seillers de  Dort,  qui  est  un  remarquable  complément  de  la 
fameuse  série  de  groupes  de  Rembrandt  et  de  Van  der 
Helst  que  possèdent  les  galeries  hollandaises.  Ces  portraits, 
presque  de  grandeur  naturelle,  sont  d'un  réalisme  extraor- 
dinaire, leurs  yeux  suivent  le  spectateur,  de  quelque  côté  qu'il 


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3o 


LES  ARTS 


regarde  le  tableau.  L'art  si  varié  de  Cuyp  est  bien  repré- 
senté à  Richmond,  où  il  y  a  de  lui  non  seulement  des 
paysages  mais  aussi  des  portraits  et  des  tableaux  de 
genre. 

Metsu  et  Terburg  sont  représentés,  le  premier  par  une 
Dame  jouant  de  l'Epinette,  le  second  par  une  Fileuse.  Nous 
les  reproduisons  tous  les  deu.x,  ainsi  qu'un  superbe  Nicolas 
Maes,  la  Fille  aux  Pommes.  Ces  trois  tableaux  représentent 
l'art  hollandais  dans  ce  qu'il  a  de  plus  caractéristique,  c'est- 
à-dire  des  scènes  d'intérieur,  et  se  recommandent  par  leur 
touchante  simplicité.  On  aurait  de  la  peine  à  surpasser  le 
petit  Terburg  au  point  de  vue  de  la  peinture,  et  les  gris  et  les 
tons  doux  des  Metsu  rappellent  les  plus  remarquables  (ouvres 
de  Vermeer  de  Delft  qui  n'est  malheureusement  pas  repré- 
senté à  Richmond.  En  revanche,  il  y  a  cinq   tableaux   de 


photo  Braun,  dément  «f  Ci>. 


GEHArtD  TERIH'nrr.    —   LA    FILEUSB 

(CoUection  lie  Sir  Frederick  Cook) 


Macs   appartenant  à    ses  différentes    manières  et    plusieurs 
paysages  de  Ruysdaël. 

Nous  avons  déjà  parlé  des  trois  Rembrandt  authentiques 
de  la  galerie  de  Richmond  ;  elle  en  renferme  un  quatrième, 
un  petit  portrait  d'un  vieillard  assis,  dont  une  variante  se 
trouve  à  Berlin.  Elle  contient  aussi  plusieurs  autres  œuvres 
d'école  dont  la  plus  grande  est  l'Enfant  prodigue,  de 
Govaert  Flinck,  et  un  Vertumne  et  Pomone  probablement 
d'Eeckhout. 

Parmi  les  peintres  secondaires,  Eglon  Van  der  Neer  est 
représenté  par  un  Intérieur  avec  personnages,  Van  der 
Cappelle  par  une  magistrale  Scène  d'hiver,  Adrien  Van  de 
Velde  par  un  sujet  semblable  et  Paul  Potter  par  deux  vaches 
datées  de  1641.  Le  Portrait  d'un  homme  qui  lit.  par  Fabri- 
cius,    est    une    rareté,  comme  le  sont  aussi  des  (cuvres  de 

Cornélius  Picolet,  Pieter  Van  den 
Bosch,  Knupfer,  Jan  Lapp  et 
W'yntrack.  Les  peintres  de  nature 
morte,  Weenix,  Van  Bcyeren  et  de 
Heem,  sont  représentés  par  plu- 
sieurs toiles  exceptionnelles,  toutes 
placées  dans  la  salle  à  manger  et 
qui  soutiennent  la  comparaison 
avec  le  grand  tableau  attribué  à 
Velasquez,  dont  il  a  été  parlé.  Un 
Garde-manger  de  Snydcrs,  de  di- 
mensions colossales,  avec  des 
personnages  par  Rubens  mérite 
aussi  d'èire  noté,  ainsi  qu'une 
Cour  de  ferme,  par  Bloemart, 
et  un  Paysage  avec  ruines,  par 
Breemberg. 

C'est  ainsi  que  l'on  peut  résu- 
mer les  œuvres  marquantes  de  la 
section  hollandaise  de  la  collection 
de  Richmond  ;  pour  la  plupart, elles 
sont  disposées  dans  des  petits 
compartiments  formant  alcôves  et 
éclairés  par  en  haut,  ce  qui  con- 
serve aux  tableaux  leur  caractère 
d'œ'uvre  de  chevalet  ;  il  en  est 
beaucoup,  cependant,  qui  sont 
dans  les  appartements  privés  et 
que  le  visiteur  ordinaire  ne  voit 
pas. 

Depuis  deux  ans  on  a  fait  de 
la  place  en  construisant,  sous  la 
galerie,  un  musée  où  se  trouve 
une  partie  de  la  collection  de 
marbres  et  d'antiquités.  On  y  voit 
des  pièces  célèbres,  notamment 
des  stèles  de  l'Attique  et  des  sculp- 
tures grecques.  Quelques-unes 
des  plus  belles  ont  été  exposées 
dernière  ment  à  l'exposition  grecque 
de  Burlington  Fine  Arts  Club  et 
figurent  dans  le  catalogue  illustré; 
d'autres,  y  compris  un  remar- 
quable tombeau  d'Asie  Mineure, 
sont  trop  lourdes  pour  être  trans- 
portées ou  d'une  date  trop  récente 


LA    COLLECTION  DE  STR  FREDERICK  COOK                                                   3i 

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(Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 

32 


LES  ARTS 


pour  être  des  œuvres  grecques  pures  plutôt  que  romaines. 
Les  bronzes  anciens  et  du  moyen  âge  qui  faisaient  à 
l'origine  partie  de  la  collection  sont  passés,  selon  le  testa- 
ment de  Sir  Francis  Cook,  entre  les  mains  de  son  fils  cadet, 
M.  Wyndham  Cook,  de  même  que  les  miniatures,  missels, 
objets  d'argent,  majoliques,  ivoires,  émaux,  bijoux,  pierres 
précieuses  et  autres  objets  d'art.  Mais  il  reste  assez  d'œuvres 
d'art,  dans  les  peintures  et  les  marbres,  les  tapisseries  et  les 
terres  cuites,  les  verres  et  les  mosaïques,  pour  composer  une 
galerie  qui  est  la  collection  particulière  la  plus  nombreuse 


et  la  plus  variée  d'Angleterre  et  qui,  par  le  nombre,  la 
diversité  et  l'intérêt  peut  soutenir  la  comparaison  avec 
n'importe  quelle  collection  privée.  Elle  est  toujours  ouverte 
à  ceux  qui  en  font  la  demande  par  lettre  à  son  propriétaire, 
qui  est  généralement  prêt  à  prendre  part  aux  expositions 
anglaises  et  étrangères  dont  peu  manquent  de  demander  et 
d'obtenir  le  prêt  de  quelques  objets  provenant  de  cette 
grande  collection  de  trésors  artistiques. 

HERBERT  COOK. 


Pholo  B,  ou».  Clémenl  If  Cit. 


NICOLAS  MAES.  —  jkiijib  fille  tenant  un  panier  rempli  de  pommes 
f  Collection  de  Sir  Frederick  Cook) 


Le  «  Samson  trahi  par  Dalila  »,  de  Rembrandt 

AU    MUSEE    DE    ERANCFORl-SUR-LE-MEIN 


NOUS  avons  la  bonne  fortune  de  donner  ici  une  repro- 
duction nette  et  fidèle  (il  n'en  existait  pas  jusqu'à 
ces  temps  derniersi  du  tableau  Samson  trahi  par 
Dalila,  de  Rembrandt,  que  le  musée  Stxdel,  de  Francfort- 
sur-le-Mein,  vient  d'acquérir  du  comte  Schunborn-Buchheim, 
de  Vienne,  grâce  aux  négociations  de  son  éminent  directeur, 
M.  Ludwig  Justi,  et  à  la  générosité  de  nombreux  amateurs 
locaux,  qui,  tandis  que  la  ville  offrait  40,000  marks,  contri- 
buèrent pour  la  plus  grande  partie  à  l'achat  de  l'œuvre, 
payée  la  somme  de  33o,ooo  marks. 

C'est  une  des  toiles  les  plus  importantes  (2"'72  de  lar- 
geur (i)  sur  2^38  de  hauteur)  et  les  plus  intéressantes  du 
maître  hollandais.  Elle  est,  en  outre,  dans  un  admirable  état 
de  conservation.  M.  Bode,  dans  son  grand  ouvrage 
L'Œuvre  complet  de  Rembrandt,  pense  que  ce  tableau  est 
celui  que  l'artiste,  par  une  lettre  du  12  janvier  1639,  envoyait 
à  Constantin  Huygens,  secrétaire  du  prince  Frédéric-Henri 
d'Orange,  en  dédommagement  des  dérangements  qu'il  lui 
avait  causés  et  en  témoignage  de  sa  gratitude. 

Signée  Rembrandt  f.  i63('),  celte  composition  date  d'une 
époque  où  l'artiste  attectionnait  particulièrement  les  sujets 
dramatiques  peuplés  de  personnages  de  grandes  dimensions 
et  —  contrairement  à  ce  qu'il  fera  dans  sa  dernière  période, 
où,  renonçant  à  toute  action  mouvementée,  il  concentrera 
sur  la  physionomie  de  ses  personnages  toute  leur  émotion 
intérieure,  —  cherchait  à  en  tirer  le  plus  d'effet  tragique 
possible  :  de  la  même  année  date  le  Samson  menaçant  son 
beau-père  appartenant  au  Musée  de  Berlin;  des  deux  années 
précédentes,  le  Festin  de  Baltha^ar  de  la  collection  de  lord 
Derby, à  Knowsley  House,  et  les  deux  Sacrifices  d'Abraham 
de  l'Ermitage  de  Saint-Pétersbourg  et  de  la  Pinacothèque  de 
Munich. 

Ce  thème  de  Samson  et  Dalila  avait  déjà  été  traité  une  fois, 
en  1628,  c'est-à-dire  tout  à  ses  débuts,  parle  jeune  Rembrandt, 
dans  un  petit  tableau  appartenant  aujourd'hui  à  l'Empereur 
d'Allemagne.  On  y  voit  Samson  reposant  sur  les  genoux  d'une 
Dalila  assez  insignifiante,  tandis  que  les  Philistins  se  glissent 
sans  bruit  dans  la  chambre.  Dans  le  tableau  de  Francfort, 
nous  assistons  à  la  suite  de  l'aventure,  au  drame  lui-même  : 
Samson  renversé  et  aveuglé  par  ses  ennemis.  Au  premier 
plan,  l'hercule  juif,  à  demi  nu,  a  roulé  à  terre  sur  le  dos, 
entraînant  dans  sa  chute  un  des  soldats  qui  l'avait  saisi  à 
bras  le  corps  par  derrière;  à  gauche,  un  des  sbires,  en 
armure  comme  tous  les  autres,  le  menace  d'une  pertuisane, 
tandis  qu'un  troisième,  à  droite,  enchaine  son  poignet  droit, 
qu'un  quatrième  se  précipite,  roulant  des  yeux  terribles, 
l'épée  levée  et  le  bouclier  en  avant,  et  qu'un  autre,  le  saisis- 
sant par  la  barbe,  enfonce  un  poignard  —  une  belle  arme 
orientale,  à  lame  ondulée,  à  manche  orné  d'une  figurine 
ciselée,  que  Rembrandt,  sans  doute,  possédait  parmi  ses  curio- 
sités —  dans  l'œil  droit  de  Samson,  dont  le  visage  et  tout 
le  corps,  jusqu'aux  orteils  crispés  du  pied  lancé  nerveuse- 
ment en  l'air,  se  contractent  sous  l'ertroyable  douleur  : 
jamais,  peut-cire,  des  pieds  et  des  mains  ne  furent  aussi 
expressifs  ;  ils  crient,  autant  que  la  face  convulsée,  une  telle 

(Il  Celle  Jimcnsion  nvail  été  purli.;   Ti    2"'S-  par   radjonction,  au  xviii»  siècle.  Je 
deux  bnnJcs  étroites  qui  sont  maintenant  cachées  par  le  caiire. 


souffrance,  qu'on  croit  entendre  le  hurlement  du  malheu- 
reux. Mais,  comme  l'observe  un  excellent  historien  de  Rem- 
brandt, M.  Cari  Neumann,  les  nerfs  des  contemporains 
de  la  guerre  de  Trente  Ans  étaient  plus  résistants  que  les 
nôtres.  Au  fond,  dans  un  mouvement  oblique,  qui  accom- 
pagne en  sens  opposé  celui  du  corps  tombé  de  Samson  et 
tire  de  ce  contraste  un  effet  saisissant,  Dalila,  dont  le  visage 
pâle  et  les  yeux  agrandis  reflètent,  en  une  expression  inou- 
bliable, à  la  fois  la  sensualité  et  la  joie  de  voir  réussir  sa 
trahison  —  «  la  femme  à  l'état  de  séduisant  animal  féroce  », 
remarque  M.  Justi,  qui  admire  ici  en  Rembrandt  non  seule- 
ment le  peintre  magistral,  mais  encore  le  psychologue 
génial,  —  s'enfuit  en  brandissant  de  la  main  gauche  la  che- 
velure coupée  de  Samson.  Rembrandt,  comme  il  fit  en 
beaucoup  d'autres  œuvres,  lui  a  donné  les  traits  de  sa  jeune 
épouse  Saskia. 

Placé  trop  haut  et  mal  éclairé  dans  la  galerie  Schonborn, 
ce  tableau  a  repris,  sous  un  jour  favorable,  dans  sa  nouvelle 
demeure,  toute  sa  puissance  dramatique,  à  laquelle  con- 
courent la  savante  construction  des  lignes  de  la  composition 
et  la  distribution  de  la  lumière,  habilement  concentrée  sur 
le  corps  de  Samson  et  sur  Dalila.  De  plus,  il  s'est  révélé 
comme  une  œuvre  tout  à  fait  rare  au  point  de  vue  de  la 
coloration  :  le  fond,  d'un  gris  neutre,  qui  sert  de  base  à  la 
composition,  le  gris  plus  foncé  et  plus  brillant  des  armures, 
la  jupe  bleue  brodée  d'or  et  la  chemisette  blanche,  aux  tons 
plus  chauds  par  endroits,  de  Dalila,  qui  font,  avec  sa  car- 
nation blonde,  des  accords  très  fins;  Tétoffe  bleu  clair 
tendue  en  arrière;  la  chemise  jaune  clair,  les  hauts  de 
chausses  grisâtres  et  la  carnation  brune  de  Samson,  le  rouge 
diversement  nuancé  du  vêtement  du  soldat  debout  au  pre- 
mier plan,  concourent  à  une  harmonie  générale  à  la  fois  des 
plus  riches  et  des  plus  délicates,  très  dirtérente  de  la  tonalité 
brunâtre  habituelle  aux  œuvres  de  la  période  moyenne  de 
Rembrandt,  et  témoignent  de  ses  dons  tout  particuliers  de 
coloriste.  On  peut  aussi  se  rendre  mieux  compte,  main- 
tenant, des  qualités  techniques  d'exécution  :  admirer,  par 
exemple,  l'habileté  avec  laquelle  est  rendue  la  transparence 
de  la  chemisette  plissée  de  Dalila,  et  certains  détails  de  colo- 
ration, où  Rembrandt,  dans  la  juxtaposition  de  tons  com- 
plémentaires très  vifs,  se  montre  aussi  audacieux  que  nos 
peintres  les  plus  «  modernes  ». 

Il  n'y  a  plus  à  ajouter  foi  à  la  légende  —  reprise  derniè- 
rement par  les  journaux  —  suivant  laquelle  un  des  ancêtres 
du  comte  Schonborn  aurait  acquis  ce  tableau,  pour  le  prix  de 
la  toile,  sur  un  marché  devienne  où  il  ser\'ait  d'emballage  à 
des  denrées  venues  de  Hollande.  Un  érudit  viennois, 
M.  Th.  von  Frimmel,  en  a  fait  depuis  longtemps  justice.  En 
réalité,  cette  œuvre  provient  de  Wurzbourg,  où  elle  figura 
dans  la  galerie  de  tableaux  du  prince-évêque  de  cette  ville, 
F'riedrich-Carl  von  Schonborn;  à  la  mort  de  ce  dernier, 
en  1746,  elle  émigra  à  Vienne,  où  elle  fut  grave'e,  en  1760, 
par  Landerer. 

Ajoutons  qu'une  réplique  (qui  passa  longtemps  pour 
l'original  du  tableau  est  au  MuséedeCassel,  où  elle  figurait 
déjà  en  1749. 

AUGUSTE  MARGUILLIER 


Dinetanr  :H.  MANZT. 


!mpriai«ri«  Manu,  Jotant  j[  C><,  A>ai«r«s. 


U  (Mtnt  :  e.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N«  4^ 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Septembre  1905 


J.-B.   CHARDIN.   —  LE   CHANSONNIER   panard 
(Collection  de  M.  et  A/"»«  George  Duruyl 


LA    COLLECTION 
SAINT=ALBIN=JUBINAL=QEORGE  DURUY 


OR.MER  de  nos  jours  une  collection,  comme 
l'a  dit  Edmond  Bonaffé,  c'est  faire  acte 
de  bon  citoyen.  Plus  que  jamais,  la  mode 
est  de  collectionner,  et  chaque  jour  voit 
apparaître  de  nouveaux  amateurs.  Il  n'en 
est  que  plus  intéressant,  au  milieu  de 
toutes  ces  collections  forme'es  depuis  un 
quart  de  siècle  au  plus,  d'en  voir  une  qui 
fut  commencée  il  y  a  près  de  cent  ans,  dans  un  temps  où  l'art 
de  la  curiosité  était  le  dilettantisme  de  quelques  esprits  déli- 
cats, l'heureux  privilège  d'une  minorité  intelligente. 

La   collection  de  M.    et  Madame  George    Duruy  a  été 


DnOUAIS.  —  POUTRAiT  d'enfant 
(CotUction    de   M,    et    M"'    George    Duruy) 


commencée  sous  le  premier  Empire  par  leur  grand-père, 
M.  Alexandre  Rousselin  de  Saint-Albin,  qui  la  continua 
pendant  la  Restauration.  Contemporain  et  ami  de  Berna- 
dotte  et  de  Carnot,  dont  il  fut  le  secrétaire,  il  fut  aussi  l'ami 
de  Danton  et  de  Barras,  qui,  par  testament,  lui  laissa,  avec 
tous  ses  papiers,  le  soin  de  publier  ses  Mémoires.  M.George 
Duruy  a  assumé  la  noble  tâche  léguée  par  le  grand  conven- 
tionnel à  M.  de  Saint-Albin  et  ses  Mémoires  de  Barras  sont 
la  plus  belle  et  la  plus  intéressante  histoire  que  l'on  ait  écrite 
de  la  France  depuis  les  premières  années  de  la  Révolution 
jusqu'à  la  Restauration. 

Amateur  raffiné,  M.  de  Saint-Albin  avait,  en  véritable 
curieux,  acheté  le  bel  hôtel  de 
Madame  de  Sérilly,  au  Marais, 
pour  y  installer  ses  collections. 
Sa  fille.  Madame  Achille  Jubinal, 
hérita  de  cet  amour  pour  les 
œuvres  d'art  et  les  charmants 
petits  souvenirs  du  temps  passé. 
Pendant  près  de  trente  ans,  elle 
augmenta  chaque  jour  avec  un 
goijt  des  plus  délicats  cette  col- 
lection si  originale  qu'elle  a  laissée 
après  sa  mort  à  sa  fille.  Madame 
George  Duruy. 


Parmi  les  tableaux  du 
xviii=  siècle,  le  plus  beau  est,  sans 
contredit,  le  portrait  du  chanson- 
nier-vaudevilliste Panard,  par 
Chardin.  Assis  à  son  bureau,  sur 
lequel  sont  en  desordre  livres, 
morceaux  de  musique  et  chan- 
sons, celui  qu'on  appelait  en  son 
temps  le  La  Fontaine  du  Vaude- 
ville semble  répéter  une  chanson 
dans  un  volume  ouvert  devant 
lui.  La  physionomie  de  cet  homme 
qui,  de  modeste  bureaucrate, 
était  arrivé  à  se  faire  une  grande 
réputation  comme  chansonnier 
des  travers  de  son  époque,  des 
ridicules  et  des  vices  de  ses  con- 
temporains, est  pleine  de  carac- 
tère, pleine  d'esprit  et  de  vie. 

Les  portraits  authentiques  de 
Chardin  sont  très  peu  nombreux  ; 
celui  de  Panard  est  un  des  plus 
beaux  qui  nous  aient  été  conser- 
vés. Il  ne  figure  pas  sur  les  listes 
de  ceux  que  Chardin  exposa  aux 
Salons  de  l'Académie,  et  il  est 
bien  regrettable  que  tous  ceux 
dont  nous  trouvons  mention  sur 
ces  listes  n'aient  pas,  jusqu'à  pré- 
sent, été  retrouvés. 

Un  bonportrait  est  celui  d'une 
jeune  femme  ressemblant  à  Marie- 
Antoinette,  mais  qui  ne  nous  paraît 


LA    COLLECTION  SAIN  T-A  LBIN-J UBINA  L-GEORGE  DURUY 


DROUAIS.     —    PORTRAIT    DE    FGMMK 

(Collection   de  M.   et  .\/nie    George  Duruy) 


LES    ARTS 


pas  être  un  de  ses  nombreux  portraits  authentiques.  La 
légende  nous  représente  ici  Marie-Antoinette  toute  jeune 
fille,  encore  archiduchesse  d'Autriche;  ce  tableau  aurait  ete 
envoyé  en  présenta  Louis  XVI  avant  sesfiançailles.  Un  excel- 
lent travail  de  M.  J.  Flammermont  sur  les  Portraits  de 
Marie-Antoinette,  publié  dans  la  Ga:{ette  des  Beaux-Arts, 
en  1897-98,  nous  a  permis  de  comparer  les  traits  du  tableau 
de  la'collection  Duruy  avec  ceux  qui  nous  représentent 
indiscutablement  Marie- Antoinette  jeune  fille.  Un  seul 
portrait  a,  avec  celui  qui  nous  occupe,  une  certaine  ressem- 
blance, c'est  une  charmante  petite  miniature  appartenant  a 
la  comtesse  de  Nod  ;  mais  cela  ne  suffit  pas  à  nous  con- 
vaincre que  cette  jeune  femme  soit  Marie-Antoinette. 

Une  femme  portant  une  coiffure  très  haute  et  un  char- 
mant enfant  à  la  figure  spirituelle,  habillé  d'un  vêtement  de 
velours  gris,  sont  deux  agréables  peintures  de  Droiiais.  Un 
très  lumineux  portrait  de  femme  par  Raoux  est  très  yoisin 
de  la  Femme  lisant  une  lettre,  de  la  collection  La  Gaze,  au 

Louvre. 

Les  deux  portraits  de  David  sont  superbes,  quoiqiJ  ils 
soient  d'une  facture  bien  différente.  Celui  de  Boissy 
d'Anglas  est  une  adinirable  peinture,  bien  que  ce  ne  soit 
qu'une  esquisse.  Le  joli  dessin  de  celte  figure  énergique, 
encadrée  par  des  cheveux  gris  qui  tombent  en  boucles  sur 
ses  épaules,  le  ton  gris  de  tout  le  portrait  en  font  un  des 
plus  beaux  morceaux  de  peinture  que  le  pinceau  de  David 
nous  ait  laissés.  Le  portrait  de  Saint-Just  est  certainement 
d'une  beauté  moins  puissante,  mais  il  a  peut-être  plus  de 
charme.  David  a  dû  le  peindre  peu  de  temps  avant  que 
Saint-Just  ne  montât  sur  l'cchafaud.  Il  ne  semble  pas  avoir 
loin  de  vingt-six  ans,  son  âge  lorsqu'il  mourut. 

La  série  des  pastels  est  peut-être  ce  qui  charme  le  plus 
dans  la  collection  Duruy.  Le  portrait  de  la  comtesse  de 
Saint-Albin  est  un  très  beau  pastel  des  dernières  années  de 
Perronneau.   11  porte,  avec  la  signature  du  maître,  la  date 


de  1772.  Il  a  le  charme  et  l'incomparable  fraîcheur  des  meil- 
leurs pastels  de  Perronneau. 

M.  Rousselin  de  Saint-Albin,  celui  qui  fut  le  premier  a 
former  cette  collection,  a  son  portrait  tout  enfant,  âgé 
d'environ  quatre  ans.  Ce  délicieux  petit  pastel,  d'un  joli 
coloris,  dont  l'auteur  nous  est  inconnu,  est  amusant  par  le 
costume  que  porte  l'enfant  :  sur  une  chemisette  en  dentelle 
entr'ouverte  au  cou  se  rabattent  dés  petits  revers  en  velours 

rose.  . 

Deux  petits  pastels  sur  vélin,  a  peine  plus  grands  que 
les  reproductions  que  nous  en  donnons,  nous  représentent 
deux  petits  enfants,  le  fils  et  la  fille  du  peintre  Mérelle, 
peintre  du  xviii=  siècle  peu  connu  aujourd'hui.  Comme  on 
sent  l'amour  avec  lequel  le  père  a  fait  ces  deux  petits  chefs- 
d'œuvre,  sous  les  traits  de  ses  enfants.  Les  charmants 
costumes  de  fête  qu'ils  portent  avec  un  air  sérieux  et  étonné, 
la  fraîcheur  délicieuse  et  la  douce  harmonie  des  tons  font  de 
ces  deux  petits  pastels  de  véritables  bijoux. 

Il  faudrait  s'arrêter  devant  chacun  de  ces  pastels,  que 
nous  devons  nous  contenter  de  mentionner  seulement  en 
passant  :  deux  pastels  de  Boucher;  une  tête  de  jeune  femme 
et  une  petite  fille  tenant  un  chat  dans  ses  bras  et  quatre 
petits  pastels  de  Rosalba  Carricra. 

Une  gouache  de  Boucher,  qui  représente  Jupiter  sédui- 
sant Antiope,  est  d'une  fraîcheur  de  tons  et  d'une  harmonie 
de  couleurs  très  heureuses.  La  composition  ingénieuse  met 
en  valeur  la  figure  d'Antiope,  nonchalamment  étendue,  sou- 
tenue par  les  nuages,  tandis  qu'on  ne  voit  que  la  tête  de 
.lupiter  et,  au-dessus  des  nuages,  l'aigle  accompagné  d'un 

amour. 

Une  série  de  dessins  de  la  fin  du  xviii'=  siècle  et  des 
premières  années  du  xix=  siècle  complète  heureusement 
cette  collection  de  tableaux  formée  avec  un  goût  exquis.  De 
Moreau  le  Jeune,  nous  voyons  plusieurs  dessins,  parmi 
lesquels  le  Chanteur  ambulant,  daté  de  1772,  et  un  autre  qui 


MÉRELLE.  —  PoiiTRAiT  du  fils  de  l'autbur 
(CoUection  de  M.  tt  Si^»  George  Duruy  j 


MÉRELLE.  —   PORTRAIT  de  la  fille  de  lalteur 
fCoUection  de  M.  et  if»°  George  Duruy) 


LA   COLLECriON  SAIN  1- A  LBINJ  U  BIN  ALG  FORG  F  DURUY 

5 

1 

t 

I 

LOUIS  DAVID.  —   SAiNT-jusT 

(Collection  de  M.  et  M'"'  George  Duruy) 

LES  ARTS 


HEÏNSIUS.  —  PORTRAIT  DE  FEMME  (1794j,  miniature 
(Collection  de  M.  et  M^*  George  Duruy) 

Lesyeux  verts,  le  teint  pâle,  habit  nankin 
cravate  blanche  rayée  rouge.  (Croquis 
diaprés  nature  à  une  séance  de  la  Con- 
vention.) 

La  miniature  représentani  un  homme 
assis  à  son  bureau,  écrivant,  le  bras 
gauche  appuyé  sur  un  livre,  est  une  des 
plus  belles  que  Hall  ait  signées.  Les 
cheveux  bouclés,  un  fichu  noué  sur  la 
tête,  cet  écrivain,  qu'il  ne  m'a  malheu- 
reusement pas  été  possible  d'identifier, 
porte  un  pourpoint  en  velours  vieux 
rouge,  qui  contribue  à  faire  valoir  ce 
portrait. 

L'acteur  Paolo  Mandini ,  célèbre 
ténor  italien,  fit  fureur  pendant  plusieurs 
années  au  théâtre  de  Monsieur.  Il  est 
intéressant  de  rapprocher  la  miniature 
de  la  collection  Duruy  qui  le  représente 
et  qui  est  signée  Dumont,  l'anJ'"',  de 
celleque  Dumontfit  verslaméme  époque 
—  le  portrait  en  pied  de  l'acteur  Man- 
dini —  exposé  au  Louvre. 

Le  portrait  d'une  jolie  femme,  coil- 


porte  la  date  de  1774.  De  Ma- 
rinier est  un  joli  dessin  fait  en 
1775  pour  une  illustration  des 
Victimes  de  l'Amour  ou  Lettres 
en  vers  de  quelques  amants 
célèbres.  D'autres  dessins  sont 
signés  deLebarbier,  de  Grave- 
lot,  de  Duplessis-Berthaux, 
dont  il  y  a  un  très  beau  des- 
sin à  la  sanguine  représentant 
un  patineur.  Enfin  les  por- 
traits de  Danton  et  du  maré- 
chal Brune  sont  deux  admi- 
rables dessins  de  David  et  celui 
de  Robespierre,  le  plus  beau 
de  tous,  légèrement  rehaussé 
d'aquarelle,  est  attribué  au 
baron  Gérard.  Il  porte  ces 
lignes  qui  complètent  cet  éton- 
nant portrait  de  Robespierre  : 
rayé  vert,  gilet  blanc  rayé  bleu, 


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M"»  VIGEE-LEBRUN  (Attribué  à).  —  i-orirait  de  femme 
{Collection  de  M.  et  M"'  George  Duruy) 


ANONYME.  —  juuB  TALMA  (miniature) 
{Collection    de  M.  et   Jlf"*    George   Duruy  i 


temps  du  premier  Empire, 
de  Mademoiselle Le- 
normand,  la  célèbre 
devineresse  qui  pré- 
dit à  l'impératrice 
.Joséphine  son  éléva- 
tion, toutes  mérite- 
raient mieuxque  cette 
rapide  énumération. 
A  côté  de  ces 
œuvres  charmantes 
du  xvin=  siècle,  nous 
devons  nous  arrêter 
un  instant  devant  un 
délicieux  spécimen  de 
l'artdécoratif  de  cette 
époque.  C'est  un  bou- 
doir décoré  entière- 
ment par  Salambier 
pour  l'hôtel  de  Cau- 
martin.  Madame  .lu- 
binai,  qui  habitait  en 


HALL.  —  PORiRAiT  d'homme  (miniature; 
i  Collection    de    M.    et    Jlf«"    George    Duruy  i 

fée  de  boucles  lui  retombant  sur  les 
épaules  et  portant  trois  rangs  de  perles 
en  diadème  dans  les  cheveux,  est  une 
charmante  miniature  signée  :  Heinsius 
pin  xi  t  I  ~()4. 

Cette  très  jeune  fille,  coiffée  d'un 
grand  bonnet  blanc,  portant  nouée  autour 
du  cou  une  cravate  blanche,  assise  sur 
un  canapé  bleu  et  tenant  à  la  main 
un  bouquet  de  roses,  fut  une  femme 
légère,  célèbre  à  la  fin  du  xviii'  siècle. 
Julie  Talma,  qui,  pendant  quelques  an- 
nées, portalégitimementlenom  du  grand 
acteur,  était,  de  l'avis  unanime  de  tous 
ses  contemporains,  une  femme  pleine  de 
charme,  de  grâce  et  d'esprit,  autant  que 
de  tact  et  de  modestie. 

Un  portrait  en  émail  peint  delà  Pom- 
padour  ;  une  femme  jouant  du  piano, 
miniature  dans  le  goût  de  MadameVigée- 
Lebrun;  le  portrait  d'une  femme  cou- 
ronnée de  roses,  portant  un  costume  du 
par  Dumont;  enfin,  le  portrait,  par  Adam, 


DUMONT.  —  l'acteur  mandim  (miniature) 
(Collection  de  M.  et  tt""  George  Duruy) 


LA    COLLECTION  SAINT- ALBIN-JUBINAL-GEORGE  DURUY 


F.    BOUCHER.  —  jiPiTER  SÉDUISANT   ANTioPK  (gouachc) 
(Collection  de  M.  et  Af"*  George  Duruy) 


LES   ARTS 


ALMANACII    BXl'ER.MIi  DANS  UN  l^TUI   EN  OU  CISCLli,    U:MAlLm  ET  GARNI  DE  PERLES,  AYANT  APPARTENU  A  L'iMPiiRATRiCE  MARIE-LOUISE 

(Collection  de  M.  et  Jlfn»o  George  Duruy 


1878  l'ancien  hôtel  de  Caumar- 
tin,  à  l'angle  des  rues  Bou- 
dreau  et  Caumartin,  avait  eu 
la  grande  joie  de  découvrir,  sous 
plusieurs  épaisseurs  de  papiers 
de  tenture,  dont  l'une  datait  de 
la  Révolution,  cette  décoration, 
que  cette  superposition  de  pa- 
piers peints  avait  heureusement 
conservée  dans  un  état  par- 
fait. Chacun  des  six  panneaux 
montre  des  fleurs  et  des  attri- 
buts variés  ;  chacun  porte  un 
monogramme  différent,  dans 
lequel  on  retrouve  toujours 
l'initiale  C  de  la  famille  de 
Caumartin. 

Bien  qu'il  soit  impossible, 
dans  une  étude  aussi  rapide, 
de  citer  tout  ce  qui  mériterait 
l'attention,  notons  en  passant 
quelques-uns  des  plus  jolis 
meubles  du  xviii=  siècle  qui 
ornent  les  salons  de  Madame 
Duruy  :  un  bureau  de  dame, 
en  bois  rose  et  marqueterie  à 
dessins  de  fleurs,  à  plusieurs 
tiroirs  s'ouvrant  très  ingénieu- 
sement à  secrets  ;  une  de  ces 
charmantes    petites   tables    à 


DOITE    DE     MIROIR     EN     EMAIL  PEINT 

Art  français,  xvii"  siècle 
(Collection  de  M,  et  M^"  George  Duruy) 


ouvrage  en  bois  de  violette, 
que  leur  forme  originale  a  fait 
appeler  table-papillon  ;  enfin 
une  petite  table-toilette  en  bois 
de  roseet  marqueterie  à  dessins 
de  fleurs,  dont  la  partie  supé- 
rieure se  soulève  pour  pouvoir 
se  poser  sur  le  lit  d'une  malade. 
La  partie  supérieure  de  ce  joli 
petit  meuble  enlevée  laisse  appa- 
raître un  plateau  en  laque  du 
Japon  de  toute  beauté,  repré- 
sentant un  paysage  avec  des 
personnages  traversant  un  pont. 
Ce  meuble,  qui  est  un  véri- 
table petit  chef-d'œuvre  d'ébé- 
nisterie,  porte  l'estampille  de 
l'ébéniste  Péridiez,  dont  le  plus 
beau  meuble  que  nous  con- 
naissions est  une  grande  com- 
mode en  laque  du  Japon  ornée 
de  bronzes  dorés,  qui  se  trouve 
aujourd'hui  dans  les  salons  du 
Ministère  des  Finances. 


Toutes  les  séries  des  menus 
petits  objets  de  la  vie  usuelle 
d'autrefois  que  Madame  Jubinal 


LA   COLLECTION  SAINT-ALBI N-J  UBINALGEO  RGE  DURUY 


J.-B.  PERRON NKAU.  —  la  comtesse  de  saint-ai.bin  (17721.  —  Pastel 
{Collection  Je  M.  et  .V™»  George  Duruy) 


10 


LES    ARTS 


réunissait  avec  amour  forment  la  partie  la  plus  curieuse 
de  cette  collection  si  originale.  Nous  y  voyons  des  petites 
enseignes  du  xvi=  siècle,  des  bijoux  de  toutes  sortes  — 
bagues,  colliers,  pendentifs,  —  une  agrafe  en  pierres  de 
lune  pour  relever  et  maintenir  la  jupe,  dans  son  vieil  écrin 
en  cuir  fleurdelisé.  Un  petit  coffret  en  fer  damasquiné  d'or, 
s'ouvrant  à  secret,  porte  cette  inscription  :  Vous  ne  con- 
naisse^ pas  tous  mes  secrets,  le  plus  beau  est  caché.  Malheu- 
reusement, le  portrait  manque  derrière  ces  mots  qui  le 
cachaient  aux  yeux  indiscrets.  Dan's  un  écrin  au  chiffre  de 
Marie-Antoinette  sont,  en  or  et  émail  bleu  pâle,  le  dé  et 
les  deux  bagues  que  les  dames  portaient  au  quatrième  et  au 
cinquième  doigt  pour  empêcher  le  fil  de  les  couper.  La  série 


des  mille  petits  bibelots  du  xv!!!"^  siècle  est  charmante  avec 
ses  boîtes  en  or,  étuis,  navettes  pour  faire  de  la  frivolité, 
bonbonnières  et  boîtes  à  mouches. 

Un  petit  objet  bien  intéressant,  parce  qu'il  a  toute  une 
histoire,  est  un  tout  petit  calendrier  fait  pour  l'Impératrice 
en  1811,  à  l'occasion  de  la  naissance  du  roi  de  Rome.  Le 
calendrier,  de  très  petite  dimension,  a  une  reliure  en  or  et 
émail  bleu  et  n'offre  de  particulier  que  la  Saint-Napoléon, 
marquée  le  16  août  et  non  le  i5.  L'Empereur  avait  donc 
avancé  son  anniversaire  d'un  jour  pour  ne  faire  qu'un  jour 
de  féie.  L'alrnanach  est  enfermé  dans  un  étui  richement 
émaillé  et  orné  de  pcrks  fines,  l-n  sujet  allégorique  svmbo- 
lise  le  grand  événement  que  fut  alors  la  naissance  du  roi  de 


BANDES   DE  TAPISSERIE  AU    PETIT  POINT 

Art  français,  xvl«  siot-le 
ICoUcction  de  M.  et  M"'  George  Duruy) 


Rome.  Au  milieu  de  personnages  vêtus  de  costumes  antiques, 
un  Amour  tient  le  berceau  sur  lequel  on  voit  la  lettre  N 
couronnée.  A  la  partie  inférieure  de  l'étui,  s'ouvre  une  petite 
cassolette;  en  haut,  deux  colombes  tiennent  un  cartouche 
portant  la  date  181  i  :  au  revers  de  l'étui  sont  les  signes  du 
zodiaque. 

L'écrin  dans  lequel  se  trouve  cet  almanach  historique  est 
en  maroquin  rouge  avec  les  armes  de  l'Empire  frappées 
en  or.  r  rr 

M.  Frédéric  Masson,  qui  est  l'historien  le  mieux  docu- 
menté sur  l'époque  napoléonienne,  a  eu  la  bonne  fortune  de 
i-etrouver  l'acte  de  naissance  de  cet  almanach.  Dans  le  Livre- 
Journal  manuscrit  intitulé  :  Bijoux  achetés  pour  le  service 
de    S.    M.    l'Impératrice   et    payes  sur    les   fonds    de    ses 


dépenses  particulières  et  extraordinaires ,  M.  Frédéric 
Masson  a  trouvé  l'almanach  ainsi  désigné  :  «  Un  alma- 
nach renfermé  dans  un  étui  en  or  ciselé,  émaillé  et  enrichi 
de  perles.  Peinture  sur  émail,  sujet  allégorique  relatif  à  la 
naissance  de  S.  M.  le  Roi  de  Rome,  fourni  par  Nitot,  joail- 
lier, le  17  avril  181 1.  Pour  or,  perles,  émail,  peinture  et 
façon,  jSo  francs.  » 

Puis,  dans  un  autre  manuscrit  intitulé  :  Écrin  de 
S.  M.  l'Impératrice  et  Reine,  M.  Frédéric  Masson  a  relevé 
des  renseignements  précis  sur  ce  Nitot,  joaillier-bijoutier  et 
nullement  artiste,  qui  fut  un  des  principaux  fournisseurs  de 
l'Empereur.  Il  vendait  pour  faire  fortune  et  pour  que  sa 
fille  pût  épouser  un  comte  de  l'Empire. 

Madame  Jubinal  avait  collectionné  toute  une  série  de  ces 


LA    COLLECTION  SAINT-A  LJiJN-JUBJNAL-GEORGE  DURUY 


M 


[.ouïs  DAVID.  —  boissy-d'anoi.as 
(Collection  de  M.   et  Af™»    Georf;e   Duruy) 


12 


LES  ARTS 


petits  affiqueis  en  bois,  en  ivoire,  en  fer  et  en  argent,  que 
les  femmes  mettaient  jadis  à  leur  ceinture  pour  y  renfermer 
leurs  aiguilles  à  tricoter.  Au  xviii«  siècle,  affiqitet  avait  pris 
ensuite  le  sens  de  luxueuse  et  frivole  parure  : 

Vous  avez  de  riches  manteaux, 
Vous  avez  de  belles  cornettes, 
Vous  faites  d'affiqucts  nouveaux 
Toujours  d'inutiles  emplettes. 

La  collection  de  montres  de  Madame  .lubinal  est,  après 
la  très  belle  et  très  complète  collection  de  M.  Paul  Garnier, 
la  plus  intèressanic  que  nous  connaissions.  Elle  comprend 


i3o  montres  et  35  châtelaines  du  xvi<=  au  xviii"^  siècle,  qui 
nous  permettent  de  reconstituer  toute  l'histoire  de  la 
montre  depuis  ses  premières  apparitions  jusqu'au  début 
du  xix':  siècle.  D'abord,  les  montres  de  la  Renaissance 
en  cristal  ou  en  argent  gravé  ;  les  unes  en  forme  de 
croix  ;  d'autres,  en  argent,  représentant  gravés  des  des- 
sins de  l'époque  ;  l'une  est  en  jaspe  avec  une  monture 
d'or;  une  autre,  en  cristal  monté  en  or,  porte  cette  inscrip- 
tion :  Les  yeux  à  tout,  le  cœur  pour  un.  Puis  ce  sont  les 
montres  en  émail  à  dessins  de  fleurs  sur  fond  bleu  ou  jaune. 
Parmi  celles  de  l'époque  de  Louis  XIH,  une  charmante 
petite  montre  en  émail  porte,  d'un  côté,  un  portrait  d'homme. 


l'adoration  des  dergbrs  et   des  rois  maoes 

Tapisserie    flamande  (xvi»    siècle) 

(CoUection  de  M.  et  M"'  George  Duruy) 


de  Tauirc,  une  lemnie  qui  serait  une  des  Mancini,  eiT.ourcs 
d'émail  vert  translucide.  Nous  arrivons  ensuite  à  la  très  belle 
série  des  montres  en  émail  peint  de  Genève,  dont  les  plus 
riches  sont  des  ceuvrcs  des  frères  Huaud.  lue  Danaé  est 
signée  :  Hiintid  l'aisiic  pinxit  Gcncvc.  Inc  femme  tenant 
dans  ses  bras  un  vieillard,  symbolisant    peut-être  la   Clia- 


TAIILE-PAPII.LON  (XVIII'   sicclu) 
(CoUtction  il,    M.  c(  *■•  (icurge  ;>«tiiy> 


rite,  porte  la  signature  :  Les  deux  frères  Huaud  les  Jeunes. 
Huaud  le  Puisné  fecit  se  lit  sur  une  montre  émaillée, 
Decomba^  pinxit  Genève  i-j4g  sur  une  autre.  Ine  très 
belle  montre  en  porcelaine  de  Saxe  nous  représente  un 
paysage;  un  émail  d'après  le  Pédicure  de  Téniers,  des 
scènes  d'intérieurs,  des  scènes  champêtres,  le  Colin-Mail- 
lard, les  Baigneuses  de  Boucher  sont  joliment 
traités. 

Enfin  cette  précieuse  collection  comprend  toutes 
les  sortes  de  montres  de  l'époque  de  Louis  XVI, 
Jmaux  imitant  l'écaillé  blonde  ou  brune,  bagues, 
montres  en  forme  de  boules,  poires,  lyres,  pen- 
sées, fraises  et  marguerites,  et,  sur  une  délicieuse 
petite  montre  ronde  en  émail  noir,  une  ronde  d'en- 
fants dans  de  charmants  costumes. 

La  série  des  châtelaines  est  unique.  Comme 
l'étaient  souvent  les  montres,  les  châtelaines  furent 
la  plupart  du  temps  offertes  en  cadeau  de  mariage 
au  xvii^-  siècle.  La  plus  ancienne  en  or  est  de  l'é- 
poque de  la  Régence.  Puis,  en  ne  citant  que  les 
plus  belles,  celle  qui  provient  de  la  collection  la 
Béraudière  en  or  et  émail  champlevé  à  dessins 
de  Heurs,  une  autre  en  or  et  porcelaine  de  Saxe, 
un  très  bel  émail  de  Petitot  provenant  de  la  vente 
Dupré  de  Tours,  en  i885.  Sur  le  boîtier  d'une 
montre,  nous  voyons  deu.x  colombes  se  becquetant; 
sur  le  médaillon  pendu  à  une  châtelaine,  nous 
voyons  une  rose  de  laquelle  sort  un  bébé  avec 
ces  mots  :  Qu'elle  soit  pour  toi  un  doux  souvenir. 
Enfin,  un  curieux  porte-clef  en  argent  a  appartenu 
à  une  fille  de  France  qui  fut  abbesse  ;  il  est  orné 
d'un  cœur,  une  croix  et  une  ancre,  symboles  des 
trois  vertus  théologales. 

La  reproduction  que  nous  donnons  d'un  pan- 
neau, où  le  beau  portrait  de  Chardin  et  deux  petits 
pastels  de  Boucher  se  trouvent  encadrés  par  une 
série  d'instruments  de  musique  du  xvu'  et  du 
wni'  siècle,  montre  avec  quel  goût  est  arrangcc 
cette  collection.  La  curieuse  série  des  bâtons  de 
chef  d'orchestre  débute  par  le  bâton  de  maitre  de 
chapelle  du  xvn'  siècle  en  ivoire,  entièrement 
gravé  dune  nuée  d'anges  musiciens  jouant  des 
instruments  variés:  un  autre,  également  en  ivoire 
de  l'époque  de  Louis  XIH,  porte  gravé  un  air  de 
musique.  Puis,  nous  voyons  les  bâtons  de  chef 
d'orchestre  de  Fétis,  avec  l'inscription  :  .Adolphe 
Samuel  à  son  illustre  maitre:  hommage  de  recon- 
naissance ;  de  Rossini,  en  corne  avec  filigranes 
d'or  et  les  initiales  G.  R.;  enfin  celui  de  Verdi, 
en  ébène  et  argent  surmonté  d'un  petit  buste  du 
compositeur  italien,  cadeau  offert  par  Verdi  à  une 
de  ses  grandes  amies. 

Nous  apprenons  aussi  à  connaître  les  différents 
accessoires  des  maîtres  de  danse  du  xvni' siècle: 
la  canne,  qui  se  démonte  et  renferme  un  violon 
et  son  archet;  la  canne-flûte,  les  petites  pochettes 
et  l'éventail-pochette.  L'n  petit  tambour  porte  sur 
la  bretelle  en  cuir  qui  le  maintient  les  armes  de 
France. 

La  collection  des  miroirs  comprend  toutes  les 
sortes  de  miroirs,  depuis  ceux  en  ivoire  du 
xiv«  siècle  jusqu'aux  miroirs  de  mariage  du  xviii'. 
l  ne  très  belle  boite  de  miroir  du  xiv  siècle  nous 
offre,  comme  beaucoup  de  ces  charmants  peiiis 
objets,  une  scène  tirée  du  Roman  de  la  Rose — 
le  Château  d'.Xmour.  In  miroir  en  émail  peint 
du  wii'^  siècle  à  fond  bleu  pâle,  a  décor  de  ticurs 


14 


LES   ARTS 


de  couleurs  variées  est  superbe.  Un  autre  miroir,  très  simple, 
en  ivoire,  porte,  gravé  sur  une  bordure  d'argent  qui  l'en- 
cadre, cette  inscription  :  Che  ben  ti  rendo,  Quel  che  tu  mi 
dai,  dime  non  ti  Doler,  Donna  Giamai. 

Le  buse,  cet  instrument  de  gêne  et  de  torture,  que  les 
femmes  de  l'antiquité  ne  connaissaient  pas,  a  pénétré  dès  le 
moyen  âge  dans  la  toilette  des  femmes,  au  temps  où,  pour 
la  première  fois,  la  mode  fut  de  se  serrer  la  taille  dans  un 
corset.  Madame  Jubinal  avait  réuni  une  série  des  plus 
curieuses  de  ces  buses.  Le  plus  ancien  remonte  au  xii=  siècle 
et  a  probablement  appartenu  à  une  abbesse  si  l'on  en  juge 
par  les  sujets  religieux  qui  le  décorent.  Le  buse  était  alors 
très  recourbé,  il  devint  ensuite  droit  et  rigide  et  servit  non 
pas  seulement  aux  femmes,  mais  aux  jeunes  élégants,  comme 
nous  l'apprend  Montaigne  dans  le  chapitre  des  Essais  inti- 
tulé Des  Coitstumes  anciennes.  Aux  xvii-  et  xviu=  siècles,  les 
buses  richement  gravés  étaient  offeris  en  cadeau  de  mariage. 
L'un  de  ceux-là,  en  ivoire,  est  orné  de  deux  cœurs  avec  ces 
mots  :  L'Amour  les  joint,  d'une  flèche  perçant  deux  cœurs 


i.VBi.E-ToiLEriE,  PAU  pERiDiLz.  —  Époquo  do  Louis  XVI 
(Collection  de  M.  et  Jtf".«  Gcurge  Duruy) 


avec  :  Elle  nous  unit  et  d'une  fleur  et  un  soleil  avec  ces  mots  : 
Vous  voir  et  jnourir. 

Sur  un  buse  en  acier  gravé  du  temps  de  Louis  XIII,  on 
lit  ces  vers  curieux  : 

Les  nymphes  que  la  chasse  attire 
A  l'ombrage  de  ces  forests, 
Cerchant  des  cabinets  secrets 
Loin  de  l'embusche  du  satire, 
Tout  auprès  le  jaloux  deslire, 
Pressé  d'un  amoureux  tourment, 
A  faict  mourir  un  jeune  amant 
Que  lui-mesme  encore  soupire. 

D'autres  buses  renferment  des  stylets;  l'un  de  ces  buscs- 
poignards  porte  sur  sa  lame  un  cœur  gravé.  Un  autre,  en 
baleine,  a  appartenu  à  Anne  d'Autriche  et  porte,  avec  les 
portraits  d'Anne  d'Autriche  et  de  Louis  XIII  et  différentes 
devises,  ces  vers  bien  amusants  : 

Je  suis  ce  beau  buse  curieux 
Aussy  chaque  jeune  amoureux 
Me  baise  avec  force  tendresse. 
Je  sers  de  divertissement 
Et  ma  place  ordinairement 
Est  sur  le  cœur  de  ma  maîtresse. 

Sur  le  buse  en  fer  que  portait  la  grande  Mademoiselle, 
au  milieu  de  plusieurs  devises,  on  lit  ces  vers  charmants  : 

Combien  je  porte  envie  au  bonheur  qui  te  suit, 
Etendu  mollament  seur  se  blanc  sein  d'yvovre, 
Partageon  entre  nous  s'il  te  plaît  cette  gloire. 
Tu  y  seras  de  jour  et  gi  sere  la  nuict. 

Un  autre  buse  en  fer  porte  encore  gravé  ces  vers  : 

Ai  de  Madame  ceste  grâce 
Destre  sur  son  sein  longuement 
Doux  jouis  sopirer  un  amant 
Qui  voudrait  bien  tenir  ma  place. 

Les  peignes  que  collectionnait  Madame  Jubinal  forment 
une  série  intéressante,  depuisle  peigne  liturgique  du  moyen 
âge  jusqu'aux  luxueux  peignes  d'écaillé  du  xvii=  siècle.  \'n 
curieux  peigne  de  mariage  en  ivoire,  de  travail  français  de 
la  tin  du  xv=  siècle,  représente,  en  son  centre,  sur  une 
face,  le  mari  accompagné  de  son  fauconnier  faisant  tom- 
ber des  fruits  d'un  arbre  dans  la  besace  du  valet  de  la 
mariée,  qui  tient  son  cœur  à  la  main;  sur  l'autre  face,  le 
marié  porte  la  quenouille  et  la  discipline,  le  valet  tient  à  la 
main  le  peigne,  tandis  que  la  femme  tient  son  cœur  et  son 
valet  sa  fortune.  Un  autre  peigne  français  en  ivoire  de 
la  même  époque  représente,  sur  une  face,  une  scène  de 
chasse;  sur  l'autre,  un  roi,  une  reine  et  leur  fou.  Un 
peigne  en  buis  a  appartenu  à  Marie  de  Bourgogne,  fille 
de  Charles  le  Téméraire;  il  porte  gravés  en  argent  les 
chiffres  et  armes  de  France  et  de  Brabant.  Parmi  les  peignes 
français  en  buis  du  xvi=  siècle,  l'un  porte  ces  mos  :  Prene- 
à  gré  ce  petit  don,  un  autre  :  De  bon  cœur  la  donne.  Entin^, 
le  peigne  de  Christine  de  Suède  en  écaille  et  en  corne  ajou- 
rées est  décoré  d'une  scène  de  chasse  avec  cette  inscrip- 
tion :  Utinam  te  patriamque  fortunet  numen  supremum. 
Anno  i63o.  Johann  Hammer.  Chaque  dent  de  ce  peigne 
est  terminée  par  une  boule  pour  qu'il  ne  blesse  pas  la 
tête. 

Citons  en  passant  toute  une  collection  de  marottes  des 


LA    COIJ.KCTION  SAINT-ALRINJUIilNAL-GEORGE  DURUY 


i5 


VITRINE  DKS  GHATELAINliS  Dl"   XVIII'  SIÈCLE 
(Collection  Je  M.  et  A/""  George  Duruy) 


xvii°  et  xviii=  siècles,  en  buis  et  en  ivoire,  avec  les  sifflets, 
les  grelots  de  fou,  les  médailles  de  la  fcle  des  fous,  une 
grande  balte  de  la  Mère  Folle  de  Dijon,  qui  porte  encore 
les  cachets  de  la  ville  de  Dijon. 


La  très  inicressantc  collection  de  couteaux  de  Madame 
Jubinal,  qui  fui  exposée  en  1871  à  Londres,  au  Kcnsington 
Muséum,  mériterait  à  elle  seule  une  étude  sérieuse,  car  ce 
serait  faire  Tliistoire  de  la  coutellerie  en   Italie,  en  Alle- 


VITIIINE   DES   BUSCS,    DTCS  MIROIRS  HT   DES   1  HAISES 
IColleclion  de  M.' et  M-»*  (icorgi;  Uurinj) 


magne,^  en    Orient    et    surtout    en    l'iance,    du    xvi-'    au 
xvuie  siècle.  Je  ne  citerai  ici  que  la  curieuse  série  de  dou/.c 


couteaux  cl  une  fourciieite,  dont  les  manches  sont  formés 
des  siaïuellcs  en  ivoire  des  apôtres  et  de  saint  Christophe, 


LA    COLLECTION  SAIN  T-ALlilNJ  UIIIN  AL-GEORGE  DURUY 


17 


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VI  1  RINE  DES   MONTRES    1)1      X\  le  Al     XVIIh   SIKCI.K 
(Collection  de  M.  et  A/"'  George  Durujr) 


i8 


LES  ARTS 


de  travail  français  de  la  fin  du  xvi'^  siècle,  dans  leur  étui  en 
cuir  gravf?  et  doré  ;  et  la  très  intéressante  trousse  de  veneur 
du  xvi"  siècle  dans  son  vieil  étui  de  cuir.  Les  lames  de 
chacune  des  pièces  qui  composent  cette  trousse  sont  gravées 
et  damasquinées  d'or  et  d'argent,  les  manches  sont  en 
ivoire;  sur  le  grand  couteau  de  venaison  sont  gravés  avec 
la  date  de  iSSj  les  croissants  de  Henri  II  et  de  Diane  de 
Poitiers. 

Toute  une  série  d'objets  en  fer  fait  suite  à  la  collection 
de  couteaux,  les  clefs,  les  fers  à  friser  de  toute  sorte,  avec  les 
curieux  fers  à  papillotes  et  les  fers  à  moustaches  du 
xvni'^  siècle.  Un  petit  tourillet  porte  les  armes  de  Cosmc 
de  Médicis,  qui  fut  amateur  passionné  d'horlogerie  et  auquel 
il  a  appartenu. 

La  partie  de  la  collection  que  nous  avons  conservée  pour 
la  fin  de  cette  rapide  étude  et  qui  en  est  certainement  l'une 
des  plus  curieuses,  formerait  à  elle  seule  un  véritable  musée 
du  costume.  La  vitrine  des  gants  nous  fait  connaître 
l'histoire  du  gant  depuis  l'époque  où  les  hauts  dignitaires 
ecclésiastiques  étaient  les  seuls  à  en  porter  jusqu'à  l'époque 
de  la  Révolution.  Un  très  intéressant  gant  d'évcque  est  ana- 
logue à  celui  que  conserve  le  trésor  de  Saint-Bertrand  de 
Comminges.  Cn  gant  de  fauconnier  en  cuir  avec  les  doigts 
articulés  nous  montre  encore  le  dessus  de  la  main  arraché 
par  le  faucon.  Puis,  nous  voyons  toute  la  série  des  gants  et 
des  longues  mitaines  élégantes  du  xviii"  siècle,  l  ne  paire  de 
gants  est  en  dentelle,  des  mitaines  sont  ornées  de  sujets  de 
chasse  du  temps  de  Louis  XV,  les  unes  sont  en  peau  rouge, 
d'autres  en  soie  gorge  de  pigeon  et,  pour  finir,  les  gants  en 
peau  à  longues  rayures  de  l'époque  de  la  Révolution. 

La   série  des  jarretières  de  mariées  du  xv!!!"^  siècle  est 


amusante  avec  des  devises  telles  que  celles-ci  :  L'union  de 
nos  cœurs  fait  tout  mon  bonheur.  —  Ma  devise  est  de  vous 
aimer  et  de  ne  jamais  changer.  —  Je  serai  tout  de  même 
aussi  content  que  fidèle,  et,  entourés  de  fleurs,  ces  mots  : 
Ces  fleurs  sont  l'image  de  l'amour  qui  m'engage. 

Nous  voyons  encore  mille  autres  petits  objets  ayant 
servi  à  la  toilette  des  femmes  et  des  enfants  au  temps  passé, 
des  bonnets  de  toute  sorte,  bonnet  de  coureur  du  xvni=  siècle 
avec  armoiries  en  argent,  béguins,  manchons,  robes  d'enfant 
et  toute  une  collection  de  petits  souliers,  parmi  lesquels  ceux 
du  roi  de  Rome  en  velours  rouge  avec  la  couronne  entourée 
de  branches  de  lauriers. 

Des  dentelles  de  toute  beauté  complètent  cet  ensemble 
aussi  original  qu'intéressant.  Nous  voyons  plusieurs  fraises 
de  l'époque  de  Louis  XIV  en  dentelles,  dont  l'une  a  conservé 
sa  monture,  qui  permettait  de  la  porter  même  avec  une 
toilette  décolletée.  Un  charmant  encadrement  de  tablier  de 
mariage  en  milan,  à  dessin  de  personnages,  nous  repré- 
sente le  marié  tenant  l'arc  et  la  mariée  un  coeur  enflammé. 
Les  costumes  en  sont  très  amusants,  les  bonnets  et  les 
manches  de  chaque  personnage  sont  en  relief.  Parmi  les 
plus  belles  dentelles,  citons  encore  un  camail  d'évêque  en 
point  d'Alençon,  de  l'époque  de  Louis  XIV,  un  bas  d'aube 
cn  Venise  et  ,un  l'ond  de  bonnet  en  argentan  représentant 
Orphée  charmant  les  animaux,  de  la  même  époque.  Un 
admirable  coussin  de  mariage  porte  les  armoiries  d'une 
famille  de  Bohême,  celle  du  prince  de  Lobkowitz,  comte 
princier  de  Sternstein.  Enfin,  d'une  finesse  surprenante  et 
d'une  qualité  exceptionnelle,  est  un  très  beau  rabat  en 
Venise  de  l'aube  de  Mazarin. 

La  collection  Duruy  possède  encore  une  très  belle  tapis- 


PBIONE    DB    MARIAOE    EN    IVOIIIR 

Art  français.  —  xv"  Bièch' 
iloltcclion  lie  M.  cl  M""  (George  Dumyj 


série  tissée  dans  les  Flandres  au  xvi<^  siècle.  La  disposition 
des  sujets  en  est  curieuse;  la  tenture  est  séparée  inégale- 
ment en  deux  parties  par  un   pilastre   richement   décoré. 


PKIONE  DE  MARIAGE    FN   IVOIRE 

Art  Irançais,  —  xv«  siècle 
(CoUection  de  M.  et  iU"'«  George  Duruxj) 


d'un  côté  duquel  est  représentée  l'Adoration  des  bergers,  de 
l'autre  l'Adoration  des  rois  mages.  Le  beau  dessin  et  l'écla- 
tante  tonalité  de   cette   tapisserie  la   placent  au  rang  des 


T. A    COI.T.FCTION    S  A  IN  T- A  I.ni\-Jl' lilN  AL-GEORG  E  DURUY 


PANNEAU    DES    INSTRUMENTS    DE    MUSIQUE 
(Collection  de  M.  et  AI-"  George  Durtiy) 


LES    ARTS 


VITRINE    DES    GANTS    ET     DES   BONNETS 
(Collection  de  M.  et  M""-  George  Duruy) 


I.A    COLLECTION   SAINT  ALBIN-J UBIN AL-GEORGE    DURUY 


21 


meilleures  tentures 
sorties  des  ateliers  fla- 
mands au  x\i'  siècle. 

Citons  aussi  quatre 
bandes  étroites  et  lon- 
gues de  tapisserie  au 
petit  point,  de  travail 
Irançais  du  xvi«  siècle. 

Elles  nous  repré- 
sentent toute  une 
série  de  personnages 
vêtus  de  riches  cos- 
tumes, qui  sont  de 
précieux  documents 
pour  l'histoire  du  cos- 
tume  au  temps  de 
Henri    II. 


Nous  terminerons 
cette  étude  en  men- 
tionnant les  tableaux 
les  plus  intéressants 
parmi  ceux  qui  ornent 
le  cabinet  de  travailde 
M.  George  Duruy  et 
qui  mériteraient  tous 
d'être  étudiés  sérieuse- 
ment. L'n  tableau  très 
important,  qui  repré- 
sente un  saint  Eusta- 
chc.n'estpasuneœuvre 
de  Durer,  comme  l'in- 
dique le  monogramme 
de  l'artiste  ajouté  pos- 
térieurement, mais  un 
tableau  des  plus  in- 
téressants lait  au 
xvi«  siècle  par  un  ar- 
tiste de  l'école  de  Co- 
logne, peut-être  celui 
qui  est  connu  sous  le 
nom  du  Maître  de  la 
Mort  de  Marie,  d'a- 
près une  gravure  d'Al- 
bert Durer.  La  Vierge 
et  l'Enfant  à  la  pomme. 
avec  un  joli  petit  fond 
de  paysage,  est  un  char- 
mant tableau  de  Ma- 
buse.  D'une  qualité 
exceptionnelle  est  un 
petit  tableau  de  Jor- 
daens  représentant  une 
Bacchanteetun  Silène. 
Entîn,  de  l'école  fran- 
çaise, sont  un  portrait 
de  la  célèbre  Laure  de 
Noves,  de  rouge  vêtue, 
tenant  un  oeillet  à  la 
main,  et  un  beau  petit 
portrait  de  Charles  IX 
par  Clouei. 

CARLE  DREYFUS. 


VIIRI.NB    UiS     UKNTlLLtS 

(CoiUctioH  de  M,  et  !(-••  George  Dmrmy) 


Les  Origines  de  la  Peinture  française 


V":    PARTIE.    l'art     nr    PORTRAIT    Al"     TEMPS     DE     LA 

RENAISSANCE   <'' 

voi^uc  des  ponraits  est  un  des  traits  frap- 
pants de  la  renaissance  des  arts  en  France 
Elle  a  ses  commencements  au  temps  de 
ravènement  de  François  I".  On  la  voit  se 
déclarer  tout  d'un  coup,  et  ce  lait,  joint  à 
l'origine  étrangère  du  peintre  qui  la  diri- 
gea, fait  de  ce  genre  alors  une  nouveauté 
égale  aux  décorations  de  Fontainebleau. 

.lean  Clouet  dit  .lanet,  qu'on  peut  croire  F"lamand.  était 
en  France  dès  i5i6.  Comme  il  demeura  d'abord  à  Tours, 
quelques-uns  ont  pensé  le  rattacher  à  l'école  de  peinture  de 
celte  ville.  Cependant  tout  ce  qu'on  peut  attribuer  à  ce 
maître  est  extrêmement  différent  de  Bourdichon  et  de  Fou- 
quet.  Le  faire  disciple  de  Perréal  est  un  parti  moins  raison- 
nable encore,  puisqu'on  manque  d'oeuvres  même  probables 
de  ce  dernier,  et  que  rien  dans  les  textes  n'y  fournit  d'ouver- 
ture. Les  ouvrages  dont  il  sera  parlé  sont  au  contraire  très 
rapprocfiés  de  ce  qui  s'exécutait  alors,  dans  les  Pays-Bas  et 
sur  le  Rhin.  Leurs  parentés  certaines  sont  avec  Van  Orley, 
avec  Mabuse,  avec  le  Mostaert  présumé  de  M.  Gluck,  en 
général  avec  les  P'iamands  qu'une  première  influence  de 
l'Italie,  quelquefois  de  Léonard,  a  touchés.  L'œuvre  présumé 
de  Janet  présenté  comme  une  suite  des  enseignements  go- 
thiques en  France,  est  un  paradoxe  historique.  Il  est  sur 
que  rien  dans  le  drapé  ni  dans  le  contour  des  visages  n'y  rap- 
pelle la  sécheresse  et  le  heurté  des  miniatures  de  l'âge  pré- 
cédent. A  le  prendre  en  général,  on  y  reconnaît  l'esprit  du 
classicisme  et  de  la  Renaissance  autant  que  dans  Schorel  ou 
dans  Holbein. 

Le  principal  de  cet  œuvre  consiste  dans  des  crayons 
reconnus  pour  l'ouvrage  d'une  même  main,  et  dont  le  temps 
de  production  s'étend  depuis  i5i5  environ  jusque  vers  1540. 
Ces  dates  sont  garanties  tantôt  par  le  costume,  tantôt  par 
l'âge  apparent  des  personnes  représentées.  Elles  s'accordent 
parfaitement  avec  celles  entre  lesquelles  les  textes  resserrent 
la  carrière  de  Jean  Clouet.  Si  l'on  y  joint  l'excellence  des 
pièces,  qui  cadre  avec  le  renom  du  maître,  et  la  qualité  des 
personnages,  qui  répond  au  rang  qu'il  tenait  à  la  Cour,  on 
concevra  quelle  vraisemblance  pressante  conseille  de  recon- 
naître Janet  dans  l'anonyme  auteur  de  ces  crayons.  C'est 
pour  marquer  cette  vraisemblance  que  je  désigne  cet  ano- 
nyme sous  le  nom  de  présumé  Jean  Clouet. 

Le  présumé  Jean  Clouet  est  également  auteur  des  mi- 
niatures du  Roi  et  des  Preux  de  Marignan  au  manuscrit  de 
la  Guerre  Gallique  (Musée  Briiannique  et  Cabinet  des 
Estampes  de  Paris),  et  de  cinq  lableaux,  joint  un  sixième 
peut-être,  dont  voici  le  compte. 

Le  Dauphin  François  enfant,  mal  nommé  F'rançois  II  par 
le  musée  d'Anvers  à  qui  il  appartient,  est  de  i52o  ou  à  peu 
près;  de  la  même  époque  date  Madame  Charlotte,  fille  de 
France,  sa  sœur,  propriété  de  M.  Aghew.  Le  petit  François  I" 
du  Louvre  se  place  vers  i525  ;  l'excellent  Claude  de  Guise, 
des  Offices,  vers  i53o;  vers  i538  l'anonyme  au  Pétrarque, 
ornement  précieux  du  château  d'Hampioncourt,  pièce  mai- 
tresse  de  l'œuvre  tout  entier.  Enfin  le  petit  portrait  du  Roi  à 

(I)  Voir  ks  Arts  n<»  3-j,  39,  40  et  42. 


cheval  des  Oflices,  que  je  ne  joins  ici  qu'avec  doute,  précède 
de  peu  l'année  1540. 

C'est  la  dernière  de  la  vie  de  Jean  Clouet.  On  trouve 
mention  de  sa  mort  dès  1541.  Le  détail  de  sa  vie  est  presque 
inconnu.  Il  eut  le  titre  de  valet  de  chambre  du  Roi,  et  parait 
s'êire  transporté  à  Paris  depuis  i322.  C'est  là  que,  désormais 
tenu  pour  un  des  premiers  maîtres  du  temps,  il  mit  au  jour 
cette  grande  quantité  de  portraits  dont  le  souvenir,  confondu 
plus  tard  avec  les  ouvrages  de  son  fils,  devait  assurer  à  leur 
nom  une  gloire  impérissable. 

L'œuvre  qu'on  doit  présumer  de  sa  main  reçoit  un  prin- 
cipal appoint  de  ce  que  Chantilly  garde  de  préparations 
au  crayon  pour  ses  peintures,  presque  toutes  disparues. 
Ces  dessins,  qui  proviennent  pour  la  plupart  des  collec- 
tions de  Castle-Howard,  représentent  dans  la  pratique  du 
temps  la  partie  originale  et  comme  la  plus  importante  de 
l'œuvre.  Janet  se  rendait  chez  les  personnes,  et  tirait  aux 
crayons  de  couleur  cette  espèce  de  portraits  avec  le  plus 
grand  soin.  L'ouvrage  fait,  c'était  pour  toujours  que  le 
modèle  avait  lini  déposer.  Le  portrait  à  l'huile  s'achevait  dans 
l'atelier,  au  moyen  quelquefois  de  notes  manuscrites  qui 
dirigeaient  le  choix  des  couleurs.  Outre  la  peinture  com- 
mandée, le  dessin  conservé  servait,  entre  des  mains  moins 
habiles  et  fort  souvent  grossières,  à  tirer  des  copies  pour  ces 
sortes  de  recueils  où  la  bonne  société  d'alors  rassemblait  les 
portraits  de  ses  relations  et  de  ses  proches. 

Quant  aux  crayons  de  Chantilly,  leur  nombre  autant  que 
leur  perfection  en  fait  quelque  chose  d'incomparable.  Toute 
la  Cour  du  temps  se  donne  rendez-vous  là.  Le  Roi,  la  Reine 
sa  femme,  sa  sueur  et  ses  enfants,  les  preux  de  Marignan, 
vingt  familles  illustres,  Vendôme,  Guise,  F'oix,  Gié,  Nevers, 
Tavannes,  les  dames  d'honneur  de  la  reine  Éléonore,  celles 
de  lapetile  bande  du  Roi,  des  hommes  d'église,  des  docteurs, 
nombre  d'inconnus  s'y  montrent,  dans  un  désordre  fait 
comme  à  la  mesure  de  la  vie  dont  on  y  cherche  l'image. 
Près  des  dauphins  à  la  bavette  paraissent  les  duègnes  de 
cour  dans  leurs  atours  vieillis,  près  du  regard  de  fer  des 
capitaines  la  jeunesse  fringante  des  courtisans,  près  de  la 
majesté  grasse  des  prélats  de  cour  la  fraîcheur  malicieuse 
des  beautés  en  renom,  près  du  front  soucieux  des  ministres 
d'Etat  le  charme  attendri  des  jeunes  tilles. 

A  cette  séduction  de  l'objet,  un  art  discret  joint  ses  pres- 
tiges. Il  ne  faut  pas  comparer  Janet  à  Holbein;  même  à  le 
juger  sur  ces  ouvrages,  on  doit  convenir  que  sa  science  est 
restreinte  et  ses  moyens  assez  limités.  Seuls  les  traits  prin- 
cipaux du  visage,  sont  indiqués  chez  lui  d'un  trait  léger  et 
sîtr,  le  reste  n'est  ajouté  qu'avec  incertitude;  la  barbe  et  les 
cheveux,  comme  la  plumeau  chapeau,  ne  rendent  aucun  sen- 
timent de  la  nature.  Seulement  il  faut  avouer  que  jamais  petit 
avoir  ne  fut  mis  en  œuvre  avec  plus  de  soin  et  d'adresse. 
Le  crayon  surtout  est  agréable.  D'une  simple  et  allègre  allure, 
on  le  voit  se  porter  sur  toutes  choses  et  n'y  toucher  que  dans 
sa  mesure,  bombant  les  fronts,  creusant  le  pli  des  paupières, 
soulevant  doucement  les  ailes  du  nez,  mettant  aux  coins  des 
bouches  ces  tournants  agréables  qui  font  reculer  et  s'asseoir 
les  fuyants  larges  du  visage,  balançant  finement  les  traits 
égaux,  et  dans  l'asymétrie  des  trois  quarts,  rappelant  en 
modelé  d'un  côté  ce  qu'il  trace  en  contour  de  l'autre,  avec 


LES    ORIGINES   DE    LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


23 


une  cltfgance  parfaite.  Pierre  noire  et  sanguine  y  mêlent 
leurs  travaux.  Le  maître  les  assemble  en  parfait  coloriste. 
Mille  aspects  ingénieux,  mille  couleurs  nouvelles  naissent 
sous  ses  doigts  de  leur  rencontre. 

Le  coloris  dans  les  tableaux  à  l'huile  n'ajoute  en  général 
que  peu  à  cet  agrément.  La  pâte  en  est  belle,  comme  c'est 
l'habitude  chez  les  peintres  des  Pays-Bas;  l'exécution  est 
ti n e  et  plate. 
Tout  le  surcroit 
de  plaisir  qu'on 
y  prend,  n'est 
que  Te  If  et  du 
prestige  ordi- 
naire des  cou- 
leurs. 

On  a  repré- 
senté à  tort 
François  \" 
commeéprisdes 
productions  de 
la  seule  Italie. 
Dans  son  goût 
vraiment  uni- 
versel, il  faut 
ajouter  le  cas 
qu'il  faisait  des 
tableaux  de 
P'iandre,  attesté 
par  plusieurs 
c  o  m  m  a  n  d  c  s 
dans  ce  pays. 
Curieux, comme 
il  paraît,  de  don- 
ner à  .lanet  des 
émules,  il  avait 
sollicité  Schorel 
de  s'engager  à 
son  service.  Ce 
peintre  refusa  ; 
une  autre  invita- 
tion, faite  vers 
I  5  3o,  à  Josse 
Van  Clèvcs 
d'Anvers,  obtint 
un  meilleur  suc- 
cès. Celui-ci  vint 
en  France  et  pei- 
gnit, dit  Gui- 
chardin,  le  roi, 
la  reine  et  les 
autres  princes 
du  royaume.  On 
est  en  peine  de 
dire  si  des  por- 
traits de  grande  taille,  où  se  montre  l'influence  italienne, 
deux  F'rançois  I"  du  Louvre,  une  Marguerite  sa  sœur,  à 
Liverpool,  une  reine  Éléonore  à  Hamptoncourt,  émanent 
de  quelque  peintre  de  ce  genre,  ou  d'un  de  ces  Italiens 
médiocres,  tixés  en  France  dès  le  commencement  du  règne, 
dont  j'ai  fait  mention  en  leur  place. 

Tandis  que  tlorissait  dans  Paris  Jean  Clouet,  un  autre 


PA<i/i>  ,>'iMr(T»iflkrf, 


LE  PRESUME  JICAN  CLOUET.  —  iharlotte  ds  FitAKcr.  mi»  dr  fiiam-ois  i" 
Collection  Agncsv  iLon^rcst 


peintre,  étranger  comme  lui,  comme  lui  travaillant  dans  le 
genre  du  portrait,  commençait  d'emplir  Lyon  de  son  renom. 
C'est  Corneille,  natif  de  la  Haye,  nommé  Corneille  de  Lyon 
dans  l'histoire.  Ce  qu'on  lui  attribue  de  plus  ancien  remonte 
peu  avant  r536.  Il  peigni'  .n  ce  temps-là  le  Dauphin,  le  duc 
d'Orléans  et  Madame  Madeleine,  tous  trois  enfants  de  Fran- 
çois \"  et  âgés  de  seize  à  vingt  ans.  Depuis  1541  il  eut  le  titre 

de  peintre  de 
Henri,  dauphin 
par  la  mort  de 
son  frère,  qui 
régna  depuis 
sous  le  nom  de 
Henri  IL 

Les  contem- 
porains avaient 
gardé  le  souve- 
nir d'un  voyage 
que  la  cour  fît  à 
Lyon  en  1 548  au 
lendemain  de 
son  avènement, 
et  dans  lequel 
Corneille  pei- 
gnit entreautres 
la  nouvelle  reine 
Catherine  de 


Médicis,  sans 
douteaussi  Mar- 
guerite sœur  du 
roi,  dans  un 
tableau  qui  est 
à  Chantilly. 
Nombre  des 
portraits  subsis- 
tants sous  son 
nom  tirent  peut- 
être  leur  origine 
de  la  même  cir- 
constance. D  u 
moins  c'est  un 
fait  que  quinze 
ansplustard.ee 
peintre  était  en 
mesure  d'expo- 
ser dans  une 
chambre,  «  le 
portrait,  dit 
Brantôme,  de 
tous  les  grands 
seigneurs  et  de 
toutes  les  gran- 
des daines  de  la 
cour  ».  Hors  de 
pareils  voyages,  qui  à  vrai  dire  n'étaient  pas  rares,  c'est 
une  question  de  savoir  de  quelle  manière  Corneille  prenait 
copie  de  ses  modèles.  J'ai  la  preuve  que  quelquefois  au 
moins  l'un  de  ses  confrères  tirait  le  crayon  pour  lui.  Il  ne 
suivait  pas  la  manière  de  Janet,  et  on  n'a  de  sa  main  aucune 
préparation  distincte  de  ses  peintures.  On  peut  supposer 
qu'il   a   peint   sur  ces   préparations  mêmes,  de  bons  juges 


H 


LES  ARTS 


inclinant  à  croire  que  plusieurs  sont  sur  papier  à  l'aqua- 
relle sous  le  vernis. 

On  manque  d'indications  bien  certaines  sur  les  œuvres 
de  cet  artiste.  Ce  que  Gaignières,  au  xvii=  siècle,  a  remar- 
qué comme  son  ouvrage,  est  de  mérite  trop  inégal,  et 
trop  bas  comparé  à  d'autres  pièces  du  même  genre,  pour 
qu'on  prenne  cette  mention  autrement  que  comme  une 
attestation  d'atelier.  Pour  débrouiller  dans  le  nombre 
l'œuvre  propre  du  maître,  l'excellence  de  l'art  reste  le  seul 
indice.  C'est  un  fondement  parfaitement  raisonnable,  sur 
lequel  il  est  au  moins  permis  d'établir  la  liste  suivante  : 
Madame  de  Martigné-Briant,  à  Chantilly;  Béatrice  Pachéco, 
comtesse  d'Entremont,  et  Suzanne  d'Escars,  dame  de  Pom- 
padour,  à  Versailles;  Antoine  de  Bourbon,  roi  de  Navarre, 
chez  le  comte  Lanskoronski,  à  Vienne  ;  la  Duchesse 
d'Étampcs  à  M.  de  Montbrison  ;  Charles  comte  de  Randan, 
à  M.  Doistau  :  ces  deux  derniers  exposés  aux  Primitifs 
français. 

Tous  ces  tableaux  sont  datés  par  le  costume,  des  envi- 
rons de  i55o.  On  les  a  loués  souvent,  parfois  avec  excès.  A 
vrai  dire,  le  talent  dont  ils  témoignent  est  faible.  Nuls  d'in- 
vention, de  dessin  timide,  tout  l'agrément  qu'on  leur  trouve 
ne  tient  qu'à  une  fraîcheur  d'exécution,  à  une  légèreté  de 
main  qui  va  parfois  jusqu'à  la  séduction.  Peu  de  science  et 
beaucoup  de  ménagement,  c'est  Corneille  de  Lyon  plus 
encore  que  Janet.  On  trouve  ici  le  triomphe  d'une  ccrtninc 


I.t:  MATTItE  DE  niEUX-CHATEAUNEUI'-.  -  le  comti;  de  iiEniioRD 
iliisce  Wallace  (Landres) 


LE  PRESUME  JEAN  CLOfET.  —  cialde  de  LonnAiNF,    uvc   de  orisE 
râlais  nui  (Florence) 

routine,  d'un  tour  perfectionné  par  la  répétition,  auquel 
l'ariisic  ne  saurait  rien  changer,  ni  dans  la  perspective  des 
traits,  ni  dans  l'équilibre  du  maintien,  sans  courir  risque 
de  tout  gâter.  Encore  ceci  ne  procure-t-il  que  la  perfection 
du  visage  ;  le  dessin  du  reste,  buste  et  épaules,  est  le  plus 
souvent  détestable. 

Il  ne  faut  donc  pas  demander  si  certains  rares  portraits, 
conçus  dans  le  dessin  général  de  Corneille,  mais  dont  le 
style  et  la  façon  rappellent  les  plus  excellents  maîtres,  sont 
de  sa  main.  J'en  compte  neuf  entièrement  conformes  pour 
la  manière,  dont  la  liste  sera  donnée  ici.  Deux  anonymes  au 
musée  de  Vienne,  un  autre  à  l'Académie  de  Venise,  un  au 
palais  Pitti  de  Florence,  un  cinquième  dans  la  collection 
Cumberland  à  Hanovre,  un  sixième  à  M.  Hutteau,  exposé 
aux  Primitifs  français  ;  dans  la  collection  Wallace,  le  comte 
de  Hertford  ;  naguère  chez  M.  Butler,  à  Londres,  Jean  de 
Rieux,  'baron  de  Chàteauneuf  ;  enfin,  venant  neuvième, 
dans  de  grandes  dimensions  jusqu'à  présent  exceptionnelles, 
un  triomphant  anonyme  du  musée  d'Avignon,  longtemps 
attribué  à  Holbein,  et  qui  n'eût  pas  fait  honte  à  ce  grand 
maître.  Je  nomme,  pour  la  commodité,  l'auteur  inconnu  de  ces 
chefs-d'œuvre  (dit  pseudo-Amberger  chez  M.  de  Frimmel), 
]e  peintre  de  Rieux-Chàteauneiif.  Rien  n'assure  qu'il  ait  été 
Français.  Ses  modèles  semblent  allemands  pour  une  partie; 
d'autres  paraissent  ou  sont  anglais.  La  date  portée  sur  un 
des  tableaux  de  Vienne  est  rédigée  en  italien.  Cette  diversité 
de  référence  ne  fait  qu'accroître  le  mystère.  S'il  doit  revenir 
un  jour  à  nous,  ou  prendre  place  parmi  les  étrangers  qui  ont 
tiré  leur  renom  de  France,  son  rang  sera  marqué  dans 
l'école  fort  au-dessus  de  tout  ce  qu'on  y  met  à  présent,  au- 
dessus  de  Corneille,  au-dessus  de  l'un  et  de  l'autre  Janet. 

Du  reste,  on  aurait  tort  de  croire  petite  la  liste  des 
peintres  d'alors  approchants  de   Corneille.   Ce  qu'on  soup- 


LES    ORIGINES   DE    LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


25 


FRANÇOIS  GLOl'ET.  —  charlks  ix,  roi  db  frange 
Musée  Impérial  i  Vienne) 


26 


LES  ARTS 


çonne  de  maîtres  oublie's  derrière  un  grand  nombre  de 
pièces  du  même  genre,  ne  doit  pas  être  négligé.  Des  por- 
traits comme  celui  du  duc  d'Enghien  au  Louvre,  ceux  d'une 
main  différente,que  M.  Benson  avait  prêtés  aux  Primitifs  fran- 
çais, ne  peuvent  manquer  de  former  quelque  jour  le  centre 
de  classements  nouveaux,  où  des  mains  anonymes  marque- 
ront leur  existence.  Plusieurs  y  devinent  une  part  de  maî- 
tres anglais.  Il  sera  curieux  de  reconnaître  ce  que  ceux-ci, 
regardés  comme  disciples  de  Holbein,  ont  pu  tenir  d'une 
autre  formation,  à  quel  point  des  leçons  émanées  des  Fla- 
mands qui  florissaient  chez  nous,  ont  pu  toucher  les  Bettes, 
les  Stretes  et  les  Hilliard. 

Cependant,  l'école  du  vieux  Janei,  que  vingt-cinq  ans 
d'une  production  fêtée  avait  établie  à  la  cour,  refleurissait 
sous  son  fils.  François  Clouet  eut  dès  1541  le  titre  de 
peintre  du  Roi  et  les  appointements  de  son  père.  Ce  qu'on 
doit  lui  attribuer  de  crayons  commence  aux  environs 
de   i53o. 

N'omettons  pas  que,  pour  l'un  comme  pour  l'autre,  on 
manque  de  témoignages  certains  de  leurs  ouvrages.  Ce  qui 
sert  à  constituer  l'œuvre  de  Janet  le  jeune,  c'est  d'abord  la 
parfaite  ressemblance  de  style  entre  un  assez  grand  nombre  de 
dessins  du  Cabinet  des  Estampes  de  Paris,  et  d'ailleurs.  Ces 
dessins  d'une  part  vont  des  débuts  présumés  de  la  carrière 
de  François  Clouet  jusqu'à  sa  mort;  d'autre  part  on  y 
trouve  tous  les  portraits  des  princes  qui  régnèrent  en  France 
de  son  vivant,  tracés  avec  un  art  supérieur.  Si  l'on  joint  à 
cela  la  tradition,  flottante  il  est  vrai,  qui  place  le  nom  de 
.Tanet  sur  les  plus  célèbres  de  ces  morceaux,  peut-être  on 
trouvera  que  c'est  assez  pour  ne  conserver  qu'un  douic 
abstrait,  qui  s'efface  dans  le  langage  ordinaire.  Celui  qu'on 
présume  être  François  Clouet,  à  bien  plus  de  titres  qu'on 


Plailo  Kimin,  CUmeiu  J"  Cic. 

CORNEILLE   DE  LYON.  —  madame  dk   MARTiami-BRiANi 
Musée  Condé  (Chantilly) 


FRANÇOIS  CLOUET.  —  jeanne  d'albrkt 
Musée  Condé  IChanlilly) 

n'en  eût  pour  son  père,  sera  donc  appelé  ici  simplement  de 
ce  nom,  les  réserves  faites  une  fois  pour  toutes. 

Le  plus  ancien  tableau  qu'on  lui  assigne,  est  celui  de 
Catherine  de  Médicis  encore  dauphine,  à  Versailles.  De 
portrait  peint  de  Henri  H,  on  n'en  connaît  pas  avant  i  SSq,  qui 
fut  la  dernière  année  de  ce  prince.  L'ouvrage  dont  il  s'agit,  peu 
connu  jusqu'ici  des  historiens  de  l'art,  est  aux  Offices  de  Flo- 
rence. Il  représente  le  Roi  en  pied  et  de  grandeur  naturelle. 
Les  copies  de  ce  portrait  sont  nombreuses,  mais  deux  seule- 
ment, réduites  au  buste,  l'une  aux  Offices  encore,  l'autre  à 
Versailles,  peuvent  passer  pour  sortir  de  l'atelier  du  maître, 
.l'ajoute  ici  le  portrait  du  musée  de  Turin,  représentant 
Marguerite  sœur  du  Roi,  en  deuil  blanc. 

Tout  porte  à  croire  que  le  règne  de  Henri  II  vit  la  for- 
tune faite  de  François  Clouet.  Les  gens  de  cour  commen- 
cèrent à  n'avoir  plus  que  son  nom  à  la  bouche.  Les  poètes 
le  célébrèrent  dans  leurs  vers.  Les  imitateurs  lui  vinrent  en 
foule.  Le  plus  ancien,  que  j'appelle,  faute  de  mieux,  l'ano- 
nyme de  i55o,  emplit  de  ses  crayons  le  moderne  château 
de  Chantilly.  Denisot,  Bouteloup,  Germain  Lemannier,  se 
placent  à  la  même  époque.  Enfin  le  fils  de  Geoffroy  Dumoù- 
tier,  Etienne,  en  qui  commence  dans  cette  famille  les  géné- 
rations de  peintres  portraitistes,  commence  de  se  faire  admirer. 

La  vogue  des  recueils  de  crayons  continue  de  s'étendre, 
et  de  donner  naissance  aux  mêmes  fâcheux  ouvrages,  dont 
un  doit  être  distingué  pourtant,  œuvre  peut-être  de  l'anonyme 


LES    ORIGINES    DE   LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


27 


J^i  Ji kanfçtML  m3k^. 


r/<tf/«  Girawtfon. 


■Vi>. 


LE    PRÉSUMÉ   JEAN    CLOUET.   —   le   maréchal  ue  montkjean  (dessin) 
Musée  Condé  (Chantilly) 


28 


LES   ARTS 


de  i55o,  dont  les  débris  figurent  encadres  aux  murailles  de 
la  Galerie  du  Logis,  à  Chantilly. 

Il  faut  remarquer  que  cette  branche  de  l'art  ne  laissait  pas, 
en  prenant  de  rimportance,  d'ecarier  pcrsévéramment  tout 
mélange  d'ita- 
lianisme. C'est 
un  des  traits  cu- 
rieux du  temps 
et  qui  se  conce- 
vrait à  peine  au 
sein  d'une  école 
établie.  Rien 
n'est  si  différent 
que  l'œuvre 
d'un  Pri malice 
et  celle  d'un 
C 1  o  u  e  t .  Ces 
peintres,  dont 
la  carrière  com- 
mence vers  le 
même  temps, 
qui  dans  le 
mcmetempsdé- 
barrassés  l'un 
d'un  rival, 
l'autre  d'un 
père,  prirent  en 
main  le  sceptre 
de  l'art  au  mi- 
lieu de  la  même 
cour,  qui  mou- 
rurent (chose 
notable)  pres- 
que la  même 
année,  chargés 
des  faveurs  des 
mêmes  princes 
et  d'une  gloire 
avouée  par  la 
même  société, 
sontrestéscons- 
tamment  éiran- 
g  e  r  s  l'un  à 
l'autre.  Le  plus 
habile  n'exerce, 
ainsi  qu'on  eut 
pu  cro're,  nulle 
influence  sur 
celui  de  talent 
moindre.  Les 
écoles  qu'ils 
soutiennent  et 
qu'étendent 
leurs  exemples, 
ne  se  main- 
tiennent pas 
moinsTigou- 

reusemént  distinctes.  Jusqu'à  la  tin  cette  distinction  subsiste, 
rompue  çà  et  là  seulement  par  quelques  ouvrages  rares  et 
si  bien  isolés,  qu'ils  n'ùtenl  rien  de  cette  remarque. 

La  toute-puissance  de  Catherine  s'annonce,  dans  l'œuvre 


CORNEILLE  DE  LYON.  — 
Musée  de 


de  François  Janet,  au  lendemain  de  là  mort  de  Henri  II,  par 
le  fameux  portrait  en  deuil  de  cette  princesse,  dont  la  meil- 
leure réplique,  a-uvre  d'atelier  peut-être,  appartient  à  M.  le 
baron  d'Albenas.  De  François  II  et  de  Marie  Stuart  on  n'a  de 

la  main  du  mai- 
tre  les  portraits 
qu'en  crayon. 
Je  parle  du  por- 
trait de  celle-ci 
en  deuil  blanc, 
le  seul  qu'il  con- 
vienne de  main- 
tenir à  Clouet, 
et  dont  sub- 
sistent plu- 
sieurs répliques 
à  l'huile.  A  la 
liste  des  enfants 
royaux,  il  faut 
joindre  l'admi- 
rable crayon  re- 
haussé de  Mar- 
gueri  te  leur 
s  (  e  u  r ,  p  i  è  c  e 
d'i  mportance 
égale  au  pan- 
neau le  plus 
achevé,  hon- 
neur de  la  Gale- 
rie de  Psyché  à 
Chantilly. 

Au  lende- 
main de  la  mort 
du  jeune  roi 
prend  place  l'ex- 
cellent petit 
portrait  de 
Charles  IX,  son 
frère,  au  musée 
de  Vienne,  daté 
de  I  3  tJ  I  .  D  e 
i366,  malgré 
l'inscription 
fausse,  est 
Charles  IX,  en- 
core au  même 
musée,  dans  le 
célèbre  portrait 
de  grandeur  na- 
lu  relie,  où  le 
nom  de  Jannct 
inscrit  a  long- 
temps passé 
pour  une  signa- 
turc.  Une  par- 
faite réplique 
en  petit  de  ce 
morceau  est  au  Louvre.  Outre  ces  portraits  royaux  pour 
toute  cette  époque,  on  doit  joindre,  d'un  mérite  égal  et  d'une 
pareille  authenticité,  celui  de  Jeanne  d'Albret,  à  Chantilly 
(1570),  celui  d'Anne  d'Esté,  duchesse  de  Ferrare,à  Versailles; 


LA   COMTliSSi:  U  C.NTitEMOM 

Versailles 


LES  ORIGINES  DE  LA    PEINTURE  FRANÇAISE 


rluKit  Viirnudom. 


FRANÇOIS   CLOUET.   —  marguerite  de  frasce,  fille  de  henri  it  (dessin) 

Musée  ConJé  (Chantilly) 


3o 


LES  ARTS 


celui  de  Claude  de  Beaunc,  duchesse  de  Roannais,  au  Louvre. 
François  Clouet  se  montre,  dans  tous  ces  ouvrages  en  pleine 
possession  de  ses  talents. 

Il  faut  avouer  qu'ils  ont,  du  côté  de  la  science,  une  supé- 
riorité qui  manque  à  ceux  de  son  père.  Le  dessin  du  deuxième 
Janet  est  un  des  plus  approfondis,  des  plus  exactement 
mesures  qui  soient.  Il  a,  dans  le  trace  du  visage  humain,  la 
capacité  d'un  spécialiste,  à  qui  le  long  exercice  d'un  art 
moins  étendu  que  profond  fait  entasser  les  remarques  et 
l'expérience.  La  mise  en  place  exacte  de  toutes  les  parties 
déliées,  fuyantes  et  mobiles  du  visage,  la  recherche  atten- 


Pholo  Sauvanaud. 


LE  PRÉSUMÉ   JEAN   CLOUET.  -  l'inconnu 
Château   d'Iiamptoncourl 


tive  des  relations  plus  subtiles,  d'où  le  gros  des  formes  tire 
sa  solidité  et  l'aptitude  à  façonner  l'ensemble  d'une  physio- 
nomie et  d'un  type,  vont  chez  lui  à  la  perfection.  Dépourvu 
comme  il  est  de  la  grâce  italienne,  ses  attaches  flamandes  ne 
lui  valent  non  plus  rien  du  ragoût  et  de  la  solidité  des 
Flandres  ;  mais  la  probité  de  son  dessin  confère  à  ses 
ouvrages  une  force  qui,  quoique  moins  propre  à  éblouir,  est 
aussi  capable  de  satisfaire  le  goût  plus  longtemps.  Même  des 
agréments  de  couleur  se  révèlent  chez  lui  à  l'examen.  Sa 
touche  des  traits  du  visage  est  légère,  le  fondu  de  ses  lèvres 
est  beau;    dans  les  meilleurs  de  ses  ouvrages,  le  bord  et  le 

dessous    des 
paupièresvont 
sans  séche- 
resse ;  dans  le 
crayon  deMar- 
guerite  enfant, 
les  mains  sont 
de  vraies  mer- 
veilles   d'exé- 
cution aimable 
et   fine;  enfin 
partout  les  ac- 
ce  s  soir  es,  le 
drap  du   vê- 
tement,   la 
p  1  u  m  e  sont 
imités  avec 
beaucoup  de 
charme,  les 
bijoux  touchés 
très  délibéré- 
ment et  avec 
art. Tous  traits 
qui,  sans  por- 
ter le  maître 
au     niveau 
d'une  compa- 
raison que  les 
ouvrages  con- 
temporains, 
ceux  de  Moro 
et  de  quelques 
autres  appel- 
lent, compo- 
sent   l'intéres- 
sant  spectacle 
d'un  art  maître 
desoi, profond 
plus    qu'il   n'a 
l'air,  où  la  mi- 
nutieuseaiten- 
tion    n'empê- 
che  pas    que 
beaucoup 
de    sûreté   ré- 
side. 

Entre  plu- 
sieurs traits 
qui  marquent 
le    cas    qu'on 

AU   PKTRAKQUE 


LES    ORIGINE'S   DE    LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


3i 


PAo/rt  Gitaudan, 


LE  PRÉSUMÉ  JEAN  CI.OUET.  —  jkan  sirk  dï  canaples  (dessin) 
Musée  Condé  (Chantilly) 


32 


LES  ARTS 


faisait  de  François  Clouet,  il  faut  noter  la  commission  qu'il 
eut  aux  funérailles  des  souverains,  de  prendre  le  moule  des 
visages  de  François  I"  et  de  Henri  II,  ainsi  que  l'avis  qui  lui 
fut  demandé  par  la  Cour  des  Monnaies  sur  un  coin  à 
l'efligie  de  Charles  IX.  Quelques  auteurs  là-dessus  ont 
supposé  à  tort  qu'il  fut  contrôleur  des  monnaies.  La  vérité 
est  que  ses  services  s'étendaient  à  toutes  les  occasions  où  se 
débattait  la  ressemblance  d'un  visage.  Pour  le  reste,  on  le 
voit  assumer  assez  de  travaux  différents,  la  peinture  d'un 
coffre,  des  bannières,  dont  le  soin  montre  en  lui  le  succes- 
seur de  nos  plus  vieux  peintres  français;  des  miniatures 
enfin,  dont  deux  échantillons  sont  conserves  au  musée  de 
Vienne.  Ce  sont  les  portraits  adossés  de  Catherine  de  Mé- 
dicis  en  veuve  et  de  Charles  IX,  incomparables  d'aisance  et 
de  délicatesse.  Les  autres  travaux  de  ce  genre  qu'on  a  cités 
de  lui,  ne  résistent  pas  à  l'examen. 

François  Clouet  ne  fut  jamais  marié.  Toute  sa  famille 
était  de  deux  filles  naturelles,  et  d'une  sœur  qui  fut  mère  de 
Benjamin  Foulon,  peintre  de  portraits  comme  son  oncle. 
Outre  la  protection  du  Roi,  il  jouit  sans  doute  de  celle  de 
plusieurs  grands  seigneurs  :  le  fait  est  attesté  pour  le  duc 
de  Roannais,  Claude  Gouffier  de  Boisy,  dont  il  a  peint  la 
femme. 

Les  dernières  années  de  Charles  IX  inarquent  la  fin  de  sa 
carrière.  Dans  le  dernier  portrait  de  ce  roi,  son  oeuvre  en 
reflète  la  tristesse  et  l'horreur.  On  n'en  possède  que  le 
crayon,  en  deux  exemplaires,  au  Cabinet  des  Estampes. 
C'est  une  des  belles  et  fortes  choses  qu'on  puisse  voir.  Le 
dessin  et  l'exécution  y  sont  d'une  largeur  admirable;  l'expres- 
sion d'angoisse  intérieure  et  de  langueur  physique  d'une 
vérité  parfaite.  En  1 5-1,  l'agréable  figure  de  la  nouvelle  reine 
Elisabeth  d'Autriche,  dont  le  portrait  est  au  Louvre,  met  sa 
sérénité  dans  ces  tempêtes.  Vers  le  même  temps,  le  portrait 
de  fantaisie  de  je  ne  sais  quelle  favorite  ou  grande  dame, 
Marie  Touchet  peut-être,  tour  à  tour  prise  à  lort  pouf  Diane 
de  Poitiers  ou  Gabrielle,  fournit  au  maître  l'occasion  d'es- 
sayer (cette  seule  fois  en  toute  sa  vie)  quelque  imiiaiion  du 
Primatice  et  des  peintres  de  Fontainebleau.  Sir  Francis  Cook 
possède  ce  tableau,  devenu  plus  tard  le  tvpe  d'innombrables 
copies  avec  variantes  de  toutes  sortes,  reconnaissables  pour- 
tant à  la  même  poitrine  nue  plongeant  dans  l'étroite  perspec- 
tive d'une  baignoire,  tandis  que  les  mains  jouent  avec  les 
fleurs  que  présente  un  petit  garçon. 

Dans  cette  dernière  époque  de  la  carrière  du  maiirc,  on 
voit  que  plusieurs  émules  nouveaux  partageaient  avec  lui  la 
faveur  qui  revenait  à  leur  commun  métier. 

C'est  d'abord  Marc  Duval  du  Mans,  surnommé  le  Sourd 
ou  Bertin,  auteur  de  la  célèbre  estampe  des  Trois  Coligny, 
sans  doute  aussi  du  crayon  original  pour  le  visage  de  l'ami- 
ral et  de  quelques  autres  pièces  de  même  style.  Il  était  pro- 
testant et  jouit  d'un  renom  distingué.  L'unique  mention  d'un 
Jean  Scipion  trouve  également  sa  place  ici. 

L'auteur  de  quarante-huit  crayons  d'un  recueil  autrefois 
à  M.  Lécurieux,  que  le  Cabinet  des  Estampes  conserve,  veut 
être  mentionné  aussi.  Le  Louvre  et  Saint-Pétersbourg  mon 
trent  un  assez  grand  nombre  d'ouvrages  de  la  même  main, 
dont  un  porte  la  date  inscrite  de  i58i.  L'anonyme  Lécu- 
rieux a  peint  une  Diane  bâtarde  de  France,  et  une  femme 
inconnue,  au  Louvre,  ainsi  que  deux  miniatures  dans  la  col- 
lection Wallace. 

Je  nomme  peintre  de  Luxembourg-Martigues,  l'auteur  de 


plusieurs  excellents  crayons  et  de  quelques  tableaux  que 
voici  :  Jean  Babou  delà  Bourdaisière  (i  5 5 3) au  Louvre;  Louis 
prince  de  Condé,  François  III  duc  de  la  Rochefoucauld, 
M.  de  Carnavalet,  à  Versailles;  Jacques  duc  de  Nemours, 
à  Chantilly.  Ce  maître,  dont  le  nom  sera  peut-être  connu 
un  jour,  mérite  de  grands  éloges  pour  son  dessin  solide  et 
le  ragoût  de  sa  couleur. 

Jean  Decourt,  révélé  comme  peintre  en  émail  depuis 
1  55  .",  tient  la  place  de  premier  disciple  de  Clouet.  Sa  fortune 
dès  ce  temps-là  semble  faite.  Il  avait  suivi  Marie  Siuart  en 
Ecosse,  et  fut  jusqu'en  iSjZ  (comme  des  pièces  encore  iné- 
dites l'attestent)  pensionné  de  cette  malheureuse  reine.  Si  les 
cravons  que  je  réunis  sous  son  nom  présumé  sont  de  lui,  il 
faudra  reconnaître  dans  le  célèbre  portrait  à  la  natte  de  cette 
princesse  (mal  attribué  jusqu'ici  à  Clouet),  un  premier  ed'et  de 
ses  soins  auprès  d'elle,  et  l'origine  peut  être  de  la  faveur 
qu'il  eut. 

Ce  goût  public  pour  les  portraits,  que  prouve  l'abondance 
des  peintres,  eut  alors  un  effet  nouveau,  dans  la  mode  qui 
vint  de  se  faire  peindre  en  émail.  Le  nombre  de  ces  pièces 
fragiles  parvenues  jusqu'à  nous,  en  dépit  du  dégât,  atteste 
leur  grande  quantité  d'autrefois.  Léonard  Limousin  se 
plia  à  ces  exigences  nouvelles,  et  copia  les  modèles  émanés 
de  Janet,  comme  il  avait  copié  Raphaël  et  Jules  Romain  sur 
les  estampes  d'Augustin  Vénitien  ou  de  Marc  de  Ravenne. 
Cette  fois,  les  interprètes  de  son  original  étaient  d'une 
étrange  faiblesse,  et  les  plaques  qu'il  en  a  tirées  attestent  les 
copies  de  dernier  rang  qui  leur  ont  servi  de  modèles. 

Mais  ce  qui  frappe  le  plus  dans  cette  époque,  c'est  la  pré- 
sence de  plusieurs  peintres  flamands,  établis  à  la  cour  de 
France  ou  chez  quelques  grands  seigneurs,  tantôt  pour  peu 
d'années  seulement,  tantôt  jusqu'à  la  fin  de  leurs  jours.  Outre 
quelques-uns  nommés  au  chapitre  précédent,  que  l'histoire  du 
portrait  réclame  autant  que  celle  de  la  décoration,  comme 
Jérôme  Franck  et  De  Heere,  il  faut  compter  Georges  Vander 
Straeten,  dit  de  Gand,  peintre  de  la  reine  de  France;  Georges 
Boba,  qui  fleurit  dans  Reims  aux  gages  du  cardinal  de  Lor- 
raine; Vander  Mast,  qui  servit  Catherine  de  Mcdicis  et  le 
président  de  la  Guesie.  Tous  ces  peintres  semblent  avoir  prati- 
qué un  genredifférent  des  Clouets  et  de  leurs  imitateurs.  Deux 
tableaux  de  Vander  Mast,  récemment  retrouvés  et  exposés  au 
musée  d'Amsterdam,  d'autres  conservés  à  Reims  sous  le  nom 
de  Maître  Georges,  qu'on  ne  peut  douter  être  Boba,  décèlent 
surtout  l'imitation  de  Venise,  et  leur  assignent  une  place 
dans  cette  partie  de  l'école  des  Pays-Bas  que  l'exemple  de 
Moro  avait  entraînés  de  ce  côté. 

Cette  comparaison  est  instructive.  Elle  montre  les  tradi- 
tions flamandes  que  la  France  entretenait  depuis  un  demi- 
siècle,  parvenues  au  même  point  de  différence  avec  ce  que  la 
Flandre  produisait,  que  celui  qui  séparait  de  l'Italie  nou- 
velle les  Italiens  de  Fontainebleau.  Le  même  écart  qu'on 
trouve  de  Nicolo  aux  Zuccres,  se  remarque  entre  ces  Fla- 
mands derniers  venus  et  les  productions  de  l'école  de  Fran- 
çois Clouet  et  de  Corneille  de  Lyon. 

Le  premier  mourut  en  15/2,  le  second  peu  après  074. 
C'est  le  moment  où  l'on  voit  disparaître  les  grands  maîtres  de 
Fontainebleau.  Ainsi  l'époque  de  la  première  Renaissance 
se  fermait  en  même  temps  de  toutes  pans,  laissant  vides  de 
maîtres  et  pleines  d'ceuvres  les  différentes  provinces  de  l'art. 


(A  suivre.) 


L.    DIMIER. 


Directeur  :  M.  MANZI. 


Imprimerie  Manzi.  Joyant  &  C'«,  AsDières. 


Le  Gérant  :  G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N°  46 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Octobre  1905 


PINTURICCmO.  —  I.K  PAPE  ALKWNDRK  VI  (Détail  de  la  Résurreclion) 
(Appartement  Borgia.  —  Salle  des  Aiystèresj 


SALLK  DSs  PONTIFES.  —  Tapissorles  flainandos  :  Histoire  de  CéphaU  et  Procris.  —  Plafonds  peints  par  Pierin  del  Vaga  et  Jean  d'Udine 


L'APPARTEMENT  BORGIA  AU  VATICAN 


\  Renaissance,  —  dont  la  première  aube  fut 
un  chef-d'œuvre  d'élégance  et  de  grâce, 
sous   le   protectorat   du    magnifique 

Alexandre  VI  et  avec  la   virtuose  ordon- 

-A  Y^a^^^à  nance  du  merveilleux  Pinturicchio,  — 
yi- -L„^^!!-5KSi  doit  à  ces  deux  incomparables  maîtres  de 
manières  la  plus  exquise  introduction  du 
siècle  des  Primitifs,  mourant  aimablement  au  seuil  du  siècle 
des  Modernes,  qui  devaient,  après  Raphaël  et  Michel-Ange, 
finir  de  si  désagréable  autre  manière.  Trois  chambres,  où  le 
magique  élève  de  l'Ombrien  Perugino  continua  les  pures 
grâces  de  son  maître,  furent  les  trois  écoles  que  ce  magister 
elegantiarum  ouvrit  à  ses  contemporains  heureux  d'ap- 
prendre, selon  la  mode  espagnole  des  Borgia  ou  la  manière 
italienne  des  La  Rovcre,  les  plus  désinvoltes  attitudes  en 
lesquelles  un  siècle  de  grands  et  beaux  seigneurs  se  soi* 
jamais  campé.  Ces  trois  chambres  de  parfaite  élégance  et, 
mieux,  ces  trois  reposoirs  sacrés  où  la  grâce  divine  sem- 
blait se  faire  femme  et  homme  tout  ensemble,  s'appellent, 
dans  l'histoire  encore  trop  mal  lue  du  Pinturicchio,  l'^/T^a;-- 
tamento  des  Borgia,  les  Camere  du  Château  Saint-Ange 
et  la  Libreria  de  Sienne. 


Une  récente  et  pontificale  restauration  des  Chambres  Bor- 
gia, —  les  premières  en  date  dans  l'œuvre  de  ce  maître,  — 
nous  permet  de  leur  consacrer  une  première  visite  et  d'uti- 
liser, à  leur  louange,  les  notes  que  nous  en  avons  rappor- 
tées. Au  surplus,  les  chefs-d'œuvre  que  le  Pinturicchio 
peignit  au  Château  Saint-Ange,  pour  servir  à  l'histoire  de 
Charles  VIII  et  à  sa  descente  en  Italie,  n'y  existent  plus. 
Quant  aux  peintures,  heureusement  intactes,  de  la  cathé- 
drale de  Sienne,  elles  nous  permettent  de  remettre  à  plus 
tard  notre  pèlerinage  à  l'œuvre  maîtresse  de  cet  initiateur 
de  la  plus  parfaite  Renaissance,  mais  aussi  au  tombeau  où 
sa  mémoire  sacrifiée  repose. 

Le  Pinturicchio,  arrivé  à  Rome  en  1481,  pour  y  com- 
mencer les  peintures  de  la  Chapelle  Sixtine,  sous  les  ordres 
du  Pérugin  et  avec  la  collaboration  de  Ghirlandajo,  de 
Signorelli,  de  Botiicelli  et  de  Cosimo  Roselli,  connut,  de 
Sixte  IV  à  Alexandre  VI,  une  suite  de  patrons  donataires. 
Les  moindres  d'entre  eux  ne  furent  pas  les  cardinaux 
Innocent  Cibo,  Basso-Rovere,  Giorgio  Costa  et  Dominique 
de  La  Rovère  qui  lui  firent  peindre  leurs  chapelles  de  famille 
à  Sainte-Marie-du-Peuple,  et  les  Bufalini  qui  lui  comman- 
dèrent  aussi   leur  chapelle  privée  à  l'Ara-Cœli.    Quelques 


L'APPARTEMENT  BORGIA   AU   VATICAN 


travaux  suppldmcniaircs  au  Dôme  d'Orvieto,  où  il  fréquenta 
SignorcUi,  et  aux  palais  Scossacavalli  et  des  Douze  Apôtres 
appartenant  aux  La  Rovère  et  Colonna,  à  Rome,  et  enfin 
à  celui  que  le  cardinal  Rodrigue  Borgia  venait  d'ériger  à 
Montegiordano  ;  et  le  Piniuricchio  ne  connut  plus,  à  la 
Capitale,  d'autre  maître  que  le  neveu  de  Calixte  III,  devenu 
pape  à  son  tour,  en  1492,  sous  le  nom  d'Alexandre  VI. 
Et,  à  la  fin  de  cette  même  année  1492,  le  peintre  des  Borgia 
fut  invité  à  installer  ses  échafaudages  dans  l'appartement 
du  Vatican  que  le  nouveau  pape  s'était  choisi,  au-dessous 
de  celui  que  Nicolas  V  avait  occupé  et  que  Piero  dclla 
Francesca  et  le  Pérugin  avaient  illustré  d'admirables  pein- 
tures, sacrifiées  malheureusement  plus  tard  au  vandalisme 
génial  d'un  Raphaël  qui  n'hésiia  pas  à  en  effacer  les  chefs- 
d'œuvre  pour  y  superposer  les  siens  dans  ces  chambres 
appelées,  depuis,  les  stan:{c  de  Jules  II. 

Plus    heureux   que    ses   devanciers,  dans    ce   Vatican  si 


UNK  i-ORTB 

(ÂpforUmtnt  Borgia.  —  Sali*  des  Myslires) 


vaste  et  cependant  trop  étroit  pour  contenir  toutes  les  mer- 
veilles d'art  que  l'avenir  y  déposerait,  le  Piniuricchio,  qui, 
de  la  fin  de  1492  à  la  fin  de  1494,  allait,  à  lui  seul,  peindre 
et  ornementer,  des  paves  aux  voûtes,  les  sept  chambres  de 
cet  immense  Appartement  Borgia,  serait  aussi  le  seul  qui 
en  conserverait  le  mérite  à  travers  les  âges.  Malgré  la  malice 
du  sort  ou  plutôt  grâce  à  elle,  rostracisme  de  THisioire 
a  confiné  cette  œuvre  loin  des  yeux,  dans  ces  salles  inter- 
dites ,  jusqu'à  ce  que  la  clairvoyante  libéralité  de  Léon  XIII 
réparât  enfin,  avec  les  peintures  de  ce  maître  et  la  mémoire 
de  ce  pape,  deux  injustices  flagramment  commises  autant 
par  les  amis  que  par  les  ennemis  de  l'Eglise.  Une  simple 
visite  dans  cet  Appartement  mémorable  va  nous  fournir 
l'occasion  de  répartir,  entre  le  Piniuricchio  et  Alexandre 
Borgia,  la  part  de  gloire  qui  revient  à  chacun  d'eux;  sans 
oublier,  dans  ces  sept  salles  restaurées  par  Léon  XIII,  le 
tribut  de  reconnaissance  que   l'histoire   doit   à  ce  dernier 

pape,  bien  digne  de  figurer  dans 
les  Annalesdes  Pontifes  romains, 
protecteurs  traditionnels  des 
beaux-arts. 


La  première  salle  de  l'Appar- 
tement Borgia  est  appelée  la  Salle 
des  Ponti/<is.  Elle  ne  conserve 
rien  du  Piniuricchio,  qui,  appa- 
remment, n'y  laissa  rien.  Vasari 
(Edit.  Milanese,  VI,  559-56o)dit 
que  Giotto  y  avait  représenté  di- 
vers papes  martyrisés  pour  la  foi 
du  Christ,  et  que,  pour  cette  rai- 
son, cette  salle  avait  longtemps 
porté  le  litre  de  Salle  des  Mar- 
tyrs. Les  peintures  qui  y  figurent, 
en   grotesques   du   style   et  de 
l'œuvre  même  de  Pierin  del  Vaga 
et  de  Jean  d'Udine,  furent  com- 
mandées par  Léon  X  à  ces  deux 
peintres  rivaux  de  Giovanni 
Mono,  qui  passe  pour  le  rénova- 
teur de  ce  genre  de  peintures  an- 
ciennes retrouvées  alors  dans  les 
excavations  de  la  vieille  Rome 
des  Césars,   autrement  dites 
grottes, dom\e  nom  fut  appliqué 
à  ces  nouvelles  peintures.  Ce 
qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'au 
temps  d'Alexandre  VI,  cette  Salle 
des  Pontifes,   remarquable  sur- 
tout par  son  immensité  corres- 
pondante à  celle  de  l'étage  supé- 
rieur  où    Raphaël    a    peint   les 
grandes  victoires  de  Constantin, 
était    recouverte,    non   par  une 
voûte,  mais  par  un  plafond  sur 


LES   ARTS 


poutres  ou  caissons.  La  preuve  en  est  fournie  par  le  Journal 
de  Burchai-dt  qui  raconte,  au  29  juin  i5oo,  l'accident  de  ce 
même  plafond, 'crfevé  par  la  chute  d'une  cheminée  supé- 
rieurcj  pendant  un  violent  orage  de  ce  jour,  et  ensevelissant 
sous  ses  de'combres  le  pape  Alexandre,  qui  donnait  audience 
en  cette  salle  et  qui  en'  fut  relevé  sain  et  sauf.  Les  plus 
remarquables  ornements  de  cette  première  salle,  qui  sert 
aujourd'hui  d'antichambre  aux  huissiers  du  Secrétariard'Etat 
installé  à  l'Appartement  Borgia,  consistent  dans  le  carre- 
lage imité  heureusement,  par  MM.  Tesorone  et  Cantagalli, 
des  anciennes  poteries  de  Faenza.  Des  tapisseries    de  vieux 


flandres,  empruntées  à  l'ancien  trésor  du  Vatican,  et  des 
cuirasses  prises  à  VArmeria  des  papes  en  sont  le  plus  bel 
ornement.  Dans  le  nombre  de  ces  armures,  il  faut  noter 
celle  dont  se  couvrit  le  guerroyant  Jules  II,  pendant  le  siège 
de  Bologne,  et  celle  que  le  connétable  de  Bourbon  portail 
au  siège  de  Rome  et  que  Benvenuto  Cellini  aurait  percée, 
dit-il,  d'une  ballede  son  meurtrier  falconet.  Le  trou  y  figure, 
mais  n'est-il  pas  aussi  bien  l'œuvre  d'un  autre  que  du  génial 
orfèvre,  travesti  en  bombardier,  comme  il  s'en  vante  dans 
ses  trop  humoristiques  Afenjo/rej? 

C'est  à  la  seconde  salle  dite  des  Mystères  que  commence 


PINTURICCHIO.    —    U.N     PL\FOXD    ifresquu) 
t Appartement  Baréta,  —  Salle  des  Mystères) 


l'œuvre  maîtresse  du  Piniuricchio.  Moins  disproportionnée 
que  la  précédente,  elle  ne  paraît  que  plus  précieuse  dans  l'har- 
monie totale  de  son  art  éblouissant;  et  cependant  recueilli. 
Sans  nous  attarder  à  l'ensemble  de  la  décoration  dont  le 
Pinturicchio  fut  l'heureux  et  égal  distributeur  dans  toutes 
ces  salles  si  admirablement  uniformes,  nous  signalerons,  de 
préférence,  maints  détails  peu  connus  des  peintures  où  ce 
maître  portraitiste  s'est  plu  à  représenter  les  plus  originales 
personnalités  de  son  temps. 


Sur  la  muraille  faisant  face  à  l'unique  fenêtre  qui  s'ouvre 
dans  cette  chambre,  figure  VAtinonciation  de  la  Vierge  où 
nous  ne  nous  attarderons  pas  à  magnifier  l'œuvre  si  riche  en 
attitudes  élégantes  et  en  éblouissant  coloris  d'un  maître 
unique  en  son  art  d'incomparable  magicien.  Remarquons 
seulement  que  l'ange  d'idéale  beauté,  qui  y  salue,  avec  un  lis 
fleurissant  dans  ses  mains,  la  Vierge  plus  idéale  en  quelque 
sorte  que  son  divin  messager,  fut  répété,  en  la  même  attitude 
de  grâce,  dans  la  chapelle  des  Baglioni,  à  Santa  Maria  Mag-r 


L'APPARTEMENT  BORGIA   AU   VATICAN 


PINTURICCHIO.   —  LA   VISITATION  (fresque) 
(Appartement  Borgia.  —  Salle  des  Saints) 


LES  ARTS 


giore  de  Spello.  Le  Pinturicchio,  —  qui  lui  en  voudra?  — 
aimait  à  se  recopier.  Était-ce  pour  mieux  faire,  sans  y  jamais 
mieux  réussir?  La  Nativité,  qu'il  a  peinte  dans  cette  salle,  se 
trouve  refaite,  à  peu  près  de  même  à  Santa  Maria  del 
Popolo.  —  Dans  VAdoratioti  des  Mages,  et  dans  un  des  trois 
rois  qui  se  prosternent  à  genoux,  J'ai  cru  reconnaître  le 
portrait  de  Louis  XI,  roi  de  France,  à  son  masque  particulier 
et  à  l'hermine  de  son  chapeau  aussi  original  que  le  visage 
qu'il  recouvre.  —  Nul  doute  que,  dans  la  Résurrection,  le 
maître  n'ait   fait,  d'Alexandre  VI  à  genoux,  en  chape  et  les 


mains  jointes,  le  plus  ressemblant  portrait  que  nous  possé- 
dions de  ce  beau  pape,  —  après  celui  qui  figurait  jadis  dans 
un  tableau  de  la  chapelle  dite  de  Santa  Lucia,  à  Sainte-Marie- 
du-Peuple,  où  la  fameuse  Vanozza  Caetani  avait  trouvé  son 
tombeau.  Le  coup  de  dague  dont  l'a  honoré,  au  front,  un 
des  reîtres  du  connétable  de  Bourbon  qui  campèrent  ici, 
est  peut-être  de  trop  pour  signaler  ce  portrait  à  notre  atten- 
tion. Il  faut  aussi  s'arrêter  devant  les  deux  soldats,  gardiens 
du  tombeau  du  Christ,  et  qui  sont  certainement  deux  por- 
traits.   Dans  le  même   style,    la   Pinacothèque    du  Vatican 


SALLE  DES  MYSTICRES.   —    FRESQUES  DU  PINTURICCHIO 

(Appartement  Borgia) 


possède  une  autre  Résurrection  où,  dans  des  attitudes  sem- 
blables, Raphaël  fit  le  portrait  du  Pérugin,  et  le  Pérugin, 
celui  de  Raphaël.  On  ajoute  même  que  les  deux  autres  sol- 
dats, qui  figurent  dans  ce  tableau,  représentent,  l'un  le  père 
de  Raphaël,  l'autre  le  Pinturicchio  lui-même.  —  Enfin,  dans 
ÏAssomption  de  la  Vierge  qui,  avec  VAscension,  complète 
les  fresques  de  cette  Salle  des  Mystères,  il  faut  particuliè- 
rement noter  le  prélat  agenouillé,  les  mains  jointes,  dont 
la  beauté  du  visage  et  sa  ressemblance  avec  Alexandre  VI 
laisse  croire  que  nous  sommes  —  et  l'érudit  Schmarzow  est 
loin  de  contredire  notre  supposition  —  devant  un  des  por- 
traits les  plus  expressifs  de  François  Borgia. 

En  pénétrant  dans  la  Salle  des  Saints,  —  qui  fut  le  cabi- 
net d'Alexandre  VI  et  où  le  Pinturicchio  semble  avoir  voulu 


faire  resplendir  sa  plus  merveilleuse  palette,  — nous  allons 
droit  au  chef-d'œuvre  de  toutes  ces  peintures.  C'est  la  Dis- 
pute de  sainte  Catherine  et  de  l'empereur  Maximien.  Cette 
idéale  vierge,  aux  longs  cheveux  blonds  qui  flottent  sur  son 
élégante  tunique  de  bysse,  n'est  autre  que  le  portrait  réel  de 
l'exquise  Lucrèce  Borgia.  Et  ce  charmant  jeune  empereur, 
blond  comme  sa  sœur  naturelle,  et  assis  sur  un  trône  aux 
significatives  têtes  du  bœuf  des  Borgia,  n'est  autre  aussi  que 
ce  perfide  autant  que  fascinateur  César.  Sans  doute,  la  sœur 
n'avait  que  14  ans  et  le  frère  17,  quand  le  Pinturicchio  en- 
treprit, en  1492,  les  peintures  de  cet  appartement.  Mais  est- 
ce  à  dire  qu'il  commença  par  cette  fresque;  et  ne  put-il  pas, 
au  contraire,  la  réserver  pour  la  fin,  comme  le  morceau  pré- 
féré auquel  le  maître  se  réserva  de  revenir  jusqu'à  la  fin, 


DELLA  ROBBIA.   —  Lli  SIKMMA    DIXNOCBMT    VIII    |CIBO) 

(Appartement  Borgia.  —  Salle  des  Arts  Uhirauxi 


SALI.»   DES  ARTS    LIUKRACX.    —  FRKSQIItS  nU  PlmOlUCCnlO 

(Aff^mtmtmt  aoTfimf 


PINTURICCHIO. 


-     DETAIL   DK    LA    FRESQUK     :    LA    DISPUTE    DE    SAINTE     CATHERINE 

(Appartement  Bor^ia.  —  Salle  des  Sair.ls) 


PINTUniCCHIO.    —  LA   RIIKTORIQUB  ifrcsqiic) 
(Appartement    Borgia.    —   SaLte   des  Arts   Libéraux) 


c'est-à-dire  deux  ans  plus  tard.  Quelle  contradiction  y  trou- 
vent, avec  Stevenson  et  Ehrle,  les  partisans  d'un  Apparte- 
ment Borgia  sans  les  portraits  de  cette  même  Lucrèce  de 
i6  ans,  et  de  ce  même  César  de  19,  que  leur  père  ou  leur 
oncle,  —  que  nous  importe  la  version  de  Gregovorius  ou 
celle  de  Lconetti?—  appelait  sa  Jilia  naluralis  et  son  filiiis 
naturalis  dans  les  nombreuses  bulles  de  donation  qu'Alexan- 
dre VI  fit  notaricr  si  minutieusement,  en  leur  faveur? 

Cette  importante  fresque  est,  d'ailleurs,  pleine  de  por- 
traits contemporains;  et  qui  voudra  bien  y  chercher,  v 
trouvera  toutes  les  personnalités  artistiques,  littéraires  et 
politiques  du  règne  d'Alexandre  VI.  Dans  le  groupe  gauche, 
qui  se  cantonne  derrière  le  trône  de  l'empereur,  il  est  facile 
de  reconnaître,  à  leurs  toques  de  mode  florentine  et  om- 
brienne ou  à  leurs  simples  tuniques  d'artistes,  et  le  Pérugin, 
et  le  Pinturiccho,  et  Raphaël,  et  Ruonfigli,  et  Fiorenzo,  et 
Torregiano,  et  Volaterrano,  et  le  Sodoma.  Deux  person- 
nages occupent  deux  places  d'honneur  auprès  du  trône;  ce 
sont,  le  premier,  André  Paléologue,  despote  de  Morée,  neveu 
et  héritier  de  l'infortuné  Constantin  qui  fut  le  dernier  empe- 
reur de  Constantinople;  l'autre,  le  prince  Djem,  frère  de  Ba- 


jazet  II,  que  le  pape  Innocent  VIII  avait  hospitalisé  au  \ati- 
can  en  1489  et  qui,  depuis,  s'y  faisait  remarquer  par  sa 
mélancolie  toujours  silencieuse  et  surtout  par  son  turban  de  lin 
lin  auquel  il  employait,  dit  la  chronique,  un  nombre  d'aunes 
invraisemblable.  Enfin,  —  s'il  est  permis  de  passer  par-dessus 
d'autres  groupes  oij  il  ne  serait  pas  impossible  de  préciser  le 
signalement  de  Machiavel,  de  l'Infessura,  de  l^ierrc  Bembo 
et  de  bien  d'autres  politiciens  et  littérateurs  en  renom  à 
cette  époque,  —  nous  devons  observer,  sur  un  coin  de  la 
fresque,  ce  beau  cavalier  au  destrier  blanc  et  au  blanc  turban 
qui  le  précise,  non  moins  que  son  visage  à  profil  borgia- 
nesque,  si  nous  nous  rappelons  ce  qu'en  écrivit  mainte  fois 
Burchardt  dans  son  Journal  et,  entre  autres  jours,  le  5  mai 
1495  :  «  Proeesserunt  Djem  sultan,  apiid  SS.  D.  N.  deten- 
tits,  et  Johannes  Borgia  in  liabilu  Tiircartim,  a  sinistris.  » 
Ce  compagnon  de  Djem  en  chevauchées,  qui  s'habillait  en 
Turc,  comme  son  ami,  n'est  autre  que  Jean  Borgia,  duc 
de  Gandie,  frère  premier-né  de  César  et  de  Lucrèce.  Le 
Pinturicchio  en  a  fait  le  portrait  dans  cette  fresque,  comme 
il  y  avait  aussi  représenté  ceux  du  frère  et  de  la  sœur. 

N'avons-nous  pas  dit  que  cette  salle  était  celle  où  Alexan- 


L'APPARTEMI-.NT  UORGIA   AU   VATICAN 


1 1 


ANDREA   BREGNO,  élève  de  Ninoda  Fiksole  (?).  —  cheminée   de   marbre 
(Appartement  Borgia.  —  5j//<;  des  Arts  Libéraux) 


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■T3 


a. 


C/3 

Cl 


PINTURICCHIO.   —  LK  MARTYRE  DE  SAINT  SÉBASTIEN.  (Détail  dc  U  frcsque.) 
(Appartement  Borgij.  —  Salle  des  Saints) 


dre  VI  séjournait,  de  préférence,  et  ne  convenait-il  pas  d'y 
réunir  tous  les  portraits  les  plus  chers  de  la  famille  du  pape? 
Et  c'est  pour  rester  fidèle  à  ce  cénacle  intime  que  le  Pintu- 
ricchio  peignit  aussi,  sur  un  dessus  de  porte,  une  Vierge  au 
Bambino,  sous  les  traits  de  la  belle  Julie  Farncse,  à  la  garde 
de  qui  avait  été  confiée  Lucrèce  Borgia,  par  la  Vanozza 
Caetani,  sa  mère.  Vasari,  qui  prétend  tout  savoir,  veut  que 
ce  portrait  ait  été  peint  dans  cette  chambre  particulière  et  à 
de  particulières  intentions  du  pape  Borgia  qui  pouvait  bien 


témoigner  sa  reconnaissance  à  Julie  Farnèse,  pour  les  soins 
affectueux  donc  elle  comblait  la  jeune  Madame  Lucrezia,  sa 
parente.  «  L'artiste,  dit  l'auteur  de  la  Vita  dei  Pittori,  pei- 
gnit Jiilia  Farnese  nel  volto  di  una  Nostra  Donna  e,  nel 
medesimo  quadro,  la  testa  d'esso  papa  clie  fadora.  »  La 
malechance,  qui  desservit  souvent  cette  mauvaise  langue  de 
Vasari,  veut  que  cette  Nostra  Donna  soit  encore  dans  sa 
lunetta,  sur  la  porte  d'une  salle  toute  différente  de  celle  où, 
dans  une  autre  fresque,  le  Pinturicchio  peignit  la  tête  du 


PINTURICCHIO.  —  LA  MUSIQUE  (fresque) 
(Apparlemenl  Borgia.  —  Salle  des  Arts  Libéraux) 


pape  qui  «  adore  »,  non  la  Madone  de  la  Salle  des  Saints, 
mais  la  Résurrection  de  la  Salle  des  Mystères.  Ceci  à  part, 
le  reste  est  vrai  peut-être. 

Mais  passons  outre,  car  beaucoup  d'autres  beautés  nous 
attendent  dans  cet  appartement  splcndide  où  l'histoire  d'un 
siècle,  —  et  des  plus  féconds,  —  se  trouve  résumée  en  fres- 
ques merveilleuses. 

La  quatrième  salle  des  Chambres  Borgia  qui  vont  en 
enfilade  droite,  jusqu'à  celles  de  la  tour  dont  elles  se  com- 
plètent, s'appelle  la  Salle  des  Arts  Libéraux.  Peinte  dans 
le  même  ordre  et  avec  la  même  richesse  que  les  précédentes, 


cette  salle,  don't  les  belles  fresques  représentent  en  six  sujets 
les  sciences  du  Trivium  (grammaire,  rhétorique  et  dialec- 
tique) et  du  Quatrivium  (musique,  astronomie,  géométrie  et 
arithmétique)  servait  de  cabinet  d'étude  à  Alexandre  VI  qui 
y  mourut  si  rapidement  empoisonné,  dit-on,  par  de  mauvais 
aliments,  pris  la  veille.  N'oublions  pas  que  ce  pape,  si  fas- 
tueux et  si  prodigue  d'or  pour  les  beaux-arts  qui  lui  ont  dû 
leur  première  renaissance,  se  traitait  personnellement  avec 
une  parcimonie  à  laquelle  Burchardt  est  obligé  de  rendre 
hommage,  malgré  la  légende  borgianesque  qui  s'est  accré- 
ditée sans  preuves. 


L'APPARTEMENT  BORGIA   AU   VATICAN 


i5 


Chaque  éventail  de  ces  harmonieuses  fresques  représente 
les  sciences,  même  les  plus  abstraites  et  arides,  en  un  sym- 
bolisme de  grâces  incomparables;  et  l'ensemble  n'en  est  pas 
moins  une  galerie  complète  des  savants  et  des  artistes  de  ce 
temps.  Dans  la  Dialectique  et  la  Rhétorique,  à  coté  d'Aris- 
totc  et  de  Cicéron  qui  précisent  ces  sciences  littéraires,  il 
faut  voir  se  grouper  des  portraits  pleins  de  précision  et 
d'exactitude.  Voici  Luigi  Podocatario,  secrétaire  d'Alexan- 
dre VI,  qui,  né  à  Chypre,  mourut  cardinal  à  Rome  où  le 
beau  monument  de  Santa-Maria-del-Popolo  conserve  sa 
mémoire.  Voici  le  docte  grec  Ressarion  et  l'élégant  latin 
Pomponio  Leto,  fondateur  de  l'Académie  Romaine.  Autour 


d'eux  se  groupent  les  célèbres  professeurs  de  l'Université 
pontificale  :  Timolao  Barbare,  l'annotateur  de  Pline,  Adrien 
Castelli  de  Corneto,  Théodore  Gaza,  Barthélémy  de  Montc- 
pulicano,  Georges  de  Trébizonde,  Laurent  Valla,  combien 
d'autres?  Et  les  chroniqueurs  du  temps  n'y  étaient-ils  pas 
représentés  par  ce  Goritz  de  Luxembourg  dont  les  journaux 
manuscrits  furent  malheureusement  brûlés,  pendant  le  fa- 
meux sac  de  Rome,  en  1 527  ?  Et  les  poètes  n'y  figuraicnt-ils 
pas  aussi,  en  la  personne  d'Aurélien  Brandolini  et  de  ce 
Séraphin  de  l'Aquila,  mort  à  trente-quatre  ans  en  i5oo,  que 
ses  contemporains  ne  craignirent  pas  d'élever  même  au- 
dessus  de  l'immortel  chantre  de  Laure  ? 


S\l.l.l<    DO    r.RliDO.  -•  RBSr\UR\TIOX  D  APRaS    LB   COtlM'    SlITt 

(Appartement  Borgia) 


La  fresque  de  la  Géométrie  nous  conserve  indiscutable- 
ment un  portrait  de  Bramante  au  front  chauve,  tel  que 
Raphaël  l'interpréta  aussi  dans  les  salles  supérieures  du 
Vatican  où  nous  pouvons  confronter  ces  deux  œuvres.  Il  est 
impossible  aussi  de  douter  que  le  Pinturicchio  n'ait  refait  là 
le  portrait  de  son  maître  et  ami  Pérugin,  bien  reconnaissable 
à  son  bonnet  rouge  coiffant  une  figure  de  contemplatif  bien 
mangeant  et,  ajoutent  quelques-uns,  peut-être  un  peu  scep- 
tique. Un  nouveau  venu,  du  nom  de  Michel-Ange,  dont  le 
cardinal  de  La  Groslaye  occupait  alors  la  jeunesse  à  une 
Pieta  terminée  seulement  en  1499,  ne  se  peut-il  découvrir 


en  quelque  coin  de  ce  Panthéon  des  grands  hommes  du 
xvi«  siècle  que  nous  représente  cet  Appartement  Borgia  et 
cette  œuvre  du  Pinturicchio,  si  précieuse  pour  l'histoire? 

A  coup  sûr,  on  n'hésitera  pas  à  reconnaître  Léonard  de 
Vinci,  dans  ce  noble  visage  à  barbe  vénérable,  malgré  les 
quarante  ans  à  peine  que  marquent  les  traits  encore  jeunes 
de  ce  portrait  figurant,  un  livre  ouvert  en  mains,  à  côté  de 
Y  Astrologie.  Et  c'est  bien  la  place  énigmatique  de  ce  maître, 
moitié  artiste  et  moitié  savant,  qui  connaissait  l'art  des  cou- 
leurs comme  un  Apelle  et  celui  des  chiffres  comme  un  Eu- 
clide,  et  qui,  pareil  à  un  nécromancier,  écrivait  ses  secrets 


i6 


LES    ARTS 


mathématiques  à  rebours  des  lignes,  comme  l'attestent  le 
Codex  Atlantico  de  lahibUothèque  de  Milan  et  ce  même  livre 
que  le  Pinturicchio  lui  fait  tenir  aux  Chambres  Borgia  et  où 
j'ai  lu  son  propre  nom  de  Lionardo,  le  seul  lisible  de  cette 
double  page.  —  Il  faut  aussi  reconnaître,  dans  cette  fresque, 
le  portrait  de  Copernic  représenté  sous  les  traits  du  person- 
nage qui  tient,  en  main,  un  globe  stellaire.  Sans  doute,  la 
présence  de  Copernic  à  Rome  et  à  l'Université  ou  Alexan- 
dre VI  alla  l'entendre,  n'est  signalée  que  vers  l'année  i  5oo. 
Mais  si  les  Chambres  Borgia  furent  terminées  et  remises  à 
la  fin  de  1494,  quelle  difficulté  s'oppose  à  croire  que,  même 
après  cette  date,  le  pape,  par  considération  pour  un  tel 
savant,  ouvrit  encore  cette  galerie  de  grands  hommes  et  invi- 


tât le  Pinturicchio  à  y  fixer  les  nobles  traits  de  Copernic?] 
On  ne  se  résout  pas  à  quitter  cette  Salle  des  Arts  Libé- 
raux, où  la.  Musique  et  les  autres  sciences  sont  figurées  par 
des  femmes  de  supérieure  beauté.  Devant  ces  fresques,  on  se 
demande  si  le  peintre  n'y  prit  pas,  pour  ses  admirables  mo- 
dèles, ces  grandes  dames  dont  la  galanterie  fut  si  conquérante 
que  la  légende  même,  après  l'histoire,  prétendit  les  servir  au 
prix  de  mille  calomnies.  C'était  la  Vanozza  Caetani,  cette 
fameuse  mère  de  Lucrèce,  de  César,  de  Jean  et  de  Joffrè, 
qui,  après  les  hommes,  voulut  aussi  servir  Dieu  en  la  per- 
sonne des  pauvres  dont  elle  dota  les  hôpitaux  romains,  et  se 
fit  inhumer  dans  la  chapelle  latérale  droite  du  chœur  de 
Santa-Maria-del-Popolo    où    le    frère   sacriste    se    défend, 


VOUTE   DE    LA   SALLE   DES   PROPHETES  ET    DES  SIBYLLES 
(Appartement  Borgia) 


aujourd'hui,  d'en  avoir  conservé  les  beaux  restes.  C'était 
Julie  Farnèse,  fille  de  Pierluigi  et  sœur  d'Alexandre  Farnèse 
qui  lui  dut,  ajoute-t-on,  de  s'appeler  Paul  III;  et  si  le  Pin- 
turicchio, séduit  par  une  si  souveraine  beauté,  la  peignit 
deux  fois  dans  les  Chambres  Borgia,  ce  n'était  pas  à  Vasari 
qu'il  appartenait  d'en  formuler  le  moindre  reproche,  lui  qui 
la  peignit  aussi  de  mémoire  dans  la  Salle  des  Cent  Jours  du 
Palais  de  la  Chancellerie,  —  certes,  moins  bien  que  ne  l'avait 
sculptée  Jean  délia  Porta  sur  le  tombeau  même  de  Paul  III, 
dans  la  basilique  de  Saint-Pierre.  C'était  Adrienne  Orsini, 
fille  de  Pietro  Borgia,  un  des  neveux  de  Calixte  III  au 
même  titre  que  son  cousin  le  cardinal  Rodrigue;  elle  fut 
mariée  avec  Ludovic  Orsini,  seigneur  de  Bassanello,  qui 
préféra  son  château  à  sa  femme,  alors  que  celle-ci  aimait 


mieux  fréquenter  la  cour  fastueuse  des  Borgia,  ses  parents, 
que  les  terres  paysannes  de  l'irréductible  campagnard,  son 
mari. 

Par  les  deux  dernières  salles  du  Credo  et  des  Prophètes 
et  Sibylles,  —  en  raison  des  phylactères  sacrés  que  ces 
saints  bibliques  et  ces  filles  profanes  tiennent  en  mains,  dans 
un  goût  n'accusant  que  les  élèves  du  Pinturicchio  qui  n'y 
peignit  probablement  rien,  ■ —  nous  arrivons  au  terme  de 
l'œuvre  du  maître,  en  ces  chambres  qui  furent  le  premier 
coup  de  clairon  de  sa  gloire.  Et  pourquoi  ne  pas  dire  le  der- 
nier? Ne  savons-nous  pas  que  cette  première  œuvre,  qui  finis- 
sait au  seuil  même  de  la  tour  Borgia  érigée  par  Alexandre  VI 
pour  lui  servir  de  refuge  en  cas  de  siège  du  Vatican,  y 
trouverait  aussi   sa  prison   séculaire;   au   même   titre    que 


L'APPARTEMENT  nORGIA   AU    VATICAN 


'7 


César  qui,  ayant  lait  clirc 
là  son  père  ou  son  oncle 
pontife  romain,  y  devait 
trouver  sa  détention,  sous 
le  pontificat  de  Jules  II, 
ennemi  juré  du  marrano? 
Pour  terminer  notre  vi- 
siteàl'Appartement  Borj^ia, 
nous  devrions  pénétrer 
dans  les  deux  salles  atte- 
nantes qui  servent,  aujour- 
d'hui, de  chambrées  aux 
Gardes-Nobles  et  qui  com- 
plétaient, jadis,  l'apparte- 
ment des  cardinaux-neveux. 
Mais  encore  que  moins 
décorées  que  les  précé- 
dentes, ces  pièces  atten- 
dent un  autre  restaurateur. 
Et  nous  arrêterons  là  notre 
course. 


Nous  avons  dit,  au  dé- 
but  de   cette    étude    som- 
maire,   que   la   deuxième 
œuvre   du   Pinturicchio 
fut,  au    Château   Saint- 
Ange,    l'historique    de    la 
Descente  de  Charles  VIII 
en  Italie,  dont  il  ne  reste 
aujourd'hui    rien.    L'his- 
toire de  France  y  a  perdu, 
autant   que   l'histoire   des 
beaux-arts    qui    n'a    con- 
servé,  de   ces   fresques   un 
temps   célèbres,   que    les 
inscriptions    tracées    sous 
ces  granaioses  peintures  et 
déposées  par    un   savant 
d'un  autre  siècle  aux  ar- 
chives   de    la    Principauté 
de  Monaco. 

La  troisième  œuvre  où 
le  Pinturicchio  a  donné 
toute  la  mesure  de  son  gé- 
nie incomparable,  pour 
l'élégance  des  manières  et 
la  virtuosité  de  l'ornemen- 
tation, est  heureusement 
intacte  à  la  Libreria  de 
Sienne.  Mais  là  encore  le 
mauvais  sort  n'a-t-il  pas 
poursuivi  sa  victime,  en 
laissant  croire  que  Raphaël 
avait  fourni    au    Pinturic- 


U^lUCLOCJUti:  PEINT   EN  camaïeu    DANS  L  IUBRAECRB  D  DHI   FE.NKTHE 

(Appartement  Borgia,  .—  Salle  des  SihylUs) 


SUJET   MVTIIOIOOIUI'R   PEINT  EN   CAUAIEI'    DANS  L'OIDHASI'III  D't'l»   FtN£TII< 

lÀpparttment  Borgia.  —  Satie  âts  SitgtUtI 


chio  ses  cartons,  pour  une 
œuvre  si  digne  du  seul 
maitre  qui  avait  peint  les 
Chambres  Borgia  et  le 
Chàieau  Saint-Ange,  avant 
même  que  le  iîls  du  Sanzio 
ne  fût  né  au  monde  des 
arts  ?  On  n'est  trahi  que 
par  les  siens.  Et  l'on  sait  si 
le  Pinturicchio  aima  ce 
Raphaël  dont  il  se  plaisait 
à  pressentir  la  gloire  et 
qu'il  célébra  le  premier,  en 
le  portraiturant  si  gracieu- 
sement dans  presque  toutes 
ses  compositions  de  grand 
style. 

Heureusement  pour  la 
maliieureuse   mémoire  de 
ce   maitre   ignoré,   la  clef 
d'or  des  Chambres  Borgia 
n'était  pas   à   tout   jamais 
perdue.  Au  Vatican,  où  les 
successeurs  d'Alexandre  VI 
se  défendaient,  avec  la  nuit 
intense  de  ces  salles  inex- 
plorées, contre    une    mé- 
moire maudite  plutôt   par 
l'ignorance   de    la    légende 
que  par  la  vérité  même  de 
l'histoire,  un  pape  plus 
hardi    surgirait    bien,    tôt 
ou  tard.    Et   Léon  XIII   a 
ouvert,  du  même  coup,  les 
Archives  sécrètes  du  Vati- 
can  où  l'histoire  vraie  des 
Borgia  parle  enfin,  et  l'Ap- 
partement  d'Alexandre   VI 
où   le  Pinturicchio,  se  ré- 
veillant  aussi   dans    une 
splendeur  sans  rivale,  dit 
que,  si  la  Renaissance  des 
Jules  II  et  des   Léon  X  a 
engendré  un  Raphaël,  c'est 
parce  que   le  peintre  mer- 
veilleux   des    Borgia    fut, 
dans    l'or    des    somptueux 
costumes  et  dans    l'outre- 
mer des  voûtes  lumineuses, 
le  magnifique  introducteur 
de  la  grâce  se  faisant  femme 
et  homme   tout  ensemble, 
au   seuil  divin   de  ce  xvi* 
siècle  qui  n'avait  plus  qu'à 
paraître. 

BOYER  DAGEN. 


DUBREUIL,  —  l'amour  et  psvgué.  —  Dessin.  —  Musée  di*  Louvre 


Les  Origines  de  la  Peinture  française 


Vl«    ET    DERNIERE    PARTIE. 


DE    LA    MORT    DE    NICOLO  AU    RETOUR    DE    VOUET"! 


AMBROISE  DUBOIS.  —  victoire 

Poniif  pour  la  voûte  de  la  galerie  de  Diane 

(démolio)  à  Fontainebleau 

Musée  du  Louvre 


LES  années  qui  suivirent  sont  parmi  les  plus  mal  connues  de  cette  histoire. 
On  y  voit  dans  la  de'coration,  près  de  Roger  et  de  Caron  toujours  vivants, 
figurer  .lacques  Patin,  connu  par  ses  seules  estampes  des  Noces  de  Joyeuse; 
Jérôme  Bollcry,  auteur  de  plusieurs  dessins  du  Tournoi  de  Sandricourt,  au 
Louvre;  Jacques  Romain,  dont  on  n'a  que  le  nom;  Henri  Lerambert,  qui  fit  les 
cartons  de  la  tenture  des  Actes  des  Apôtres,  conservés  en  recueil  au  Cabinet 
des  Estampes;  le  Flamand  Jérôme  Franck,  fixé  dans  notre  pays  depuis  i566, 
et  qui  peignit  une  Nativité  sur  Fautel  des  Cordeliers  de  Paris.  Le  nom  de  Nicolo 
continue  de  vivre  dans  Camille  dell'  Abbate,  son  fils,  dans  Christophe  Labbé,  et 
peut-être  aussi  dans  Jean  Labbé,  rencontrés  à  la  même  époque. 

On  ne  sait  précisément  quelle  carrière  nouvelle  le  règne  de  Henri  III,  com- 
mencé en  1574,  avait  ouverte  pour  les  artistes.  De  passage  à  Venise,  à  son  retour 
de  Pologne,  dont  il  fut  roi  d'abord,  ce  prince  avait  commandé  au  Tintoret 
quelques  tableaux,  qui  prouvent  un  certain  goût  des  arts.  Dans  le  portrait,  il 
hérita  de  son  frère  les  services  de  Jean  Dccourt,  à  qui  le  poste  et  les  gages  de 
François  Clouet  échurent. 

J'ai  de  bonnes  raisons  de  croire  le  portrait  de  Henri  III  peint  l'année  d'avant 
son  avènement,  que  Chantilly  expose  sous  le  nom  de  duc  d'Alcnçon,  un  ouvrage 

(l)Voir  Us  Arts  n"  'i-j,  39,  40,  42  et  45. 


'^.:^£^^*Mmf>-r^rM 


Phûlo  Giraudon. 


L'ANONYME  PRÉSUMÉ  FLAMAND.  —  femme  inconnus  (dessin) 
Bibliothèque  Nationale   (Paris) 


20 


LES  ARTS 


de  cet  artiste.  Madame  de  Montlaur,  mal  nommée  la  conné- 
table de  Montmorency,  à  Versailles,  est  de  la  même  main, 
ainsi  que  quelques  autres  crayons.  On  ne  trouve  plus  men- 
tion de  Decourt  passé  i585. 

Les  Dumoûtiers,  vers  le  même  temps,  continuaient  de 
fleurir  et  de  multiplier.  On  a  cru  jusqu'ici  que  d'Etienne 
et  de  son  frère  Côme,  tous  deux  enfants  du  vieux  Geoffroy, 
n'étaient  issus  que  Pierre  et  Daniel  en  troisième  génération. 
C'est  une  erreur,  que  des  pièces  certaines  découvertes  par 
M.  Guiffrey,  obligeront  bientôt  de  corriger.  D'Etienne, 
nommé  au  précédent  chapitre,  viennent  premièrement 
Etienne  le  fils  et  Pierre,  le  premier  né  en  \5^5.  De  celui-ci 
naquit  Pierre  le  neveu,  en  i585  :  c'est  une  quatrième  généra- 
tion. Toutes  ces  corrections  ne  touchent  point  à  Daniel  fils 
de  Côme,  né  en  1574,  cousin  du  premier  Pierre  et  du  second 
Etienne,  oncle  à  la  mode  de  Bretagne  du  second  Pierre. 
Vers  le  temps  où  nous  sommes,  paraissent  quelques  crayons 
d'exécution  violente  et  de  science  médiocre,  où  tout  engage 
à  voir  la  main  d'Etienne  le  fils.  Le  plus  curieux  est  le 
portrait  de  lui-même 
avec  son  frère, à  Saint- 
Pétersbourg. 

Les  Quesncl  com- 
posent une  autre  fa- 
mille d'artistes.  Fran- 
çois et  Nicolas,  l'un 
et  l'autre  fils  de  Pierre, 
la  représentent  en  ce 
temps-là.  Nicolas  a 
signé  un  cravon  de 
son  père,  qui  donne 
une  faible  idée  de  son 
talent.  Le  rang  tenu 
par  Benjamin  Fou- 
lon, neveu  de  Fran- 
çois Clouet,  semble 
avoir  été  dû  à  cette 
parenté  plutôt  qu'à 
des  mérites,  que  son 
œuvre  authentique 
dénonce  comme  ex- 
trêmement bas.  Il 
jouit  de  la  protection 
deScipion  Sardini,et, 
quand  durait  la  guerre 
civile,suivit  Henri  IV 
aux  armées.  On  le 
voit  vers  le  même 
temps  élever  des  pré- 
tentions au  Contrôle 
général  des  monnaies, 
et  pousser  dans  le 
nouveau  règne  une 
carrière  fructueuse  et 
honorable.  On  voit 
aussi  Nicolas  Belon 
peindre  des  portraits 
pour  la  Cour.  Nico- 
las Leblond,  aussi 
peintre  de  portraits 
et  beau-frère  de  Ger- 


DUfiîîKUII,.  —  iip.ncui-i-:  sur  i.h  i 
Musée  du  Louvre 


main  Pilon,  est  peut-être  la  même  personne.  Maiire  Ber- 
nard, dont  on  ignore  le  nom,  et  certain  anonyme  anglais, 
requis  de  modèles  pour  la  gravure  de  deux  portraits  du  duc 
et  de  la  duchesse  de  Nevers,  font  un  appoint  mystérieux  à 
cette  liste. 

Il  est  remarquable  que  Hilliard,  miniaturiste  fameux  en 
Angleterre,  et  qui  servit  la  reine  Elisabeth,  figure  vers  ces 
temps-là  sur  les  états  du  duc  d'Alençon,  frère  du  roi.  Le 
même  prince  fut  peint  par  Pierre  Pourbus;  et  un  autre  por- 
trait de  lui,  avec  celui  de  quelques  gentilshommes  français, 
parait  dans  l'inventaire  de  François  Pourbus  le  vieux. 

Pour  la  cour  de  Navarre,  au  service  de  Henri  plus  tard 
roi  sous  le  nom  de  Henri  IV,  continue  de  besogner  Marc 
Duval  jusqu'en  iSjS.  François  Bunel  de  Blois  peignit  en 
ce  temps-là,  sur  quelques  documents  anciens,  un  portrait  de 
ce  prince  enfant,  peut-être  celui  qu'on  conserve  à  Versailles. 
On  ne  trouve  plus  mention  de  ce  peintre  après  iSqo. 

Un  fait  digne  de  remarque,  c'est  le  goût  du  crayon  qui 
remplace  au  temps  de  ces  artistes,  celui  de  la  peinture  elle- 
même.  On  ne  saurait 
assurer  qu'il  com- 
mençât seulement. 
Jusque  chez  Je  pre- 
mier des  Clouets  quel- 
ques-uns croient  re- 
connaître des  crayons 
qui  ne  servaient  point 
à  des  peintures.  Avec 
les  Dumoûtiers,  cette 
mode  prend  une  évi- 
dence inconnue  jus- 
qu'alors. On  se  de- 
mande si  quelques- 
uns  de  ces  maîtres 
ont  jamais  touché  le 
pinceau.  En  même 
temps  commence  de 
fleurir  la  gravure  de 
portraits,  peu  répan- 
due auparavant.  Tho- 
mas de  Leu  et  Léo- 
nard Gautier  en  sont 
les  nouveaux  repré- 
sentants :  gendres 
tous  deux  d'Antoine 
Caron,  et  partisans 
de  la  Ligue,  ainsi  que 
Gourdelle,  graveur 
comme  eux,  peintre 
médiocre,  auteur  d'un 
Thomas  Gayant,  à 
M.  le  baron  Cerise. 
Rabel  de  Beauvais, 
aussi  graveur  et  pein- 
tre, ne  doit  pas  non 
plusêtre  omis. 

Ce  nouveau  moyen 
de  diffusion  des  por- 
traits fut  cause  peut- 
être  du  discrédit  où 
tombaient  les  aaciens 


a'i^MER.  —  Des? 


TAoro  Gù-avdan. 


I^E   PRKSUMK   JF-'AN    DECOURT.   —   henri,  duc  d'anjou,  depuis  hexri  m 

Musée  Condé  f  Chantilly) 


recueils  de  seconde  main.  En  revanche  commence  le  goui 
des  galeries  historiques,  où  paraissent  les  grands  hommes 
de  toutes  sortes,  à  l'imitation  du  Musée  de  Paul  .love.  Cathe- 
rine de  Médicis  à  l'hôtel  de  Soissons,  Duplessis-Mornay  à 
Saumur,  formèrent  des  galeries  de  ce  genre. 

Au.\  peintres  de  portraits  dont  on  connaît  les  noms,  il 
faut  joindre  des  anonymes  :  l'un  auteur  d'un  crayon  du  duc 
dcloyeuse  à  notre  Cabinet  des  Estampes,  et  dedeu.x  ou  trois 
autres  pièces;  l'autre  que  j'ose  présumer  Flamand,  auteur 
de  quatre  admirables  chefs-d'œuvre,  les  premiers  de  tout  le 
siècle  en  ce  genre.  Ce  sont,  une  fausse  Louise  de  Lorraine, 
une  dénommée  Marie  Touchet,  une  jeune  princesse,  pcut- 
ctre  Elisabeth  fille  de  Charles  IX,  enfin  la  mère  de  celle-ci, 
Elisabeth  d'Autriche  en  veuve  :  toutes  quatre  à  la  Biblio- 
thèque. La  main  d'un  troisième  anonyine  se  découvre  dans 
trois  peintures,  qui  sont  :  un  inconnu  du  musée  de  Ver- 
sailles, longtemps  dénommé  cardinal  de  Guise;  une  jeune 
femme  en  chaperon  du  palais  Pitii  ;  une  autre,  coiffée  d'une 
toque  à  plume,  de  la  Pinacothèque  de  Munich,  cette  dernière 
marquée  A.C.  i5~4.  La  critique  allemande  noinme  l'auteur 
Antoine  Caron,  d'après  ce  monogramme,  qui  signifie  peut- 
être  anno  Christi. 

Toutes  ces  peintures  font  comme  le  testainent  de  la 
monarchie  Valoise  finissante.  Les  troubles  de  la  Ligue, 
l'horreur  des  guerres  civiles  allaient  emporter  à  la  fois  le 
pouvoir  royal  et  ce  patronage  des  arts,  qui  depuis  soixante- 
di.x  ans  en  était  l'apanage.  Un  règne  nouveau,  commencé 
dans  les  camps  et  qui  laissait  Paris  aux  mains  des  dissidents, 
ne  pouvait  marquer  aucun  rétablissement  des  arts.  Il  fallut 
que  Henri  IV,  enfin  triomphant  par  la  politique  et  par  la 
guerre,  eût  achevé  de  restaurer  l'ordre  en  France,  pour  que 
le  cours  des  grands  travaux  de  peinture,  comme  des  autres 
arts,  fût  renoué. 

L'année  i5g5  vit  ce  recommencement  après  sept  ans 
d'interruption.  Alors  on  voit  les  Comptes  des  bâtiments  du 
Roi  rouvrir  les  anciennes  mentions  de  bâtiment  et  de  pein- 
ture. Celte  année  même  ou  aux  environs,  des  peintres  d'im- 
portance marquent  leur  apparition  soit  sur  les  états  du  Roi, 
soit  dans  quelques  autres  documents.  Ambroise  Dubois 
d'Anvers.  Jean  de  Hoey  dit  Dhoey,  petit-fils  de  Lucas  de 
Leyde,  Jossc  de  Voltighen  dit  Voltigeant,  aussi  Flamand, 
font  à  cette  époque  précise  leur  entrée  dans  l'histoire  de  l'art 
français.  L'appoint  de  ces  trois  Flamands,  dont  un  compte 
parmi  les  plus  célèbres  du  temps,  fournit  le  trait  singulier 
que  j'ai  promis.  Ils  rapportaient  à  F"ontainebleau  le  fruit 
des  enseignements  que  les  Flandres,  plus  fécondes  en 
peintres  que  la  F'rance,  avaient  tirés  de  cet  endroit.  La 
seconde  école  de  Fontainebleau  refleurit  en  partie  par  leurs 
soins. 

Roger  de  Rogery  mourut  en  iSgj,  Caron  en  1599. 
D'autres  prenaient  leur  place  à  mesure,  et  composent  avec 
ceux  qui  viennent  d'être  nommés,  un  total  qui  ne  va  pas  à 
moins  de  vingt  et  un  artistes,  tous  cités  honorablement  par 
les  auteurs  ou  dans  les  documents.  C'est  assez  pour  montrer 
à  quel  point  on  s'abuse  quand  on  se  représente  la  peinture 
peu  florissante  sous  Henri  IV.  Aussi  faut-ii  compter  l'abon- 
dance des  travaux  auxquels  il  faisaij  travailler.  Fontaine- 
bleau relevé  des  derniers  abandons,  et  rendu  à  toute  la 
splendeur  dont  l'illustra  François  I",  ne  fut  pas  le  seul  objet 
des  soins  de  ce  monarque.  Le  Louvre,  les  Tuileries,  le  Châ- 
teau Neuf  de  Saint-Germain-en-La-ye  s^y- ajoutèrent  sans  les 


partager.  Tout  s'avançait  à  la  fois,  se  remplissait  de  pein- 
tures dans  un  degré  de  profusion  inouï. 

Le  plus  habile  de  tous  ceux  qui  y  servirent,  est  sans 
contredit  Toussaint  Dubreuil,  dont  on  peut  suivre  la  car- 
rière depuis  i5  88.  Il  eut  trente  ans  cette  année-là.  Peut-être 
une  seconde  Chambre  d'Hercule  qu'il  décora  dans  le  pavillon 
des  Poêles,  comme  une  suite  à  l'ouvrage  de  Roger  de  Rogery, 
fut  exécutée  vers  celte  époque.  Sous  Henri  IV,  on  le  vit 
donner  des  soins  à  la  petite  galerie  du  Louvre,  depuis  re- 
peinte et  nommée  galerie  d'.Apollon.  Il  décora  la  voijte  de 
sujets  de  la  fable,  qu'exécutaient  Jacques  Hls  de  F'rançois 
Buncl,  et  ,^rtus  Flamand,  en  qui  je  pense  qu'on  doit  recon- 
naître le  Hollandais  Thierry  .Xerisen.  C'était  entre  autres 
Danaé,  Pan  et  Svrinx,  i'ersée  et  Andromède,  et  une  Giganto- 
niachie  dont  on  fit  de  grands  éloges  alors.  Mais  il  ne  parait 
pas  que  rien  ait  dépassé  ce  qu'il  avait  peint  à  Saint-Ger- 
main. Ce  château  ne  compta  pas  moins  de  soixante-dix-huit 
tableaux  de  sa  main.  Le  sujet  de  ces  compositions  n'a  pas 
été  bien  démêlé,  et  d'anciens  inventaires  n'en  ont  trans- 
mis que  la  description.  Tout  autre  souvenir  en  aurait 
péri,  sans  huit  dessins  des  cartons  du  Louvre  heureusement 
reconnus  pour  la  préparation  d'un  pareil  nombre  de  ces 
tableaux.  Même  j'ai  pu  établir  qu'une  peinture  de  ce  musée, 
jusqu'ici  tenue  pour  partie  de  l'histoire  de  Théagène  d'Am- 
broise  Dubois  à  Fontainebleau,  est  de  Dubreuil  et  provient 
de  Saint-Germain;  elle  représente  une  femme  offrant  un 
sacrifice.  C'est  la  première  peinture  et  la  seule  jusqu'ici 
qu'on  ait  découverte  de  cet  artiste. 

Ses  dessins  sont  très  abondants  et  d'un  mérite  excellent. 
Quelques-uns  en  petit,  qui  représentent  des  cérimonics  de 
l'ordre  de  Saint-Michel,  sont  admirables  de  précision  et 
d'esprit.  Son  lavis  a  beaucoup  de  souplesse  et  d'agrément.  Il 
a  composé  d'une  manière  grande,  dans  la  tradition  du  Pri- 
matice,  avec  plus  de  dégagé  et  de  décor.  Il  v  a  moins  de 
manière  dans  ses  contours,  qui  sont  aussi  d'un  style  plus 
commun.  Son  invention  est  riche  et  variée,  et  l'eut  rendu 
propre  à  tenir,  dans  cet  âge  avancé  de  la  Renaissance,  le 
rôle  universel  qu'on  vit  remplir  aux  maîtres  dont  elle  était 
issue.  Van  Mander  assure  qu'il  ne  faisait  que  les  dessins  des 
compositions  qu'il  dirigeait,  se  bornant  ensuite  à  retoucher 
la  peinture.  C'était  l'ancienne  pratique  des  peintres  de  F'on- 
tainebleau,  imitée  des  écoles  de  Rome  et  de  Florence. 

Une  mort  prématurée  rompit  malheureusement  cette 
carrière,  en  1602.  Dubreuil  ti'était  âgé  que  de  quarante-quatre 
ans.  Depuis  lors  Ambroise  Dubois  tint  le  premier  rang  dans 
l'école. 

Son  œuvre  à  Fontainebleau  était  considérable.  Il  y  avait 
peint  deux  chambres  de  l'appartement  de  la  Reine  :  celle  de 
Théagène  et  de  Chariclée,  décorée  des  sujets  de  cet  ancien 
roman  grec,  et  le  cabinet  de  Clorinde,  ainsi  nommé  de  plu- 
sieurs scènes  de  la  Jérusalem  délivrée.  De  lui,  dans  la  Volière, 
étaient  d'autres  ouvrages.  La  cheminée  d'une  des  chambres 
d'Hercule  eut  de  lui  une  Gabrielle  en  Diane.  D'autres  che- 
minées avaient  d'autres  tableaux  de  Dubois,  dans  la  chambre 
du  Roi  au  pavillon  des  Poêles,  et  dans  plusieurs  pièces  du 
pavillon  des  Dauphins.  Son  principal  ouvrage  fut  la  galerie 
de  Diane,  qui  terminait  l'appartement  de  la  Reine,  et  qu'on 
a  célébré  longtemps  à  l'égal  presque  de  la  galerie  d'L  lysse. 
Tout  en  a  maintenant  péri,  hors  quelques  fragments  de  la 
voûte  recueillis  dans  la  galerie  des  Assiettes,  et  le  dessin  de 
l'ordonnance  conservé  dans  des  aquarelles  de  Percier  à  la 


AMRROISE  DUBOIS    —  tiikaoùnk  kt  ciiariclke  rbtbouvaxt  calabiiiis 
Ucssiu  original  pour  la  cbanibro  de  Thf'agt-Do  à  FuotaiDebleau 
tibtioihii/ue  Natinnalt  {Paru) 


DUBnSUIL.  —   SUJET   INCONNU 

Djisia  nriglaal  pour  la  Chltoaa  Meut  d*  Saiat-Gernuin-eit-L*;*  (détrait) 
Mutét  il»  Lourrt 


24 


LES  ARTS 


bibliothèque  de    l'Ins- 
liuit. 

La  c  h  a  m  b  r  e  de 
Tliéagènc  lieiircusc- 
iiient  presque  intacte, 
et  tiois  tableaux  con- 
servés du  cabinet  de 
Clorinde,  permettent 
d'apprc'cier  éq ui  table - 
ment  ce  maître.  Il  est 
certain  que  ce  qu'on  a 
de  dessins  de  lui  est 
moins  agréable  que  ses 
peintures.  L'exécution 
de  celles-ci  est  vive  et  le 
coloris  bien  ordonné. 
L'esprit  de  la  touche  et 
du  contour  y  rachète 
ce  que  la  composition 
a  d'un  peu  pesant  et 
confus.  A  la  voiiie  de 
la  galerie  de  Diane,  Dubois  avait  déployé  les  talents  d'un 
décorateur  de  grand  mérite,  et  jeté  les  promesses  de  ces 
beaux  arrangements,  de  ces  habiles  répartitions  de  surface, 
bien  supérieurs  à  tout  ce  qui  s'était  vu  encore,  qui  devaient 
faire  la  gloire  de  notre  xvii=  siècle. 

D'autres  décorations  de  Fontainebleau  ne  sont  connues 


DUIirtEUIL.  —  lîi'isoniî  DE  L'niflToiRB  de  psyché 
Dessin  nrigia»!  pour  la  tai)isscric 
Musée  du  Louvre 


que  sous  1  anonvnie. 
Tel  est  le  cabinet  des 
Empereurs,  la  salle  de 
la  Conférence,  au  bout 
de  l'appartement  des 
Bains,  qui  fut  restauré 
sous  ce  règne.  Un  des 
traits  de  cette  restau- 
ration fut  de  substituer 
des  copies  auxtableaux 
de  maîtres  placés  par 
François  1"^%  qui  de-» 
puis  lors  formèrent  un 
musée  et  le  premier 
noyau  des  collections 
royales.  Les  copies 
furent  faites  par  Miche- 
lin, .losse  de  Volti- 
geant et  Ambroise  Du- 
bois. La  chapelle  de 
Trianon  garde  deux 
de  ces  copies,  ouvrage  des  deux  premiers.  En  même  temps 
F^iiennc  Dupérac,  connu  surtout  comme  architecte,  rentre 
de  Rome  avant  iJ/S,  mort  en  1604,  peignait  dans  cet 
appariemeni  des  ruines  et  des  perspectives  diverses  dans  des 
compariiments  de  stuc.  Dans  le  pavillon  des  Dauphins,  Mau- 
gras  faisait  vers  le  même  temps  plusieurstablcauxdecheminée.- 


rilÉlIlNET.  —  jul'iieh    et  sémiîlé   (dessin) 
BihUuthi-que  Nationale  (Paris) 


LES    ORIGINES   DE   LA    PEINTURE    FRANÇAISE 


25 


Le  couronnement 
de  toutes  ces  entre- 
prises fut  la  décora- 
tion tardive,  aussi 
vaste  que  magnifique, 
de  la  chapelle  du 
Saint-Esprit,  bâtie 
dès  le  temps  de  Fran- 
çois \".  C'est  la  prin- 
cipale du  château  et 
le  seul  échantillon 
complet  que  nous 
ayons  de  l'art  déco- 
ratif d'alors. 

Martin  Fréminet 
eut  charge  d'y  va- 
quer. De  retour  d'Ita- 
lie depuis  i6o3,onle 
voit  s'y  appliquer 
depuis  I  608  seule- 
ment, lien  a  disposé 
la  voûte  selon  cinq  grands  sujets,  dont  deux  sont  en  vous- 
sure et  les  trois  autres  en  plafond,  accompagnés  d'une  quan- 
tité de  compartiments  secondaires  et  de  figures  allégoriques 
variées,  le  tout  conçu  dans  le  pur  goût  florentin,  soutenu  de 
raccourcis  audacieux  et  de  fortes  musculatures.  Le  défaut 
de   charme  dans   le   dessin,  l'outrance   dans   les   attitudes. 


DUBIIEUIL.    —  SUJET   SIYTIIOLOOIQL-B 

Dessio  original  puur  le  Chàioau  Neuf  do  SaiDt-Germaia-co-Laje  (détrait) 
Musée  du  Louvre 


la  rudesse  sombre  du 
coloris  valent  aujour- 
d'hui àcettemachine 
des  reproches,  que 
méritent  de  faire  ou- 
blier en  partie  la  ri- 
chesse de  rinvention 
et  un  degré  élevé 
d'habileté  et  de 
science. 

Cette  sorte  de  mé- 
rite qu'on  voit  alors 
fleurir  et  se  dévelop- 
per dans  toute  l'école, 
trouvait  son  emploi 
approprié  dans  l'in- 
dustrie des  tapisse- 
ries, que  Henri  IV 
prit  soin  de  relever 
au  lendemain  des 
guerres  civiles.  L'a- 
telier de  la  rue  Saint-Antoine,  établi  dansles  anciens  Jésuites, 
remplaça  celui  de  Fontainebleau.  Dubreuil  en  avait  eu  la 
direction  depuis  iSg-.  Il  y  donna  le  dessin  de  la  tenture  de 
Psyché,  dont  on  conserve  quelques  pièces.  Les  anciens 
dessins  d'Artémise,  complétés  en  1600  de  cortèges  par 
Lerambert,  furent  aussi  tissés  en  ce  temps-là  au  chiffre  de 


AMBROISE  DUBOIS.  —  soipio»  mohtant  ao  camtolk  idcssiD) 
XiMiolArgNC  IfaliomaU  (Paris) 


26 


LES    ARTS 


Marie  de  Me'dicis.  A  la  mort  de  Dubreuil,  Lerambcrt  eut  sa 
charge.    Lui-même  mourut  en  1610. 

Ce  qui  montre  le  soin  particulier  que  la  Couronne  pre- 
nait de  cette  branche  de  l'art,  c'est  le  concours  institué  alors 
entre  plusieurs  hommes  de  mérite  pour  le  poste  vacant  de 
maître  des  tapisseries.  Jean  Dhoey,  Gabriel  Honnet,  Guil- 
laume Dumée  et  Laurent  Guiot  s'y  présentèrent.  Le  sujet 
du  concours  était  un  patron  du  Pastor  Fido  d'après  le 
poème  de  Guarini.  Dumée  et  Guiot  l'emportèrent.  Les  des- 
sins présentés  en  commun  par  tous  deux  turent  exécutés,  et 
ces  peintres,  qui  étaient  beaux-frères,  gouvernèrent  ensemble 
la  manufacture  royale. 

Le  premier,  peintre  du  Roi  depuis  i6o5,  n'est  connu 
que  par  un  portrait  des  échevins  de  Paris,  peint  en  161 2  et 
qu'on  croit  gardé  à  Versailles.  Le  second,  auteur  d'innom- 
brables cartons  de  tapisserie,  a  surtout  attaché  son  nom  au 


PIERRE  DUMOUïIKU  LE  NEVEU^-  portrait  prèsujik  de  iiiînri  de  i.avardin-biîal-manoir 
Bihliothéque  Nationale  (Paris) 


rajeunissement  de  l'antique  tenture  de  Gombaut  et  Macée, 
popularisée  par  Molière,  et  dont  la  suite  complète  est  au 
musée  de  Saint-Lô. 

Les  raisons  manquent  d'assigner  une  époque  à  plusieurs 
des  ouvrages  de  peinture  d'alors.  Il  n'en  faut  pas  moins  rap- 
porter l'entreprise  du  cabinet  de  la  Reine  au  Louvre,  peint 
par  Dubois,  Bunel,  Dumée  et  Honnet,  de  dix  sujets  de  la 
Jérusalem  délivrée.  Un  dessin  de  Dumée  et  un  d'Honnet, 
celui-ci  au  Louvre,  le  premier  à  M.  Masson,  demeurent  de 
cette  décoration.  Également  sans  date  est  un  Jugement  der- 
nier, maintenant  perdu,  de  Dhoey  pour  Notre-Dame,  ainsi 
que  deux  tableaux  de  Bunel  :  une  Pentecôte  aux  Grands- 
Augustins,  une  Assomption  aux  P'euillants. 

Le  seul  ouvrage  qu'une  date  certaine  permette  d'inscrire 
en  queue  et  comme  en  conclusion  de  toute  cette  école,  con- 
siste dans  quatre   grands  tableaux  dont   Dhoey  et    Dubois 

décorèrent  la  Chapelle  haute 
de  F'ontainebleau.  C'était  l'As- 
somption, la  Pentecôte,  l'Église 
militante  et  la  Résurrection.  Ils 
prennent  place  en  161 2.  Deux 
ans  auparavant  Henri  IV  était 
mort,  laissant  aux  soins  agités 
d'une  régence  le  sort  prêt  à  fixer 
des  arts  dans  le  royaume. 

Avant  d'en  marquer  le  der- 
nierterme,  il  faut  revenir  à  celui 
de  la  peinture  de  portrait. 

Tout  le  long  du  règne  de 
Henri  IV  on  la  voit  fleurir  entre 
des  mains  habiles,  dont  quelques- 
unes  restent  anonymes.  La  plus 
excellente,  signalée  par  le  mono- 
gramme IDC  inscrit  sur  un  de 
ses  ouvrages,  s'est  fait  admirer 
aux  Primitifs  français,  dans  le 
délicieux  crayon  de  Gabrielle 
d'Estrées,  que  le  Cabinet  des 
Estampes  conserve.  D'autressont 
au  même  cabinet  et  au  Louvre. 
La  main  de  François  Quesnel 
peut  être  présumée  dans  un 
crayon  d'Henriette  d'Entragues, 
que  Thomas  de  Leu  a  gravé  avec 
la  mention  de  ce  peintre.  D'autres 
crayons  d'exécution  pareille  com- 
posent avec  celui-là  une  œuvre 
de  mérite  médiocre.  Une  autre 
main  d'habileté  supérieure, 
quoique  de  science  assez  limi- 
tée, se  révèle  dans  nombre  de 
portraits  des  contemporains  de 
Henri  IV,  dont  sont  emplis  deux 
recueils  autrefois  à  Gaignières. 
Le  trait  en  est  élégant,  l'expres- 
sion vive,  le  crayonnage  frais  et 
agréable.  La  société  du  temps 
semble  vivre  et  respirer  dans 
cette  suite  aimable  et  brillante. 
Quelle  part  faut-il  marquer 
dans   tant  de  pièces   anonymes 


PliolO  (.(M.mf.iM. 


(fl 


w^^^iMi^    ^«-/^^ 


L'ANONYME  PRÉSUMÉ  FLAMAND.  —  portrait  supposé  d'èusabkth  dk  francs 

Bibliothèque  Nationale  (Paris) 


28 


LES  ARTS 


à  des  maîtres  dont  d'anciennes  mentions  attestent  le  renom 
distingué?  Cliarles  tils  de  Jean  Decourt,  qu'on  voit  faire 
pour  la  Cour  de  Florence  plusieurs  portraits  du  Dauphin 
depuis  Louis  XIII,  et  Charles  Martin  également  employé  à 
peindre  les  enfants  royaux.  Darlay  de  Tours,  Ledigne  issu 
de  Champagne,  méritent  au  moins  d'être  nommés. 

Une  autre  sorte  de  peintres  qu'il  ne  faut  pas  omettre,  sont 
ceux  du  portrait  d'apparat,  peu  cultivé  avant  cette  époque. 
Les  influences  de  l'école  de  Fontainebleau,  filtrant  à  la  fin 
dans  ce  domaine,  en  avaient  dicté  les  méthodes.  Louis 
Poisson,  peintre  du  Roi  depuis  iSgô,  paraît  avoir  été  l'un 
des  premiers  du  genre,  auquel  Bunel  le  fils  fournit,  vers 
i6o3,  le  célèbre  appoint  de  la  petite  galerie  du  Louvre. 
Elle  était  peinte,  aux  murailles,  de  grands  portraits  de  la 
famille  de  Médicis,  entre  lesquels  prirent  place  ceux  de 
toutes  sortes  de  célébrités  choisies,  composant  une  galerie 
historique.  Marguerite  Bahuche,  femme  de  Bunel,  l'avait 
aidé  à  ces  peintures,  qui  passaient  pour  représenter  des  rois 
et  des  reines  de  France. 

En  i6o3,  mourut  le  plus  ancien  représentant  de  la  tradi- 
tion fondée  par  les  Clouets.  C'était  Etienne  Dumoûtier  le 
père;  il  avait  quatre-vingt-trois  ans.  J'ai  dit  quels  succes- 
seurs devaient  porter  son  nom  bien  au  delà  de  ce  terme 
extrême.  Un  lot  de  crayons  du  temps,  où  s'accuse  la  parenté 
de  plusieurs  manières  différentes,  devra  revenir  peut-être  à 
ces  derniers.  En  attendant  que  des  preuves  l'établissent, 
voici  ce  qu'ils  ont  fait  de  certain. 

Un  excellent  crayon  d'une  religieuse  à  la  pierre  noire,  de 
petite  taille,  pour  la  gravure,  porte  en  1601  la  signature  de 
Pierre,  que  je  crois  l'oncle.  Celle  de  Pierre  le  neveu  se  trouve 
sur  quatre  pièces.  Deux,  au  Cabinet  des  Estampes,  portent  la 
date  de  1618  :  ce  sont  d'admirables  portraits,  l'un  d'une 
femme,  l'autre  présumé  de  Henri  de  Lavardin-Beaumanoir. 
La  main  de  la  célèbre  femme  peintre  Artémise  Gentileschi, 
dessinée  par  Pierre  Dumoûtier  et  pareillement  signée  avec 
des  galanteries,  se  voit  au  Musée  Britannique,  avec  la  date 
de  1625.  Le  maître  était  alors  à  Rome.  De  Rome  encore,  en 
i633,  est  datée  la  tête  d'un  Turc  à  la  Bibliothèque  de  Paris. 
Pierre  Dumoûtier  le  neveu  était  grand  voyageur.  Il  visita 
tour  à  tour  la  Flandre,  où  l'archiduchesse  Isabelle  acheta  de 
lui  des  dessins  de  famille,  et  l'Italie,  d'où  il  ne  revint  en  1 65o, 
que  pour  mourir  au  bout  de  six  ans. 

Cependant  son  cousin  Daniel  se  faisait  connaître  par  des 
œuvres  de  mérite  bien  moindre,  dont  l'abondance  et  le 
style  original  amusaient  les  contemporains.  Chacun  connaît 
ce  style  de  gros  visages  au  contour  appuyé,  chargés  d'om- 
bres soigneusement  fondues,  rehaussés  de  couleurs  de  chair 
voyantes.  Ces  dessins  furent  si  bien  répandus,  que  le  nom 
de  Dumoûtier  était  enfin  devenu  l'étiquette  invariable  du 
genre.  On  ne  connut  plus,  en  cet  âge  de  notre  histoire,  de 
portraits  au  crayon  qui  ne  fussent  de  Dumoûtier. 

Lagneau,  dont  on  ne  sait  rien  de  plus  que  le  nom,  eut 
la  vogue  vers  le  même  temps.  Le  nom  de  portraits  convient 
à  peine  à  ses  ouvrages.  Ce  sont  des  têtes  de  fantaisie,  sou- 
vent tournées  à  la  caricature,  au  demeurant  si  mauvaises 
quelquefois  qu'on  a  peine  à  s'expliquer  la  rare  excellence 
des  autres.  Nulle  part  cette  excellence  ne  se  découvre  mieux 
que  dans  une  suite  appartenant  à  Mademoiselle  Lunken- 
heimer  de  Munich. 

Les  costumes  reconnus  chez  Lagneau  ne  dépassent  pas 
le  règne  de  Louis  XIII.  1646  est  le  terme  de  la  vie  de  Daniel 


Dumoûtier.  La  fin  de  la  seconde  école  de  Fontainebleau  se 
marque  notablement  plus  tôt.  Dubois  et  Bunel  moururent 
en  1614.  Poisson  en  i6i3,  Dhoey  en  i6i5,  Fréminei  en 
1619.  Seuls  survécurent  à  ce  terme  commun,  Dumée,  Nico- 
las fils  de  Jérôme  Bollery,  et  Laurent  Guiot,  mais  sans  chan- 
ger l'état  que  créait,  avec  un  abandon  de  la  résidence  royale, 
la  mort  du  plus  grand   nombre  des  peintres  qui  l'ornèrent. 

Les  fils  de  Dhoey,  de  Dubois  et  de  Poisson,  renforcèrent 
cette  survivance  sans  parvenir  à  la  tirer  de  l'oubli.  Ce  qui 
restait  dans  Fontainebleau  même,  tomba  au  rang  d'école 
provinciale;  ce  qui  vécut  à  Paris  fut  noyé.  Des  changements 
moins  considérables  mais  tout  aussi  tranchés  que  ceux  qui 
signalèrent  le  règne  de  François  I"',  se  préparaient  au  bout 
de  cent  ans. 

Quelques  peintres  français  formés  en  Italie,  et  qui  dès 
ce  temps-là  y  rencontraient  la  vogue,  allaient  renouveler 
par  leur  retour  les  destinées  de  la  peinture  chez  nous.  Dis- 
ciples surtout  des  Carraches,  auxquels  se  joignaient,  dans 
le  mieux  doué,  des  influences  de  Venise,  leur  œuvre  ne 
devait  rien  rappeler  du  style  dont  avait  subsisté,  après  celui 
des  Valois,  le  goût  de  Henri  IV.  Ce  qu'on  reproche  à  bon 
droit  de  maniérisme  aux  élégances  primaticiennes,  allait  se 
réformer  sous  eux.  Les  exagérations  rapportées  de  Florence, 
sous  l'empire  de  ce  même  goût,  par  Fréminet,  devaient 
même  manquer  d'un  lendemain,  par  l'influence  que  ces  pein- 
tres allaient  prendre. 

Vignon,  Perrier,  Blanchard  et  Vouet  sont  les  auteurs  de 
ce  fameux  retour,  par  où  se  marque  l'établissement  certain, 
le  sort  enfin  fixé  de  l'école  de  peinture  française.  Vignon,  le 
premier  de  tous,  rentre  en  1625.  Deux  ans  plus  tard,  en  1627, 
parait  Vouet;  les  deux  autres  peu  après.  Le  dessein  de  la 
présente  histoire  n'est  pas  de  mesurer  leur  talent.  Elle  doit 
se  contenter  de  montrer  la  différence  qui  les  sépare  des 
maîtres  de  Fontainebleau,  et  l'espèce  d'interrègne  qui 
s'étend  pour  les  arts  entre  ceux-ci  et  les  nouveaux  venus. 

Rien  ne  marque  si  bien  cet  interrègne  que  l'obligation  où 
fut  Marie  de  Médicis,  quand  elle  voulut  décorer  son  palais 
du  Luxembourg,  en  1620,  de  faire  venir  Rubens  des  Flan- 
dres. Ce  soin  n'eût  été  nécessaire  ni  dix  ans  plus  tôt,  ni  dix 
ans  plus  tard.  A  cette  époque  précise,  le  défaut  de  grands 
peintres  en  France  ne  permettait  pas  autre  chose.  Ce  point 
de  séparation  déclaré  de  la  sorte,  marque  la  fin  des  origines, 
et  le  commencement  de  l'histoire  proprement  dite. 

Il  est  aisé  de  concevoir  de  quelle  manière  ces  origines 
tiennent  à  cette  histoire.  Le  changement  avéré  de  style  n'em- 
pêche pas  d'en  reconnaître  le  lien.  Il  est  de  deux  sortes  ; 
premièrement  dans  l'habitude  que  les  amateurs  et  les 
princes  français  avaient  pris  de  la  grande  peinture,  dans  le 
discernement  qu'ils  y  apportaient,  dans  l'art  devenu  trivial 
de  la  promouvoir  et  de  l'encourager.  En  second  lieu,  du 
côté  des  artistes,  l'exemple  d'une  école  si  prolongée  et  si 
brillante  doit  être  compté  pour  la  cause  des  dispositions 
qu'ils  montrèrent.  On  ne  faisait  plus  question  que  la  France 
ne  fût  désormais  un  pays  de  peintres,  où  d'illustres  modèles 
voulaient  être  égalés,  où  le  pinceau  suflfisait  à  procurer  la 
subsistance  d'un  habile  homme.  Il  arriva  ce  qu'on  peut  voir 
en  toute  école  déjà  florissante,  où  les  nouveaux  venus  ne 
laissent  pas  de  modifier  les  pratiques  léguées  par  les  anciens  : 
les  leçons  de  ceux-ci  alimentent  encore  ceux  qui  s'en  écar- 
tent davantage.  Issue  de  Vouet,  l'école  de  peinture  française 
plonge,  par  delà  les  enseignements  de  ce  maître,  dans  les 


LES    ORIGINES   DE   LA    PEINTURE   FRANÇAISE 


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Photo  (iirauéon. 


LE  MAITRE  AU  MONOGRAMME  IDC  —  gabrikllk  DESTRtKS  (dessin) 
Bibliothèque  Nationale  (Paris) 


3o 


LES  ARTS 


préparations  qu'enregistre  le  xvi=  siècle.  Quant  au  genre 
•du  portrait  créé  par  les  Clouets,  les  derniers  Dumoûtiers 
en  marquent  la  fin  dans  l'histoire.  Ou  plutôt,  si  ces  maures 
eurent  des  successeurs,  il  faut  avouer  que  ce  ne  fut  point  en 
peinture,  délaissée  par  eux  depuis  un  demi-siècle,  mais, 
par  Nanteuil,  chez  les  graveurs  seulement,  qui,  jusque  dans 
le  xviii''  siècle,  sont  regardés  comme  ses  héritiers. 

Il  est  vrai  que  du  vivant  des  Dumoûtiers  mêmes,  un 
autre  genre  de  portrait  était  né.  L'influence  de  quelques 
Flamands,  établis  au  déclin  de  la  monarchie  Valoise,  en 
favorisa  l'éclosion.  A  Jérôme  Franck  se  joignirent  Ferdinand, 
Vrains  et  le  célèbre  Fourbus,  tous  quatre  issus  des  Pays- 
Bas  Philippe  de  Champaigne,  Flamand  pareillement,  devait 
fermer  brillamment  l'histoire  de  cette  école,  dont  le  princi- 
pal ouvrage  fut  des  portraits  d'échevins  peints  pour  l'Hôtel 
de  Ville  de  Paris,  à  l'imitation  des  tableaux  de  corporation 
hollandais.  Comme  elle  prend  naissance  sur  la  fin  de  celte 
histoire,  entre  1602  et  161 5,  je  suis  obligé  de  la  mention- 
ner, mais  la  place  en  est  mieux  marquée  dans  une  étude 
des'époques  suivantes.  On  y  verra  la  preuve  que  le  portrait, 
quelquefois  célébré  comme  un  genre  tout  français,  eût 
à  peine  été  représenté  en  peinture  pendant  tout  notre 
xvii=  siècle,  sans  l'appoint  d'ouvriers  flamands.  Tant  les 
traditions  fondées  d'abord 
en  ce  genre  devaient  eue 
suivies  de  peu. 

Ladécoration,au  rebours, 
que  plusieurs  déclarent  con- 
traire au  génie  national, 
poussait  chaque  jour  des 
branches  plus  fertiles  et  des 
rejetons  plus  vigoureux. 

CONCLUSION 

Ce  sont  les  leçons  des 
laits,  qu'on  n'a  pas  cru  utile 
de  relever  du  bruit  des  po- 
lémiques en  cours.  Elles 
eussent  rendu  cette  lecture 
fatigante  et  tenu  la  place  de 
choses  plus  nécessaires. 

Un    exposé    des    points 
acquis  pouvait  suffire.  Je  n'y 
ai  mêlé  nulle  hypothèse  que 
je  n'aie  soigneusement  pré- 
sentée comme  telle,  veillant 
entre  autres  choses  à  ne  rien 
laisser  de  douteux  dans  des 
conclusions    de   doctrine. 
Tout  ce    qui    se    trouve  ici 
d'aperçus  généraux    est  ap- 
puyé de  faits  certains.  Je  me 
suis  efforcé  de  n'omettre  au- 
cun de  ceux  qu'on  oppose  à 
ces  conclusions.  Je  n'ai  sys- 
tématiquement   rabaissé    le 
mérite  d'aucun  des  ouvrages 
dont  l'éloge  sert  chez  d'autres 
à  me  contredire.  Il  est  vrai 
que   je  ne  me  suis  pas  cru 
tenu  de  céder  aux  critiques 

FRÉMINET. 
Bibliotkcque 


superbes  de  certaines  esthétiques  en  cours,  ni  de  découvrir 
laborieusement  des  mérites  à  plusieurs  antiquités  estimées 
jusqu'à  ces  derniers  temps  ce  qu'elles  valent,  c'est-à-dire 
rien.  Assez  de  lecteurs  consentent  à  tirer  d'ailleurs  que 
du  changement  et  de  la  contradiction  l'instruction  que  cette 
histoire  procure.  Ils  prisent  moins  l'agitation  que  la  science, 
et  la  nouveauté  que  le  vrai.  C'est  pour  eux  que  j'écris.  Ceux- 
là  reconnaîtront  que  plusieurs  découvertes  modernes  ont 
beaucoup  enrichi  l'histoire  des  origines  de  la  peinture  fran- 
çaise, sans  toutefois  en  réformer  le  sens;  que  les  idées  long- 
temps professées  là-dessus  se  sont  trouvées,  du  fait  de  ces 
découvertes,  moins  contredites  qu'éclaircies,  moins  corrigées 

que  définies. 

Aujourd'hui  comme  hier,  à  l'entendre  sans  finesse,  il  n'y 
a  pas  de  primitifs  français.  C'est  la  raison  qui  fait  que  ces 
primitifs  n'ont  pas  suscité  d'historien.  Vasari,  Van  Mander, 
n'ont  point  écrit  des  livres  sur  les  peintres  de  miniature. 
C'est  tout  ce  que  produisit  la  France  du  Moyen  Age.  L'hypo- 
thèse d'un  silence  concerté  des  Français  au  sujet  de  leurs 
origines,  quand  les  autres  nations  faisaient  valoir  les  leurs, 
est  contraire  aux  faits  comme  au  bon  sens.  A  notre  pays 
comme  aux  autres,  l'historien  ne  devait  venir  qu'après  les 
peintres.   Il  n'y   a  pas  manqué.  Cet  historien  ne  le  cède  à 

ceux  de  Flandre  et  d'Italie 
ni  pour  l'intelligence,  ni  pour 
l'amour  éclairé  de  son  pays. 
C'est  Félibien,  dont  les  En- 
tretiens sur  la  Vie  des  plus 
fameux  Peintres,  sont  le  fon- 
dement vénérable  des  recher- 
ches sur  l'histoire  de  l'art 
français. 

Les  commencements  de 
son  livre  plongent  dans  l'in- 
certitude d'un  passé  relative- 
ment récent,  que  le  peu  de 
relief  de  notre  école  reculait 
dans  l'obscurité.  En  France 
comme  ailleurs  les  érudits 
modernes  vont  perçant  cette 
obscurité.  Mais  il  ne  dépend 
pas  d'eux  de  donner  l'illus- 
tration à  des  faits  que  leur 
portée  moyenne  et  leur 
éclat  réduit  avaient  fait  ou- 
blier. 

Les  origines  dont  on  vient 
de  lire  l'histoire,  intéressent 
partout  la  philosophie  de 
l'art.  Leur  importance,  à  ne 
considérer  que  le  mérite  des 
œuvres,  est  inégale.  J'ai  mar- 
qué  ces  degrés  différents 
d'importance.  11  est  sûr  que 
le  total  le  cède  à  ce  qui  sui- 
vit, et  qui  doit  constituer  le 
corps  même  d'une  histoire 
de  la  peinture  française. 

L.  DIMIER. 


—   SUJET    INCONNU 

Nationale  (Paris) 


l  «5  œlhs  rtraain samu  t  km»  ir  iiWi. 

£ fliMKr ta  ttt.  iJ=tttiiintiiiittic  itinm. 


.  -.. ùiîmmnimitffWilniioiiilas  .ipi 

.  t)PBt[(ana«i5.t(riniU(uiIqt|)u&titaitnir  .ka 


irilBtiitai  i£»aMMt'SitfîfWj^>ij>É 


ECOLE  FRANÇAISE.  —  XV- SIÈCLE.  —  portraits  db  jean  juvékal  des  uhsins,  baron  de  traihel,  di  sa  >euu«  «t  de  ses  o»it  iHMSii» 

(Mitsc-e  du  iMuvi-e) 

TRIBUNE    DES    ARTS 


UN  TABLEAU  DU  LOUVRE 

La  famille  de  Jean  Juvénal  des  Ursins 


Depuis  l'exposition  des  Primitifs  français, 
d'heureuse  mémoire,  on  s'est  beaucoup  occupé 
de  notre  admirable  école  du  w"  siècle,  trop 
négligée  jusque-là.  Le  Louvre  a  vu,  ces  der- 
nières années,  s'augmenter  cette  série  de 
quelques  pièces  d'inégale  valeur;  des  attribu- 
tions nouvelles  ont  été  faites  à  des  maîtres 
jusqu'alors  peu  connus  ou  méconnus.  On  a 
tenté,  ici  même,  de  donner  au  grand  Jehan 
F"ouquct  d'importants  monuments  de  la  pein- 
ture de  son  siècle.  Nous  voulons  à  présent,  non 
pas  proposer  une  nouvelle  attribution,  mais 
simplement  attirer  l'attention  sur  un  tableau, 
très  important  à  tous  points  de  vue,  qui  ne 
figurait  pas  aux  Primitifs,  mais  qu'on  cite 
souvent,  si  on  le  décrit  rarement;  et  qui, 
récemment,  a  été  heureusement  changé  de 
place,  bien  éclairé,  en  face  du  fameux  retable 
du  Parlement  de  Paris. 

Nous  voulons  parler  du  tableau  du  Louvre 
portant  le  numéro  999  :  Portrait  de  Jean 
Jiivenal  ou  Jitvenel  des  Ursins  et  de  Sci  famille. 
C'est  un  panneau  de  grandes  dimensions, 
haut  de  i'"63,  large  de  S^^So,  provenant  de 
Notre-Dame  de  Paris,  ayant  été  au  Musée  des 
Petits-Augustinssousla  première  République 
et  depuis  1829  au  Louvre.  D'abord  attribué  à 
l'un  des  Bellini,  il  est  classé:  École  française 
du  xv«  siècle.  Le  catalogue  du  Louvre  (S""» 
part.,  F.  Villot,  p.  418)  transcrit  scrupuleuse- 
ment la  description  qu'en  donne  Montfaucon 
dans  les  Monuments  de  la  monarchie  fran- 
çaise,  avec    les  inscriptions  qui  se  trouvent 


au-dessous  de  chacun  des  treize  personnages 
qui  y  sont  représentés.  Ces  inscriptions  ont 
été  lues  incomplètement  et  inexactement,  par 
places,  à  cette  époque  (il  est  facile  de  s'en 
assurer  par  une  lecture  un  peu  attentive)  et 
depuis  reproduites  de  même,  partout  où  il  a 
été  fait  mention  de  la  peinture  en  question. 

Ce  tableau  a  été  peint  entre  1444  et  1449 
(comme  l'établit,  entre  autres,  M.  Péchenard, 
en  rapprochant  l'inscription  de  Jean  II  et 
celle  de  Jacques,  qui  ont  occupé  entre  ces 
deux  dates  simultanément,  l'un  le  siège  de 
Laon,  l'autre  celui  de  Reims)  pour  Jean  II 
Juvénal  des  Ursins,  après  la  mort  de  son  père 
Jean  1",  qui  y  est  représenté,  à  gauche,  avec 
sa  femme,  Michelle  de  Vitry,  morte  seule- 
ment en  1456.  Jean  II  est  figuré  ensuite 
ainsi  que  ses  dix  frères  et  sœurs  encore  vivants 
à  celte  époque. 

Qui  a  vu  ce  tableau,  et  chacun  le  connaît, 
admire  sa  composition,  la  richesse  et  la 
sobriété  tout  à  la  fois  de  sa  couleur,  l'admi- 
rable groupement  des  personnages,  lesquels 
se  ressemblent  il  est  vrai  beaucoup,  mais  où, 
cependant,  on  découvre  une  variété  d'expres- 
sion, dans  la  presque  uniformitédesattitudes, 
qui  est  l'œuvre  d'un  peintre  encore  naïf,  mais 
artiste  sûr  et  grand  artiste. 

Quel  est  cet  artiste  ?  Si  la  question  n'est 
pas  près  d'être  résolue,  elle  vaut  la  peine 
d'être  posée.  Qui,  des  peintres  connus  de  cette 
époque,  peut  avoir  composé  et  peint  un  tel 
chef-d'œuvre  ?  Il  faut  bien  penser  à  Jehan 
Fouquet;  et  si  l'on  peut  faire  des  objections  à 
cette  attribution,  il  y  a  quelques  raisons  non 
pas  de  la  proposer,  mais  tout  au  moins  de  la 
mettre  en  avant. 


Fouquet,  né  entre  1410  et  1415,  avait  de 
35  à  40  ans  au  moment  où  il  peignit  le  beau 
portrait  de  Charles  VII,  qui  est  au  Louvre  : 
c'est  le  plus  ancien  en  date  de  ses  tableaux 
parvenus  jusqu'à  nous.  On  s'accorde  habi- 
tuellement pour  J'admirer  sans  réserves; 
cependant  certains  y  trouvent  une  raideur  que 
n'auront  plus  ses  oeuvres  postérieures,  tel 
le  portrait  du  chancelier  Guillaume  Juvénal, 
représenté  également,  à  un  âge  moins  avancé, 
dans  le  tableau  dont  nous  nous  occupons. 
Les  couleurs  sont  ici,  comme  dans  le  ponrait 
du  roi,  plutôt  celles  du  miniaturiste  que 
Fouquet  était  surtout  encore.  La  facture  et  la 
couleur,  les  ors  des  étoffes  de  notre  tableau 
ont  une  singulière  parenté  avec  celle  du  cous- 
sin sur  lequel  s'appuient  les  mains  du  roi.  La 
tenture  d'or  sur  laquelle  se  détachent  les 
figures  des  treize  personnages  a  quelque  ana- 
logie avec  les  fonds  du  portrait  de  Guillaume 
Juvénal  dans  son  âge  mûr.  L'harmonie  dans 
la  composition,  dans  le  groupement  des  per- 
sonnages rappelle  les  miniatures  de  Chantilly. 

Les  lettres  de  l'inscription  sont,  à  la  vérité, 
différentes  de  celles  qu'on  trouve  dans  le  por- 
trait du  roi,  les  miniatures  de  Chantilly,  et  la 
plupart  des  œuvres  authentiques  du  maitre  ; 
mais  comme  nous  avons  affaire  à  une  œuvre 
antérieure  à  la  plupart  des  autres,  est-ce  là 
une  objection  suffisante  pour  écarter  déhniii- 
vement  l'hypothèse  que  nous  émettons  ? 

De  plus,  en  1443  ou  1444,  Jehan  Fouquet 
alla  à  Rome,  où  il  fut  fêté  et  apprécié  à  sa 
valeur,  puisqu'il  y  Ht  le  portrait  du  pape 
Eugène  IV,  portrait  qui  n'est  pas  parvenu 
jusqu'à  nous.  Quelques  années  avant.  Jean 
Juvénal,   chapelain   de   Charles   VII,    pour 


32 


TRIBUNE    DES    ARTS 


LOUIS  DE  BOULOGNE.  —  danak. 
(Musée  du  Louvre) 


Dessin 


lequel  fut  peint  le  tableau  dont  nous  parlons, 
avait  fait  partie  d'une  ambassade  du  roi  de 
France  auprès  du  pape.  Le  peintre,  revenant 
célèbre  de  Rome  en  1^44,  a  certainement 
alors,  sinon  avant, connu  Juvénal  ;et  pourquoi 
l'ambassadeur,  voulant  élever  à  sa  famille 
un  monument  digne  d'elle  et  de  lui-même, 
n'aurait-il  pas  chargé  de  ce  soin  un  artiste 
tel  que  Jehan  Fouquet,  peintre  du  pape  et  du 
roi  de  France  ? 

JACQUES  VAILLANT. 


LA  DANAE 

De  M.   Hei)ri    Roct)efort 

Monsieur  le  Directeur, 
Dans  le    numéro   des  Arts  du    mois   de 
juillet  dernier  (n»  43),  M.    Henri  Rochefort 
citait  parmi  les  pièces  les  plus  intéressantes 


de  sa  collection,  une  Danaé,  reproduite  p.  16, 
qu'il  attribuait  à  Carie  Vanloo.  Il  est  probable 
que  cette  attribution  est  inexacte.  Le  Musée 
du  Louvre  possède,  en  effet,  un  dessin  au 
crayon  noir  rehaussé  de  blanc  sur  papier  gris 
bleuté,  représentant  exactement  le  môme 
sujet.  La  reproduction  que  nous  vous 
envoyons,  vous  permettra  de  constater  l'ana- 
logie que  présentent,  dans  leur  ensemble,  ces 
deux  compositions,  et  les  quelques  variantes 
qui  éloignent  toute  idée  de  copie.  Le  dessin 
porte  les  initiales  L.  B.,  il  est  entré  au  Louvre 
le  3  juillet  1846  dans  une  série  de  i63  dessins, 
acquis  de  M.  Defer,  au  prix  de  400  francs, 
portant  les  mêmes  initiales  de  la  même  écri- 
ture, et  présentant  les  mêmes  caractères 
d'exécution;  tous  ces  dessins  sont  bien  du 
même  maître  :  Louis  de  Boulogne.  Dans  cette 
série  se  trouvent  de  nombreuses  études  pour 
des  tableaux  classés  et  catalogués  de  tout 
temps  à  ce  maître.  L'étude  des  dessins  permet 


souvent  des  identifications  aussi  indiscutables 
et  la  publication  de  l'inventaire  illustré  des 
dessins  français  du  Musée  du  Louvre  facilitera 
prochainement  cette  étude.  Nous  vous  signale- 
rons seulement  aujourd'hui  une  très  belle  gri- 
saille de  Boucher,  exécutée  à  l'huile  sur  toile, 
et  portée  jusqu'à  présent  à  l'actif  de  Deshayes, 
son  gendre.  Nous  vous  en  envoyons  la  repro- 
duction :  c'est  la  première  pensée  du  tableau 
de  la  collection  La  Caze  :  Vénus  aux  Forges 
de  Vitlcain  (n»  46).  Avec  quelle  prudence  les 
critiques  ne  doivent-ils  pas  donner  leurs  attri- 
butions, puisque  les  plus  réputés  tombent 
eux-mêmes  parfois  dans  l'erreur! 

Nous  vous  prions,  Monsieur  le  Directeur, 
de  vouloir  bien  agréer  l'expression  de  nos 
sentiments  très  dévoués. 

JEAN  GUIFFREY. 
PIERRE  MARCEL. 

Septembre  ipo?. 


GOUPIL  &  G'%  Editeurs-Imprimeurs 

MANZI,    JOYANT    &    Ci%    Éditeurs-Imprimeurs,    Successeurs 

24,    BOULEVARD    DES    CAPUCINES,    PARIS 


En  Souscription,  pour  paraître  en  décembre  1905 


DIEGO 


VELAZQUEZ 

Cinquante  Planches 

D'APRÈS  SES  ŒUVRES  LES  PLUS  CÉLÈBRES 


Texte    par    PAUL    LAFOND 

Format  46  ;<  -53.    —  Texte   sur   simili-japon.    —   Publication   en   cinq   livraisons 
Composées  chacune  de  dix  planches  en  typogravure  Goupil,  remontées  sur  passe-partout 


TIRAGE    A    CINQ    CENTS    EXEMPLAIRES 

numérotés  à  la  presse  de  I  ù  500 


Prix  de  l'ouvrage  renfermé  dans  un  portefeuille 100  francs 

Prix  de  l'ouvrage  relié  en  un  volume  demi-amateur,   dos  et  coins   maroquin, 

planches  montées  sur  onglet 150  francs 


Directeur  :  M.  MANZI  Imprimerie  Hanzi,  Joyant  &  C",  Asniéreg.  Le  Ginul  :  G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N" 


47 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Novembre  1905 


I-..A.     COLT_,ECTIO:]Sr     E.     CI^OIN-IEï^ 


PANNEAT    DÉCORATIF 
Tapisserie  de  Beauvais  ou  de  Bruxelles  du  commencement  du  xv.ii.  siècle,  d'après  un  canon  de  Bantsite  Monnoyer 


OAHMTURE  DE    CIIHMINLB 

Aocicaac  porcelaine  de  Saxe  et  bronzu  ciselé  et  dore 


La  Collection  E.  Cronier 


LA  collection  de  M.  Ernest  Cronier  a  acquis  une  célébrité  singulière   dans  le  monde  entier,  mais  elle  avait  déjà  une 
réputation  à  la  fois  brillante  et  mystérieuse  dans  le  monde  des  amateurs  d'art.  Elle  passait  à  la  fois  pour  admirable 
et  très  fermée.  Maintenant  que  le  grand  jour  d'une  actualité  tragique  va  l'ouvrir  à  tous  les  grands  curieux  de  l'univers, 
on  verra,  en  effet,  qu'elle  justifiait  son   renom. 

Mais  ce  n'est  pas  en  raison  de  cet  accessoire  quoique  si  dramatique  intérêt  que  nous  voulons  ici  nous  occuper 
d'elle.  Depuis  longtemps,  les  Arts  avaient  préparé  à  leurs  lecteurs  ce  régal  rare  de  pénétrer  dans  une  galerie  que  tant 
de  personnes  puissantes  et  bien  informées  espéraient  voir,  et  ce  numéro,  devançant  la  vente  publique,  n'a  cependant 
pas  été  déterminé  par  elle.  Cela  expliquera  pourquoi  l'illustration  de  la  monographie  que  nous  allons  donner  ici  est  si 
complète  et   d'une    telle  perfection.    La  galerie    de    M.    Cronier    devait   prendre    place    parmi    les    plus    intéressantes   que 

nous  avons  la  mission  de  décrire,  et  c'est  aux  seules  destinées  qu'il 
faut  attribuer  la  coïncidence  de  l'arrivée  de  son  tour  avec  les  événe- 
ments récents  et  les  enchères  prochaines. 

On  disait  fréquemment  dans  le  monde  de  la  curiosité  :  «  M.  Cronier 
possède  des  Chardin  et  des  Fragonard  de  premier  ordre,  mais  il  ne 
les  montre  pas.  »  Je  me  souviens  que  lorsqu'il  fut  question  d'organiser 
une  exposition  de  l'œuvre  de  Chardin,  au  profit  d'une  entreprise 
philanthropique,  dont  le  titre  se  retrouve  moins  aisément  dans  mon 
esprit  que  la  petite  scène  que  je  vais  dire,  le  nom  de  M.  Cronier  fut 
révélé  à  quelques  personnes  qui  pourtant  ignorent  peu  de  chose  en 
matière  de  grandes  collections.  Une  réunion  avait  lieu  chez  M.  Henri 
de  Rothschild,  qui,  avec  une  belle  libéralité,  avait  mis  à  la  disposition 
du  comité  l'ensemble  unique  qu'il  possède  de  peintures  de  ce  grand 
et  vénéré  maitre.  Quelqu'un  dit  :  «  Si  nous  avions  aussi  les  Chardin 
de  M.  Cronier  !  » 

L'on  se  regarda,  les  uns  avec  une  expression  d'ctonnement,  les 
autres  avec  un  air  de  scepticisme.  Aux  premiers,  celui  qui  avait  pris  la 
parole  dit  qui  était  M.  Cronier  et  quelles  choses  capitales  il  possédait. 
Pour  les  seconds,  il  lui  fut  moins  aisé  de  les  faire  changer  d'expres- 
sion. c(  Certes,  dit-il,  il  faudrait  trouver  une  façon  de  s'y  prendre  et  de 
le  prendre,  car  ce  collectionneur  est  peu  maniable.  Il  est  également 
capable  de  prêter  ses  trésors,  —  et  de  les  refuser  net.  Mais  en  manœu- 
vrant d'une  façon  que  j'indiquerai,  et  en  lui  envoyant  une  députation 
LB  ooDTER  CAMPÊTBK  composée  de  Messieurs  tel  et  tel,  qui  sait  si  nous  ne  réussirons  pas?  » 

Groupe  eo  biscuit  do  Sèvres,  pSto  lendrc.  Époque  Louis  XVl 
(Collection  E.  Cronier) 


COLLECTION  E.    CRONIER 


M.-Q.  DE   LA   TOUR.   —   portrait   nr   gravklr  schmidt  (pastel) 
(Collection  E.  Cronier) 


LES   ARTS 


L'affaire  n'ayant  pu  avoir  de  suite  à  cause  de  quelques 
difficultés  matcricllcs  qui  entravèrent  les  projets  d'exposi- 
tion, l'on  ne  sut  pas  si  l'espèce  de  crainte  qu'inspirait  le 
collectionneur  éiait  justifiée.  Mais  à  elle  seule  on  peut  dire 
que  cette  crainte  constituait  comme  une  touche  de  sa  phy- 
sionomie. 

Nous  l'avions  entrevu  parfois,  avec  sa  haute  mine,  son 
allure  d'officier  supérieur  en  civil  (impression  belliqueuse 
que  ne  diminuait  pas  une  main  mutilée  qu'il  ne  dissimulait 
point),  son  air  correct,  strict,  un  peu  sarcastiquc.  Nous  le 
vîmes  une  dernière  fois  dans  des  circonstances  qui  main- 
tenant nous  semblent  émouvantes.  C'était  l'été,  au  moment 
où  la  moitié  de  Paris  était  déjà  en  villégiature  et  où  l'autre 


J.-A.    WATTEAU.   —    LE  LORO.NEUH 

(Collection  E.  Cronier) 


moitié  se  préparait  à  partir.  Par  une  soirée  d'été  délicieuse 
—  car  on  va  chercher  bien  loin  des  repos  qui  ne  valent  pas 
toujours  ceux  des  étés  de  Paris,  —  nous  avions  dîné  dans 
le  jardin  d'un  autre  et  des  plus  célèbres  amateurs  d'art. 
M.  Cronier  vint  après  le  diner  pour  une  façon  de  p.  p.  c.  Il 
se  montra  d'un  enjouement  fort  marqué  (auquel  nous  qui 
étions  moins  habitué  à  sa  façon,  trouvions  une  espèce 
d'arrièregoût  amer)  et  d'une  parfaite  liberté  d'esprit.  Or  il 
était  alors  en  pleine  crise  et  tout  proche  du  dénouement... 
L'on  admira  la  grâce  féerique  des  cygnes  dans  la  nuit  et  les 
merveilleux  effets  de  la  lumière  électrique  à  travers  les  fron- 
daisons. Puis,  faisant  un  tour  de  musée,  M.  Cronier  eut 
quelques  plaisanteries  sur  de   chimériques  échanges    entre 

sa  grande  gouache  de  Gainsbo- 
rough ,  reproduite  ici,  et  une 
autre  gouache  du  même  maître; 
et  aussi  entre  une  ou  plusieurs 
de  ses  tapisseries  de  Boucher  et 
d'autres  non  moins  belles  qui  se 
trouvaient  en  ce  lieu. 

On  eût  dit  des  souverains 
s'amusant  à  échanger  hypothé- 
tiquement  des  provinces,  mais 
ayant  la  ferme  intention  de  les 
garder  —  et  peut-être  l'espoir 
de  les  conquérir  un  jour,  — 
car  la  plaisanterie  alla  même 
jusque-là. 

Ces  diverses  indications  de 
caractère  que  je  vous  donne  ici 
ne  sont  pas  pour  l'oiseux  plaisir 
de  faire  en  quelque  sorte  du 
Saint-Simon  d'Hotcl  des  Ventes, 
mais  pour  que,  comme  cela  est 
nécessaire  au  point  de  vue  artis- 
tique et  humain,  la  physionomie 
de  la  collection  et  celle  du  col- 
lectionneur se  complètent  et 
s'expliquent  l'une  par  l'autre. 
Caractère  net  et  tranchant, 
M.  Cronier  aimait  les  œuvres 
tranchées.  Il  lui  fallait  ces  beaux 
morceaux  qui,  à  la  première 
rencontre,  donnent  au  spectateur 
le  brusque  «  coup  dans  l'esto- 
mac »  qui  est  une  sensation  si 
désirée.  Ses  deux  figures  de  Char- 
din et  ses  deux  Fragonard,  qui 
sont,  pour  nous,  les  pièces  capi- 
tales de  l'ensemble,  étaient  par 
excellence  des  choses  répondant 
à  cette  définition.  Il  est  permis 
de  supposer  qu'il  les  aimait  entre 
toutes,  puisqu'il  les  avait  perpé- 
tuellement sous  les  yeux  dans 
son  cabinet  de  travail.  On  se 
demande  quel  singulier  regard  il 
dut  adresser  à  ces  œuvres  d'art 
qui  tenaient  une  très  grande 
place  dans  sa  vie  intime  et  qui 
faisaient    un    de  ses  plus  grands 


COLLECTION   E:    CRONIER 


M.-Q.  DE  LA  TOUR.  —  portrait  du  comte  dk  covkntky  (pasiel) 
(Collection  E.  Cronier) 


LES  ARTS 


ARLKQUIX  HT    r.ni.OMRINB 

Clienc'ls  en  br.inze  ciselé  et  doré.  —  Époque  Louis  XV 
(Collection  E.  Cronier/ 


orgueils,  lorsqu'il  entra  dans 
son  hôtel  pour  la  dernière 
fois. 

Il  avait  fort  grande  mine, 
cet  hôtel,  parfaitement  situé 
sur  la  frontière  du  parc  Mon- 
ceau. Son  vestibule  et  son 
grand  escalier  central  annon- 
çaient par  leur  riche  simplicité 
des  spectacles  rares.  Et  le 
cadre  où  se  trouvaient  les  œu- 
vres que  nous  allons  voir  dé- 
filer sous  nos  yeux  n'était  pas 
indigne  d'elles;  Les  tapisse- 
ries, notamment,  étaient  l'ob- 
jet d'une  excellente  mise  en 
valeur  et  jouissaient  d'une 
abondante  et'parfaite  lumière. 
Il  est  vraisemblable,  mainte- 
nant, que  la  célébrité  qu'elles 
ont  acquise,  s'ajouiant  à  leur 
beauté,   leur  prépare  des  des- 


VASK,    OllOUPB,    AGCBSSOIRBS   EN  ANCIRNNB   POROBLAINBDE  CniXB 

Morilure  cd  bronze  ciselé  et  doré, —  Époque  Louis  XV 

(Collection  E.  Cronitrl 


tinces  encore  peu 
communes. 

Chose  curieuse, 
toute  une  partie 
de  la  collection, 
en  fait  de  desti- 
née, aurait  pu  en 
avoir  une  fort 
haute  :  les  Rous- 
seau, les  Diaz, 
les  Dupré  et 
quelques-unes 
des  plus  belles 
oeuvres  des  maî- 
tres de  i83o, 
avaient  été  of- 
fertes au  Louvre, 


celles  -  ci  ,  par 
les  quatre  pein- 
tures à  la  fois 
insinuantes  et 
triomphales, 
que  sont  les 
Osselets  et  le 
Volant  ,  par 
Chardin,  et  le 
Billet  doux  et 
la  Liseuse,  par 
Fragonard.  On 
ne  sait  en  vérité, 
en  cette  occur- 
rence, auquel 
des  deux  maî- 
tres   donner   la 


et  «  l'affaire  ne  s'était  pas 
arrangée!...  »  Oui.  en  vérité, 
M.  Vince,  le  collectionneur 
qui  les  avait  rassemblées,  ces 
peintures,  avait  ambitionné  de 
les  offrir  à  notre  grand  musée. 
Mais  l'accueil  fut  si  peu  em- 
pressé, au  gré  de  ce  fervent 
de  Fontainebleau  —  cela  se 
passait  jadis,  et  très  jadis,  — 
qu'il  laissa  simplement  toute 
sa  collection  à  son  neveu... 
M.  Ernest  Cronier. 


On  va  maintenant  passer 
en  revue  les  richesses  qui 
s'ajoutèrent  à  ce  premier  et 
déjà  enviable  trésor. 

Nous  ne  pouvons  commen- 
cer que  par  les  œuvres  de 
l'école    française    et,    parmi 


FIl.V(jUN'AIil).  —  LK.M'A.NT  BLoKii  (miniature) 
(Collection  E,  Cronier) 


FRAGONARD.  —   portrait  de  fillette 
(Collection  E.  Cronier} 


COLIFCTION   F.    CRONIFR 


FRAGONARD.    —    le   billet   doux 
(Collection  E.  Cranter) 


palme.  Eh!  oui,  nous  savons  bien 
que  Chardin  est  peut-être  un  plus 
grand  homme,  mais  Fragonard  est 
un  plus  surprenant  magicien.  Nous 
savons  que  l'un  a  la  suprême  vertu 
d'une  candeur  merveilleusement 
habile  dont  on  ne  retrouve  l'équi- 
valent en  art  ou  en  littérature  que 
chez  La  Fontaine  ou  chez  Corot  ; 
mais  l'autre,  dans  ses  bons  mo- 
ments, sait  pousser  l'adresse  Jus- 
qu'au génie,  et  il  a  des  heures  où 
sa  verve  devient  une  chose  pro- 
fonde, mystérieuse  comme  l'éclo- 
sion  d'une  fleur  paradoxale.  Et 
justement  si  Chardin,  dans  les  deux 
tableaux  qui  sont  ici,  se  montre 
égal  à  lui-même,  ce  qui  n'est  pas  peu 
dire,  Fragonard  se  rencontre  avec  les 
deux  autres,  dans  un  de  ses  instants  de 
verve  fascinatrice,  de  floraison  supé- 
rieure. 

Il  est  certain,  de  toute  façon,  que 
ces  deux  Chardin  «  tiendraient  », 
comme  on  dit,  à  côté  des  plus  belles 
choses  des  plus  grandes  époques.  Y 
aurait-il  un  charme  de  grâce  dans 
cette  personne,  jeune  femme  ou  grande 
fille,  qui  puérilement  exécute  avec  la 
balle  et  les  osselets  un  coup  difficile? 
Même  pas.  Elle  est  même  plutôt 
franchement  laide,   d'une   bonne   et  sympathique    laideur.  demeurera  d'elles 


AI.lix.oniR    DR    LA   C.URRRE 

Grand*;  Ijoite  en  or  ciselé.   —  Kpoqno  Louis  XV 
(Collection  E.  Cronicr/ 


TABATIERE   OVALE 

Or  émaîllc  Ijtcu  sur  fond  guilloclic.  —  Époque  Louis  XVI 
(Collection  E.  Cronicr/ 


Mais  c'est  de  la  vie  si  vraie,  si 
intense,  c'est  de  la  matière  de  pein- 
ture si  rare  et  si  robuste;  c'est 
d'un  modelé  si  beau  et  si  fort  dans 
son  attentive  bonhomie,  que  dire? 
c'est  d'une  si  souveraine  honnêteté 
d'art,  que  cela  saisit,  retient,  en- 
chante. Et  c'est  si  raffiné  dans  sa 
bonne  force  ingénue!  Ces  accords 
de  brun,  de  rouge  et  de  bleu  sou- 
tiennent si  bien  la  carnation,  mar- 
chent si  parfaitement  avec  le  rythme 
des  lignes  que,  s'il  fallait  chercher 
des  termes  de  comparaison,  l'on 
pourrait  les  emprunter  aux  plus 
ailiers  modèles.  Le  bleu  du  tablier 
de  cette  joueuse  d'osselets  n'a  peut- 
être  d'égal,  en  peinture,  que  le  bleu 
grandissime  du  tablier  de  la  Verseuse 
de  lait,  par  Van  der  Mcer  de  Delft, 
dans  la  collection  Six. 

Quant  à  cette  fiUeite  avec  son  nez 
court,  sa  gentille  tête  française,  voire 
parisienne,  sa  coiffure  soignée,  poudrée 
a  la  madame,  son  affairement  à  l'idée 
de  la  partie  de  volant  qui  va  s'engager, 
c'est  une  chose  de  race  tellement  forte 
que,  tant  qu'il  y  aura,  supposons  dans 
des  siècles  encore,  des  fillettes  humbles, 
saines  et  instinctives  dansles  faubourgs 
et  les  rues  laborieuses  de  Paris,  celle-ci 
une  des  plus  parfaites  synthèses.  Ah  !  le 


PETIT    FAUTEUIL 

Bois  sculpte  et  doré.  —  Époque  Louis  XV  à  Louis  XVI 
(Collection  E.  Cronier) 


PBTIT   FAUTEUIL 

Bois  sculpté  et  doré.  —  Époque  Louis  XV  à  Louis  .XVI 
(Collection  E.   Cronicr) 


COLLECTION  E.  CRONIER 


J.-S.    CHARDIN.    —    LK     VOLANT 

(Collection  E.   Cronier) 


LES    ARTS 


10 


brave  homme  que  Chardin,  et  comme  il  aimait  les  êtres 
simples  et  les  bonnes  petites  âmes!  Dirai-je  le  miracle 
de  cette  couleur,  de  ce  brun  et  de  ce  blanc  crémeux  et 
argenté  se  détachant  sur  ce  simple  et  si  savant  fond  gris, 
et  le  rendu  de  ce  volant  et  de  cette  raquette  qui  sans 
effort,  semble-t-il,  deviennent  des  objets  si  précieux? 
Mais  quoi,  un  simple  montant  de  chaise  sur  lequel  s'ap- 
puie cette  fille  d'artisans  prend  l'importance  et  le  prix 
du  bâton  de  commandement  entre  les  mains  d'un  souve- 
rain peint  par  Velazquez. 

Que  d'un  coup  de  baguette  du  génie  nous  voici  soudain 
bien  loin  de  la  rue  de  Lisbonne,  et  du  collectionneur,  et  des 


}.-\..  WATTEATI.    —   LBS    AMANTS   ENDORMIS 

(CoUection  E.  Cronier) 


événements  qui  nous  procurent  ce  spectacle!  Avec  Corot,, 
nous  étions  à  flot  sur  les  larges  ondes  de  la  vie.  Avec  Frago- 
nard,  nous  voici  nous  ébattant  dans  le  délicieux  irréel  du 
romanesque  et  de  la  fantaisie  éperdue.  Car  on  peut  la  dire 
plus  étrange  encore  que  réelle,  celle  Liseuse,  bien  qu'elle  soit 
prise  à  la  rencontre,  par  le  peintre,  et  aussi  «  populaire  »  en 
son  genre  que  la  Joueuse  d'osselets,  de  Chardin.  Seulement 
la  couleur  ici,  avec  son  furieux  éclat,  sa  véhémente  caresse, 
atteint  les  frontières  de  la  fantasmagorie  pure.  Ce  corsage 
d'un  safrané  aveuglant,  ces  notes  lilas  qui  s'y  opposent,  cette 
tranche  rouge  du  livre,  qui  est  comme  un  appel  de  trom- 
pette dans  une  symphonie  de  Mozart,  tout  cela  prouve  que 

l'esprit,    l'esprit    simplement, 
peut    créer    en    son  genre  du 
grandiose.  Même  éblouissante 
et  dominatrice  espièglerie  avec 
le   Billet  doux,    tableau    tout 
ruisselant    de    vivants    satins, 
tout    délicieusement    irritant 
d'atmosphère    galante.    Ah! 
l'adorable  extravagance  de  cou- 
leur, que  ce  rideau  jaune,  cette 
robe    bleue,  ce   tabouret  vert, 
tout  cela  aboutissant   à   l'har- 
monie la  plus  dorée,    la  plus 
ambrée   qui    fut  jamais.   L'au- 
torité du  peintre,  dans  le  chif- 
fonnage    des   étoffes,   dans   le 
vigoureux  et  raffiné  contraste 
des  valeurs,  dans  le  saisi  d'un 
mouvement  léger,  infiniment, 
mouvement  aussi  vif  que  celui 
d'un    oiseau   qui    vient   de   se 
poser,   et    qui  va   s'envoler  de 
nouveau  ,    sont    certainement 
des  sujets  de  stupéfaction.  Et, 
pour  achever  le  régal,  le  peintre 
capable    d'un    pareil    tour   de 
force  s'est    montré    en    même 
temps  un  conteur  exquis,  ma- 
licieux, sympathique  aux   hu- 
maines  amours,    de  la   lignée 
d'un  Restif  de  la  Bretonne,  un 
auteur   dramatique  fraternel 
avec  Regnard  et  Marivaux. 

Je  ne  pourrai  commenter 
plus  longuement  ces  quatre 
chefs-d'œuvre,  car  le  numéro 
entier  y  passerait  sans  peine; 
du  moins  qu'il  soit  permis 
d'ajouter  à  ces  notes  d'un  spec- 
tateur encore  tout  aveugle,  les 
essentielles  indications  de  pro- 
venance et  de  cachet.  Les  deux 
Chardin  ont  été  fréquemment 
gravés,  notamment  les  Osse- 
lets,  par  Lépicic,  en  1742;  ils 
sont  tous  deux  signés,  et  le 
Volant  est  date  de  ijSi.  Quant 
aux  Fragonard,  la  Liseuse  a 
passé    par    les    collections    de 


COLLECTION  E.   CRONIER 


II 


J.-S.    CHARDIN.    —    LKS    OSSELETS 

(Collection  E.  Cronierj 


12 


LES    ARTS 


I.    NATTIER.    —   PORTRAIT  PRÉSUMÉ    DE  W»"  TOCQLK 

(Collection  E.   Cronier) 

Cypierre  et  du  comte  de  Kergorlay,  et  le  Billet  doux,  qui 
vient  de  l'ancienne  collection  Feuillet  de  Conches,  fut  mon- 
tré  en    1874,   à    la    fameuse 
exposition    des  Alsaciens- 
Lorrains. 

Peut-on    nous     supposer 
refroidis,  par  de  telles  fortes 
pages,  envers  les  œuvres  de 
cet  autre  grand  homme,  grand 
peintre  autant  que  vrai  pen- 
seur, La  Tour,  qui  se  trouve 
ici  représenté  par  quatre  mor- 
ceaux   des    plus    rares,  dont 
deux  surtout  sont    du    plus 
vif  intérêt  et  de  la  vie  la  plus 
saisissante?  Cènes,  La  Tour, 
dans   le  Portrait  du  graveur 
Sclimidt  (provenant  de  la  col- 
lection   Laperlier)   ne    s'est 
jamais  prouvé  physionomiste 
plus    attrayant,    et    capable 
d'allier   la   plus  grande  sub- 
tilité   d'expression     avec    la 
plus    grande   franchise   dans 
l'acceptation    du     modèle. 
Cette  bonne  tête  souriante, 
tête  germanique  avivée  d'un 
peu  de  malice  scapinesque, 
tête  singulière  où  se  mélan- 
gent  de     l'ironie    et    de    la 
mélancolie,    est    réellement 

J.-l).  PElinONKEAU.  — 
(Collection 


M  -Q.  DE  LA  TOUR.  —  portrait  dk  la  comtesse  de  cov■B.^TBy  (pasldj 
(Collection  E.  Cronier/ 


observée  par  le  peintre  av 
lernelle.  C'est  le  camarade 


PORTRAIT  DE   M.    DUPliRIL 

E.  Cronier} 


ec  une  espèce  de  sympathie  fra- 
qu'il  a  eu  plaisir  à  portraiturer, 
en  causant,  en  échangeant 
tour  à  tour  de  vives  plaisan- 
teries et  des  idées  philoso- 
phiques; l'artiste  comme  lui, 
surpris,  non  arrangé,  dans 
le  pittoresque  et  débraillé 
accoutrement  de  l'atelier, 
vieille  robe  de  chambre  à 
ramages,  et  vieille  toque  de 
velours  fourrée,  à  la  cares- 
sante usure,  aux  tons  riche- 
ment fanés.  Et  le  maître  ne 
s'est  pas  moins  intéressé  à  la 
grasse  main  habile,  qui  a  des 
mouvements  et  des  replie- 
ments délicats,  qu'aux  grands 
yeux  qui  réfléchissent  et  qu'à 
la  bouche  aux  vigoureuses 
sinuosités,  révélant  une  fan- 
taisie sensuelle.  Vrai  Dieu  ! 
ce  camarade  était  assez  fait 
pour  s'entendre  avec  son  sar- 
castique,  et  osseux,  et  voltai- 
rien,  et  philosophe  depeinire. 
Dans  son  Pi.rtrait  par  lui- 
lucinedc  cette  collection  Cro- 
nier, La  Tour  s'est  rarement 
raconté  avec  plus  de  com- 
plaisance. Souvent,  dans  un 


M.-Q.   DE   LA  TOUR.  —  portrait   du  maître  par  lui-même  (pastel) 

\CoUection  E.  Cronier) 


H 


LES    ARTS 


«  masque  »  preste  et  limpide,  il  se  saisit  une  expression 
fugitive,  une  pense'e,  une  raillerie;  parfois  encore,  en 
certains  portraits  intimes  plus  détaillés,  veste  bleue,  le 
cou  et  la  tête  nus,  il  nous  dit  sa  «  rosserie  »  d'ouvrier 
sûr  de  son  fait,  de  faubourien  qui  aime  à  ne  pas  mâcher 
Jes  mots,  sorte  de  Beaumarchais  de  la  peinture,  qui  tout 
en  frayant  avec  les  grands  seigneurs  ne  se  laisse  point 
éblouir  par  leur  rang,  de  Picard  enfin,  fier  de  son  talent  et 
de  sa  naissance  humble.  Mais  ici,  il  nous  a  donné  jusqu'aux 
moindres  détails  de  son  anatomie  physionomique.  Il  a 
presque  forcé  sa  gaieté  dans  ce  magnifique  pastel,  où  le 
débraillé  de  la  tenue  forme  un  si  piquant  contraste  avec  le 
poussé  de  l'exécution,  et  vraiment,  tel  est  le  degré  de  rensei- 
gnement de  ce  document  unique,  que  l'on  entend  l'accent 
picard...  Regardez  bien  le  portrait,  et  vous  l'entendrez. 

Ce  portrait  est  signé  Delatoiir  ijSu.  Quant  à  celui  du 
Graveur  Schmidt,  il  est  piquant  de  rappeler  qu'en  1S79,  à  la 
vente  Laperlier,  il  atteignit  le  prix  de...  4i5o  francs!  Je 
vous  laisse  le  plaisir  de  jouer  au  petit  jeu  de  pronostiquer  de 
combien,  avec  la  juste  fureur  qui  s'est  emparée  de  nos  col- 
lectionneurs à  l'égard  du  «  xviii=  »,  ce  beau  pastel,  si 
humain  et  si  plaisant,  dépassera  ces  enchères  d'une  époque 
patriarcale. 

Watteau  aurait  dû  être,  en  toute  autre  occasion,  ciié  dès 
l'abord;  mais  il  convient  d'avouer  qu'il  n'était  représenté 
chez  M.  Cronier  que  d'une  façon  restreinte.  Le  petit  Lor- 
gneitr  surtout,  essai  d'un  sujet  fréquemment  traité  par 
l'artiste,  n'est  point  ma!  avec  sa  dame  en  robe  jaune,  et 
son  beau  musicien  rose  à  crevés  b'euâires.  Le  panneau 
décoratif  des  Amants  endormis,  d'une  verve  légère,  a  le 
dommage  d'être  tronqué;  mais  cela  demeure  encore  un 
enviable  débris.  Plusieurs  dessins  sont  de  bon  aloi.  C'est 
tout  ce  qu'on  peut  dire  ici  du  maître  des  maîtres. 

Et  il  faut  bien  vite  revenir  aux  grands  portraitistes.  A 
La  Tour,  de  qui  nous  n'aurions  garde  d'omettre  le  fier  et 
aristocratique  Lord  Coventrj-,  en  rouge  dominant,  et  de 
Ladf  Coventry,  en  bleu  majeur,  deux  morceaux  qui  nous 
auraient  retenu  plus  longuement 
si  nous  n'avions  pas  été  un  peu 
fasciné  par  les  deux  autres.  A  Per- 
ronneau  également,  à  qui  l'on 
donne  une  peinture,  M.  Duper  il, 
en  habit  d'un  rouge  fort  attrayant, 
.  ettrois  pastels,  représentant  Colette 
de  Viilcrs,  puis  un  seigneur  et  une 
dame  inconnus.  A  Naitier,  encore, 
de  qui  une  charmante  figure  de 
femme,  au  coquet  mouvement  de 
la  main,  à  la  ressemblance  serrée 
•  d'un  peu  plus  près  que  de  coutumie, 
sans  perdre  de  la  grâce  coutumière, 
est  présumée  Madame  Tocqité.  A 
quelques  maîtres  de  l'école  anglaise 
enfin...  Mais  ceux-ci  valent  un  ou 
deux  alinéas  à  part. 


Ce  qui  fait  un  peu  de  la  séduc- 
tion et  de  l'originalité  de  la  partie 
anglaise  en  la  collection  .Cronier, 
c'est  que  l'amateur  avait  eu  l'esprit 


A.  WATTEAU.  —  l'.TUDiî  POUR  LES  pi.Aisins  dkl'kh'; 

Dessin  au  crajon  noir  avec  rehauts  de  blanc  et  de  sanguine 

(Collection  E,  Cronier) 


de  recueillir  certaines  fort  petites  esquisses  de  certains  fort 
grands  portraits  :  ainsi,  par  Gainsborough,  la  Promenade 
dans  le  Parc,  autrement  dit  le  portrait  du  squire  Hallett  et 
de  sa  femme,  deux  jolis  personnages  d'un  roman  de  Gold- 
smith,  de  Sterne  ou  de  Maci<enzie,  parés,  respectables  et 
charmants;  —  ou,  par  Reynolds,  l'esquisse  plus  alticre  de 
Lady  Stanhope,  découpant  sur  un  rideau  rouge  sa  blanche 
silhouette  et  sa  ficre  tête  blonde,  pensivement  accoudée.  Ce 
sont  choses  séduisantes  et  pages  lilliputiennes. 

Mais  Gainsborough  attire  surtout  l'attention.  Cette 
grande  gouache  dont  nous  avons  parlé  est  une  œuvre 
curieuse  par  le  procédé  peu  fréquent  chez  cet  artiste.  Il 
est  certain  que  Gainsborough,  avec  des  cheveux  poudrés 
sous  un  grand  chapeau,  un  corps  souple  dans  une  robe  de 
soie  paille,  une  fine  gorge  que  voile  un  fichu  de  batiste, 
une  main  délicate  qui  se  laisse  aller  comme  une  Beur  qui 
dort,  des  yeux  enfin,  des  yeux  veloutés  et  songeurs,  donne 
une  impression  de  grâce  pudique  et  de  sentimentalité  vive 
et  c'est  plaisir  de  voit  palpiter  et  rêver  ces  gracieux  êtres 
dans  un  paysage  rêvé  et  vrai  en  même  temps.  Gainsbo- 
rough ne  peut  être  défini  que  par  le  portrait  d'un  gentleman 
en  bel  habit  bleu  verdâire  et   présumé  sir  Campbell. 

Enfin,  la  collection  anglaise  se  complète  par  le  portrait 
de  Miss  Day,  par  Lawrence,  page  d'une  riche  couleur, 
d'un  attrait  de  beauté  juvénile  et  d'un  fort  romanesque 
arrangement  de  paysage;  —  par  diverses  études  de  femmes 
deRomney  ou  de  son  entourage,  blanches,  bleues  et  dorées 
à  souhait;  —  par  un  très  noble  portrait  d'homme  de 
Reynolds. 


Mais  il  est  grand  temps  que  nous  disions  sur  quelles 
belles  choses  de  nos  maîtres  de  i83o  le  Louvre  fit  naguère 
la  petite  bouche  et  quels  régals  se  préparent  pour  ces  riches 
et  bons  ouvriers  de  nature  que  la  postérité  a  maintenant 
classés  d'une  façon  définitive  entre  leurs  ancêtres  les  paysa- 
gistes   hollandais   et    leurs  émules,  en  quelque  sorte  leurs 

«    moniteurs    »  ,    les    paysagistes 
anglais. 

C'est  à  Corot  que  s'adresse  tou- 
jours le  premier  hommage,  car 
c'est  lui  toujours  qui,  le  plus  impé- 
rieusement (et  quelle  bonne  grâce 
dans  cet  impérieux!),  séduit  et 
caresse  le  regard  et  retient  la 
pensée.  Le  Pâtre  est  une  fort 
importante  et  fort  pittoresque 
peinture,  toute  pleine  de  cette 
sorte  de  plantureuse  rêverie,  de  ce 
charme  intense  de  nature  à  la  fois 
antique  et  romantique  que  le 
maître  avait  à  jamais  rapportée 
d'Italie.  Ce  berger,  Auteur  dans 
la  solitude  de  ronces  et  de  rocs, 
ces  chèvres  qui  broutent  autour  de 
lui  et  sans  nul  doute  sont  des  audi- 
trices qu'il  aime  et  qui  l'aiment, 
cette  belle  scène  qui  n'aura  jamais 
de  date ,  pas  plus  que  n'en  aura 
ce  fin  ciel  d'aurore,  —  c'est  propre- 
ment une  page  de  Virgile. 


COLLECTION  E.    CRONIER 


i5 


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FRAGONARD.    —    la  liseuse 
(Collection  E.  Cronier) 


%'« 


L'HISTOIRE  DE  DON  QUICHOTTE.  —  la  duch 
Tapisserie  exécutée  à  la  Manufacture  des  Gobelins  d'après  les  cartons  d 


1 


.    —   DON    (QUICHOTTE.    —    bEl'AKT    DK    SANCHO    POIU    i.  ILE    DE    BARATARIA 

essier.  —  P'ond  jaune  simulant  le  lampas.  —  Tableaux  et  guirlandes  coloriés  au  naturel 

i.   Cronicr) 


i8 


LES  ARTS 


Puis  voici  cette    petite    toile   des   Dunes  d'Etaplcs   qui 
ravira  ceux  qui  sont  amoureux  de  lumière  et  sera  chère  au 


cœur  de  ceux  qui  connaissent  cette  région  si  grandiose  et  si 
simple,  cette  région  à  laquelle  le  nom  de  Cazin  est  indisso- 


L\^COMliUHÎ    ITALlti.VMi.    —     LV    UISiiU'iB   1»  B  UuN.NB    AVt.\rURF! 

Tapisserie  cxdculdo  à  la  Manufacture  des  Gobclins  d'après  les  carlocs  de  Berain,  Gillol  et  WaUcau 

i  Collection  E.   Crouler f 


lublement  lié,  et  dont  on  est  heureux  de  rencontrer  Corot 
epris  en  passant;  car  ce  grand  ciel,  ces  dunes  pâles,  ces 


arbres  qui  luttent  courageusement  contre  l'incessante  brise, 
cette  âpre  vie  des   pêcheurs,  sont  évoqués  ici   dans  toute 


COLLECTION  E.   CRONIER 


«9 


leur  triste,  douce  et  pâle  beauté,  et  cette  simple  toile  est  un 
résumé  génial  de  tout  un  certain  aspect  des  côtes  françaises. 


Après  ce  grand  poète,  voici  trois  très  grands  ouvriers, 
Rousseau,  Duprc  et  Diaz.  De  Rousseau,  la  Marc  dans  la 


LA  roMioii  iTAiiiitni.  —  l>  jaloux 
Tapissorio  cxi<ciil<<c  h  la  Manurartiiro  des  Gobolios  d'après  les  cartoDS  de  Barain,  Gillol  et  Waltcan 

iCiUeilion  E.  Cronier) 


forci,  page  d'automne  des   plus  somptueuses,  vraie  orfè- 
vrerie de  peinture  avec  de  captivants  effets  de  lumière.  De 


Dupré,  encore  deux  «  mares  »  ;  l'une  avec  un  ciel  drama- 
tique et  des  arbres  qui  s'apprêtent  aux  ingratitudes  de  la 


LES   ARTS 


mauvaise  saison,  provient  de  la  colleciion  Mante  ;  l'autre, 
blonde,  chatoyante,  séduit  par  les  beaux  ors  du  reflet  que 


font,  dans  l'eau  remuée,  les  troupeaux  qui  se  désaltèrent. 
Diaz    a    été    rarement    mieux    représenté    que    dans    cette 


L'msTOme     de     CSYCHK.     —     r.'ABANDON 

Tapisserie  exécutée  à  la  Manutaclurc  de  Beauvais  d'après  les  carloDS  de  François  Boucher 

(CoUectinn  E.   Crorner} 


collection-ci  :  la  Mare  aux  chênes,    la   Clairière  dans   la 
forêt  et  VAiitomne  au  Bas-Brêau,    sont    trois  objets    d'art 


d'une    qualité    exceptionnelle  ;    j'ajouterai     qu'auprès    de 
ces    peintures    si    bellement    gravées,    d'une      matière    si 


COLLECTION  E.   CRONIER 


31 


L'HISTOIRE   DE   PSYCHÉ.  —   LE  VANNIER 
Tapisserie  exécutée  à  la  Manufacture  de  Beauvais  d'après  les  cartons  de  François  Boucher 

(Collection  E.  Cronierj 


24 


LES  ARTS 


robuste  et  si  diversifiée,   les 

'figures  du  même  maître  pâ- 
lissent visiblement.  Mais 
c'est  assez  que  l'on  puisse 
celte  fois,  en  trois  toiles  seu- 

ilement,  se  remettre  à  com- 
prendre pourquoi  Diaz  eut 
une  réputation  si  haute. 

I!  nous  faut  encore  signa- 
ler, faute  de  place  pour  les 
commenter,  des  œuvres  du 
même  temps,  ou  s'y  ratta- 
chant,- comme  les  fort  grasses 
Vaches  à  la  lisière  d'un  bois, 
de  Troyon  ;  les  Amateurs  de 

•peinture,    de    Daumier,    un 

'clés  tableaux  les  plus  beaux 
d'éclairage,  un  des  plus 
robustement  sculptés  que  Je 
connaisse     du     maître  ; 

'diverses     aquarelles     de 

■  Decamps,  d'Harpignies  ;  un 
intéressant  Pardon  deRibot; 

^-  enfin  le  tableau  si  capti- 

ivant,  si  im  portant  dans 
l'œuvre  dé  Bonvin,  VEscalier 
du  parloir,  grave,  digne  et 
charmant,  récit  de  mœurs, 
d'uii  excellent  sens  religieux, 
quelque  chose  comme  une 
scène  de  Port-Royal  retracée  par  un  vrai  Hollandais,  avec  l'autre  triomphal,  la  merveilleuse  scène  où  trois  personnages. 


JIUMNEV.    —    LA  JtUMi  LAIIIEKU 

(CoUeclion  E,  Cronier) 


celte  si  touchante  et  si  fine 
aiicntion,  pour  préciser  le 
goût  et  l'esprit  de  cette  pein- 
ture, de  placer  dans  cet  esca- 
lier une  copie  de  «  la  Mère 
Angélique  Arnauld  et  Su- 
zanne de  Champaigne  ».  C'est 
vraiment  là,  chez  Bonvin,  une 
sorte  de  trait  de  génie. 

Mais  le  génie  I  II  flambe 
de  toutes  parts  dans  l'admi- 
rable petit  tableau  de  Dela- 
croix :  Hercule  dé  livrant 
Alceste,  et  je  suis  bien  heu- 
reux de  finir  la  revue  des 
principales  peintures  par  une 
œuvre  aussi  intense,  aussi 
profondément  émouvante. 
Ah  !  si  tout  à  l'heure  Corot 
était  un  poète  virgilien,  voici 
en  Delacroix  un  ardent  et 
frémissant  Eschyle  !  Il  est 
inoubliable  ce  tableau.  On 
est  hanté,  ne  l'eût-on  vu 
qu'une  fois  et  dans  un  éclair, 
par  ces  enfers  encore  furieux 
et  béants,  et  par  ces  sacrifices 
de  joie  qui  s'apprêtent,  enca- 
drant entre  deux  pôles,  pour 
ainsi    dire,    l'un;  désespéré. 


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TH.  GAINSnOROUGH.  —  portrait  pnÉsuMiî  de  sir  john  campbell 
(Collection  E.    Cronier) 


lîEYN'OLDS.    —    PORTRAIT    DE    LADY   STANIIOPH    (CSquïSSC) 

(Collection  E.  Cronier) 


TH.    GAINSBOROUGH.    —    méditation    (gouache) 
(Collection  E.  Cronier) 


EUGliSE  DELACROIX.—  iiEKcti.B  etalcesie 

it:nU:itinH  E .    Cranicrf 


sans  plus,  disent  ce  drame  magnifique  de  ]a  mort  vaincue, 
de  l'amour  consolé  et  du  courage  triomphant.  Mais  quel 
émoi  les  éircini  encore  ces  trois  personnages!  Comme  ils 
reviennent  de 
loin  !  L'un  de 
la  douleur, 
l'autre  du  pé- 
ril,letroisicme 
enfin  des  livi- 
des régionsqui 
d'ordinaire  ne 
lâchent  point 
leur  proie! 
Hercule  n'est 
vainque  u  r 
qu'avec  une 
espèce  d'hor- 
reur; Admcie 
n'est  heureux 
qu'avec  une 
sorte  d'efl'roi. 
Pour  Aiceste, 
dites  si  l'art  a 
jamais  rien 
produit  de 
plus  pathé- 
tique que  cette 


figure  délicate,  prostrée,  encore  détaillante,  à  peine  encore 
redevenue   vivante.   Il  faudrait  pour  la  dignement   décrire, 
Ja  même  plume    que   celle  de  Michelet  commentant  V An- 
dromède   de 


Pu,t;Li! 


Il  en  coûte 
un  peu  de  re- 
descendre de 
pareilles  hau- 
teurs dans  le 
simple  do- 
maine de  la 
curiosité.  Mais 
du  moins  le 
retour  est  ren- 
d  u  a  1 1  r  a  }■  a  n  t 
par  des  tapis- 
series telles 
que  celles  de 
VHistoire  de 
Psyché  par  ce 
magique  déco- 
rateur, et  cet 
adorable  met- 
teur en  scène 


C.   TROyON.    —   VACHES   A    LA    LISIÈRE    D'BN  BOIS 

(Collection  E.  Crouler) 


28 


LES   ARTS 


d'opéra,  qu'est  maître  François  Boucher.  Il  y  en  a  vrai- 
ment ici  une  série  incomparable  de  ces  voluptueuses  et 
ingénieuses  visions  d'un  homme  qui  fut  aussi  à  sa  façon 
un  lyrique,  un  lyrique  de  la  chair,  et  des  bijoux,  et  des 
paysages  de  théâtre,  pour  lui  plus  éloquents  que  les 
paysages  trop  vrais  (et  pour  nous,  avounsle,  non  moins 
susceptibles  de  suggestion).  Psyché  montrant  ses  joyaux 
à  ses  sœurs  est  un  rêve  de  richesse  théâtrale  tel  que  la 
plus  habile  imagination  n'en  peut  concevoir  de  plus  capri- 
cieux et  de  plus  opulent  ;  la  jalousie  des  sœurs  est  plus 
observée  qu'on  ne  pourrait  s'y  aiiendre;  mais  Boucher  était 
plus  philosophe  qu'on  ne  pense.  Psyché  abandonnée  par 
l'Amour  exhale  ses  plaintes  de  la  manière  la  plus  touchante; 
son  adagio  et  ses  roulades  se  développent  à  merveille  dans 
cette  affreuse  solitude,  qu'à  cause  des  nymphes  nous  con- 
templons sans  trop  de  déplaisir.  Enfin  la  scène  de  Psyché 


JULES    DtJPHi;.    —     LE   TROUPEAU    AU  BORD   DE    l'i 

(CoUection  E.  Cronier) 


secourue  par  le  vannier  nous  ouvre  sur  la  vie  rustique 
des  horizons  toujours  inattendus.  Ces  tapisseries  sont  de  la 
plus  grande  beauté  ;  le  temps  donna  à  leurs  tons  les  séduc- 
tions les  plus  rares  des  roses  fanées  et  des  crémeuses  blan- 
cheurs. Heureux  le  milliardaire  qui  pourra  relire  entre  ces 
spectacles  l'adorable  roman  de  La  Fontaine.  Si  cela  l'ennuie 
de  lire,  nous  demandons  à  le  pouvoir  faire  chez  lui. 

La  Noble  Pastorale  et  les  Plaisirs  champêtres  ne  le  cèdent 
point  aux  précédents  en  séduction  de  couleur  et  en  agrément 
de  composition.  Il  semble  maintenant  que  de  telles  pièces 
soient  aussi  difficiles  à  conquérir  que  la  légendaire  toison 
d'or.  Les  deux  grands  panneaux  de  la  Comédie  italienne 
inspirés  de  Bérain,  de  Gillot  et  de  'Watteau  (le  catalogue  dit  : 
ou  ;  ]C  d\s  :  eti;  les  scènes  de  VHistoire  de  Don  Quichotte 
enfin,  d'après  Coypel,  complètent  un  ensemble  de  Gobelins 
et  de  Beauvais,  comme  on  en  vit  peu  fréquemment  passer  en 

vente  publique  et  comme  on  en 
vit  plus  rarement  encore  réunis 
chez  un  seul  particulier.  Et  ce  ne 
sont  pas  les  seules  pièces  pré- 
cieuses de  tapisserie  que  l'on 
voyait  chez  M.  Cronier.  Il  y 
avait  encore  de  rares  meubles, 
l'un  avec  une  suite  de  batailles 
et  de  bambochades  par  Casanova; 
un  autre  de  Huet  et  d'Oudry  ; 
d'autres  encore  dont  Aubusson 
pouvait  s'enorgueillir... 

Un  des  charmes  les  plus  pi- 
quants et  les  plus  singuliers  de 
ces  belles  décorations  tissées  ré- 
side dans  le  somptueux  pâlisse- 
ment  que  leur  a  donné  leur  grand 
âge,  pâlisscmcnt  au  milieu  duquel 
persistent  des  éclats  de  couleur 
merveilleux  et  atténués,  grand 
âge  qui  conserve  une  exquise. fleur 
de  jeunesse. 

Et  nous  songions,  en  subis- 
sant la  caresse  de  cette  excep- 
tionnelle harmonie,  à  la  singu- 
lière querellequi  surgit, àl'époque 
du  lissage,  dans  le  clan  des  tapis- 
siers, entre  les  partisans  du  «  co- 
loris de  peintre  »  et  ceux  du 
«  coloris  de  tapisserie,  »  entre  les 
adeptes  de  Boucher  et  les  défen- 
seurs d'Oudry.  Est  survenu  un 
troisième  coloriste,  le  plus  grand 
et  le  plus  inattendu  de  tous,  qui 
trancha  la  querelle  et  la  fit  ou- 
blier :  le  Temps  !... 

Je  renonce  à  entrer  dans  le 
détail  de  ces  tapisseries  qui  furent 
princières,  et  qui  vont  sans  doute 
continuer  à  être  «  financières  », 
car  de  notre  temps  qui,  sauf  un 
grand  financier,  avec  son  argent 
ou  celui  des  autres,  peut  s'olfrir 
un  pareil  décor  ?  Je  renonce  aussi 
à  cnumérer    même    les   objets  de 


DIAZ.   —    LA   HARB   AUX   CIlfi.NES 

(  f^oUcrlhn  E.   f'rniticrj 


DIAZ.   —   LA   CLAIRIKRB    DANS    LA    F0R£T 

(Colteflinn  K.  Cntaier) 


LES  ARTS 


TH.  ROUSSEAU.  —  LA  .vARB  dans  la  korkt 
(Collection  E.  Croniei) 


D  I  A  Z  .    —    L  B    I»  Kjl  N  T  H  M  1*  s 

(Collection  E.  Cronier) 


COLLECTION   E.   CRONIER 


3i 


J.-B.   CARPEAUX.   —   KLORE   (marbre) 
(Collection  E.  Cronier) 


33 


curiosité,  porcelaines,  ortè- 
vre ries,  bronzes, pet i tes  seul  p 
tures  (et  grandes,  témoin  la 
radieuse  et  espiègle  Flore  de 
Carpeaux)  qui  forment  près 
d'une  centaine  de  numéros. 
Ma  grande  raison,  ce  n'est 
pas  parce  que  je  n'y  aurais 
pas  beaucoup  déplaisir,  mais 
c'est  parce  que  je  n'ai  plus 
de  place.  S'il  m'en  était  resté 
davantage  Je  serais  revenu  sur 
telles  pei  ntures  du  X  vu  l'^siècle 
absolument  charmantes, 
comme  la  Collationci  le  Con- 
cert dans  le  Parc,  dont  la 
composition  tout  au  moins 
aurait  été  approuvée  par  Fra- 
gonard,  de  qui  elle  est  visi- 
blement inspirée.  J'aurais 
aimer  parler  de  certains  des- 
sins fort  précieux,  tels  que  la 
tétedejeune  fille  de  Prud'hon, 
l'aimable  portrait  de  femme 
par  le  baron  Gérard,  enfin 
encore  une  fois  je  me  serais 


délecté  en  compagnie  de  Fra- 
gonard,  avec  son  Taureau 
cchappé  [échap\-^é  ce  me  sem- 
ble de  la  collection  Con- 
court, gravé  par  Jules,  en 
tout  cas),  une  sépia  pleine 
de  verve,  de  mouvement, 
d'artifice  exquisgràce  auquel 
ce  taureau  blanc  est  plus 
blanc  que  le  papier  lui-même 
sur  lequel  il  apparaît  si  fou- 
gueux. 

Cènes,  ce  sont  des  spec- 
tacles bien  durs  à  quitter... 
et  celui  qui  les  quitta  en 
sut  sans  doute  quelque 
chose.  Égoïstes  humains, 
ne  nous  plaignons  donc 
pas  d'avoir  encore  nos  yeux 
tt  de  voir  défiler  ces  raretés 
comme  dans  le  tourbillon 
diapré  d'un  rêve  peu  fré- 
quent. 

ARSÈNE  ALEXANDRE. 


H.    DAI'MIER.    —    LES   AWATBUBS 

(Cnltection  E.    Cronier) 


D^AZ. 


—    L  AUTOMNI!    DANS    LA  FOKHT 

(Collection  E.  Cronier j 


TRIBUNE    DES    ARTS 


LA  DANAE 


(!) 


Réponse  de  M.   Henri  Rochefort 

I  3  octobre  irjo5. 

La  similitude  entre  le  dessin 
du  Louvre  et  la  Danac  repro- 
duite dans  le  numéro  des  Arts 
du  mois  de  juillet,  est  indiscu- 
table. Je  n'avais  laissé  au  bas 
du  tableau  le  nom  de  Carie 
Vanloo  que  parce  que  la  per- 
sonne de  qui  je  le  tenais  m'avait 
affirmé  en  avoir  vu  ou  même 
possédé  la  gravure. 

.le  suis  allé  la  demander  à 
M.  Danlos,  l'érudit  marchand 
d'estampes  du  quai  Voltaire, 
qui  m'a  déclare  ne  pas  la  con- 
naître. Il  se  rappellera  certaine- 
ment ma  visite,  car  nous  avons 
quelque  temps  parlé  art  en 
compagnie  de  M.  Le  Bargy, 
qui  examinait  des  gravures. 

Le  Louis  de  Boulogne  dont 
parlent  vos  correspondants 
m'est  inconnu.  .l'ai  vu  des 
tableaux  de  Bon  Boullogne  ci 
de  sa  descendance,  mais  l'or- 
thographe est  autre  que  celle 
du  nom  de  l'auteur  du  dessin 
et  les  dates  de  leurs  œuvres  ne 
coïncident  pas  avec  la  facture 
de  la  Danac,  qui  rappelle  la 
seconde  moitié  du  dix-huitième 
siècle. 

Si  Messieurs  .Ican  Cîuitfrcy 
et  Pierre  Marcel  ont  des  ren- 
seignements sur  le  Louis  de 
Boulogne  en  question,  je  serais 
heureux  de  me  les  voir  commu- 
niquer pour  m'en  servir  au 
besoin. 

Agréez,  etc. 

HENRI  ROCHEFORT. 


LES  PRIMITIFS  FBllIlÇfllS 

et   "V"  eï"m.e j  o 

Saint    Michel    terrassant    le    Drago.i 

Un  l'ail  très  caractéristique 
et  qu'il  importe  de  ne  pas  négli- 
ger, vient  de  se  produire  dans 
l'ordre  de  la  critique.  Il  s'agit 
d'une  peinture  gothique  repré- 
sentant saint  Michel,  signalée 
en  avril  dernier  par  le  distin- 

(!)  Voir  tes  Arts  n"  .\'},  p.  iti  cl  n"  \li.  p.  !>:». 


gué  M.  Herbert  Cook,  comme 
ouvrage  de  l'école  française. 
L'article  de  M.  Herbert 
Cook,  paru  dans  la  Gabelle  des 
Beaux- Arts,  n'était  en  soi 
indigne  ni  du  renom,  ni  du 
mérite  d'un  écrivain  justement 
estime  de  tout  ce  que  l'Europe 
compte  d'historiens  d'art.  La 
mise  au  jour  seule  du  tableau, 
avec  la  signature  qu'il  porte, 
constituait  un  service  dont  la 
critique  n'a  pu  que  se  féliciter. 
J'ajoute  que  si  nous  savons 
maintenant  que  M.  Herbert 
Cook  s'est  trompé,  c'est  à  lui 
que  nous  en  devons  la  première 
nouvelle,  annoncée  sous  sa 
signature  dans  la  Chronique 
des  Arts  du  21  octobre.  Il  y 
aurait  donc  plus  que  de  la 
mauvahe  grâce  à  opposer  son 
opinion  d'hier  aux  démonstra- 
tions d'aujourd'hui.  L'erreur 
en  ces  matières  est  le  péril  com- 
mun, que  personne  n'est  assuré 
de  toujours  éviter. 

Je  neveux  remarquer  qu'une 
chose  en  général  :  c'est  qu'un 
tableau  d'école  réellement 
inconnue,  catalogué  d'école 
française  sur  des  raisons  pa- 
reilles à  celles  que  tous  les 
jours  nous  voyons  servir  en 
pareil  cas,  est  retiré  à  l'école 
française  par  des  arguments 
positifs. 

Ce  tableau  est  signé  ainsi  : 
Bartolomeus  Rubeus.  .M.  Cook 
proposait  d'y  reconnaître  un 
Barthélémy  Roux,  travaillant 
en  1470.  année  marquée  par  le 
costume.  Or  les  recherches 
pratiquées  en  Espagne  par 
M.  Raymond  Casellas  prou- 
vent que  ce  Rubeus  est  un 
peintre  espagnol,  réellement 
nommé  Vermejo,  et  du  reste 
connu  par  d'autres  documents. 
Le  point  est  acquis.  M.  Cook 
lui-mcme  l'avoue,  présentant, 
mme  j'ai  dit,  lui-même  cette 
correction  au  public. 

Cependant,  voici  sous  quel 
titre  le  tableau  avait  été  pré- 
senté en  avril  : 

Us    IKICCMEST   d'art  FRANÇAIS 
PRIMITIF 

L'article  débutait  ainsi:  •  Ce 
qui  est  nécessaire  dans  les  dis- 


UN     PHKTE.NDa    PIUMITIF    FUiNÇAlS 

SAI.Nr  .UICHICL  TIKH.VSSANT  LI   ORAOOK 


34 


TRIBUNE    DES    ARTS 


eussions  d'art  d'aujourd'hui,  c'est  le  docu- 
ment. Voici  une  page  de  la  plus  grande 
importance  pour  tous  ceux  (et  il  y  en  a  beau- 
coup' qui  s'occupent  de  l'histoire  de  l'art 
français  primitif.  >>  Venant  à  la  description 
"de  la  pièce,  l'auteur  poursuivait  en  ces 
termes  :  «  Le  fond  doré  et  la  ressemblance 
frappante  avec  le  Saint  Michel  d'Avignon 
indiquent  une  origine  méridionale.  ;Ici  men- 
tion de  la  signature.)  Quel  est  ce  maître  in- 
connu ?  Peut-être  un  autre  maîire  Roux. 
Quant  à  son  époque,  je  penserais  volontiers 
à  1470  environ,  date  indiquée  par  la  mode  de 
coiffure  du  donateur  et  de  son  vêtement.  Celte 
figure  rappelle  Fouqiœt,  ainsi  que  le  bouclier 
avec  son  orbe  de  cristal...  Ajoutons  que  les 
reflets  sur  la  cuirasse  montrent  des  tours 
gothiques  telles  qu'on  en  trouve  au  fond  de 
la  Pieta  de  la  collection  de  M.  d'Albenas,  à 
Montpellier.  » 

Je  ne  fais  point  ici  une  satire,  ce  que  j'écris 
n'est  point  une  invite  à  de  nouvelles  disputes 
inutiles  :  c'est  un  avertissement  formel  à  la 
critique.  La  découverte  du  maître  espagnol 
parle  toute  seule.  Elle  dit  :  En  avril,  vous  étiez 
sûr  que  le  tableau  de  Rubeus  était  français. 
Vous  l'annonciez  comme  tel.  Un  commentaire 
suivait,  dans  lequel  il  ne  s'agissait  que  de  dé- 
couvrir à  quelle  partie  de  la  France  revenait 
ce  tableau.  Deux  traits  formels  de  ressem- 
blance le  rapprochaient  des  œuvres  de  Fou- 
quet.  Celle  qu'en  termes  généraux  vous  recon- 
naissiez avec  le  Saint  Michel  d'Avignon,  était 
mentionnée   comme    «  frappante  ».    Or    tout 


ceci,  qui  vous  semblait  solide,  n'empêche  pas 
l'origine  du  tableau  d'être  positivement  con- 
traire. Le  maître  n'est  pas  français.  Tous  ces 
traits,  grands  ou  petits,  formels  ou  non,  dont 
vous  faisiez  état,  sont  sans  effet  et  ne  signi- 
fiaient rien. 

Chacun  reconnaîtra  dans  le  commentaire 
cité,  une  variante  de  ceux  que  nous  avons  vus 
mille  fois  présenter  de  pièces  du  même  genre.  A 
toutes  les  pages  du  Catalogue  de  l'Exposition 
des  Primitifs  français,  dans  vingt  articles  de 
revue,  on  les  trouve. 

Ni  la  créance  qui  fait  du  triptyquede  Mou- 
lins un  ouvrage  français,  ni  celle  qui  recon- 
naît pour  tel  le  beau  portrait  de  Charles- 
Orland,  ne  reposent  sur  autre  chose.  Une 
grande  partie  de  la  composition  des  salles 
d'école  française  primitive,  au  Louvre,  n'a 
pas  des  garanties  meilleures.  On  va  bientôt 
recevoir  dans  ce  musée,  avec  quelque  solen- 
nité, la  Défloration  du  Christ  de  Villeneuve- 
lès-Avignon,  dans  les  salles  de  l'école  fran- 
çaise. Cependant  on  n'a  pas  de  raisons  plus 
solides  à  fournir  de  cette  annexion.  Ces  in- 
ductions n'ont  eu  de  tort  jusqu'ici  que  de 
paraître  faites  à  la  légère.  Les  voici  formelle- 
ment démenties  et  reconnues  nulles  dans  un 
exemple.  N'est-ce  pas  l'occasion  de  revenir 
à  des  inductions  plus  prudentes,  à  de  plus 
sages  expectatives,  à  une  plus  scientifique  in- 
différence? 

Car,  ou  les  rapprochements  qu'on  fait,  en 
soi  légers  et  incapables  de  déterminer  une 
opinion,  sont  acceptés  par  complaisance  dans 


l'embarras  d'en  trouver  de  meilleurs,  auquel 
cas  il  convient  de  les  abandonner;  ou  leur 
importance  est  véritable,  et  voilà,  dans  le  cas 
qui  nous  occupe,  un  résultat  tout  différent 
de  celui  qu'on  envisageait.  Si  la  ressemblance 
d'une  œuvre  attestée  de  Vermejo  avec  le  Saint 
Michel  d'Avignon  est  réellement  frappante, 
comment  ne  pas  rendre  à  Vermejo  ou  à  l'école 
espagnole  la  paternité  de  ce  Saint  Michel, 
exposé  aux  Primitifs  français  comme  de 
l'école  ou  suite  de  Nicolas  Froment? 

Insensiblement  on  a  pris  l'habitude, quand 
il  s'agit  de  prouver  qu'un  tableau  est  français, 
d'apporter,  en  preuve,  des  ressemblances  avec 
d'autres  dont  l'origine  française  est  en  ques- 
tion. Que  le  tableau  nouveau  venu  retrouve 
son  état  civil  sur  les  registres  de  l'étranger, 
ne  va-t-il  pas  falloir,  en  bonne  critique,  que 
les  pièces  dites  françaises  prises  comme  com- 
paraison passent  elles-mêmes  aux  écoles 
étrangères? 

Je  laisse  à  tirer  ces  conséquences.  Je  ne 
retiens  que  celle-ci.  Ceux  qui  n'ont  pu  ad- 
mettre qu'avec  si  peu  de  preuves  on  reconnût 
partout  des  mains  françaises,  que  de  toutes 
pièces  on  inventât  des  maiires  dontdesombres 
d'analogies  servaient  à  recomposer  l'œuvre,  cl 
dont  le  caprice  tout  seul  fixait  le  lieu  de  nais- 
sance, ont  une  première  satisfaction.  Il  est 
établi  sur  un  point  que  ces  prétendues  vrai- 
semblances trompaient  ceux  qui  s'y  sont  laissé 
prendre.  Ce  n'est  qu'un  fait  encore,  mais 
plein  de  sens  et  qu'il  est  urgent  de  reicnic. 

L.  DIMIER. 


LA    SicNAICRE  DU  TABLEUU  SAINT  MICHEL  ILHIlASSAnT  IL  UltAGON 
U.\  PliÉTENDU  PlilMITIF    FISANÇAIS 


Dircclour  :  M,  MANZI. 


Imprimorio  Manzi,  Jovani  &  C>',  Paris. 


La  Gérant:   G.  BLONDIN. 


LES  ARTS 


N°  48 


PARIS    —    LONDRES    —    BERLIN    —    NEW-YORK 


Décembre  1905 


LE    MUSEE    DES   ARTS    DÉCORATIFS 


COFFRE    EN    BOIS   A   FBRRURBS 

France,  xiii«  siècle 
(MUSÉE  DES  ARTS  DÉCORATIFS) 


TAPISSERIE.   —  SCÈNE   DE    ROMAN 

France,  xv«  siècle 
(Legi  Peyrt) 


LE  MUSÉE  DES  ARTS  DÉCORATIFS 


EST  un  lieu  commun  de  répeter  que  le 
xix"^  siècle  n'a  point  créé  de  style.  Tandis 
que  des  sculpteurs  comme  Carpcaux  et 
Barye,  des  peintres  comme  Delacroix, 
Ingres  et  toute  la  pléiade  des  grands  pay- 
sagistes rivalisaient  de  génie  avec  leurs 
devanciers,  aucun  de  nos  artisans  n'était 
capable  d'imprimer  à  un  meuble,  à  un  vase, 
à  une  pièce  d'orfèvrerie  ou  de  céramique  une  forme  origi- 
nale. Les  plus  habiles  se  bornaient  à  copier,  les  autres  à 
enlaidir  les  produits  des  âges  précédents.  L'académisme  avait 
sa  part  de  responsabilité  dans  cette  décadence.  En  séparant 
le  «  grand  art  »  de  ce  qu'il  appelait  dédaigneusement  «  les 
arts  mineurs  »,  il  avait  détourné  d"  leur  voie  véritable  une 
foule  de  talents  qui,  mé- 
diocres en  sculpture  ou 
en  peinture,  se  seraie